Il m'avait pas fallu super longtemps pour préparer Sleipnyr, bien qu'il soit évident qu'il ait spécialement envie de me faire chier aujourd'hui. Faut dire qu'il fait pas trop moche et ça se voit qu'il a envie d'aller se dégourdir les pattes. Être dans un enclos, c'est bien, profiter d'un petit tour d'horizon pour galoper un peu et repérer de potentiels terrains de chasse, c'est mieux. Alors ouais, avec mon arc et mes flèches sur le dos, ma machette à la taille, j'ai vite grimpé sur le dos de mon cheval pour qu'on aille tous les deux se faire plaisir.

Je crois qu'on se balade pendant bien une vingtaine de minutes, s'éloignant du domaine, sans vraiment trouver grand chose d'intéressant. Quelques morts par ci par là qui se cognent dans des murs et que je prends un malin plaisir à éliminer à la machette sans même prendre la peine de descendre de cheval. C'est un bon exercice pour Sleipnyr aussi, de l'habituer à être proche des cadavres sans paniquer. Et plus on s'entraîne de la sorte, mieux ça se passe. C'est une question de confiance mutuelle.

Toujours est-il que c'est pas simple de trouver un nouveau terrain de chasse. Certes, les traces de passage d'animaux sauvages sont nombreuses, mais ça veut pas dire pour autant que c'est là que je pourrai trouver leurs refuges. Enfin, j'imagine que c'est pas en un jour que j'aurai la réponse. Faudra que je note cet endroit dans ma tête et que je revienne plusieurs fois.

Le truc c'est qu'au bout d'un moment, un petit hennissement discret de ma monture attire mon attention et me fait froncer les sourcils. Qu'est-ce que t'as remarqué? Ouais, je parle à mon cheval, et alors ? Même si on parle pas la même langue, ses gestes me font regarder dans ce que je pense être la bonne direction. Je vois une ombre passer un peu plus loin, et ça me plaît pas. Vivant ? Mort ? Putain j'espère bien que c'est pas un de ces enfoirés de Sinners sinon c'est pas bon signe. Non, Em, pense pas à ça. Pas à lui. Je prends une grande inspiration, souffle un coup, puis je fais avancer lentement Sleipnyr. C'est qu'après avoir fait quelques mètres que je sors mon arc, préparant déjà une flèche. Et quand on arrive au coin de la rue, je bande mon arc et vise la silhouette de l'homme de dos. T'es qui et pourquoi tu me surveilles ?

J'ai un peu de mal à croire que ce type ne m'ait pas remarquée approcher à cheval. C'est pas comme si Sleipnyr s'était subitement mis à se déplacer sur la pointe des sabots. A moins qu'il essaie peut-être de m'attirer dans un piège ? Et j'ai foncé dedans tête baissée, quelle idiote ! Parfois j'ai envie de me donner des claques, sincèrement. Enfin, une chose est sûre : il a l'intelligence de ne faire aucun geste brusque quand il se rend finalement compte que je suis là au moment où je prends la parole.

Le voilà qui se retourne et j'observe rapidement son visage, son arme dans sa main, sa façon de se tenir, où va son regard. Autant de choses qui pourraient m'indiquer qu'il tente de faire signe à quelqu'un d'autre. On est jamais trop prudent. Surtout quand on a vécu des trucs pas super sympas. Emmett est vivant, et j'aurai toujours la crainte de le voir revenir chercher ce qu'il estime lui appartenir : moi.

J'ai toujours mon arc bandé, ma flèche prête à partir, alors que le brun face à moi prend la parole. Il n'a pas l'air beaucoup plus vieux que moi, par contre je suis tout de suite frappée par son air profondément blasé. Je garde les sourcils froncés, silencieuse pendant qu'il parle et... se plaint. Oui, même s'il prend la peine de se présenter rapidement, je suis à deux doigts de lui tendre un mouchoir en lui demandant de bien vouloir essuyer la morve de son nez quand il aura fini de chouiner.

Mais quand il range son couteau, je décide de me montrer sympa et donc de détendre la corde de mon arc, abaissant ce dernier. Je ne range pourtant pas ma flèche, au cas où. Au moindre truc suspect, ni une ni deux, je l'embroche. Son coup d’œil en direction de mon cheval ne m'échappe pas et avec un petit sourire malicieux au coin des lèvres, je réponds à sa question. Sleipnyr. Enfin, vu que tu le regardais, j'imagine que tu posais la question à mon cheval? Ouais, lui rappeler les bonnes manières à Monsieur « tu pourrais dire bonjour », ça me fait plaisir.

Emily. Et pour ton lièvre, tu l'aurais jamais chopé avec ton couteau. Pas en le tenant comme tu l'as fait, en tout cas. Ça peut marcher pour d'autres proies peut-être, mais pour eux, je te souhaite bonne chance. Il va pas m'apprendre à chasser. Pas à moi. Et c'est donc une simple chasse au lièvre qui t'a amené dans le coin ? J'en doute un peu, si je peux me permettre...

