Je suis assise devant le campement, un peu anxieuse. Il y a quelques jours, j'ai demandé à Joaquin s'il pouvait m'entrainer. Je me trouve un peu trop faible. Je ne sais même pas me servir d'une arme à feu et sans mon lance-pierre, je suis complètement perdue. Les temps sont de plus en plus durs. Je ne bénéficie plus de la protection du ranch et les Brotherhoods m'ont bien montré que je devais savoir me défendre moi aussi. Et puis, même si mes recherches concernant Ace se révèlent toujours vaines, j'ai envie de pousser l'exploration plus loin, ce qui voudra dire que je vais devoir sortir seule et donc m'exposer plus. Savoir me défendre est donc primordial. Ce peut-être pratique en cas de mauvaises rencontres humaines ou mortelles. Pourtant, si cela semblait être une bonne idée quand j'ai demandé à l'hispanique de m'entrainer, je me décompose un peu maintenant que le moment est venu.

Pour l'occasion, j'ai revêtu un jogging un peu trop grand et un t-shirt assez large. Je pars de zéro en entrainement, mais je pense que la tenue est plus appropriée que les jeans que je porte habituellement. J'ai une bouteille d'eau aussi parce que c'est ce que les autres prennent généralement, non ? J'essuie mes mains moites sur mon pantalon tandis que mon regard fait le tour du campement. Un peu plus loin, la fille de Lennox joue avec son chien. Je trouve que Baïka est un peu moins impressionnante depuis que j'ai parlé avec son maitre, mais je garde toute de même quelques réserves. On efface pas une phobie en quelques jours.

« Je suis là ! » J'affirme quand Joaquin arrive dans ma direction. « Et je suis prête à te mettre une raclée ! » Bon, on sait tous les deux que ce ne sera pas du tout le cas. « J'espère que t'es en forme ! » En réalité ? J'ai vraiment envie de partir en courant et de le planter là, mais je ne me dégonfle pas. Le but n'est pas qu'il me donne des coups, pas vrai ? Je prends une petite inspiration, essayant de cacher le stress qui m'envahit.

J’récupère deux trois trucs en passant, laissant filer quelques jurons alors que j’repense au matos d’entrainement que j’ai laissé à Centralia. Franchement, c’est déjà la deuxième fois et putain, j’ai la flemme de chercher d’nouveau des trucs. Du coup, j’fais avec les moyens du bord et au final, des pneus ou des parpaings, ça fait très bien l’affaire. J’ai juste sauvé une corde à sauter et des mitaines. Ca, Luna en aura besoin si elle veut pas s’défoncer les mains en s’entrainant.

J’chope deux gourdes d’eau et j’en profite pour discuter deux minutes avec Mark à propos des gardes pour la nuit à v’nir. On commence à s’rôder, à s’organiser, avec les vas et viens des uns et des autres. On retrouve notre rythme, alors que les travaux pour finir d’aménager la planque continue. Y a encore du boulot avant qu’on soit tranquilles pour l’hiver, mais j’sais qu’avec cette équipe, on s’en sortira bien.

J’finis par retrouver Luna. « J’espère que t’attends pas d’puis trop longtemps. » J’avais pas mal de trucs à faire et elle a pas l’air de s’en formaliser. Et, quand elle enchaine, j’ai un ricanement avant de l’aviser de bas en haut. « La confiance en soi, c’est important. Garde toujours ça à l’esprit. Que tu peux démonter l’mec en face de toi. » Même si, vu son gabarit, ce sera pas forcément toujours l’cas, pour pas dire jamais, si elle a assez de culot, y a moyen qu’elle trouve une faille. A moi d’faire en sorte qu’elle soit suffisante pour qu’elle prenne l’ascendant. Soit pour gagner, soit pour se tirer au plus vite.

J’sais déjà qu’elle est du genre hargneuse. J’en ai eu un sacré aperçu quand on est tombés sur elle pour la première fois et j’suis même à peu près sûr d’avoir encore la marque de ses putains de dents sur mon bras. Et même si c’est elle est du genre mini-pouce en termes de gabarit, ça veut rien dire. Va falloir que j’vois par moi-même ce que ça donne quand elle canalise son énergie. « Bon, qu’est-ce que t’attends de cet entrainement Luna ? » J’ai un sourire en coin. « A part être capable de me mettre une raclée donc. » Parce que ouais, j’dois m’adapter aussi à ce qu’elle veut apprendre. Et j’ajoute, après l’avoir zieutée quelques secondes de plus. « Et t’as des questions ? » J’me rends pas vraiment compte de sa nervosité, surtout parce que j’vois pas de raisons de l’être.

