« Ah oui, j’y avais pas pensé. Je n’ai jamais eu ce problème, c’est vrai. » Au camp, il y avait toujours à manger, de grandes gamelles, préparées par nos femmes. Alors la faim, je n’avais pas connu. La solitude non plus. C’était une ambiance très spéciale, particulière, que les gadjos comme Derek ne peut pas vraiment comprendre d’ailleurs, mais nous n’avions pas eu la même enfance, même si j’avais essayé de me détacher de mon éducation gitane pour me fondre un peu mieux dans le paysage. Malheureusement, on m’avait rappelé ma place, m’accusant faussement, juste par préjugés. Ce qui m’avait conduit à entrer dedans à pieds joints, entrant ainsi dans la délinquance. Et croisant des petites frappes comme Derek. On a quand même réussi à survivre. Même si je donne moins cher de notre peau avec les rôdeurs boostés aux hormones qu’on a pu croiser dernièrement. Derek aussi les a croisé de ce que je constate. « J’espère aussi… Ils font de gros dégâts. » On avait perdu des membres de notre groupe avec cette saloperie. Donovan avait été transformé et vue la masse… il aurait très bien pu décimer les autres. Ils avaient eu de la chance de s’en sortir.

Le sujet se fait plus léger, évoquant ce que nous sommes devenus, comment nous avons grandi et mûri, changé. Lui, pas vraiment, il reste le même. J’ai l’impression que le changement est plus flagrant chez moi. Même si il se fout de moi ce petit con. « Je peux sans doute faire mieux, mais pas trop envie. Et pour quoi faire ? » Je demande avec une étincelle espiègle dans le regard. Je n’ai pas à plaire à qui que ce soit. Et le style n’a plus d’importance maintenant. Pas comme si il en avait avant d’ailleurs. Je n’ai jamais été quelqu’un qui se souciait de son apparence. Moi, tant que c’est pratique et que ça me plait, ça me va, même si je fais preuve de grosses fautes de goût, je le sais. De quoi défriser Derek. « Et je voudrais pas voler son style, je te ferais de l’ombre. » C’est vraiment qu’on a réussi à se stabiliser qu’on peut parler de choses aussi triviales. Appartenir aux STARS m’a offert un niveau de confort très appréciable. Pouvoir manger à ma faim, avoir une certaine hygiène, c’est quand même un luxe.

Mais quand il est question de développer un peu plus, je hausse une épaule à sa remarque : « Bof, tant que tu es utile, on peut fermer les yeux sur d’autres défauts. » La confiance n’est pas cruciale pour vivre en communauté selon moi. Tant que cela fonctionne, c’est le principal. « Et ils savent que je préfère sauver mon cul que celui des autres. » Au moins, pas d’arnaque là-dessus. Quand on sait ça, pas difficile de bosser avec moi, faut juste pas se foutre dans le jus, je reviendrais pas en arrière. Enfin, quoique… Cela m’est arrivé quand même.

Faisant le point sur ce qu’il a pu louper de ma vie depuis la dernière fois, je lui explique avoir été en maison de redressement. « Ouais. Au moins, j’avais la liberté dans la rue. Pas de règles. Là, ça a fait mal. » Et ça m’a bien calmé aussi, au passage. Pour Rafaël… « Son mode de vie actuel ne me correspond pas. Et le mien ne lui va pas non plus. » J’ai un petit sourire un peu désabusé. Mais c’est comme ça. On arrive quand même à se voir de temps en temps, même si ça peut être la dernière.

Derek me parle de son propre parcours, de sa vie dans ce groupe. La fin du monde que nous avons connu nous a plutôt bien réussi, nous permettant de sortir notre épingle du jeu finalement. Je trouve un écho dans ses paroles. Se mettre en danger pour quelqu’un… « On fait des trucs stupides des fois. » Je commente avec ironie. Puis l’interroge sur le fameux mec dont il est amoureux. Je ne suis pas super à l’aise avec ce mode de vie, mais bon, cela ne me touche pas personnellement alors… il fait bien ce qu’il veut… Il m’apprend alors que c’est… compliqué ? Qu’il n’assume pas trop son orientation sexuelle. J’ai un rire malgré tout. « Merde. Y’a plus de règles, plus de lois et ça reste quand même compliqué, c’est con non ? » Difficile de se défaire de notre éducation et de nos croyances. Alors qu’en fait, on s‘en fout maintenant. Je dis ça, mais j’ai mes propres préjugés donc bon. « Oui, une fille formidable. Kaycee, elle bossait au dispensaire comme médecin, je sais pas si tu la connais. C’est zéro prise de tête avec elle, on s’est bien trouvés. »

C'est sur qu'on avait pas le même mode de vie, avant tout ça. Et en terme de famille, j'aurais donné beaucoup pour troquer mes parents pour sa famille élargie, j'aurais sans doute bien moins mal tourné si ça avait été le cas. Et ouais, on avait pas tous le loisir de mettre les pieds sous la table à l'heure du repas ! La petite pique est accompagnée d'un rire, j'ai beau lui envier sa vie passée, je ne suis pas aigri au point de la lui reprocher. Et puis je sais que tout n'était pas rose pour lui non plus, sans ça il n'aurait pas mal tourné à l'époque. Les a priori ont la vie dure, ça avait surement pesé dans la balance.

Je hoche du museau quand on évoque les nouveaux rôdeurs. Il n'a pas l'air de vouloir s'étendre sur le sujet alors je ne le fais pas non plus, acquiesçant à sa remarque. Je me souviens que trop bien de les avoir vu défoncer des fenêtres après avoir escaladé une façade, rien que pour un peu de chair fraîche.
La discussion s'allège en se tournant sur nos tenues respectives, sujet qui ne peut que me faire sourire.

« Je peux sans doute faire mieux, mais pas trop envie. Et pour quoi faire ? »
- Je sais pas.. pour toi même ? Pour te regarder le matin dans un miroir -ou une flaque si t'as pas de miroir- et te dire "hey, j'suis pas mal quand même !". C'est bon pour le moral, je t'assure. Ce disant je lisse mon haut du plat de la main, comme on arrangerait une veste de costume. Sa question semble l'amuser autant qu'elle me fait sourire. On ne sera définitivement jamais en phase sur ce genre de choses. Une main sur le coeur, je fais mine d'être blessé par ses derniers mots, avant d'en rire. Personne ne me fera jamais d'ombre, je suis le style incarné. Le mien en tout cas, quoi. Puis j'ai pas beaucoup de concurrence, faut bien avouer. A part peut-être Dany, des Gentle Bastards. J'avoue que du peu que je l'ai vu, j'aime bien sa dégaine. En plus c'est un musicien, il a tout pour lui.

Je reprends à sa suite, avec clairement l'air en désaccord avec lui. Le manque de confiance c'est pas un.. petit défaut sur lequel on peut passer. En tout cas chez les Expendables, la confiance est vraiment primordiale. Être désagréable avant le café du matin, ça c'est un petit défaut ! Un petit défaut que je me fais un plaisir d'emmerder en commençant à balancer des conneries dès le réveil. Comme quoi finalement j'ai vraiment changé à leur contact.. J'suis devenu plus altruiste que toi, qui l'aurait cru. Je me suis déjà mis en danger plus d'une fois pour sauver les miches des autres membres de la factions. Avec plus ou moins de brio...

On dévie sur la maison de redressement, cette connerie de prison pour gosses. Ça se passait comment là-bas ? J'avoue que ça me rend curieux, quand même. Pire que la rue, ça vend pas du rêve, surtout venant de quelqu'un qui sait de quoi il parle. Je dodeline de la tête quand il évoque son frère. J'suis désolé pour toi. Pour vous deux même. Quand t'as la chance d'avoir encore de la famille, c'est con de pas t'entendre avec. C'est même con de pas faire l'effort, je dirais, mais ça je le garde pour moi.
J'étire un sourire amusé à sa pique bien placée. C'est certainement stupide de me mettre en danger pour les autres Expendables, mais je sais qu'ils feront de même, c'est donnant-donnant.

