La LM se gare enfin. Le voyage m’a semblé durer une éternité, surtout dans ce bazar répugnant que j’ai commencé a ranger. Comment trouver James ? C’est simple, il suffisait de suivre Isha. Les fous s’aimantent entre eux. Je n’aime pas avoir eu a mentir a Daemon et a Connor, mais impossible que le premier me laisse aller au bout de mes idées, quant à l’autre… impossible de lui dire sans tout lui dire. Officiellement, je vais juste a JK avec Isha pour faire affuter des lames. Evidemment, je n’ai pas plus demandé son avis à Isha que je l’ai prévenu de ma présence dans la LM.

J’attends patiemment dans cet endroit qui a été réorganisé, pas assez a mon gout, et passablement nettoyé quand j’entends des éclats de voix alors que la porte s’ouvre enfin.

« Tu verras, celle la est presque neuve et a ta taille. J’en ai un peu chier pour la récupérer mais avec ca, non seulement on peut se faire passer pour des NE mais en plus aucun risque de se faire percer la couenne et … OH PUTAIN !! MAIS BORDEL ???? QU’EST-CE QUE TU AS FOUTU ?!!! BORDEL ELLES SONT OU MES AFFAIRES ?!!!
- Juste rangées Isha.»

Je suis debout devant l’entrée, le menton haut, ignorant le sursaut d’Isha ou son air paniqué en voyant son camion rangé. Je reste a fixer l’homme blond derrière lui. Plus d’un an que nous nous sommes vu. Il n’a pas changé. Ma voix est presque hautaine quand je m'adresse a lui:

« Bonjour James. Je crois que nous avons a parler toi et moi, dans notre intérêt mutuel.
- NON MAIS T’ES SERIEUSE ??? T’AS MEME PAS TRIER LES BD PAR HEROS?
- Non Isha, il y a des dates de parution et des numéros et….
- MAIS T’AS MIS DES DEASPOOL AVEC DES SPIDERMAN ET DES DAREDEVIL ????
- C’est pas la même choses ?? Ils ont les memes costumes non? Attends, tu sais quoi, je te laisse remettre un peu d’ordre dans tout ca, pendant ce temps là, James et moi on va aller discuter. N’est ce pas James ? »
-
J’ignore complétement les jérémiades vulgaires d’Isha, qui ne semble absolument pas se rendre compte de ce qui se passe vraiment ici. Je pousse le vice a faire un geste qui me dégoute profondément mais qui montre bien que je ne suis pas la pour reprendre ma place de victime. Je tends la main a James pour qu’il m’aide a descendre, le regard froid plongé dans le sien.

Tout n’était qu’un perpétuel recommencement. Sa vie était tel un cercle qui le ramenait sans cesse à la même fin, au même début. Depuis qu’il avait quitté Tower Hamlets à Londres, James passait son temps à voler d’un endroit à un autre. Dès lors qu’il ne trouvait plus d’intérêt pour sa propre personne, il disparaissait. Avant l’Apocalypse, ses départs étaient discrets, sans un bruit. Et puis, le Monde avait tremblé, le Monde avait cessé d’exister tel qu’on le connaissait. Ce fût à cet instant qu’il ne disparaissait plus sans un bruit mais dans le fracas, dans le sang. Les morts lui avaient offert ce qu’il avait toujours tenté d’étouffer au plus profond de lui.  

Avec un détachement naturel et qui lui était propre, l’anglais était donc parti pour tout recommencer. Un nouvel endroit, de nouvelles têtes, un nouveau terrain de chasse. Seul Isha était resté le point inchangeable de cette énième nouvelle vie. Il était d’ailleurs en sa compagnie aujourd’hui, comme bien souvent. James n’était pas décidé à laisser filer son fidèle ami –ou chien de garde de son point de vue silencieux – car il savait que le brun le suivrait au bout du Monde s’il le lui demandait, il savait également qu’il ferait un allié de poids le moment venu. Alors, dans sa grande générosité, l’ancien garde du corps avait concédé à aider Deadpool dans sa guerre Sainte. Cela lui permettait de joindre l’utile à l’agréable. Il se montrait fidèle et loyal envers Isha (et, dans le fond, peut-être l’était-il réellement) tout en pouvant étancher sa soif de chair, de sang.  

L’escort boy écoutait avec attention ce que lui racontait son ami avec enthousiasme, de ces nouveaux costumes qui leur permettraient, selon ses dires, de se balader parmi les soldats de New Eden. Un fin sourire étirait ses lèvres à cette idée, dans l’expectative de cette délicieuse adrénaline. Jusqu’à ce qu’Isha ne se mette à hurler et que James ne se fige. Il ne lui fallut pas plus d’une seconde pour reconnaître la silhouette qui se dressait à l’intérieur du camion. Un rire nasal lui échappa devant l’audace qu’affichait Alex. C’était pitoyable.  