J'hausse les épaules. « Non ça va » Et puis même si c'était le cas et que j'avais pas mal attendu, sans montre ou horloge, difficile d'être à l'heure aux rendez-vous, alors je ne peux pas vraiment lui en tenir rigueur. Puis Joaquin a l'air d'être pas mal occupé, je ne peux pas lui reprocher de me faire attendre sur un entrainement qui ne doit rien avoir de prioritaire à ses yeux. C'est déjà vraiment cool de sa part de m'accorder autant de temps.

« La confiance en soi » Hmm... Je grimace. Je ne suis pas aussi sûre de lui à ce sujet. Si je me cache souvent derrière l'ironie ou la provocation, je sais très bien que sur le terrain, mon niveau au combat équivaut probablement à celui d'une petite souris. Pour autant, je ne me laisse pas faire. Je peux me montrer vraiment hargneuse et je me débattrais jusqu'à ma mort s'il le faut, le bras de Joaquin en garde surement encore quelques traces.

Qu'est-ce que j'attends de cet entrainement ? « J'aimerais... » J'hausse les épaules, mon niveau me parait tellement bas que je ne sais même pas par quoi commencer. « Savoir me défendre un peu » Pouvoir échapper à un homme plus grand, connaitre quelques bases me parait pas mal. « Apprendre à contrebalancer mon manque de force par quelques coups bien placés ? Si c'est possible... » J'ai un petit sourire quand il évoque l'envie que je lui mette une raclée. En vrai, si j'arrive à le toucher déjà, ce serait bien.

Si j'ai des questions ? Hmm, pourquoi je suis aussi nerveuse peut-être ? « Comment t'as appris à te battre toi ? » On doit tous débuter un jour non ? Et comme il doit avoir à peu près le double de mon âge, peut-être qu'un jour, je saurais me défendre comme lui aussi. « Ton père ? » J'ai jamais vraiment eu de paternel, mais c'est pas le genre de trucs qu'ils enseignent à leur fils ? D'être grand et fort, et toutes ces bêtises.

J’me contente de hocher la tête quand elle me dit qu’ça va. Bon, c’est pas comme si j’aurais pu y faire grand-chose ou si j’étais parti pour m’excuser si ça avait pas été le cas. On a tellement de trucs à faire que c’est déjà pas mal que je m’en sois rappelé. Mais je l’aime bien cette môme. Probablement parce qu’elle est sacrément teigneuse. Et qu’une part d’moi s’dit que si Esperanza avait grandi, elle aurait pu être comme ça. Enfin, c’est typiquement l’genre de trucs auxquels faut pas que je réfléchisse de trop. Surtout que ça apporte que dalle, c’est juste un coup à déprimer pour que dalle.

J’lève un sourcil à sa réponse. « T’as pas l’air convaincue gamine. » J’attends d’voir si elle a plus à en dire ou si on enchaine. Faut dire que j’vais pas vraiment lui faire d’la théorie, ça sert à rien et en plus, j’suis pas assez malin pour dire des trucs pertinents. J’préfère lui montrer directement les choses, ce sera mieux. J’croise les bras quand elle commence à m’expliquer ce qu’elle attend donc et j’ai un bref hochement de tête. « Ca doit être possible ouais. J’pense que tu peux compenser ton gabarit en étant plus rapide et agile que la moyenne. La plupart des mecs qu’on peut croiser sont des gros bœufs qui pensent que savoir taper fort suffit. » Sauf que c’est pas le cas et qu’on peut justement contrebalancer tout ça. « J’vais t’apprendre à viser les points faibles pour pouvoir te tirer ou asséner un coup de grâce si t’as l’occasion. Ca te va ? » J’lui rends un mince sourire avant de hausser une épaule quand elle reprend.

