Isalín observe la grincheuse avec cet air blasé typique de l’adolescence. Le carburant, les pièces de remplacement, se faire tirer dessus… c’est si terre-à-terre. Evidemment qu’elle a conscience qu’un avion ne vole pas à l’eau, ce n’est pas le sujet. Elle rêvasse, c’est tout. Les vieux sont tellement enlisés dans leur guerre qu’ils en oublient un peu que la vie ne mérite pas toujours d’être aussi « sérieuse ». Par contre, quand May embraye sur l’endroit où il n’y aurait plus de merde, la jeune femme concède en haussant les épaules :

- J’sais pas. Mais on peut pas non plus savoir qu’ça existe pas, pas vrai ?

Et oui. Et si Isalín doit imaginer un pays qui a dompté l’épidémie – hormis le sien, parce que les islandais sont des forces de la nature – elle pense instinctivement à l’Australie. C’est le pays de la mort, chaque insecte, chaque animal, chaque plante, est capable de tuer. Les monstres ont dû arriver là-bas et trouver le territoire beaucoup trop hostile pour eux. Mais alors, son aînée suggère le pole nord, et un sourire fend le visage d’Isalín. Finalement, ce n’est pas si dur…

- Carrément, ça doit être trop classe là-bas ! Tu crois qu’ils sont au courant pour l’reste du monde ?

Ce serait assez drôle quand même. Et triste aussi. La jeune femme commence à se dire qu’elle voudrait aller vérifier. Après tout, dans sa fameuse bucket list, elle a mis d’aller en Alaska… elle peut bifurquer sur le retour, et filer dans les terres glacées. Le froid ne lui fait pas peur, elle est le froid ! May n’a pas l’air de râler sur son travail en tout cas, et la proposition du simulateur de vol, alors là…

- Mais oui, trop !!!

Elle a l’expression lumineuse d’un enfant à qui on vient de proposer le dernier jouet à la mode. C’est juste dément de pouvoir tester ça, Kaya va être verte de jalousie – ou pas, elle va dire « gnagnagna les oiseaux de metal gnagnagna la technologie ». A croire que sa meilleure amie est née dans une grotte et a été éduquée dans la forêt.

- J’pourrais t’emporter avec moi t’sais, plaisante Isalín, quand j’me barrerai. Le pôle Nord est assez grand pour nous deux ! Et leurs proches respectifs.

« J'imagine qu'on ne peut pas savoir, non. » est-elle forcée de concéder. May ne sait pas si elle aime bien cette gosse, en vrai. Elle est tellement pleine d'espoir - et de questions. Peut-être que c'est ce dont elle a besoin, après tout - même si ce genre de questionnement presque philosophique lui donne parfois de sérieux maux de tête, et un réflexe débilitant qui la pousse à trop réfléchir. Une chose est sûre; si un tel endroit existe, elle veut le voir de ses propres yeux. Peut-être qu'il y a réellement mieux ailleurs, oui - que ce n'est pas la bonne décision que de rester ici, à Fort Ward. La Cendrillon de quelques années plus tôt avait peut-être raison, au final.

Sauf que la blonde secoue la tête, s'arrêtant juste à temps avant de sombrer dans ses pensées les plus chiantes. Ce n'est plus le moment de remettre en cause chacune de ses décisions - des plans pour devenir timbrée. Quant à savoir si le pôle Nord est au courant que la fin du monde est à nos portes depuis maintenant des années... la question se pose aussi, sûrement. « Enfin, il faudrait vraiment vivre au fond d'une grotte pour ne pas réaliser que le monde s'est arrêté, tu crois pas? » Terres glacées ou pas, le monde moderne s'écroule un peu plus à chaque jour à cause de l'épidémie.

Mais de voir le visage de l'adolescente s'éclairer à ce point, quand elle mentionne le simulateur de vol, ne peut que faire sourire la blonde. Elle l'entraîne donc vers le précieux jouet en posant légèrement la main à son épaule, lui indiquant ensuite qu'elle pouvait s'installer derrière les écrans de pratique. « Alors, tu peux enfiler ton casque, et boucler ta ceinture. » Oui oui, même si tout n'est que simulation. Liv pointe un vieux cartable de sa main saine, celui où leurs codes de communication radio sont indiqués. « Très bien, alors on fait comme si c'était le jour où on partait pour le pôle Nord. » lâche-t-elle en rigolant à sa mignonne petite invitation.

« Tu dois demander une autorisation de vol, et préparer l'avion pour le décollage. » Cendrillon utilise sa bonne main pour lui montrer comment utiliser le poste de contrôle et les commandes, surtout le manche de vol, sur le faux tableau de bord. « Il y a une liste à suivre. » ajoute la miss en allant chercher son propre carnet de notes. Elle revient rapidement, pointant du doigt certains passages bien précis. Du chinois pour la plus jeune, sûrement.

« Oui je sais, ce n'est pas du tout ce qui t'intéresse. Tu veux voler. » Elle ne la laisse pas répondre. « Okay, okay. » reprend May, avant d'enchaîner. « Alors, il te faut assez de vitesse pour être capable de décoller. La force de portance, ça te dit quelque chose? » Peu importe, elle pose ses doigts sains par-dessus la main de sa jeune élève, bougeant lentement le manche pour guider son décollage. Et bientôt, Isalín est dans les airs. Évidemment, Goldie a bien l'intention de lui envoyer une jolie suite de complications dans les dents. On verrait bien comment elle se débrouille, madame je-suis-assez-grande-pour-me-barrer-toute-seule.