- Je t’aiderai à tout déranger, bro... Ou à tout ranger dit-il amicalement  

Il avait opté pour ignorer totalement la brune. Après tout, son intérêt pour un vieux jouet usé était proche de zéro, si ce n’est moins. Il lui accorda toute fois un regard, ni amical, ni froid. Le genre de regard que l’on pouvait arborer dans la rue lorsqu’on ne s’émerveillait pas du paysage ou que les gamins pouvaient porter aux jouets qui ne les intéressaient pas. Le genre de regard qu’un enfant de dix ans porterait sur un hochet de nourrisson.  

- Bonjour finit-il par lâcher, sans prendre le temps de nommer cette femme Je n’ai personnellement rien à te dire mais après tout, je peux t’écouter

Il se pencha légèrement vers Isha.  

- Tu me montreras plus tard ce que tu voulais me montrer, il y a une demoiselle en détresse qui a besoin de Captain Seattle apparemment dit-il en feintant de chuchoter mais en parlant assez fort pour être entendu par Alex avant qu’un rire ne filtre entre ses lèvres  

L’escort boy posa son regard sur la main hautaine que lui tendait Alex sans pour autant lui rendre cette main tendue.  

- Si tu as réussi à monter toute seule, tu peux descendre toute seule. J’imagine que ça doit être urgent, si tu fais le déplacement jusqu’au Store pour me voir  

Il n’avait que faire de ne pas être un gentleman devant Isha et puis, si ce dernier lui posait la question, il répondrait simplement qu’il n’était pas d’humeur à aider une hérétique qui osait mélanger Spiderman et Daredevil.

C’est assez étrange de le revoir. En fait je ne sais pas dire ce que je ressens alors que nous nous regardons derrière nos masques respectifs. Le monstre avec son visage de pseudo héro et moi la victime derrière celui de la femme sure d’elle. D’une certaine façon, j’aurais espéré qu’il meurt entre les mains des NE, mais de l’autre, avoir appris par Isha qu’il se rendait vraiment utile m’a fait revoir ma position.

Que cela soit pour notre deal ou parce qu’il est prisonnier dans cette peau de super héros, il est obligé de suivre cette voix pour assouvir sa vraie nature. Condamné a joué son rôle jusqu’au bout et j’avoue que le petit sourire suffisant qui s’affiche sur mes lèvres n’est pas joué. Je sais a quel point ce narcissique a besoin d’être vue et d’exister sans se cacher et j’espère de toute mon âme qu’il étouffe dans sa combinaison de latex plus que moi quand je devait porter ce collier pour chien. Il n’a rien à me dire ? Tant mieux, je sais qu’il est de ceux qui font autant de dégâts avec des mots qu’avec le reste. Mon menton haut et avec une froide politesse surjouée je lui réponds :

« Cela me suffira amplement. Surtout qu’on dit que les hommes d’actions manquent cruellement de conversation. »

Isha continue de râler et pester avant de revenir vers nous quand le fou parle de moi en tant que demoiselle en détresse.

« Putain mais tu fais tellement chier Alex. Comment Connor a pu valider cette connerie !??? Vous faites vraiment tous chier ! Y’a aucun respect là ! MERDE ! Qu’on m’empêche de baiser la prude, c’est une chose, qu’on me force a bouffer des saloperies de légumes aussi mais ca, c’est une intrusion dans mon intimité !!! »

Il est vraiment en train de se mettre en colère pour le rangement ? Est-ce que je réalise que je suis potentiellement entre deux psychopathes en puissance ? Pas vraiment. Connor a confiance en Isha, et moi j’ai confiance en Connor. Ce n’est pas le refus du fou de me tendre la main qui me fait réagir, on contraire, ca, j’y vois du soulagement et vais même m’imaginer une petite victoire, c’est autre chose qui me pâlir.

« Le store ? Comment ça on est au store ? Tu avais dit que tu allais a JK ?!!!»

Je n’ai pas le temps d’en dire plus qu’Isha me prends par la taille, ignorant mon hoquet de surprise, et me fait descendre sans délicatesse de la LM en se moquant, sans ce rendre compte de la panique qui monte en moi.

« Les meufs, toutes les mêmes, quand il faut grimper, y’a du monde, mais quand il faut prendre le large il faut des tenailles. Bah oui, princesse, j’étais juste en essence alors j’ai changé de destination en cours de route. T’avais qu’a mieux choisir ton Uber si t’es pas contente. »

Je me retrouve au sol, lançant des regard inquiet sur le bâtiment non loin de nous. C’est le dernier endroit au monde ou je voudrais être, surtout avec le fou. Mais c’est trop tard pour faire marche arrière. J’essaye de lisser mes vêtements pour me donner une contenance pendant que celui a qui je vais tordre le cou continue sa tirade a mon ancien bourreau :

« Par contre celle là, c’est chasse gardée, elle est mariée, voir elle a deux mecs et pas du genre brindilles. Bref, je sais pas trop ce qu’ils foutent entre eux et qui a des gosses avec qui, mais va pas foutre la merde avec ta belle gueule de séducteur, même si elle te supplie comme les autres.
- Quoi ?? Mais qu’est ce que tu racontes ???
- Par contre bro, pas de blague, y’a des sales rumeurs sur le Store. Si vous allez là-bas et que ca chie je compte sur toi pour ramener son petit cul entier.»