Je m’attendais pas vraiment à c’genre de question, mais pourquoi pas après tout. « Pas vraiment nan. Il aimait pas que j’me batte. » J’ai un ricanement à cette pensée, avant de secouer la tête. « J’avais besoin de me défouler quand j’étais ado. Et y avait pas grand-chose dans mon quartier à part un vieux club de boxe. J’y ai passé tout mon temps libre dès que j’ai eu 16 ans. » J’ajoute avec un sourire en coin. « Avant même que tu sois née donc. » Au cas où elle aurait des doutes. « Quand j’suis sur les nerfs, j’tape sur des trucs. » J’évite de lui dire que ça marche plus ou moins bien selon les jours. J’lui tends une paire de mitaines et surtout, la corde à sauter. « On va s’échauffer un peu. Tu sais en faire ? »

Spoiler:

Je hausse les épaules à son affirmation. Non, je ne suis pas du tout sûre de moi à ce sujet-là. Je me la ramène surement beaucoup, mais c'est un peu pour cacher tout ce que je pense. Je sais être réaliste. Mon doigt vient gratter nerveusement une tâche invisible sur la paire de gants qu'il m'a donné et je finis par avouer à voix basse. « J'ai pas été super efficace pour me protéger ou protéger les autres enfants » Je soupire. Certains cauchemars me hanteront probablement à vie. J'ai assisté à trop de violence et de cruauté de la part des hommes et je culpabilise toujours de ne pas avoir pu protéger plus les autres mômes. Tout comme je n'ai pas su protéger Ace.

Joaquin parle de contrebalancer mon manque de force par ma vitesse et mon agilité. Honnêtement, ça me va, je sais que je ne vais pas devenir super forte en quelques entrainements et que niveau force, je n'arriverais jamais à la hauteur des hommes. « Faisons ça ! » De toute manière, je pars de zéro, donc je suis prête à le suivre sur tous les entrainements qu'il peut me proposer.

« Mon père s'en foutait bien de ce que je pouvais faire, il m'a jamais reconnu » A nouveau, j'hausse les épaules. L'absence de mon paternel a toujours été assez pesante. Tout le monde a un père, des origines, moi, j'avais qu'une vieille photo que ma mère cachait. Il combat donc depuis ses 16 ans, wahou, ça fait un paquet d'années ça. « Oui, je sais que t'es vieux, t'inquiète » Un petit sourire vient soulever le coin de mes lèvres. « Depuis tes 16 ans donc, ça fait quoi 40 ans d'expérience du coup ? » Je continue sur un ton taquin.

Il tape des trucs quand il est énervé « ça défoule au moins ? » La seule fois où j 'ai passé mes nerfs pour me défouler c'est sur cet homme dans la cave avec la machette de Joaquin. Parfois j'ai encore l'impression d'avoir du sang sur les mains. J'évite d'y penser mais il revient encore fréquemment hanter mes cauchemars. Je prends la corde à sauter de ses mains. « Oui, j'en faisais souvent quand j'étais gamine. » Et avant qu'il dise quoique ce soit, je le devance : « Il y a pas si longtemps du coup, je s a i s. » Je fais mine de lever les yeux au ciel avant de commencer à sautiller sur place, assez agilement.

J’lui lance un regard curieux, sans trop savoir comment interpréter sa réaction à c’que je viens de lui dire. Et j’plisse des yeux, avant qu’elle finisse par cracher le morceau. « Ah. » Ouais, j’me doute qu’elle s’attendait ptet – ou pas vu qu’elle commence un peu à nous connaitre – à une réponse un peu plus élaborée. Mais j’me contente de soupirer, cherchant surtout un truc pas trop con à dire. « Tu sais que tu pourras jamais protéger tout le monde. Toi y compris. » Je sais, dans le genre encourageant, ça s’pose là. « Mais c’qui compte, c’est d’essayer. De toutes tes forces. » Quitte à en crever. « T’as de la hargne et t’es du genre vachement résiliente Luna. C’est pas un ou deux connards qui te feront mettre le genou à terre. » J’vais éviter de lui dire qu’elle se trainera sa culpabilité avec elle toute sa vie, j’pense que ça, elle l’a déjà pigé. Au final, on s’en débarrasse jamais, on apprend juste à faire avec.

On entre un peu plus dans l’vif du sujet et je la jauge quelques secondes, avant de lui rendre un vague sourire devant son enthousiasme à l’idée de s’entrainer. Enfin, c’est de l’enthousiasme non ? J’suppose. Et j’la fixe quelques secondes quand elle me dit que son père s’en foutait. « Il sait pas c’qu’il a perdu ton paternel. A pas vouloir faire partie d’ta vie. » Perso, ça me rappelle aussi qu’le mien est mort dans mes bras. Et que dans le genre père de l’année, je me pose là. J’lève mon majeur dans sa direction quand elle reprend. « Le respect est mort putain. Ca m’fait 21 ans d’expérience merdeuse, c’est toujours plus vieux qu’toi. »

