Ma diversion a au moins eu le mérite de mettre fin au débat, si tant est que cela pouvait s’appeler ainsi du peu que j’en ai deviné. J’ai pris soins de ne pas aborder « le sujet qui fâche » depuis mon arrivé, sujet, d’ailleurs, resté dans l’équivalent de la prison de TH. L’ambiance n’est pas vraiment bonne pour autant, après avoir partager ce fameux verre et surtout commencer a cerné un peu plus l’impasse ou tout le monde se trouve, je me sens l’envie de creuser un peu plus.

La ou mon petit frère, dit l’accident, a tendance a foncé comme s’il s’était assis sur un cactus, il y a bien longtemps que j’ai compris que ce n’est pas comme ça que l’on réussit en affaire. Je préfère prendre un peu plus de temps pour comprendre les enjeux et surtout trouver des chemins de traverse pour contourner les murs. C’est aussi pour cela que lorsque tous sont à prendre congés, je me décide a tenter autre chose.

« Selene, puis je vous demander quelques minutes encore ? Ne serait ce que pour un second verre, que vous avez surement plus mérité connaissant la délicatesse de mon frère, mais aussi, parce que j’aurais quelques questions. »

Je passe assez de temps a TH pour connaitre au moins de vue la jeune femme. J’en sais peu sur elle, mais j’en ai entendu assez pour deviner que la prendre de front.

« Déjà, j’espère que Daemon n’a pas été trop braque, savoir sa femme en train de subir le pire entre les mains des NE ne l’aide pas a penser calmement ni clairement. »

Je ressers la jeune femme de ce qu’elle avait pris à la première tournée, moi je reste sur le vin, je n’aime pas gâcher et j’ai toujours trouvé qu’une fois ouverte, ne pas finir une bouteille c’est pire qu’un pécher.

« J’ai une question qui peut vous paraitre indiscrète, et vous n’êtes pas obligé d’y répondre, mais… j’ai l’impression que quelque chose m’échappe. Autant je comprends la position des Expendables comme celle de Preston, autant, j’ai du mal a bien cerner la vôtre. »

Je prends le temps de rouler doucement le verre entre mes doigts avant de planter mes yeux dans ceux de Selene.

« Est-ce que vous voulez sa mort au nom du mal que les NE ont fait a TH, ou y a-t-il quelque chose de plus personnelle dans cette décision ? »

La seule raison pour laquelle elle était encore là, c’était parce qu’elle n’osait pas retourner voir Juliet. Elle avait lu dans ses yeux tout ce qu’elle ne disait pas à propos de cette bataille – de cette guerre dont elles étaient censées se dissocier des mois auparavant. Alors la musicienne observait la poignée de combattants présents et les « festivités » aussi frugales que moroses. Elle allait se résigner à partir quand l’un des hommes de Connor la retint.

Selene répondit d’un haussement d’épaule et lorgna son aîné qui la réservait – de l’eau, rien de plus. « Qu’est-ce qu’il voulait ? » ne put-elle s’empêcher de demander, dès la première phrase qui ressemblait à de la flatterie. Nouveau haussement d’épaules au sujet de Daemon, mais elle consentit quand même à ouvrir les lèvres :

- Je suis désolée pour sa femme.

C’était sincère : elle ne pouvait imaginer l’horreur pour elle de se trouver là-bas, et l’horreur pour lui de la savoir entre leurs mains. Le reste néanmoins, lui fit lever haut un sourcil surpris. Effectivement, question indiscrétion, c’était pas mal. Et elle se demandait bien où il voulait vraiment en venir.

- On a besoin d’une raison précise pour vouloir que le chef des armées du groupe qui nous menace tous depuis 3 ans soit définitivement hors circuit ? Quelque chose lui échappait ? Et bien désormais, elle aussi, si on devait creuser le sujet, je crois que la vraie question serait plutôt : pourquoi vous avez tant besoin de contrôler ce qu’il devient, elle faisait référence à Connor et ses gros bras, évidemment, qui avaient mis la main sur le général – et pas seulement littéralement, interrogez-là, torturez-le si vous voulez. Mais ensuite, je ne vois pas ce qui vous gêne dans le fait de nous le rendre.

Selene n’était plus certaine de ce qu’englobait ce nous : Nisqually ? Mais le groupe était parti. Elle, Preston et Joachim ? C’en devenait très personnel. L’alliance ? Mais les mercenaires en faisaient partie. Ce qui était sûr, c’était qu’elle avait eu la sensation que le point de concordance n’avait pas été trouvé, alors elle surveillerait ça de près.