J'éclate de rire en l'entendant : Mec ! Y'a plus de règles et plus de lois mais t'es toujours aussi mal à l'aise quand je te dis que je suis en couple avec un homme ! J'ai du mal à reprendre mon sérieux, et je garde mon sourire lorsqu'il évoque sa propre nana. Une fille bien et sans problème, apparemment. Puis une nana qui bosse dans le médical, c'est pas débile comme choix... Son nom me dit rien nan.. Mais c'est cool pour toi. Vous êtes ensemble depuis long ?

Je lui adresse un grand sourire quand il me lance une petite pique sur ma vie de pacha avant. Alors, je n'irais pas jusqu'à dire ça, mais j'ai clairement eu de la chance d'avoir une grande famille et de n'avoir pas manqué de leur amour ni d'attention. j'ai surtout manqué de considération de la part des gadjis, mais ça, c'est encore autre chose. J'ai toujours été fier d'être gitan, mais il y a bien eu une période de ma vie où j'ai détesté être différent, me voyant ainsi interdire certaines entrées. Cela avait bien douché mon enthousiasme et mon envie de bien faire, me projetant dans la délinquance.

La discussion se poursuit, évoquant les super rôdeurs, puis notre style vestimentaire ensuite. C'est plus léger, cela me convient totalement. "Mais, j'ai pas besoin de fringues pour me dire ça, je suis très bien à poil tu sais." Je réponds dans un rire avant de me rendre compte que c'est peut-être pas super approprié de parler de ce genre de trucs avec un gars qui aime bien les mecs aussi. Bon tant pis. Et puis, il y a une petite blonde qui sait aussi le dire quand il faut. Cela me suffit. Je n'ai jamais été arrogant, ni particulièrement vaniteux, donc mon apparence... Mais par contre, j'ai toujours bien pris soin de mes cheveux par exemple, même si ça amuse beaucoup Ruby. Elle a su comment m'appâter. "Il y a un pote de Kaycee qui a une sacrée dégaine aussi. Il animait à la péniche." Dany. Forcément, quand je vois Derek, je vois un peu Dany aussi. Le gars a l'air sympa, bien que très extravagant. Et il ne semble pas rechigner à sortir avec des mecs non plus, ayant bien fait comprendre qu'il me trouvait plutôt à son goût...

On évoque alors nos places dans nos groupes respectifs. On n'a pas l'air d'avoir les mêmes attentes, ni les mêmes devoirs. Les autres savent bien à quoi s'en tenir avec moi. Je ne suis pas un mec hyper fiable. J'ai été super réglo là dessus, même si je me suis un peu assis sur mes principes avec eux dernièrement. Je suis quand même allé me mettre en danger pour sauver quelqu'un d'autre... Je ris quand même quand il me fait remarquer que ce n'est pas un petit défaut le manque de confiance, me donnant un exemple un peu plus probant. "Bon vu comme ça... Mais disons que je ne leur ai jamais caché que si les choses tournent mal, je sauve mon cul avant. J'irais pas me sacrifier pour quelqu'un d'autre." Ce qui me semble d'une logique imparable, même si ce n'est pas évident pour tout le monde. "Gaffe, quand on joue les héros, on voit son espérance de vie se réduire." Je commente, un brin moqueur.

Mais la moquerie cède devant un air plus grave quand il me demande comment c'était la maison de redressement. Je hausse une épaule : "Bah, couché de bonne heure, levé à l'aube, avec des tâches bien précises à effectuer, pas le droit de moufter. Disons qu'on nous a appris la... discipline. Et que j'ai pas vraiment aimé." Vu comment je glandais depuis une paire d'années, ça été violent. Mais salvateur quelque part. "Et je te parle pas des tentatives d'intimidation, des bagarres, des insultes, mais aussi du troc de faveurs..." J'en avais bavé, mais j'avais réussi à pas trop mal m'en sortir avec mon bagout et mon côté débrouillard. Quand je lui explique pourquoi Raf et moi on n'est pas ensemble il se méprend quelque peu sur notre relation : "Oh non ! On s'entend très bien lui et moi. Ca a toujours été comme ça. On n'a pas beaucoup de différence d'âge tu sais."

