Je sifflai avec admiration en passant ma main sur l’une des carcasses de ces avions fabriqués de toutes pièces. « Même avec les schémas de fabrication à l’appui, ça représente un sacré défi de les monter soi-même… surtout que de trouver les pièces n’est pas à la portée de tout le monde, mais j’imagine que vous avez les moyens de vos ambitions ici. » Ils étaient plusieurs centaines à première vue, donc bien assez pour monter des expéditions de récupération d’ampleur… rien à voir avec ce dont nous étions capables, Joaquin et moi, pour des broutilles électriques.

J’hochai la tête, d’un air entendu. La pilote avait raison. L’essence des avions n’intéressait pas grand-monde. « Hormis ceux qui ont tenté de se sauver vers une île paradisiaque en poursuivant une utopie… non, effectivement. Il ne doit y avoir que New Eden et vous pour vous êtes intéressés à ces petites merveilles. » Et, étant donné que l’aviation était prépondérante dans notre pays, ils avaient un potentiel certain pour siphonner des réservoirs. Dommage, j’aurais pensé qu’ils auraient besoin de moi pour optimiser leurs dépenses, mais ils avaient peut-être ce qu’il fallait ? « Vous savez qu’il est possible de changer le moteur pour le remplacer par un autre ? Il faut surtout faire attention à l’équilibrage. » Mais si on commençait à customiser des avions, on sortait de la chaîne de production habituelle, et c’était justement là que mes compétences pouvaient s’avérer utiles.

Je me retournai vers elle quand elle me souffla avoir un projet, curieuse d’en apprendre plus. Adrienne ménagea suffisamment son suspens… mais je ne fus pas déçue de l’entendre. Elle comptait concevoir son propre avion ? Mon sourire s’étira, dans une moue ravie, à l’idée de pouvoir me remettre au travail sur ce que j’avais toujours rêvé de faire un jour. « C’est votre rêve de conduire votre propre avion, monté de toutes pièces, en décidant de toute sa conception de A à Z ? Je partage vos aspirations. » C’était le mien aussi de le voir à l’œuvre, surtout si c’était pour répandre le feu et la mort sur New Eden. J’avais hâte de le voir à l’œuvre. « Ca va vous coûter cher mais… quand est-ce qu’on commencerait ? »

Les moyens… je souris : « Les moyens ne sont rien sans les connaissances. » Ni la volonté, New Eden avait les moyens mais n’avait pas la connaissance ni la volonté de nous raser, les moyens Fort Ward l’avait avant que j’arrive et que ma volonté pousse à créer cet aérodrome dont je suis si fière.

A ce sujet, Ruby me propose de changer le moteur de nos avions, si l’idée n’est pas idiote en sois, j’y vois cependant de nombreux problèmes : « Nous pourrions changer de moteur c’est vrai, mais pourquoi faire ? Il faudrait un moteur au moins aussi puissant ou alors disposant d’une puissance massique largement supérieure. Aucun intêret avec les cellules existantes. » Elles sont trop ancienne, il faudrait les revoir en profondeur et nous n’avons ni le temps ni les moyens de le faire malheureusement.

En tout cas, Ruby semble emballée par l’idée de faire un peu de travail d’ingénierie. Même si elle me parle immédiatement du prix que ça coutera. Encore pire qu’une avocate ou qu’une prostituée : « Je ne sais pas ce que vous voudriez en échange, mais si nous restions que dans la théorie pour le moment. Une simple conversation hypothétique ; qui ne doit pas impliquer de travail et coûts à part le plaisir d’une simple réflexion :

« Il faudrait commencer par trouver un moteur. » Je lui tends un magasine qui trainait par là : « Un moteur de Dodge Challenger. 852 chevaux… Auquel nous pourrions mettre un compresseur. Et le porter à mille.» Au moins, voir même plus en utilisant un ordinateur de reprogrammation et en optimisant le carburant. Je lui présente la suite de mon projet d’un air enthousiaste, mais toujours au conditionnel :

« Et gagner du poids en utilisant des matériaux composites et des commandes de vol informatisées. C’est ambitieux mais pas infaisable. C’est une technologie présente sur mon avion de voltige. » Commande par transitions radio ou fibre optique. Pas de durci cément des commandes et gain de poids et de place énorme. Idéal pour renforcer la structure et placer des armes lourdes.

