Croisant les bras, William regarda la jeune fille, la laissant déballer ce qu’elle avait sur le cœur. Sans réfuter, pour le moment, les arguments bancals qu’elle lui opposait. L’écoutant lui opposer que, si elle n’avait pas envie d’apprendre, elle serait inutile. « Mais ce n’est qu’hypothétique, n’est-ce pas ? Si tu n’avais pas cette envie d’apprendre, tu ne te poserais même pas ces questions-là. Si tu n’avais pas envie d’être utile non plus. Tu vivrais ta petite vie banale, à faire des tâches moins exaltantes même si elles peuvent être indispensables au bon fonctionnement de notre communauté, et tu ne te poserais pas autant de questions, n’est-ce pas ? »
S’interrompant brièvement, il la regarda, guettant ses réactions. « C’est parce que tu veux apprendre et t’améliorer, que tout ça te vient à l’esprit. Et, hormis cette volonté, hormis toi, qui pourrait dire que tu n’étais pas faite pour ça ? Tu assimiles bien ce que tu apprends, tu le mets en pratique, tu ne cherches pas à te reposer sur tes lauriers. » Mais si elle ne voulait pas y croire, une voix sournoise lui dirait toujours qu’elle n’était pas à la hauteur. « Tu sais comment s’appelle ce que tu ressens ? Le syndrome de l’imposteur. Et c’est, majoritairement, ta peur de ne pas être à la hauteur qui lui donne de l’emprise sur toi. Tiens tête à quiconque irait dans son sens, même si cette personne peut être toi-même, et affirme que tu as ce qu’il faut pour devenir une bonne pilote. »

Parce qu’elle l’était. « Je ne sais pas comment se comportent Ashley, ni May. Mais Adrienne est intransigeante et ne mache pas ses mots – tu le sais aussi bien que moi, Zelda en ayant fait les frais. » Et ça devait probablement déplaire à Kassandra, mais ça ne le concernait pas. « Je suis moins… catégorique, mais tout comme elle, je ne perdrais pas mon temps avec quelqu’un qui n’en avait pas les capacités. » Qu’il le cache ici n’y changeait rien, et il pouvait le lui dire, cette discussion visant à lui faire prendre conscience de sa valeur et non à l’enfoncer. « Et si nous ne sommes pas infaillibles, nous sommes, depuis le temps, plutôt doué pour estimer le potentiel des gens. » Souriant légèrement, il ajouta sur un ton moins sérieux. « Alors si tu ne veux pas nous offenser, ne remets plus notre jugement en question ! » Terminant sa tirade sur un petit clin d’œil, il hocha la tête, alors qu’elle paraphrasait ce qu’il lui avait dit, malgré le ton de sa voix qui semblait désabusé. La phrase lui trotterait sans nul doute dans la tête, influençant sa façon d’agir et d’apprendre, et ce n’était pas un mal.

« Ne t’excuses pas. Garde la tête haute, agis comme si tu pensais être légitime à cette position et à la hauteur, et chaque jour qui passe, ça te viendra plus naturellement. Garde en tête que nous t’avons choisie, ou qu’Adrienne l’avait fait, mais peu importait, elle faisait partie de leur équipe et ils l’aidaient tous à devenir pilote, et que rien que ça te donne la légitimité dont tu doutes. Le reste viendra avec le temps. » L’air pensif, il posa une main sur son épaule, attendant qu’elle le regarde. « Tu sais ce que tu pourrais faire ? En dehors de t’entraîner plus encore ? Pas que tu doives y mettre fin, mais ce n’est pas ce qui te manque, actuellement. » Non, elle devait constater d’elle-même qu’elle savait. Et les exercices pratiques n’y changeraient rien : elle savait les réaliser, le problème n’était pas là. « Il faut que tu trouves quelqu’un à qui apprendre ce que tu sais. Une nouvelle recrue, peut-être, ou simplement une personne à qui expliquer ce qu’on le fait. A qui donner envie, peut-être, d’être à ta place. En arrivant à transmettre, tu sauras ce que tu maîtrises. » Mais ce ne serait pas simple pour autant. « Et ne te méprends pas : ce n’est pas une tâche facile, loin de là. Et que tu n’arrives pas à tout transmettre serait normal. Si tu y arrivais du premier coup, je serais vexé, car ça n’a pas été mon cas. Donc ne te mets pas une pression supplémentaire à cause de ça, mais… vois plutôt ça comme un exercice, que tu maîtriseras au fil du temps. » Kassandra avait encore beaucoup à apprendre, elle ne savait pas tout, et la transmission était bien le plus compliqué de tout ce qu’elle pourrait savoir faire.

Kass préférait ne pas réfléchir, continuer sur sa lancé jusqu’à ce que sa tête cesse de vouloir douter. Et William semblait prêt à écouter, prêt à l’épauler. Et il fallait avouer qu’elle était rassuré devant la bienveillance. Que ce soit la sienne ou celle des autres pilotes. Elle avait l’impression qu’elle pouvait compter sur eux pour n’importe quel sujet.
Mais Will avait raison, encore une fois, elle ne se sentirait pas comme ça si elle n’avait pas cette envie d’apprendre, d’être utile.

- Syndrome de l’imposteur.

Qu’elle répète alors. Il est vrai qu’elle a peur de ne pas être à la hauteur, peur de décevoir plus que tout. Parce que beaucoup repose sur ses épaules. Et elle ne veut pas qu’un des pilotes ne se disent que tout ce temps n’a été donné pour rien. Et oui, les pilotes ne seraient pas là à perdre leurs temps, elle en a bien conscience. Kassandra ne peut que se mettre à sourire à la façon dont Will peut lui indiquer de faire confiance à leurs jugements.