Et, à sa question, j’ai un silence pensif, fixant mes phalanges abimées par les coups et les années. « Ouais. C’est comme une soupape, ça permet de déverser le trop plein avant de frapper les mauvaises personnes. » J’relève la tête vers elle avant de continuer, d’un ton plus neutre. « Mais l’origine de ta colère. Elle est toujours là. C’est pas quelques coups qui la feront disparaitre. Alors, faut apprendre à la diriger dans la bonne direction. Ou tu feras bouffer. »

J’laisse filer un ricanement quand elle prend la corde à sauter. « Ah ouais, vrai que c’est un jeu de gamines aussi à la base. » J’croise les bras, l’observant avec attention, avant d’lui faire un signe pour qu’elle arrête. « Si t’aimes ça, garde la corde. Et fais-en 20 minutes tous les matins. Ca te fera pas de mal de bosser ton cardio. » On enchaine sur des étirements, des trucs assez basiques, mais c’est histoire qu’elle se fasse pas mal pour la suite. Et j’finis par lui tendre les gants, avec un sourire en coin. « On va passer à la partie marrante. » J’suis sûr qu’elle va aimer l’idée de me cogner.

Spoiler:

J'hausse les épaules. Oui, je m'en doute. J'ai déjà connu ce sentiment d'échec à plusieurs reprises. Ma mère déjà, mon ancienne voisine, mes amis, ce bébé qu'on avait recueilli avec Ace, ces gamins dans la cave et mon frère forcément. Maintenant, je suis là, toute seule et c'est vraiment déprimant. « Je sais... » Je souffle un peu amère. « Ma vie est une succession de putain d'échecs » Je sers les poings, en sentant la colère monter en moi. Elle m'envahit, me submerge et j'en tremble presque. « J'essaye, de toutes mes forces mais c'est jamais suffisant » Il y a trop de choses que je garde depuis le début. « Ma voisine, c'était comme ma grand-mère, tu vois ? Et bien, elle a préféré se suicider avec son arme à feu et ma mère, avec des putains de médicaments. Si j'avais été plus forte, elles auraient eu l'espoir qu'on s'en sorte et elles seraient encore là, pas vrai ? » Je secoue la tête, fataliste. Et il y a tous les autres... On aurait pas perdu ce bébé si je ne l'avais pas laissé seule avec Ace et si j'avais su me défendre, cet homme ne m'aurait pas touché et ils ne s'en seraient pas pris à ces mômes dans la cave ou à Ace. Je garde les poings serrés et les yeux vers le sol. Oui, niveau force, j'avais clairement des limites, trop de limites même. Je relève juste les yeux quand il parle de ma hargne et de ma résilience. Je ne suis pas certaine d'être résiliente mais plutôt de tout accumuler et peut-être qu'un jour, ça explosera, qui sait ? Pour autant ses paroles temporisent un peu la colère qui m'envahit.

Et une nouvelle fois, je le regarde quand il parle de mon paternel. Je n'ai jamais vu ça sous cet angle-là. Pour moi, mon père a juste préféré vivre sa vie loin de moi parce que je ne devais pas en valoir la peine... Je baisse le regard, confuse. Est-ce qu'il loupe vraiment quelque chose ? J'en ai soudainement l'espoir, un peu fou. Penser en ces termes-là me fait du bien. « Ouais peut-être bien » Je souffle finalement avant de laisser échapper un rire quand il semble s'offusquer de mes paroles. « Ouais c'est ça, t'es un vieux écoute » Bon, je crois que je l'apprécie bien Joaquin.

J'ai un hochement de tête avec un air sérieux, quand il me parle des coups et de la colère, toujours présente en moi mais qu'il faut apprendre à contrôler. C'est simple, je bois littéralement ses paroles. Je prends toutes les informations qu'il me donne. Il a l'expérience que je n'ai pas et que je mettrais des années à avoir. Et ça se sent dans ses paroles qu'il a vécu beaucoup.

Je secoue la tête, amusée quand il parle de la corde à sauter comme un truc de gamine. C'est pas faux. « 20 minutes tous les matins » C'est noté. Je n'y manquerais pas, c'est sûre. Je sautille sur place et c'est assez facile. C'est comme le vélo, ça s'oublie pas. On enchaine avec les étirements et une fois de plus, j'ai pas trop de mal à suivre le rythme. Quand il me tend les gants, j'ai un sourire jusqu'aux oreilles. « Ouaiiiis » Je suis venue pour ça après tout, pour apprendre à me défendre !

Spoiler: