L’été s’est déjà enfui, il ne dure jamais ici, mais elle est encore en short/débardeur. La fraîcheur ne l’atteint pas et elle a besoin de se sentir à l’aise pour  son sport quotidien. Ce n’est pas parce qu’elle a laissé tomber le programme ridiculement extrême qu’elle n’entend pas se renforcer un peu – sur ses atouts en tout cas. Isalín sait ce qu’elle vaut et là où elle excelle, elle veut appuyer là-dessus au lieu de devenir quelqu’un qu’elle n’est pas. Tout ça pour dire qu’elle est partie aux aurores pour un tour de jogging qui longe partiellement la côte. A chaque foulée, elle essaye de défaire les nœuds dans sa tête. Elle aime Nisqually, c’est sa maison et elle y a des amis très chers. Mais elle est complètement éprise de Joachim, elle le suivra jusqu’au bout, n’importe où. Ils se le sont promis.

Finalement, quand sa course cesse, elle se sent toujours complètement perdue. Arrivée dans la zone des entrainements, l’Islandaise se met dans un coin pour faire ses étirements. Pourvu que personne ne l’embête, elle n’a pas vraiment envie de causer. Pas à tout le monde en tout cas. Néanmoins, ses yeux de jade se posent sur Felix, qui débarque dans le coin lui aussi. Elle s’approche donc discrètement pour le saluer :

- Hey ! … je te vois pas souvent ici.  

Ou bien n’a-t-elle pas fait attention, c’est tout à fait possible. Elle lui adresse un piteux sourire et essuie son front sur son bras. Isalín est en nage, le visage encore rougi par son effort. Elle ne saurait dire ce qu’elle apprécie dans la compagnie du garçon, mais celle-ci l’apaise un peu. Sans doute parce qu’il a toujours l’air de suivre le flow sans être prise de tête. Ses échanges avec Felix sont simples, posés, rêveurs… et elle a besoin de ça.

- Tu… tu veux qu’on fasse un truc tous les deux ? Euh, en entrainement évidemment, précise-t-elle non sans rougir plus encore, sinon j’te laisse tranquille, t’inquiète.

La jeune femme jette sa courte chevelure en arrière et attend d’avoir l’avis de son aîné. Du sport en papotant, ça peut être très sympa !

- Je viens de courir, signale-t-elle à son ami qui suggère un autre jogging, ça me suffit pour au moins deux jours !

La course, ce n’est pas son truc. Isalín adore le sport, ce n’est pas le problème, mais… pour elle, courir est un moyen de se déplacer, c’est pas une finalité en soi. Courir pour courir, il n’y a que les fous pour aimer ça. Mais bon, comme toujours, faute de glace pour s’échauffer sur ses patins, elle fait avec ce qu’elle a.

- On a qu’à… réviser quelques prises de self defense ? Comme ça, pendant ce temps, tu pourras tout me raconter !

Elle lui sourit avec sincérité. Avec le temps, la jeune femme a compris que Felix n’a pas énormément d’amis et elle est contente d’en faire partie. Il est un peu particulier, mais il y a aussi quelque chose d’authentique et d’ingénu chez lui. Un mec 100% nature et 100% sans problème. Elle n’a que 17 ans, et elle a déjà oublié ce que ça fait que de se sentir comme ça. Sa vie est un nid à emmerdes depuis plusieurs mois…

- Faudra que j’te dise tout c’que j’ai vu dehors aussi ! C’était…, elle grimace et hausse les épaules, en vrai c’est assez moche, on en chie. Mais y’avait des trucs sacrément cool ! Genre, j’ai failli m’faire bouffer par un cougar, deux fois !

C’est quand même dingue, non ? Le genre d’animaux qu’on voyait autrefois dans les zoo sont là, à l’extérieur des barricades, prêts à les croquer. Tout en parlant, elle entraine son aîné dans un coin prévu pour les cours physiques : du sable a été disposé au sol, de manière à ce que s’il y a des chutes, elles soient bien amorties.

- Et Kaya s’est fait piquer par un moustique sur le nez, c’était rigolo à voir.

En vrai, leur périple a surtout été un Everest de doutes, de souffrances, de sueur et de larmes, mais ce n’est pas ce qu’elle a envie de raconter. Ce n’est pas non plus ce dont elle veut se souvenir. Ils ont survécu, n’est-ce pas ? Alors ils ont le droit de se rappeler de ce qu’ils veulent.

- Bon, on commence par des prises simples ? T’attaque ou j’attaque ?

- Nan ça va ! J’veux dire, c’est juste un gros chats, fanfaronne-t-elle un peu à propos du cougar.