« Je ne vais pas dire le contraire. » Même si l’inverse était aussi vrai. Pour vivre hors de ces murs, je ne savais que trop bien que les connaissances n’étaient rien si on ne pouvait pas s’en donner les moyens. J’avais longtemps dû me débrouiller tant bien que mal pour joindre les deux bouts, mes connaissances en ingénierie aéronautique bien inutiles quand il s’agissait de simplement survivre. Ici, j’allais pouvoir déployer tout mon potentiel. J’avais hâte de me mettre au travail.

Je revins vers Adrienne après avoir fait le tour de leur flotte aérienne, hochant lentement la tête. « Vous avez raison. Si nous apportons trop de changements aux structures existantes, nous risquerions de devoir tout revoir, donc autant construire un avion de toutes pièces. » Mais pour moi, ça revenait au même. Ca allait demander beaucoup de temps et un investissement considérable.

Je souris un peu quand la pilote botta en touche concernant le coût de cette mise en œuvre. « Je vous laisserais soumettre le projet à June. » Ce serait sans doute avec elle que le prix se négocierait réellement. Je la suivis ensuite dans le garage où elle me remit un catalogue avec de nombreuses références sur les moteurs d’avion. Elle avait déjà jeté son dévolu sur l’un d’entre eux. « Ce que vous proposez me paraît envisageable… je maintiens que vous aurez besoin d’optimiser l’utilisation du carburant. » Je refermai la brochure. « Vous avez pensé aux moteurs canadiens ? » Evidemment, étant canadienne, j’étais plutôt fière de ce que nos ingénieurs avaient été capables de construire avant moi. Mais au-delà de ça, il y avait également un aspect pratique : le Canada n’était pas si loin. « Certains doivent toujours être exposés dans des musées sans que personne ne s’en soit soucié. »

Je réfléchissais aux matériaux qu’elle proposait. « Il faudra que vous me disiez exactement avec quel armement vous souhaitez l’équiper, on ne pourra pas rogner sur tout pour qu’il reste rapide. » Partir de zéro paraissait compliqué, mais on pouvait prendre du meilleur de chaque pour le concept d’un avion qui saurait répondre aux exigences du nouveau monde. « Est-ce que vous savez contre quoi vous vous battez exactement ? Vous avez à affronter la flotte aérienne de New Eden, n’est-ce pas ? » Pour avoir la nécessité d’un intercepteur, Fort Ward n’était pas les seuls maîtres du ciel. « Je peux songer à un contre efficace, si vous avez ces données. »

Je relève la tête à la proposition de Ruby : « ça dépend ce que vous appelez moteur Canadien. » Je n’ai jamais fait grand cas des motoristes de ce pays, mes préférences allant aux anglais et aux américains. Les allemands aussi, dans une moindre mesure. Après, je suis ouvertes aux propositions les plus folles, nous ne sommes plus limités que par notre imagination… nos moyens techniques aussi mais au moins, il n’y aura plus une seule question d’argent à aucun moment.

Ce qui va nous laisser une gr « Pour autant que nous sachions, ils ont des P-47, des P-40, des FW-190. Vu la quantité, je pense à des reproductions. Ça inclus qu’ils ont des moyens de production largement supérieurs aux nôtres. » Pour fabriquer autant en si peu de temps, c’est obligatoire, sans compter qu’il faut entrainer les pilotes, ça inclue d’autres appareils… Et puisque Ruby nous parle de « contre » je pense que je peux me