Je lui demande quand même comment c'est avec son copain... Même si ça me met mal et si il arrive à rendre ça compliqué. "Touché. Je n'ai pas beaucoup changé là dessus." Je réponds avec un sourire en coin. Puis je lui parle un peu de Kaycee, qu'il ne connait pas, avant de calculer rapidement dans ma tête : "8 mois." Pouah, ça passe en fait... Voilà que je m'en rends compte. Enfin, environ 8 mois, si on tient bien à jour le calendrier.

Un éclat de rire accueille les mots de Tiago sur sa tenue vestimentaire futile. Je me souviens de lui comme un mec à a provocation facile et un humour acéré, et si ma mémoire peut très bien me faire défaut, il semblerait que je n'aie pas tout à fait tort vu sa réponse. Je joue des sourcils sur un sourire faussement enjôleur. Je sais pertinemment qu'il n'est pas à voile et à vapeur mais très très hétéro, et c'est bien pour ça que je me permets de le faire sans risquer qu'il me prenne au sérieux. Pour ajouter à mon mime de drague du pauvre, je lève innocemment les mains en répliquant :

- Ecoute, sans vouloir te vexer... Je crois que c'que je vois moi ! Si le coeur te dit de te foutre à poil, je pourrai confirmer. Je repars dans un rire, bien la preuve que ce n'est pas sérieux pour deux sous, avant de le pointer du doigts :

- Oui ! C'est Dany ! Il est génial ce mec, un musicien et chanteur hors pairs, vraiment. Et comme tu dis il a une dégaine bien à lui, lui aussi. Je suis un peu dégoûté de pas mieux le connaître d'ailleurs. Je suis sur qu'on a plein de trucs à se dire. Peut-être même des fringues à s'échanger. Ouais ça fait midinette dit comme ça mais je m'en fous, j'assume pleinement mon genre qui oscille entre masculin et féminin, suivant les jours et mon ressenti. Bon, il est évident que face à Tiago je ne m'en vanterai pas, je ne suis pas sur qu'il valide, voire même qu'il le comprenne. J'en ai conscience et ça ne me dérange pas, peu de monde comprend réellement de toute manière, à part sans doute Alex et Daemon.

Quand on dérive sur nos groupe respectif, je me rends bien compte que nous avons pris des chemins bien différents. Etonnamment, lui qui faisait partie d'une large famille s'est refermé sur lui et sa propre survie, tandis que moi qui vivant seul, prend désormais à coeur la survie de mon groupe tout entier.

- Ben écoute s'ils sont au courant et l'acceptent, c'est effectivement pas un souci. Chaque faction est différente, c'est ce qui fait tout l'intérêt de la chose. Nous c'est plutôt.. "les Expendables, tu les aimes ou tu les quittes", tu vois ? On est de fait hyper soudés. Enfin j'irais pas crever pour Leonard, lui faut pas abuser, hein. Sa moquerie me tire un sourire en coin, amusé. Il n'a pas tort. Je joue pas les héros solitaires ! Mais s'il faut aller aider.. j'irai avec les autres, tu vois ? Je me mets pas en danger si le cas est désespéré.

La discussion dévie à nouveau, et je grimace à sa description de la maison de redressement. Quel enfer.. Et ça t'a servi à quelque chose au moins, ou t'es resté le même à la sortie qu'à l'entrée ? Je secoue la tête. "Le troc de faveurs".. ça je vois bien l'idée ouais. Et je connais bien, pour tout dire. C'est pas joyeux. Ça me fait de la peine pour lui, d'un sens. Il méritait pas de vivre tout ça. C'était pas un mauvais mec. Ça l'est certainement toujours pas.
J'acquiesce quand il me parle de son frère, je comprends plus ou moins. Moi j'ai jamais eu de personne aussi proche dans le monde d'avant, pas de fratrie, pas de réels amis.

Je souffle un rire. Touché, ouais. C'était une perche tendu que de me dire ça à propos de la sexualité des autres. Tu sais au moins pourquoi ça te dérange autant ? Au final.. ça te touche pas, si ? Petit sifflement admiratif. Huit mois.. Pas mal. Je te souhaite que ça continue, tu mérites d'être heureux.

« J'aurais trop peur que tu tombes complètement sous le charme. Je ne voudrais pas te briser le cœur tu sais. » Sous couvert d'humour, c'est tout de même un non alors que je ne suis pas forcément très à l'aise à l'idée de me faire mater par un autre mec... Même si c'est un ancien pote. Ce serait gênant non ? Enfin, surtout pour moi, parce que je crois que Derek ne connaît pas trop ce mot. Il est toujours aussi libéré. C'est bien que la vie actuelle n'ai pas complètement écrasé sa personnalité chatoyante. Ou il fait très bien semblant. Et je ne suis pas étonné de l'entendre parler de Dany, que j'ai brièvement rencontré hier d'ailleurs, un ami de Kaycee, avec une personnalité haute en couleur de ce que j'ai pu apercevoir. Je ne le connais pas plus que ça, même si il a l'air sympa, malgré son côté extravagant. Derek, lui est carrément enthousiaste, déplorant même de ne pas le connaître davantage pour pouvoir discuter chiffons et s'échanger des fringues... Non mais... vraiment ? « Merde, t'es incorrigible. Mais ça va être compliqué de discuter dur dernier mascara à la mode... la rigueur, plutôt comment fabriquer son rouge à lèvres avec des baies. » Je rétorque avec un brin de moquerie, mais sans méchanceté. J'imagine juste trop la scène entre ces deux là.

Mais ça fait du bien de discuter de choses plus légères avec Derek. De me reconnecter avec mon ancienne vie. Il a réussi à trouver un groupe qui lui convient, apprenant ainsi des valeurs comme l'entraide... Un concept qui m'est plutôt étranger. Je me suis refermé au fil des pertes des membres de ma famille. On dirait que Derek, lui, s'est ouvert, au contraire. Il émet quelques réserves concernant mes paroles, même si je lui assure que tout le monde chez les STARS est bien au courant de mon caractère. Un caractère assez semblable à celui de Ruby sur ce point. Il serait hypocrite de sa part de me le reprocher. « C'est mieux que tu les aimes ou tu meurs. » J'ajoute avec un sourire, avant de redevenir sérieux : « Hum. Les autres ne voient pas toujours que c'est désespéré, c'est le problème. » J'objecte, pensif. Ou je n'ai pas assez confiance en leurs capacités.

Je lui fais un petit topo de rattrapage sur ce que j'ai pu devenir. La raison de ma disparition du paysage, avant même que l'apocalypse ne s'abatte sur nous. La maison de redressement. « Ca m'a calmé. » Je ne peux pas dire le contraire. Je me suis tenu à carreau après ça, pas pressé de tester la prochaine étape : la prison. « La privation de liberté, c'était le pire. » Pour le reste, j'ai réussi à me débrouiller. Je ne suis pas étonné qu'il comprenne très bien ce dont je parle malheureusement. Même si je me demande si il a été jusqu'aux faveurs sexuelles. Je ne lui demanderais certainement pas.

Mais on parle quand même de sexualité. J'ignore comment on en est arrivé là. Ah si. Parce qu'il aime bien un garçon. Je hausse une épaule à sa question : « Ce n'est pas naturel. Et ce n'est pas non plus très toléré dans ma communauté... » Pourtant, Rafaël s'est laissé tenter. Un truc dont je ne me vante certainement pas. « Merci. On essaie de grappiller un peu de bien être dans ce petit enfer... je te souhaite de pouvoir l'être aussi. »

- Ta bonté te perdra, mon ami. Je lui offre un sourire moqueur. Bien sur qu'il ne se mettra pas à poil, ni même torse nu. Pas que je le pense particulièrement timide ou pudique mais vu la teneur de notre discussion et sa position sur l'homosexualité -bien que je ne sois pas gay à proprement parler, mais ne l'embrouillons pas-, je doute qu'il s'y risque. Pourtant je suis pas une bête sauvage, je sais me tenir même s'il a l'air d'en douter vu ses réactions. Je décide d'en rire plutôt que de m'en offusquer. C'est pas le premier ni le dernier à se méfier. A croire qu'on sait pas se tenir.
.. Ok, peut-être que des fois je sais pas me tenir, mais là c'est différent.

Je ris de plus belle quand on évoque Dany, et les conversations endiablées que je m'imagine avoir avec lui. Vu ses fringues, les miennes, sa dégaine, la mienne, ses attitudes et les miennes, je suis certain qu'on aurait beaucoup à partager et à s'apprendre mutuellement. Mais là encore je n'attends pas que Tiago rejoigne mon point de vue : Il vit pour survivre, là où je vis pour m'amuser. Enfin, pas tout le temps évidemment. Mais les vêtements excentriques, le maquillage, tout ça m'aide à me sentir vivant, moi.

- Tu n'imagines pas ce qu'on peut faire avec pas grand chose, crois-moi ! Le charbon est un très bon khôl, notamment. Et puis le maquillage ne manque pas, personne n'est parti de chez soi en urgence avec son fond de teint... La scène me laisse rêveur. C'est décidé, faut que je revois Dany ! Faut se méfier des baies, y'en a trop qui soient toxiques ! Puis les comestibles, ben on les becte.. Toute façon le rouge à lèvres c'est useless ! Que j'ajoute avec le plus grand sérieux du monde, du moins jusqu'à ce que je ne puisse plus retenir mon sourire amusé.

La discussion dévie sur nos groupes respectifs, et je ris de plus belle à sa remarque. Nan, on peut quitter le groupe quand bon nous semble, si on ne s'y sent pas bien. On est pas dans ce genre de délire. D'autres le sont ou l'étaient, de ce que j'ai compris. Ils devaient avoir sacrément à se reprocher pour ne pas laisser les autres partir et risquer de dévoiler leurs secrets. Enfin, c'est comme ça que je le prends et comprends, du moins. T'es bien pessimiste... Je suis pas non plus du genre à balancer du "y'a toujours de l'espoir", mais quand il en reste en tout cas.. faut tenter. Nous d'abord certes, mais on est déjà si peu en vie que si on peut sauver un autre survivant.. Enfin, bref. Je m'égare.

Finalement on évoque son passé, et j'avoue que ça me fait mal pour lui. J'aurais jamais supporté ce que lui-même a vécu. Je serais devenu dingue.. Je fronce un peu les sourcils. T'as jamais tenté de t'enfuir ? Moi j'aurais tenté. Et même probablement réussi, question d'opiniâtreté. Et je serais retourné à la rue. Tout sauf être enfermé. Mais bon, mes parents n'avaient jamais tenté de me retrouver après ma fugue a priori, donc de là à vouloir me mettre en établissement de redressement..

Je prends un air outré quand mon ami me balance que l'homosexualité n'est pas naturelle. Tu rigoles j'espère ! c'est le cas chez plein d'animaux ! A commencer par les dauphins et les pingouins, tiens. Je croise les bras, vaguement vexé par la remarque, avant d'admettre : Je sais que c'est mal vu dans certaines communautés.. Mais ça empêche pas de se faire sa propre idée. En soi, ma sexualité ne déteint pas sur toi, elle n'a pas à te déranger, tu vois ? Je dodeline un peu du chef avant de reprendre : c'est comme si moi je condamnais l'hétérosexualité parce que c'est contraire à mes goûts, ça n'a pas de sens. Chacun fait ce qu'il veut tant qu'il emmerde pas les autres.. Un sourire pointe à nouveau à ses mots concernant sa compagne. Je le suis.. Même si c'est pas toujours simple. J'ai trouvé une famille même au-delà de mon "mec". Je veux dire.. Je me sens plus proche de certains du groupe que de mes parents biologiques. On peut dire que je suis heureux de ce côté là !