Dans les faits, elle n’a pas fait la fière, mais hé : elle a gardé son sang-froid et elle est encore en vie. C’est l’essentiel, pas vrai ? Elle chasse de la main les mots de Felix qui s’auto-dévalorise et l’écoute parler du fait qu’il s’est battu.

- Nooon, avec qui ?!

Faut dire ce qui est, il n’est pas connu pour ses accès de violence, alors ça l’intrigue. Commencent donc les différentes prises : elle tente de l’attaquer, suffisamment lentement pour qu’il soit en mesure de répéter ses gestes de défenses. Il s’agit principalement de prises de désarmement, pour être capable de rapidement contrer un geste offensif. Rien à voir avec des postures de « combat » à proprement parler.

- Oh, elle…, elle soupire, bien évidemment que la fille de Lara fait parler d’elle, elle s’appelle Zelda… elle m’a agressée aussi une fois, parce qu’elle croyait qu’j’essayais d’lui « piquer sa mère », haussement d’épaules ; elle s’en fiche maintenant, mais ça n’était pas son meilleure souvenir, j’crois elle est malade surtout… elle a pas dû avoir beaucoup de chance et maintenant elle est un peu…

Isalín a un geste de l’index à côté de sa tempe qui signifie globalement « zinzin ». Pourtant, elle ne cherche pas à se moquer ou à la dénigrer : elle compatit sincèrement au mal de sa cadette, elle a même proposé à Lara de lui parler. Mais ça ne change rien au fait que ce soit aussi une petite conne agressive.

- Elle t’a fait quoi ? Dans tous les cas, tu devrais pas faire attention à ce qu’elle raconte t’sais… j’crois qu’elle fait tout pour blesser les autres.

C’est en tout cas l’impression qu’elle a eu. Et alors, l’Islandaise s’est fait tordre les poignets suffisamment de fois pour la série, à son tour de pratiquer ! Elle fait donc signe à Felix qu’ils inversent leurs rôles, et il a intérêt à balancer tous les potins croustillants maintenant qu’il a commencé.

- Les gens sont vraiment cons, qu’elle commente au sujet de cette histoire d’agression, c’était où ? Pas ici j’espère ?!

La seule femme avec un bras qu’elle voit à Nisqually, c’est la tante de Ruben. Elle ne l’imagine pas se faire emmerder sans se défendre toute seule, pas plus qu’elle n’imagine quelqu’un d’ici lui chercher des noises d’ailleurs. Et puis, les vieux du camp sont un peu bornés sur certains points, mais harceler des femmes ? Jamais. Pas qu’elle sache en tout cas… mais elle est consciente d’avoir été plus que chanceuse sur le sujet jusque-là. Quand elle entend les récits de la plupart de ses consœurs, ça fait franchement froid dans le dos.

Leur séance continue et son aîné ne tarit pas de mots ! L’épisode de Zelda, puis l’histoire de la « cage »… Isalín a connu l’ancienne version, sur la terre ferme. Un sourire mélancolique ourle ses lèvres alors qu’elle se souvient que Kaya et Joachim ont parié l’un des bateaux de Tomas une fois, et qu’il a dû aller se battre lui aussi pour le récupérer. C’était d’une violence abominable mais… avec le recul, c’était archi drôle. La tête du Norvégien ce jour-là…

- En vrai, tu t’bats pas mal toi ! Remarque-t-elle ; ce n’est pas un reproche, t’fais d’la muscu, t’vas dans la cage…, mais bref, c’est pas ce qui l’intéresse le plus, j’peux voir ton tatouage ?? Ça doit être grave stylé !

Elle aussi aimerait s’en refaire d’ailleurs. Un jour, plus tard. Ce n’est actuellement pas la priorité, mais les siens commencent à passer un peu. Faut dire que sa peau n’a pas été super bien traitée ces dernières années, alors l’encre se fait peu à peu la malle. La dernière question de Felix la fait doucement rire. L’Islandaise lui tapote amicalement le crâne, alors qu’il est temps d’une pause dans leurs exercices.

- Petit poisson rouge, j’étais dehors pendant la tempête, c’était y’a un bail ! Tu l’savais, non ?

Elle a disparu trois mois, il l’a remarqué en plus ! Enfin, son ami est un original, elle le sait. Et il a tellement causé qu’il a dû se perdre lui-même dans ses pensées. Isalín jette en arrière sa chevelure d’encre et décolle ses mèches rebelles de son front trempé moite.

- J’te laisse choisir l’prochain exo ! … et me dis pas « courir », plaisante-t-elle.