Difficile de cerner la jeune femme ici présente. Elle n’a pas l’air vraiment avec nous durant le court laps de temps cessé apaiser les tensions. A a décharge, il n’y a qu’a voir les mâchoires serrées de certains pour deviner que cette bataille n’a pas le gout de victoire qu’elle mériterait. Entre le prix en sang qui a été versé, les imprévus qui ont failli donner un tour encore plus dramatique a cette soirée et les enjeux quant à cette « prise », c’est évident que la guerre est loin d’être finie.

Une porte qui s’entrouvre c’est déjà une victoire en soi. Même si je sens la femme sur la défensive, elle ne s’est pas murée dans un silence et semble assez humaine pour compatir a ce que doit vivre ma belle-sœur, en espérant que le mot vivre soit toujours d’actualité.

« J’espère qu’un jour cela sera les NE qui seront désolés, pour elle, comme pour les autres… »

Je la scrute avec attention alors que je continue de jouer nonchalamment avec le liquide carmin dans mon verre. Ses arguments s’entendent, tiennent la route, mais ca sonne tiède a mon oreille. J’ai un demi sourire quand elle semble s’imaginer que je suis la pour revendiquer, aussi, celui qui est déjà plus que demandé. J’ai un demi sourire amusé a cette idée.

« Qui vous dit que je veux contrôler quoique ce soit ? S’il y a bien une chose dont je suis certain, c’est que je n’ai aucune légitimité pour faire plus qu’essayer de comprendre. »

Ses mots m’intriguent et je garde un œil pétillant sur la femme en face de moi qui soulever autant de questions que de réponses.

« Juste par curiosité, quand vous dites « nous » vous pensez a qui exactement ? »

J’avais cru comprendre qu’elle avait été a la tête de TH, mais ca n’était plus le cas actuellement. Visiblement, il ne s’agit pas de l’alliance, sinon, j’ose espérer que j’aurais été inclus dedans. Je prends le temps de prendre une gorgée de ce vin. Il est un peu comme l’ambiance ce soir, trop frais, avec une note d’amertume pas assez franche même pour un palais sachant les apprécier en règle générale.

« Ma foi, même si le programme de la discutions plus ou moins musclés me semble incontournable, je me demandais si nous ne pourrions pas avoir plus que quelques informations et un général de moins. »

Mon coté ambitieux est rarement loin. J’ai toujours été du genre a vouloir le beurre, l’argent du beurre, la crémière et la ferme qui va avec. Qui voit grand ira loin comme dirait mon père. Nonchalamment je commence a effleurer une idée qui me trotte dans la tête sans certitude de comment elle va être accueilli. J’ai le pressentiment que sans l’adhésion de cette femme, cela ne sera pas possible d’avoir celle de Preston et je ne me lancerais pas dans des discutions avec Daemon et son chef avant de tâter le terrain du côté des TH.

«A votre avis, quelle est sa véritable valeur pour nos ennemis ? Dans quelle mesure NE pourrait vouloir tenter de récupérer cet homme et n’a-t-on pas moyen d’affaiblir un peu plus l’ennemi ? »

- « Nous », c’est toutes les personnes qui se sont mouillées pour ce plan, mordit-elle instinctivement.

Oui, c'était ça. Car sans l’initiative de la poignée qu’ils étaient, ils n’en seraient pas là à débattre. Mais l’homme continuait, sans que Selene ne puisse voir où il voulait en venir. Pas exactement en tout cas. Mais les sous-entendus de sa dernière tirade eurent le don de l’agacer plus qu’elle ne l’était déjà.

- A mon avis, se poser cette question, c’est faire de l’enculage de mouche, riposta-t-elle froidement, l’armée de New Eden est composé d’extrémistes, des tas ont préféré mourir que de se faire capturer, d’après les récits de ceux qui les avaient régulièrement affrontés, et même si O’Connell était différent, il reste quoi de pertinent à obtenir en échange ?

Avec toutes les informations glanées et partagées au cours des années, ils avaient déjà une très belle vision de l’ennemi. Oh oui, la musicienne aimerait avoir Oliver et Chris à genoux devant être, pour clore son propre chapitre. Mais même pour ça, elle ne rendrait pas le général. Elle avait conscience que sa capture la dépassait.

- Sa disparition affaiblit New Eden, sa mort affaiblit New Eden. Je pense qu’on devrait se contenter de ce qu’on a. Quand on sort d’une bataille qu’on a failli perdre alors qu’on partait avec l’avantage de la surprise, j’aurais tendance à me dire que le mieux est l’ennemi du bien, autrement, qu’ils n’essayent pas de tirer sur la corde ; elle allait leur péter à la gueule.