- Je suis désolé. J’ai du mal à voir ce que vous voyez.

Ou pensez voir, d'ailleurs. C'est aussi possible. Mais à en croire Will, il suffisait de se persuader d'une chose pour commencer à le croire. Frottant une dernière fois ses joues, elle relève le regard vers Will quand sa main se pose sur son épaule. Elle attendait le conseil et effectivement, s'entraîner sans relâche n'était probablement pas la bonne idée. Et pour le coup, elle ne s'attendait pas à un tel conseil. Prendre quelqu'un sous son aile ? Non, jamais. Elle n'en a pas l'étoffe. Alors, elle rigole, pensant qu'il se fiche un peu d'elle.

- J'ennuie les gens quand je parle d'aviation. Tu devrais voir la tête de Z... Et puis, je n'ai pas l'impression que ça intéresse qui que ce soit. Les gens veulent voler en un claquement de doigt pas connaître les détails de la vitesse maximale en piqué d'un hélicoptère.

Et pourtant, elle trouve ça tellement cool. Des informations factuelles sur des trucs qu'elle trouve géniaux. Mais elle a l'air d'être la seule à s'y enthousiasmer. Elle et les pilotes, évidemment. Elle ne se sent pas capable de transmettre ce qu'elle a apprit. Parce qu'elle sera sûrement impatiente, voir frustrée de ne pas voir que l'autre ne capte pas aussi rapidement.

- Oui, alors à qui je pourrais transmettre ce genre de chose, déjà ? Et je ne m'en sens pas du tout capable. Je ne suis pas professeur. Je n'ai pas votre patience. A toi et les autres.

Le pilote hocha la tête, alors qu’elle répétait ses mots. Était-elle familière de ce concept ? Lui n’en avait jamais souffert – pas concernant le pilotage, en tout cas, certain de ses compétences et de sa supériorité par rapport à bien des gens. « Est-ce que tu as l’impression qu’une voix, peut-être une voix similaire à la tienne, te souffle que tu n’es pas à la hauteur ? Essaye de te décourager ? » Si oui, il avait visé juste. « Je ne m’y connais pas beaucoup en psychologie, c’était un bel euphémisme, mais il paraît que c’est fréquent quand tu fais quelque chose qui t’expose aux autres ou que tu sors de tes habitudes. Or, j’imagine bien que devenir pilote n’est pas quelque chose que tu pouvais imaginer, n’est-ce pas ? Pas quelque chose qui te semble naturel, qui te semblait possible ? » En somme, ça a dû être une idée totalement improbable initialement pour elle. « Je ne sais pas si tu verras les choses à notre façon un jour. Je ne peux pas te l’affirmer. Mais je peux te dire qu’on est là, si tu as besoin qu’on te pointe du doigt ce que tu as fait comme il le fallait. Qu’on t’indique ce que tu dois rectifier, aussi – parce que c’est comme ça qu’on apprend, et ça ne signifiera pas que tu es mauvaise. Simplement que tu as encore les moyens de t’améliorer et de devenir la meilleure d’entre nous ! » Ce qui serait le cours logique des choses.

William ne put s’empêcher de rire à son tour, alors qu’elle évoquait Zelda. « Zelda est fière. Et butée. Elle est en conflit avec Adrienne depuis… toujours, j’ai l’impression ? Et elle doit s’inquiéter que notre supérieure te fasse sortir du chemin qu’elle a imaginé pour toi. Mais si elle a un problème avec l’aviation, ça n’est pas dû à toi. Et quelqu’un qui y sera aussi hermétique qu’elle peut l’être ne t’écoutera pas si tu en parles, c’est certain. Mais tu pourrais peut-être commencer par leur raconter l’immensité du ciel, l’impression de ne plus avoir aucune limite, que tout s’offre à toi, quand tu voles ? » Leur donner envie d’essayer, les faire essayer même si c’était possible, et ensuite partir dans les informations plus techniques.

« Tu devrais essayer avec Zack ! Il apprend aussi, mais depuis plus récemment que toi. Je suis certain que tu peux lui apprendre beaucoup de choses. Et tu y gagnerais aussi, parce que comme tu as une vision des choses qui t’appartient et qui est bien unique, lui en a une autre. Une approche différente aussi. Vous vous apprendriez mutuellement – comme nous apprenons tous de toi, même si tu ne t’en rends pas compte. »

Mais au final, tout ça n’était que secondaire. « Mais la vraie question à te poser, Kassandra, c’est de savoir si tu as envie d’être réellement pilote. Si tu veux dépasser toutes ces appréhensions, ce sentiment de nous faire perdre notre temps. Est-ce que tu y as réfléchi ? » Il n’y avait pas de bonnes ni de mauvaises réponses. Ce serait un coup, si elle renonçait mais… Si elle restait par contrainte, ce ne serait pas mieux. Adressant un sourire à la jeune fille, il reprit la parole avant qu'elle ne le fasse. « Prends le temps de le faire. Ne me donne pas, ne te donne pas de réponse de suite. Fais ce que tu penseras pour le mieux, après ça. En attendant, au boulot. » Ils avaient des vérifications à faire, des opérations de maintenance simples aussi. Travaillant efficacement ensemble, William espérait avoir aidé un peu la jeune fille.