« J’ai déjà établis une liste de tactiques pour les contrer. Notre objectif va être un appareil qui cultive un haut degré de polyvalence. » Je ne peux pas me permettre de privilégier uniquement la vitesse ou la maniabilité, je veux un avion rapide, bon grimpeur, bon vireur et doté d’une puissance de feu correcte : « Pour les armements, je vais opter pour deux canons de 20mm et deux mitrailleuses de 12.7, au minimum. » C’est un peu léger comme armement j’en conviens, mais suivant la taille de l’appareil en question et du poids que nous parviendrons à avoir, peut-être augmenter celle-ci. J’ai de nombreuses idées, qui seraient applicables si Ruby est aussi aventureuse que moi :

« Vous sauriez fabriquer des commandes de vol électriques ? » Si nous pouvions opter pour des systèmes similaires aux avions modernes, nous pourrions grandement optimiser le poids de notre appareil et le rendre moins vulnérable en cas de dommages. J’ai bon espoir de pouvoir obtenir un appareil de moins de deux tonnes à vide, utopique diraient certains ? Seulement des gens faibles et sans imagination qui ont peur de l’audace, de l’audace.

« Je parle des moteurs P&WC, ça vous parle ? » En dehors du fait que j’étais canadienne, ces moteurs étaient également des petites perles technologiques qui faisaient toute ma fierté. Celle qui me faisait face, avec son fort accent français, ne devait avoir en tête que des modèles européens ou américains. Mais on avait tendance à sous-estimer ce qui faisait en dehors de ces pays-là. « En rapport poids-puissance, vous trouverez difficilement mieux. La consommation de carburant est également optimisée avec. »

Je réfléchis un peu à la question concernant les meilleurs avions à employer pour contrer la menace aérienne que représentait New Eden. Adrienne s’inquiétait du nombre de reproductions qu’ils étaient capables de produire, bien supérieur à la leur. « Vous savez autant que moi qu’il vaut mieux privilégier la qualité à la quantité. Vous avez songé au P-51 Mustang américain ? C’est un excellent chasseur, bien plus rapide que leurs P-40 ou P-47. » Son spitfire était déjà un atout non négligeable contre eux, mais c’était une alternative séduisante pour ses autres pilotes en attendant mieux.

Je comprenais, par son discours, que la pilote voulait tout miser sur la vitesse et être capable de jouer sur tous les fronts avec son nouveau jouet en prévision. Un sourire me vint en réponse. « C’est un sacré défi, mais j’en suis évidemment. » Je serais presque prête à le faire gratuitement, tellement ce projet m’emballait. « J’aurais besoin de toute l’aide que vous seriez capable de me fournir en terme d’ingénierie, mais je devrais être en mesure de faire ce que vous me demandez, y compris les commandes de vol électriques. » Je n’allais pas partir de rien. Je réfléchirais à une base solide avant de peaufiner ce nouveau prototype par quelques savants calculs pour équilibrer le tout. De toute façon, nous n’avions plus les moyens d’antan. Le résultat final serait un patchwork de tout ce qui se faisait de mieux en la matière, ni plus ni moins. « Je crois que nous avons un accord ? » Je lui tendis la main. « Je vous laisse convaincre June de me rappeler rapidement pour mener à bien votre projet. Nous discuterons du prix ensemble. » Pour Adrienne, ce ne serait sans doute qu’une formalité. Ils avaient besoin de cet avion pour prendre l’ascendant sur New Eden, alors je savais déjà que je pourrais négocier ma participation à un excellent prix. Combien d’ingénieurs en aéronautique avaient survécu à la pandémie ? Sans doute assez peu. Ils n’avaient pas tous pu jouer de chance comme moi.

