Pourquoi ? Cette question me revenait inlassablement à l’esprit, tandis que mes yeux parcouraient les rapports des Trônes. J’avais beau passer de l’un à l’autre, aucun ne venait détromper les ordres qui leur avaient été donnés cette fatidique journée. Abattez les, tous. Victimes collatérales tolérées. Sauf que l’Adonaï parlait de ma fille. Elle était venue dans l’espoir d’entrevoir à nouveau notre messie. Elle l’avait défendu face aux rebelles masqués, sans se démonter, et… les Trônes lui avaient tiré dessus sans sommation.

J’aurais pu souhaiter à celui qui avait tiré le premier de brûler en enfer, mais c’était déjà fait. Un cocktail Molotov l’avait fait se consumer entièrement en représailles de ses actions, comme si le courroux divin s’était abattu aussitôt sur lui pour avoir osé ouvrir le feu sur une parfaite innocente. Il n’avait visiblement pas survécu des suites de ses blessures. Il valait mieux pour lui, car j’aurais pu lui faire subir bien pire.

Je reposai les rapports dans un souffle las, me passant deux mains sur le visage. J’avais passé des heures à les éplucher dans l’espoir de trouver une réponse à mes questions, mais en vain. La lumière de ma bougie vacillait, atteignant ses limites. Je ferais également mieux de rentrer. Demain, je retournerais à l’hôpital veiller sur Lynn. Je ne laisserais plus personne s’en prendre à elle. Personne.

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J’avais accouru dès qu’on m’avait annoncé que Lynn était réveillée. Le soulagement était de taille, pour sa sœur et pour moi. Elle était affaiblie, blanche comme un linge, mais belle et bien en vie. Le plus dur était derrière elle. April l’avait aussitôt serrée contre elle, laissant des larmes de joie naître au coin de ses yeux. Je les avais finalement étreinte toutes les deux, en veillant à ne pas lui faire mal. Que son fils à naître se porte bien était un miracle de plus. « Dieu veille sur toi, ma puce. » Je lui avais embrassé le front avant de la laisser se reposer. Nous n’avions pas eu le droit à plus de dix minutes en sa présence.

Il avait fallu attendre une dizaine de jours supplémentaires avant qu’elle ne puisse quitter l’hôpital. Je m’étais bien gardé, jusque là, de lui confier quoi que ce soit concernant l’incident en lui-même. Elle était trop affaiblie, et surtout, les murs avaient des oreilles. Une fois que nous ayons pu la ramener à la maison, j’avais demandé à rester seul à seul avec elle après que les filles se soient assurées de tout la concernant. Du thé et des petits gâteaux lui avaient été amenés sur sa table de chevet. J’empilai les coussins dans son dos pour qu’elle puisse se tenir assise sans avoir mal. « Comment tu te sens, Lynn ? » J’avais déjà dû lui demander trois fois dans la journée. Je posai ma main sur la sienne en venant m’asseoir sur le bord de son lit. « Si tu as besoin de quoi que ce soit, dis-moi. Je vais faire en sorte que quelqu’un soit constamment à la maison pour t’aider jusqu’à ta complète guérison. »

Je fais toujours ce même cauchemar. Encore et encore.

J’essaie de rattraper sa main mais ses doigts m’échappent. Je l’entends hurler, m’appeler à l’aide. Et puis, les grognements. De ces créatures monstrueuses. Qui emmènent mon frère là où je ne pourrais jamais le suivre.

Parfois, Zachary est remplacé par quelqu’un d’autre. Par April le plus souvent. Parfois, c’est un peu plus flou. Mais je n’arrive jamais à attraper sa main, que ce soit ma cadette ou quelqu’un d’autre.

Je finis par me réveiller une fois de plus en larmes, alors qu’il me faut bien quelques secondes avant de me rappeler que je suis dans une chambre d’hôpital. Heureusement, je suis seule et j’ai le temps de reprendre un semblant de contenance avant que qui que ce soit ne vienne me voir. Parce que je sais que ça ne s’arrête jamais. Tout le monde vient, au moins une fois dans la journée, même s’ils ne peuvent pas rester aussi longtemps que je le voudrais. April passe du temps avec moi, Jordane aussi. Même Maelys vient me faire un peu de lecture. Et Jena se montre toujours aussi rassurante, maternelle et j’en passe. J’ai de la chance, je suis merveilleusement bien entourée.

J’essaie tant bien que mal de me relever, le poids de mon ventre manquant de me faire basculer en avant alors que mon bébé appuie sur ma vessie. « Si tu peux attendre encore quelques secondes, ce serait bien aimable de ta part mon grand… » Soufflé une main sur ce qui semble être une bosse provoquée par un pied un peu trop agité. J’ai un sourire attendri alors que j’arrive à me trainer tant bien que mal vers la salle de bains. Et c’est soulagée que j’arrive à me rincer un peu le visage, à me recoiffer même. « Il faudrait que je me lave les cheveux. » Mais l’idée même m’épuise et, avant que j’ai le temps de dire ou de faire quoi que ce soit, voilà que deux infirmières arrivent et ne commencent à me sermonner parce que j’ai commis l’imprudence de me lever.  

Et chaque jour ressemble un peu plus au précédent, jusqu’à ce que je finisse enfin par rentrer à la maison. J’espère que là, en sécurité derrière ces murs, je pourrais enfin faire une nuit complète sans que les cauchemars ne prennent le relai. D’ici là, je me laisse porter par April qui signe à une telle vitesse qu’elle me donne le tournis. Finalement, papa chasse tout ce petit monde et je ferme les yeux quelques instants, alors qu’il empile une demie-tonne de coussins dans mon dos. Et, avant qu’il ait le temps de s’éloigner, je pose une main sur son bras. « Je vais bien papa. Le Docteur Yeo-Jeong s’est très bien occupé de moi. Et sa femme aussi, elle a veillé sur moi et m’a protégée alors qu’elle est elle-même enceinte. Il faudra les remercier. » Je me doute que ça ne va pas lui plaire, mais c’est la vérité. Beaucoup de choses restent floues sur cette journée, mais ça, je ne l’oublierais pas.

Et j’ai un sourire fatigué à son attention alors qu’il reprend. « Je me sens en sécurité ici. » Pour autant, j’ai un temps d’hésitation, avant de souffler, à mi-voix. « J’aimerais… que tu empêches les miliciens de continuer de m’interroger. Je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas arrêté de venir me voir quand j’étais à l’hôpital. Tu crois que tu pourrais le faire ? » Je ne veux pas qu’ils passent cette porte, je veux enfin pouvoir passer à autre chose. Et, plus par réflexe qu’autre chose, j’attrape un des biscuits, croquant dedans sans vraiment réfléchir.  

Lynn m’assura aussitôt qu’elle allait bien. Je regardai longuement sa main portée à mon bras, d’une pâleur inquiétante, avant d’hocher la tête d’un air assez peu convaincu. « Ca n’aurait jamais dû arriver… » Soufflai-je d’une voix lointaine, sans la regarder directement. « Et j’aurais dû être là. » Encore une fois, le Docteur Yeo-Jeong avait réussi à faire un miracle là où je serais sans doute resté parfaitement impuissant à la regarder s’éteindre entre mes bras. Ce ne devrait pas être dans l’ordre des choses. Ca s’était déjà produit une fois, et je ne voulais plus jamais avoir à porter le deuil d’un de mes enfants.

« Remercier Neela… ? » Je lui lançai une œillade en coin, avant de pousser un soupir retentissant. Cette femme était une véritable épine dans mon pied, mais sa tristesse à la mort de Willow avait été sincère. Elle avait sans doute eu à cœur d’empêcher à ses enfants de connaître un sort identique. « D’accord, Lynn. Je le ferais. » Je pouvais sans doute lui faire apporter des fleurs avec un mot de remerciement rédigé à la va-vite, ce qui me dispenserait de devoir me rendre en personne jusque chez elle. Ca m’aurait arraché la bouche de devoir lui dire en face-à-face.

J’eus une brève hésitation quand elle me confia se sentir en sécurité ici. « Lynn… » Je songeais aussitôt aux rapports que j’avais lu, quelques jours plus tôt. Victime collatérales tolérées… Ma main vint enserrer doucement la sienne, presque tremblante. Je baissai le regard, réticent à l’idée de faire voler toutes ses certitudes en éclat. « Des miliciens t’interrogent ? Vraiment ? » J’étais surpris. Je n’avais pas lu de dossier concernant ma fille, mais il devait bien en avoir un qui avait été monté de toutes pièces. Ils devaient la soupçonner de faire partie de ce mouvement rebelle, puisqu’elle avait essuyé une balle pour eux. Ma mâchoire se crispa avec force rien qu’à cette idée. « Je vais m’occuper d’eux, Lynn. Ils ne t’importuneront plus. » Mon statut de Trône avait au moins cet avantage. Je pourrais rapidement faire taire les mauvaises langues et leur dire de tracer leur route. Que ma famille puisse seulement être remise en cause était impensable. « Est-ce que tu peux me dire ce dont tu te souviens là-bas ? » Lui demandai-je avec douceur.

Je vois bien à son regard qu’il a du mal à me croire. Et pourtant, c’est le cas. Je me sens bien mieux ici qu’à l’hôpital et je suis heureuse qu’il soit là. Ses paroles font pourtant écho d’une certaine façon à mes pensées et j’ai un bref soupir, gardant toujours ma main sur son bras « Tu avais fort à faire. Et je sais que tu ne pars pas d’ici de gaité de cœur. Personne n’aurait pu deviner ce qui allait se passer. » J’ajoute, d’une voix plus douce, reprenant sans même m’en rendre compte les mêmes inflexions que maman quand elle essayait de me rassurer. « Tu étais là où ton devoir te menait papa. Tu n’as pas à t’en vouloir parce que des insatisfaits ont décidé de faire entendre leur voix une fois de plus. » Une fois de trop.

Mais je hoche la tête au reste, retenant un sourire amusé quand il soupir. « Je sais que ça ne t’enthousiaste pas. Je peux même écrire le mot si tu veux. » Parce que je suis à peu près certaine qu’il n’ira jamais la remercier de vive voix. « Mais il faut savoir reconnaitre quand les gens nous ont aidé. Et c’était le cas. » Quels que soient les ressentiments qu’il peut avoir pour Neela. Et quel que soit l’avis que je peux avoir sur elle également.

J’ai un froncement de sourcils à voir sa réaction et à l’entendre souffler mon nom. Et je lui laisse quelques secondes, voyant bien que tout ça le trouble encore plus que je l’aurais cru. J’ai une moue, avant de finir par reprendre, d’un ton un peu agacé. « Oui, ils sont venus plusieurs fois à l’hôpital. Et ils sont revenus à la maison une fois, en ton absence. Mais bizarrement, depuis, ils n’ont pas osé franchir le seul de la porte. » Je roule des yeux, reprenant, non sans une grande inspiration. « Je pense qu’ils s’imaginent que j’ai un lien quelconque avec… ce qu’a pu faire Ray. Et que si on m’a tiré dessus, c’était à cause de ça. Ce sont en tout cas les conclusions que j’ai tirées de leurs questions. » J’essaie de ne pas lui dire à quel point ils m’ont brusquée, il a l’air suffisamment agacé comme ça. Mais qu’il me dise qu’il va s’occuper d’eux me soulage. « Merci papa. » Soufflé d’une petite voix, alors qu’il me demande de me replonger dans les souvenirs de cette journée.

Et j’ai une grimace. « C’est un peu … confus. Sur certains points. Je me souviens que nous étions enthousiastes avec Jordane. Elle voulait avoir la chance d’approcher notre Adonaï et je voulais qu’elle en profite. Mon statut de femme enceinte m’a valu d’être sur le devant de la scène et tout se passait bien. » Un froncement de sourcils. « Jusqu’à ce que je finisse par remarquer que certaines personnes avaient des masques et ils ont commencé à réclamer des choses. » Je secoue la tête, non sans un nouveau soupir. « Plus de libertés. La justice. La vérité. Certains ont commencé à leur répondre. J’en ai fait de même avec Jordane. » J’ai un regard en direction de papa, pas certaine qu’il apprécie que je me sois mise sur le devant de la scène. « Une des femmes… l’épouse d’Elijah… elle a giflé Jordane en la traitant d’idiote. Tout ça parce que mon amie s’est mise devant moi pour me protéger. Et après elle a… » J’écarquille les yeux à cette pensée et je souffle, dans un murmure horrifié. « Elle a déchiré une Bible papa. Page après page. C’était terrible. » Le reste me semble d’un coup plus flou. « Après c’est comme si tout s’était enchainé. Il y a eu un cocktail molotov de lancé, des coups de feu. J’ai vu Jordane tomber au sol et j’ai eu très mal d’un coup… » Je pique du nez, me mordillant l’ongle du pouce, alors que, sans le vouloir, des larmes commencent à m’embuer les yeux. « Je… je ne suis pas sûre que ce soit bien utile tout ça, je suis désolée. »

