Hope buvait les paroles d'Ulysse comme une élève première de la classe, très intéressée par le fait d'apprendre à faire tout ça. Surtout pour un avenir aussi incertain que le leur. Même si à l'avenir, elle n'est pas certaine de réussir à décapiter un animal toute seule, autant physiquement que moralement. Sauf si la vie de sa fille en dépendait ; là elle serait même capable de tuer un homme. D'accord, merci. Souffle-t-elle à Ulysse qui lui assure s'occuper lui-même de la tête seul. De son côté, elle termine de dégager les bois de façon à pouvoir les scier correctement.

Ceci fait, elle se redresse, à genoux, pour observer son œuvre et s'assurer qu'elle avait fait comme Ulysse lui avait dit. Et en tournant son visage vers lui, la blonde se heurte à un regard si bienveillant qu'elle ne parvient pas à elle-même détourner ses yeux dépareillés ailleurs. Lorsqu'il finit de parler, elle cligne plusieurs fois des yeux en se rendant compte l'avoir fixé depuis trop longtemps, et se détache de lui pour observer la carcasse. Hum. Elle se râcle la gorge. Et-et ton véhicule, tu l'as plus ? Elle savait pas trop quoi demander.

La blonde finit par avoir un léger rire. C'est dingue, quand on te rencontre la première fois, on imagine pas ça de toi. Un sourire prend ensuite sa place sur les lèvres de la trentenaire, amusée, allant poser le couteau pour préparer les cordes qui seront nécessaires pour nouer tout ce bazar. Elle reprend, avant qu'il pose la question : La première fois que je t'ai vue, je t'imaginais... flic ou même soldat. Rien à voir donc avec ce qu'il était réellement. A nouveau, ses yeux vairons se posent sur lui. J'ose pas imaginer ce que les gens pensent en me voyant la première fois. Une femme paumée sans doute. Sauf les hommes accros aux cul, eux, trouvaient rapidement étrangement.

C'est vrai ? C'est gentil à toi. Je dirais à Violet de nous accompagner, elle sera contente de sortir un peu du camp. Avec tout les récents évènements, elle avait du mal à voir sa mère s'éloigner et elle-même à s'éloigner de l'hôtel.

« Oh heu… De rien ? » Dit-il, mi-confiant, mi-interrogateur. Mais il comprit tout à fait que la jeune femme était soulagée de ne point avoir à décapiter le cadavre innocent d’une créature magnifique. Déjà, sans doute, que s’occuper des bois devait être une difficulté en soi… Planter une lame dans un crâne pour en découper, de l’intérieur, les défenses énormes de cette créature adorable, dans quelques bruits d’une lame crantée sciant l’os sans pitié… N’était pas naturel, ni agréable en effet. Mais Ulysse avait dépassé tout cela maintenant, et depuis fort longtemps.

« Heu… Je ne l’ai plus, non. J’ai dû quitter ma demeure à cause… Des rôdeurs. » Commence-t-il a expliqué, reprenant ensuite alors qu’il poursuivait la découpe de la seconde patte de la créature. « Je suis venu en aide à un groupe de survivants que j’ai ramené chez moi… Je me suis dit… Qu’à plusieurs, on serait plus forts. Ils ont essayé de me tuer. J’ai… J’ai réussi à m’en sortir, et reprendre ma maison pour la piéger. Une partie des mes assaillants était parti à ma recherche, et sont tombés sur un Grizzly… Les autres… Je les ai tués moi-même… » Explique-t-il, baissant la tête, s’arrêtant quelques secondes dans sa besogne sanglante. « C’était la… Première fois que je tuais quelqu’un. Mais je n’avais pas eu le choix… J’ai… J’ai vomi le peu que j’avais mangé, ce jour-là. » Il reprend, donnant le dernier coup d’estoc à cette jambe retorse qui cède soudainement. Il s’attaque ensuite à la troisième. « Ensuite, les coups de feu et les cris, attirèrent une horde. J’ai dû fuir, en emportant que ce que j’avais toujours de prêt chez moi : un sac, des vivres, des munitions et des armes. J’ai laissé tout le reste… »

Souvenirs douloureux pour celui qui avait toujours tout fait pour pouvoir vivre seul et en paix. Triste, aussi, que de se dire qu’une action de bonté et de charité avait failli lui coûter la vie. Et pour quoi ? Pour que ces survivants puissent prendre la demeure pour eux. La présence d’Ulysse n’aurait pourtant point été un poids d’aucune sorte…

« Les premières impressions sont importantes. L’instinct, c’est important. Je n’écoute presque que mon instinct, et il ne m’a jamais trahi. » Expliquait-il, tentant maladroitement de prouver quelque chose, un point, un argumentaire. « Personnellement, je n’ai pas eu… De première impression en te voyant. Je veux dire… Je me suis juste dis que tu faisais parti de ce groupe, et donc… Que je devais t’aider comme j’ai aidé les autres. » Dit-il, dans une pensée naïve, d’une certaine manière.