J’ai un sourire espiègle a sa phrase dit avec tant de conviction et je ne peux m’empêcher de demander, non sans amusement :

« Est-ce que cela n’inclus pas les Expendables du coup ? »

Avant de faire un geste pour dire que ce n’est pas très important alors qu’elle prend la peine de m’expliquer son point de vue. Certes, il se tient, mais il est aussi très arrêté. Je n’ose imaginer la rencontre entre elle et Daemon qui est sans nuance quand il s’agit de sa femme. Ca m’étonne presque qu’il n’y ait pas eu des blessés.

« J’ai fréquenté assez de fanatiques pour savoir que quelque soit l’épaisseur de leurs convictions, cela reste des hommes. »

Il y a en nous un instinct de survie fort qu’il est difficile de réprimer, même avec des convictions fortes. La position de NE devait des plus inconfortables déjà de par leur défaite vis-à-vis des Oblivions, leur incapacité a gérer les SC et ce revers avec la prise de leur générale ferait surement office d’enclume sur le gâteau.

« Vous avez parfaitement raison. La prise de cet homme va considérablement les affaiblir, pas seulement en termes de force militaire. S’arrêter là est déjà une belle victoire en soi. »

L’image des NE est forcément écornée. Quelque soit le degré de fanatisation et le génie pour enrober de sucre de leur leader, une défaite restait une défaite, surtout aussi cuisante que celle-ci. Néanmoins, j’ai toujours été un entrepreneur dans l’âme, capable de faire un empire de quelques ruines, a vouloir toujours plus et a savoir me donner les moyens pour y arriver. La prudence est un concept que j’assimile a de la frilosité quand il ne prend pas en compte la totalité des enjeux. Même si je respecte cela chez les autres, cela ne m’empêche de pas de trouver cela fort dommage.

« Mais nous avons moyen d’aller plus loin qu’un simple coup. A mon sens le débat est au-delà de savoir si on doit le tuer ou s’il peut servir de monnaie d’échanges pour récupérer des prisonniers. Autant je trouve cela dommage de s’arrêter a la mort du NE, autant je trouve dangereux de trop porter leur attention sur seulement deux de leurs prisonniers.»

Car a partir du moment ou les NE penseront qu’ils ont deux prisonniers a qui l’alliance donne autant d’importance, j’ai peur de la suite pour Alex et Aaron. Ne ne les rendra jamais, ou pas sans essayer de s’en servir de levier.

« Que cela soit pour sauver cet homme, pour éviter que ceux qui restent pensent que les NE sont du genre a abandonner les leurs ou juste parce qu’ils voudront vous tendre un piège, je suis presque sur qu’une demande de négociation pour O Connelle ne restera pas sans réponse si vous la faites assez fort. »

Ne ne peut pas se permettre d’avoir l’image d’un groupe qui lâchera ses soldats aux mains ennemies sans rien tenter a la première occasion alors qu’ils ont plus que jamais besoin de conviction et de loyauté. Je finis mon verre, conscient que mon temps, comme surement le sien, est malheureusement trop pris de partout. L’alerte faite par Ana Lucia me presse a reprendre la route bien trop vite a mon gout alors que frère est toujours là.

« Je vais être honnête Sélène, je n’ai pas vocation a vous faire perdre plus de temps que vous avez eu la gentillesse de me donner et, a part poser quelques questions et pour trouver de nouvelle option, les décisions ne me reviennent pas. Mais réfléchissez-y tout de même. Nous avons moyen de tendre un piège qui attirera plus de gibier de potence et affaiblira encore NE. Qui plus est, si vous devez faire une demande, pensez a gonfler la note, matériels, plusieurs prisonniers, vivres… qu’ils ne devinent pas ce que vous voulez vraiment.»

Je me lève de mon siège, prends quelques secondes de réflexion avant de la regarder droit dans les yeux pour ajouter :

« D’ailleurs, n’avez-vous des ressortissants de votre groupe qui sont aussi dans les geôles ennemies ? Peut être est ce aussi l’occasion de récupérer la jeune femme dont le procès a tant fait parler. »

Un sourire en coin désillusionné fendit le visage de Selene quand son aîné conclut sa longue démonstration. Un ricanement jaune lui échappement. Des ressortissants de son groupe dans les geôles ennemis ? Elle n’avait plus de groupe. Et Harper était la preuve criante que le Conseil s’était couché devant les mêmes personnes qui avaient violé Juliet et tabassé Nima. Et malheureusement, ce n’était plus son problème.

- Là où vous vous trompez, c’est quand vous rabâchez « on a les moyens de… », rétorqua-t-elle finalement, cessant son hilarité amère, regardez autour de vous !

Elle joignit le geste à la parole. Le décor de la prison était austère et la « victoire » ne relevait pas vraiment le moral. Il y avait beaucoup de blessés, des absentes aussi. Quant aux ressources, ils avaient à peine de quoi tenir l’hiver et les armes récupérées remboursaient tout juste ce qu’ils avaient utilisé. Oui, ils avaient fait un petit bonus, mais rien qui ne marquerait les esprits.