« Vous devriez être en sécurité entre ces murs, Lynn. A quoi bon me battre à l’autre bout de l’Etat si vous ne l’êtes pas ? Ça n’a plus aucun sens. » Unifier le monde sous une même bannière ? Apporter le salut à ceux du dehors ? Suivre notre guide ? Toutes ces luttes acharnées perdaient de leur signification profonde si mes enfants ne pouvaient pas vivre en sécurité, loin du danger. Ce que je me devais de combattre avec force et conviction était entre ces murs : la corruption, la révolte… et non une menace illusoire d’une communauté à des centaines de kilomètres de là où nous nous trouvions. Seattle avait été une perte de temps et d’énergie au bout du compte.

Ma fille me proposa de se charger des remerciements à Neela en mon nom. Je secouai la tête négativement. « Je vais m’en charger. » Ca m’en coûterait, mais c’était toujours moins pire que de lire le rapport concernant cet événement. Victimes collatérales tolérées. Ces mots tournaient encore et encore dans mon esprit. Une colère froide me fit vibrer l’espace de quelques secondes, à l’entendre me relater les derniers événements en mon absence. Pour couronner le tout, ils soupçonnaient ma fille d’être dans la résistance ? « Encore à cause de lui… » Ray, évidemment. « Je vais régler la question, le doute ne sera plus permis. Et ils te laisseront tranquille. » Il me fallait faire taire ces commérages. Retrouver les miliciens concernés ne serait pas compliqué, juste à la lecture des rapports. Ils devaient déjà se douter qu’ils risquaient d’être dans mon collimateur avec mon retour. Ils avaient sans doute décidé de faire profil bas, mais il n’était pas question que ces vautours reviennent à la première occasion tourmenter ma fille enceinte.

L’entendre me raconter qu’elle avait seulement voulu voir son idole avec sa meilleure amie me serra le cœur. « Il faut impérativement que tu fuis ces regroupements, Lynn. » J’avais passé cette consigne pour Maelys, mais je devais visiblement le faire pour chacune d’entre elles. « Ils sont autant de prétextes pour les résistants de passer à l’action. » J’avais effectivement lu qu’Hoani Hayworth avait été la principale fauteuse de troubles de ce rassemblement. Son geste avait été fort, mais la situation avait définitivement dégénéré quand ce cocktail molotov avait été lancé. Je la fixai longuement, sans mot dire. « Tu n’as rien entendu d’autres ? L’Adonaï a donné l’ordre d’ouvrir le feu… » Mes lèvres se plissèrent, un pli préoccupé naissant sur mon front. Etais-je vraiment prêt à faire voler en éclats toutes ses croyances ? Je décidai de le passer sous silence dans l’immédiat. « Comment va Jordane ? » Lui soufflai-je doucement, finalement. Peut-être que son amie lui en avait déjà soufflé deux mots ? Ou alors, elle n’en savait rien.

J’ai une moue à la remarque de mon père. Jusqu’à présent, jamais je n’aurais remis en question le fait de ne pas être en sécurité entre ces murs. « Ca… ça a forcément du sens. » Il ne peut pas en être autrement. Il faut juste comprendre ce qui s’est passé, ce que ça peut impliquer et tout deviendra plus clair. Et je ne veux pas qu’il s’inquiète en son absence, je sais que c’est déjà compliqué pour lui de partir, de laisser ses enfants, surtout son fils. Alors je n’ai pas envie d’en rajouter et une part de moi se sent coupable d’avoir engendré tout ça.

Je finis tout de même par hocher la tête en retour, à l’évocation de Neela. « D’accord. J’irais tout de même la remercier pour moi. Et pour le bébé. » Impossible par contre de ne pas sentir la colère émaner de lui quand j’évoque Ray et je me sens soulagée de ses paroles. Je souffle tout de même, d’un ton contrit. « Je lui en veux tellement. D’avoir… agi comme ça. D’avoir tout gâché. Je n’ai pas envie qu’il approche mon fils. Et je ne veux plus jamais avoir à faire avec lui. » Il continue encore de me pourrir la vie, même alors qu’il est loin. Et je refuse que son ombre plane sur le bien-être de mon fils. Je serre les dents à cette pensée, me raccrochant au fait que papa règlera tout ça, qu’on me laissera enfin tranquille et que je peux le rayer de ma vie.