Très bien, je suis heureuse de la discussion, je note les remarques de Ruby, mais je la reprends sur une chose qu’elle me soumet. Sur la machine à choisir pour compléter notre escadrille : « Alors. Le P-51 est une machine remarquable, mais sa capacité d’emport est largement inférieure au P-47 et il n’est pas beaucoup plus rapide que celui-ci. Ensuite, les moteurs radiaux comme le Double Wasp sont plus simples à entretenir et plus courant. Comme ils équipent également nos Corsair, c’est un avantage en termes de maintenance. »

Et puis le P-51 n’est pas… beau. Je ne lui trouve aucun charme, aucun charisme, ses performances sont bonnes certes, mais il faut aimer l’avion que l’on pilote à un moment ou un autre. Or j’aime mon spitfire, avec lui je me sens invincible et ça, c’est le plus important à mes yeux. Et pour ce qui est de l’aider, je lui souris assez largement : « Hé, vous parlez à quelqu’un qui a fait polytechnique, de l’aide vous en aurez. » Sans compter que je commence à avoir de l’expérience sur la manipulation, réparation et modification d’avions, cela fait juste 25 ans que je suis pilote, une simple broutille.

Cette conversation me redonne moral et courage pour l’avenir, avec quelqu’un comme elle dans notre monde, parmi nos alliés, je suis confiante sur ce que nous pourrons faire à l’avenir : « June sait que c’est dans son intérêt de continuer à nous développer, ça ne devrait pas être trop problématique. » Mes avions ont suffisamment prouvés leur efficacité.

« Mais à titre de simple curiosité, quel serait le tarif que vous et votre groupe demanderait pour le travail que nous accomplirions ensemble. » Vu que l’argent n’a plus cours et que tout est à base de troc et de services, je me demande ce qu’un groupe comme le siens pourrait demander ? Peut-être des armes et des vêtements ? Ou alors de la nourriture, Ruby ne semble pas être en difficulté, mais je me dis que ce genre de denrées de première nécessité pourrait lui être bénéfique.

De toute évidence, Adrienne avait beaucoup étudié la question ces dernières années. Mes connaissances sur ces modèles anciens étaient peut-être plus limitées que les siennes. J’avais une furieuse envie de me replonger dans mes cours d’ingénierie aéronautique rien qu’à avoir cette discussion avec elle. « Vous avez l’air d’avoir déjà longuement étudié la question. » Commentai-je, quelque peu impressionnée. « Oublions le P-51 s’il ne vous convient pas. » Je n’insistai pas davantage, même si cet avion avait fait ses preuves. Le problème était que nous ne pouvions pas nous contenter de réfléchir sur les modèles qui avaient permis de prendre le dessus à la seconde guerre mondiale tout simplement parce que… nous n’étions plus à la même époque. Il nous fallait faire mieux, mais avec des moyens bien plus limités en coût de maintenance et de carburant.

Je lui souris d’un air enjoué quand elle me confirma être prête à m’apporter toute l’aide que je voudrais. « Et ce jeune ingénieur en robotique aussi… Zack ? Il sera de la partie ? » Je me disais que, bien guidé, il pourrait certainement m’aider sur quelques points particuliers de ce prototype ambitieux. « Nous sommes tellement peu d’ingénieurs encore en vie qu’il nous faut vraiment nous serrer les coudes, et plusieurs cerveaux valent mieux qu’un. » J’hochai la tête quand elle me confirma que convaincre June ne relevait que de la formalité pour elle.

Mon sourire s’affirma un peu plus quand nous abordions la question du tarif. « Je sais que vous avez des vaccins, June m’en a touché deux mots. Mon prix sera un vaccin pour chaque membre de mon groupe, nous sommes quinze en totalité. » Et avant même qu’elle ne songe à rétropédaler, je rajoutai : « Ce n’est pas si cher payé pour une arme si mortelle, n’est-ce pas ? Vous comptez des centaines de personnes ici, qui doivent bénéficier de votre précieux vaccin. Et nous, nous ne sommes qu’une poignée. » J’ajoutai également : « Je voudrais également le droit d’asile chez vous en cas de problèmes. C’est aussi dans votre intérêt : s’il m’arrivait quoi que ce soit… vous seriez ennuyée autant que moi, n’est-ce pas ? » Leur camp avait la force du nombre et de l’armement. A une autre époque, peut-être même me serais-je laissée convaincre de m’installer chez eux… mais désormais, je tenais encore un peu trop à ma liberté pour me couper les ailes volontairement.