- On a les moyens de rien du tout ici. La seule raison pour laquelle on a eu une vraie chance, c’est parce que le groupe de Fort Ward nous a fourni de l’équipement, équipement qu’ils allaient récupérer, autant que possible, alors tendre un nouveau piège ? Elle expira son dédain ; c’était absurde compte tenue des forces actuelles, surtout que l’unité qui régnait entre les alliés semblait s’être effritée, c’est suicidaire et stupide de croire que New Eden tombera dans le panneau deux fois.

Il voulait son avis, il l’avait. Pour elle, ils avaient gagné Tahlequah, mais ils ne devaient pas avoir l’orgueil de croire qu’ils pouvaient faire plus. C’était déjà suffisamment miraculeux qu’aucun d’eux ne se soit fait abattre pendant l’assaut.

- Et c’est arrogant de croire qu’on peut rendre son capitaine à l’armée de New Eden et s’en sortir à bon compte.

Et pourtant, elle aurait bien des exigences. Mais il avait vu leurs moyens, il connaissait leur tactique, ils avaient pu apercevoir leurs failles aussi. Si O’Connell repartait, il saurait comment s’y prendre, et il les exterminerait.

- Je ne dis pas qu’il faut arrêter le combat, jugea-t-elle bon de préciser, je dis que négocier est une impasse.

La fatigue de cette rude soirée et aussi de savoir que je devrais rapidement reprendre la route se fait sentir, pour autant, c’est toujours avec une certaine nonchalance que je continue la conversation avec la jeune femme. J’ai du mal a interpréter son étrange sourire qui, m’est avis, ne cache pas une adhésion totale et aveugle a mon argumentaire.  Même si je passe beaucoup de temps parmi ceux de TH, je suis pas mal monopolisé par Romy quand je viens ici, au point de ne pas être au fait de tout ce que coté fouine aime a savoir. Par contre, il y a des domaines ou je suis bien plus informé : privilège de barouder. Je suis a peine son geste qui me montre l’endroit où nous sommes comme si c’était une réponse en soi. Si j’ai réussi comme je l’ai fait dans ma précédente vie, c’est surtout parce que je n’ai jamais suivi le regard des autres et toujours préféré porter mes yeux « plus loin »

« Justement, je regarde autour de nous et je vois qu’ils ont les Oblivions qui les pressent, qu’ils n’arrivent a pas gérer les SC a Providence et j’ai eu vent de soulèvement dans leur propres ville. Avec la prouesse de ce soir, ils sont plus fragiles que jamais. »

Ca ne les rends pas moins dangereux, il n’y a pas pire bête qu’un animal acculé, mais ca reste aussi le plus prévisible et facile a manipuler si on trouve une bonne approche.

« Vous pensez que les Remuants ne voudront pas contribuer à nouveau si "nous" lançons quelques choses ? J’ai cru comprendre que c’était aussi dans leurs intérêts que les NE soient "chahutés ". »

J’hausse un sourcil, un peu amusé par la verve de mon interlocutrice, j’aurais eu plus de temps, je pense que j’aurais eu plaisir a débattre avec elle sur bien d’autre sujet. Visiblement, elle et moi ne nous sommes pas bien compris et c’est simplement que je la corrige :

« Mais, bien évidemment qu’’ils vont s’attendre a un piège, sinon, pourquoi enverraient ils les pires raclures qu’ils gardent dans leur manche sans que nous ayons a les chercher ? »

C’est aussi la force de cette idée, les mettre dans une situation ou ils seront prévisibles. Ca ne veut pas dire que c’est sans risque, on taquine pas un tigre sans y risquer un bras ou plus, mais il y a une ouverture qui mérite qu’on s’y penche pour voir si elle est exploitable ou non. Je tique a son affirmation et ce n’est pas sur le fait que je puisse être arrogant :

« Je ne penses pas avoir jamais suggérer de leur rendre pour de bon… »

Je reste debout devant elle, pas loin de prendre congé alors qu’elle semble avoir besoin de se justifier. Étrange qu’elle ait l’impression que je puisse penser qu’elle veut arrêter le combat. J’ai comme l’intuition qu’il me manque des pièces du puzzle ce qui se passe ici, pour autant, je n’ai plus que quelques heures devant moi avant de devoir reprendre la route.

« Selene, une nouvelle fois, je ne suis pas là pour juger ni tenter d’imposer quoi que ce soit. Je soulève juste une des options possibles a rester dans cette impasse. A vous de voir si vous voulez y penser ou pas. A mon sens juste d’ouvrir la négociation n’engage a rien et vous donnera une bonne idée de leur situation ainsi que de vos marges de manœuvre.  »