Et, quand il continue, j’ai tout de même un froncement de sourcils à ses paroles. « Je ne suis pas d’accord avec toi. » Je suis plus assurée que je l’aurais cru dans mes propos, mais je relève la tête pour le fixer. « Fuir ces rassemblements, c’est donner raison à ces anarchistes et à ces mécontents et leur laisser toute latitude pour déblatérer leurs mensonges. Je ne veux pas leur montrer que j’ai peur. Je suis fière de ce que nous avons accompli, de mon rôle en tant que femme, épouse et future mère. Et ne pas se montrer lors de ces manifestations, ce serait être lâche. » J’entends parfaitement qu’il s’inquiète pour moi, mais je veux aussi qu’il comprenne mon point de vue. Et je ne regrette pas d’y être allée. Ou d’avoir parlé devant tous ces gens. Je ne regrette pas qui je suis. Je secoue la tête au reste de ses propos. « Je n’ai rien entendu de tel. Mais je te l’ai dit, tout s’est passé très vite. » J’ai un bref soupir mais, à l’évocation de Jordane, mon visage s’illumine. « Elle va bien. Sa blessure à la jambe n’est pas si grave et elle a pu sortir rapidement. Elle vient me voir tous les jours tu sais, elle est adorable. » J’ajoute, fronçant le nez. « J’espère qu’elle trouvera un époux digne d’elle. » Et je sais que papa l’apprécie, bien plus qu’il a pu apprécier Grace notamment. Pour autant, elle aussi reste mon amie, une des meilleures, même si Jordane a, à sa façon, comme supplanté toutes les personnes que j’ai pu croiser avant elle.

L’hésitation dans la voix de Lynn était palpable. Je ne m’étais même pas rendu compte d’à quel point je lui imposais subitement mes doutes et mes incertitudes. Avoir manqué de la perdre en étant à l’autre bout de l’Etat remettait tout en cause pour moi, mais elle n’avait pas besoin de le savoir. Mon aînée faisait preuve d’une résilience remarquable. Malgré tout, elle avait plus que jamais besoin d’être rassurée, entourée.

Je pressai doucement sa main, venant ancrer mon regard en le sien. « Il ne t’approchera plus, je vais m’en assurer. » C’était une promesse faite. Ray ne lui pourrirait plus davantage la vie. Si elle était prête à tourner la page, j’allais évidemment l’aider à le faire d’autant plus vite en faisant taire les mauvaises langues à son sujet.

Un froncement de sourcils désapprobateur vint néanmoins accueillir sa tentative de rebuffade. Depuis quand Lynn refusait-elle simplement d’obéir sans poser de questions ? « Que tu sois d’accord ou non avec moi ne change rien au fait que tu n’iras plus à ces rassemblements. Je me fiche des autres, Lynn. Mais tu es ma fille. Et tu n’es pas un soldat qui part au front. Tu n’aurais même pas dû te retrouver mêlée à ça, et encore moins essuyer les balles. » Qu’elle prenne ce refus pour de la lâcheté acheva de m’énerver. « Tu es enceinte. Tu devrais avant tout songer à mettre ton enfant à naître à l’abri, c’est déjà un miracle qu’il ait survécu. » Il était temps qu’elle revoit ses priorités. « Je me charge des anarchistes. Les représailles risquent d’être violentes, crois-moi. » Nous avions déjà des pistes sérieuses visant leur planque habituelle. Je ferais en sorte de confirmer ces doutes et d’être celui qui leur portera le coup fatal, pour rétablir l’ordre et la sécurité entre ces murs.

Lynn m’affirma qu’elle n’avait pas entendu l’Adonaï proférer cet ordre. J’avais du mal à déterminer si c’était vrai ou si elle était probablement dans le déni. Je tapotai sa main dans un signe d’apaisement, orientant plutôt la discussion sur son amie. « J’espère aussi qu’elle trouvera un époux à sa hauteur, tout comme toi. » Je lui souris doucement, avant de l’embrasser sur le haut du crâne. « Tu devrais te reposer maintenant, nous reparlerons plus tard. » J’espérais, qu’entre temps, elle serait revenue à la raison et se tiendrait tranquille à l’avenir.