Lui se marre, moi je le regarde choquée sans être sûre de comprendre l’idée. Je ne connais pas bien Isha mais je crois que cette excursion ne va pas m’aider a le trouver plus sympathique. Je me tourne vers le fou en essayant de me reprendre comme je le peux :

« Je vois que tu sais choisir tes amis. »

C’est un peu raide que j’avance, espérant ne pas avoir a aller dans cette fosse a requin qu’est le store a mes yeux. Avec un peu de chance, les choses seront dire avant que nous atteignions le parking. J’attends que l’on s’éloigne pour aborder la raison de ma venue ; je n’ai pas envie de faire plus de politesse ou de causette que nécessaire avec cet homme.

« D’ailleurs, c’est pour cela que je suis ici. Je veux que tu me balances un de tes amis. Celui qui m’a mordu. Son nom, a quoi il ressemble et ou le trouver. »

Le vide. Le néant. Voilà à peu près ce que ressentait James à l’instant où son regard perçant s’était posé sur son ancien jouet. Il y avait bien-sûr eu une légère pointe de curiosité qui avait tenté de percer le voile de son esprit mais qui avait rapidement été balayé devant l’attitude qu’affichait Alex. Comment avait-il réussi à s’amuser et prendre autant de plaisir avec elle ? C’était une grande question à laquelle l’anglais ne savait répondre. La folie prenait bien trop souvent possession de son corps pour qu’il puisse trouver une explication logique et rationnelle de ses actes. Il leva d’ailleurs brièvement les yeux au ciel à la réflexion de la brune.  

- Et que c’est pour palier à cela qu’il y a toujours une femme à l’existence vide qui ne cesse de jacter à côté des hommes d’action, c’est bien ça ? demanda-t-il en regardant Isha, amusé.  

Mais ce dernier, quant à lui, était loin d’être aussi enjoué. Il déblatérait sur ce qui l’agaçait. L’ancien garde du corps lui, était détendu, comme bien souvent au côté du brun. Il ne craignait rien, pas même les mots de l’Expendable. Elle ne pouvait rien contre lui, il le savait, depuis le temps. Jusqu’à ce que, soudainement, quelques muscles ne se tendent dans son corps et que, telle une bête face à une proie, les poils de sa colonne vertébrale ne s’hérissent. Son jouet usagé venait de commettre une erreur. Une seule et simple petite erreur. Son teint venait de devenir blafard, son regard semblait chercher quelque chose, frénétiquement. Elle n’était pas où elle désirait être. Mieux encore, elle semblait paniquer. James avait passé tellement de temps avec elle qu’il avait fini par déchiffrer son langage corporel et ce n’était pas son menton haut qui ferait illusion.  

Une faible lueur s’alluma alors dans le bleu des yeux du britannique. Elle était frêle, naissante mais elle était là, cette lueur maline qu’Alex ne connaissait que trop bien. Son regard se planta alors dans les yeux hagards de la jeune femme. Cette fois-ci, il la voyait. Cette fois-ci, un certain intérêt se dévoilait. Il ne regardait plus Isha, quand bien-même il l’entendait.  

- Elle ne m’intéresse pas, t’inquiète pas bro. Et puis, tu me connais, je ramène toujours les femmes entières, non mais dit-il en riant alors que son sourcil se redressa, les yeux toujours plantés dans ceux d’Alex  

L’ancien garde du corps se mit alors en marche. Si la brune ressemblait à un piquet, lui était d’une nonchalance presque naturelle. Son pas était expressément lent, comme chacun de ses mouvements. Il ne se défaisait pas de son sourire narquois alors qu’il réalisait qu’un petit jeu allait pouvoir démarrer. Il ne broncha pas aux dires d’Alex. Il laissa même les secondes s’étirer dans le temps, marchant toujours en direction du Store.  

- Tu exiges des choses maintenant ? concéda-t-il à répondre  

Il regarda au loin. Il devait tenir cette conversation assez longtemps.  

- Tu parles de quel ami ? J’en ai des tas tu sais lâcha-t-il sans cacher son amusement  

Puis, à nouveau, il ne pipa mot pendant plusieurs secondes avant de reprendre.  

- C’est joli ici, tu ne trouves pas ?  