Il ne fit toutefois que sourire lorsque la jeune femme indiqua vouloir prendre sa fille avec elle, lors de la sortie champignons. L’inverse l’aurait étonné, étant donné que l’initiative était principalement destinée à faire plaisir et à sustenter la jeune fille. Enfin, sur cette pensée, le trappeur découpa la dernière patte, et la posa au sol. « Bien… Heum… La tête maintenant. Tu as terminé avec les bois ? »

Hope récupère l'arme donc qui va lui permettre de scier les bois, sous la supervision d'Ulysse. Si elle galère, la blonde ne montre rien ; elle ne voulait pas se faire passer pour la petite femme qui a besoin sans arrêt qu'on lui tienne la main pour les taches physique pour lesquelles elle n'a pas l'habitude. Oh. Se contente-t-elle de souffler lorsque l'homme lui explique ce par quoi il était passé.

La façon dont il a tout perdu en voulant offrir son aide, comment il a pu se faire berner alors qu'il offrait simplement son cœur. Ça lui faisait mal, à la trentenaire, étrangement. Ça l'a faisait chier même. Comment on pouvait se comporter de la sorte avec une personne aimable, qui ne demande qu'à aider ? Mais Hope était reconnaissante aussi, touchée qu'il se sente assez en confiance pour lui raconter cette histoire de sa vie.

Elle termine de couper le deuxième bois, offrant un sourire à son partenaire. C'est rassurant à entendre. La plupart des hommes ne voient en moi que celle qui se couchait sur un lit pour un bout de pain. Elle disait ça comme si ce n'était qu'une sortie au bar. Grâce à son ancienne vie, la blonde ne ressentait pratiquement aucune honte.

Avec difficulté, l'actrice récupère les deux bois dans une main pour les montrer à son voisin. Terminé chef. Elle s'empresse de retourner aux sacs pour nouer les bois avec les cordes, dos tourné pour ne pas le voir décapiter l'animal. En attendant, elle s'occupe aussi de nouer les pattes, et de nettoyer les couteaux. On devrait pas tarder. Lui intime Hope, désignant du bois un rôdeur qui peinait à ramper vers eux.

Le vent dans les branches nues des arbres et dans les épines des conifères, fait lever le nez à Ulysse. Une étrange odeur parvient à ses narines… L’odeur d’un hiver rude lui vient, tout comme celle d’une neige qui ne demande bientôt qu’à tomber sur cette parcelle de terre appauvrie de vie. L’odeur de la poudre, ensuite… Car, bien que très bon chasseur, Ulysse n’est pas un tireur amateur de gâchettes faciles et de fêtes à la mitraillette. L’odeur de poudre reste une odeur forte et âcre pour ses narines, odeur qui le suit, alors qu’il les faibles mouvements d’air empêchaient le renouvellement de celui-ci… Jusqu’alors.

C’est toutefois la curiosité, et les sentiments cachés par une phrase loin d’être anodine, qui tirent Ulysse de sa contemplation toute platonique. Il comprit en un instant que la jeune femme, n’était point qu’une jeune femme affamée d’aventures naturelles, et assoiffée de connaissances. Non. Cette jeune femme, tout comme lui, avait un passé… Et pas forcément des plus simples. Du moins, point depuis la survenance de toute cette décadence mondiale. Il la regarda alors avec une pointe de tristesse, et un sourire que d’aucun qualifierait de bienveillant et de doux. « Eh bien… Considère que cette image ne te suit plus à la trace, dorénavant. Et c’est pour le mieux je crois. »

Il lui dit ces mots sans la moindre intonation de jugement, ni le moindre haussement de voix. Pour lui, tout trappeur qu’il était et peu habitué à la vie en société, il y avait des principes qui devaient être tenus, et des attitudes, et des manières d’être, qu’il fallait absolument observer. Vivre seul avait beau ne point être une aide pour l’établissement de quelconques relations sociales, vivre dans la nature était, au contraire, une immense source d’apprentissage philosophique. Quiconque, du plus humble hérisson en passant par l’affreux insecte, aux plus majestueux cervidés et ursidés de la forêt, mérite du respect, de la compréhension, et de l’émerveillement. Car la nature est bien faite…

Alors il en va de même avec l’être humain. Même si la compagnie de ce dernier sied moins au trappeur que la compagnie de la faune et de la flore. Lorsque Hope indique avoir terminé, et qu’elle s’affaire à ficeler ensemble les pattes et les bois, le trappeur, lui, se saisit de la hachette qu’il possède toujours contre sa hanche. Dégainant l’outil au fil si effilé, il avise la gorge du cervidé et frappe. Trois coups secs, et précis seront nécessaires pour que la tête de la créature quitte ce corps qui, jusqu’ici, l’avait toujours supporté. La besogne faite, le trappeur passe le fil de la hachette contre le tissu d’un torchon qu’il gardait dans son attirail. Le sang avait la fâcheuse propriété d’émousser les armes d’acier avec une rapidité surprenante.

Lorsqu’enfin, tout fut apprêté, Ulysse n’avait plus qu’à amarrer ses fortes épaules au tronc du corps du jeune cerf, grâce aux quelques cordelettes restantes. Par de savants nœuds, il ficela l’animal et s’arrima lui-même, portant alors la carcasse dénuée de pattes et de tête, lui permettant de reprendre une marche sans affecter ni son équilibre, ni son ergonomie. « Rentrons. »