Ouais, ça se voit de ouf, t'as l'air super bien portant et en sacrée surcharge pondérale. En même temps, si tu chasses aussi bien que ce que j'ai vu là, ça m'étonne pas que t'aies l'air de crever de faim. Non mais il se prend pour qui celui là ? Déjà que je suis assez sympa de lui donner des conseils, en plus il me prend de haut et fait comme si ce que je disais ne valait rien. Quel con celui-là, je vous jure !

Je fronce un peu le nez, relevant le menton dans un air des plus hautains – et vexés – avant de lever les yeux au ciel quand il me parle de talent. Crétin, que je marmonne plus pour moi-même qu'autre chose. Par contre, quand je l'interroge sur les raisons de sa présence ici et qu'il n'essaie même pas de la jouer fine pour esquiver le sujet, préférant me dire directement que ça me regarde pas, j'ai les poils qui se hérissent et les sourcils qui se froncent. C'est encore plus louche, du coup.

Ouais, mais te permets pas en fait. T'es sur mon territoire là, donc réponds à mes questions quand je t'en pose. Et s'il a besoin d'aide pour se décider, une ruade de Sleipnyr ou une flèche en travers de la tronche saura certainement lui permettre de faire un choix. Qu'il ne s'estime pas en position de force. Ce n'est pas le cas. En tout cas, il a l'air finalement de changer de version. Et il finit par enfin me dire ce qu'il fait là. De là à savoir s'il se fout de moi en inventant un truc au pif ou si c'est la véritable raison de sa présence ici, allez savoir.

Un petit sourire finit malgré tout par étirer mes lèvres, avec une pointe de fierté d'avoir « gagné ». Tu vois, c'était pas si difficile. Enfin bref. Je me passe la main dans les cheveux, regardant rapidement autour de nous. Oui, je fais partie d'un groupe. T'es venu chercher quoi ? T'es tout seul ?

T'as l'air d'un sacré crétin, que je signe discrètement en sachant très bien qu'il ne comprendra pas. Enfin, j'en sais rien, mais ça m'étonnerait qu'il parle le langage des signes. Moi, j'ai appris avec Tori. Et à moins qu'il connaisse des gens sourds ou muets, ça m'étonnerait qu'il sache le parler. Enfin bref. Toujours est-il qu'il finit quand même par avoir l'air de redescendre un peu de ses grands chevaux pour prendre la parole de manière un peu plus posée. Même si par contre, il continue de se comporter comme un connard.

Je lève les yeux au ciel face à sa tirade concernant le fait que plus rien n'appartient à personne, blablabla. Franchement, qui s'en fout ? Moi, définitivement. Mais au moins, il accepte enfin de me dire pourquoi il est ici. Ce qui n'est évidemment pas une chasse au lièvre. Fallait s'en douter.

Je fronce légèrement les sourcils quand je l'entends me parler d'une armurerie à Egon. Ce coin là, je le connais. Et c'est vraiment pas un lieu où on a envie d'aller se balader juste avec un petit couteau et un melon surdimensionné. Je soupire alors un peu et viens me frotter le visage avant de glisser mes doigts dans mes cheveux. L'armurerie dont tu parles, t'as de la chance d'avoir pu y aller. En général, c'est plutôt impraticable et super mal fréquenté... Sous-entendu, soit il me ment soit il fait partie de ces gens peu fréquentables qui traînent par là-bas. A moins qu'il ait juste le cul bordé de nouilles. Et dans ce cas là, chapeau.

A sa remarque concernant son « pote » qui dort apparemment dans un bâtiment pas loin, je hausse un sourcil profondément surpris. C'est original, j'imagine. Mais en fait, la suite me surprends encore plus je crois. Il veut que je lui montre comment chasser ? Soit il me claque ça parce qu'il imagine que je sais pas y faire et il veut se foutre de ma gueule, soit il a enfin compris que j'étais meilleure que lui dans le domaine. L'un dans l'autre, j'imagine que si je lui file un coup de main il finira par me foutre la paix et repartir d'où il vient. J'aime pas trop avoir des gens qui traînent dans les alentours de chez nous. Y'a un coin un peu plus loin, dans les bois, où on aura plus de chances de trouver des proies.

Un petit signe de tête et je l'invite à me suivre, faisant faire demi-tour à ma monture pour qu'on puisse prendre la route. Il nous faut pas super longtemps pour arriver. Une petite dizaine de minutes, je dirais, avant d'atteindre un petit bosquet qui a dû pousser ces dernières années vu sa situation géographique. En tout cas, c'est un bon coin pour la chasse. Tu cherches plutôt quoi, comme gibier ? Parce que bon, le lièvre c'est bien, mais y'a pas beaucoup à bouffer dessus quoi.