Il regarda par-dessus son épaule, Isha était trop loin pour les entendre et autour d’eux, il n’y avait pas âme qui vive à plusieurs mètres.  

- Tu parles de mon ami qui t’a attaché dans une cave ?

Une nouvelle pause, un nouveau pas en avant.

- Une cave humide et sans fenêtre ? Avec une odeur particulière... comment c’était déjà ? Je suis sûr que tu pourrais me décrire l’odeur...  

James aimait ça, raviver les souvenirs.  

- Et dans cette cave humide, sans fenêtre, à l’odeur particulière... tu parles de mon ami qui t’a fait découvrir des objets ?  Qui a touché ta peau avec ses mains rugueuses et ses dents un peu trop acérées ?

Au loin, il pouvait à présent distinguer le brouhaha du Store.  

- Mon ami qui avait caché ton visage pendant tout, qui m’a demandé de brûler ta peau avant que je découvre que c’était toi ? Le H est toujours là? C'est bien de cet ami qu'on parle ? demanda-t-il, d’une voix neutre, pivotant légèrement son visage pour apercevoir celui d'Alex

Je coule un regard vers le fou pour croiser le sien qui cherchait aussi le mien lorsqu’il affirme toujours ramener les femmes entières. Je ne détourne pas les yeux.  Je ne montre ni la peur ni le dégout qu’il m’inspire, j’essaye de cacher sur un masque de froid mépris ce que je ressens vis-à-vis de l’objet de mes terreurs nocturnes. Je me réveille encore trop souvent la nuit en sursaut, couverte de sueur et tremblante de peur, incapable de m’apaiser sans la présence de Daemon. Par mimétisme, j’arque un sourcil avant que la commissure de mes lèvres s’étire doucement vers un sourire cynique. Ce n’est que lorsque qu’on s’éloigne de grincheux que je lâche un petit commentaire suffisant :

« Donc il ne sait pas ce que tu es lui non plus ? Quelle tristesse de n’être apprécié que pour le rôle que tu joues. Je me demande comment il réagirait s’il apprenait qui est vraiment son super pote ?»

En fait ca me rassure qu’Isha ne sache pas. Si ces deux là avaient été de mèche, ma position ici aurait été trop précaire pour être tenable. Finalement, Connor avait peut-être raison sur le mécano qu’il m’impose. Je me dis que si le fou ment a Isha, c’est qu’il le craint surement : une carte intéressante à garder dans ma manche. Cette petite victoire semble fondre aussi surement qu’un glaçon dans le désert a chaque pas qui nous rapproche de la forme sinistre du store. L’antre où se tapis celui qui a déchiré mes chaires, me plongeant dans l’horreurs et hantant mes cauchemars les plus sombres avec cette promesse de me faire subir ce qu’il a fait a la femme avec moi.

J’essaye de ne rien perdre de ma belle assurance, mais je sens bien que ma démarche se raidit et ma bouche de plus en plus sèche. Je tente toujours de donner le change, vaguement consciente que plus on s’éloignera d’Isha, plus on ira vers là où je pense être « l’ami » que je redoute, plus ca sera compliqué pour moi de tenir ce masque en présence du prédateur a mes côtés. Même s’il se sert de sa tête, je connais assez le fou pour savoir qu’il peut avoir des coups de sang aussi subits qu’imprévisibles.

Pour lui répondre, je m’applique a prendre le même ton que lui quand il m’avait dit qu’il avait mis un préservatif juste après m’avoir demandé mon consentement :

« Pourquoi ? Tu espérais un s’il te plait peut-être ? »

S’il y a bien un langage qui parle au fou, c’est le sien. J’ai toujours eu plus de résultat en me calquant sur lui-même si ça implique de repartir sur des souvenirs pénibles. J’essaye de me rappeler que je ne suis plus la même. Je ne suis plus une victime muselée. Il ne peut plus rien contre moi. Un mot de ma part et le jeu des alliances se lancera contre lui broyant le peu de vie qu’il a pu se construire ici, quelle que soit sa vie. C’est le mantra qui m’aide à rester droite et a avancer vers ce qui est un supplice pour mes nerfs. Cela ne m’empêche pas de tempérer :

« Et comme je pense que tu n’es pas le genre de créature a aimer perdre son temps avec une femme a l’existence creuse qui aime jacter ou a vouloir mon avis sur ton shopping, j’imagine que l’on a pas besoin d’aller plus loin pour que tu me dises ce que je veux savoir. »

Je ne sais pas pourquoi je m’étais imaginée que cela serait rapide et sans dommage, que James était à terre avec ce jeu de chantage dans lequel nous avions trouvé, plus ou moins, un arrangement. Mais, même au sol, il arrive encore a cracher son venin de la pire façon qui soit. Je leve les yeux au ciel sans cacher mon agacement incrédule quand il me parle de ses tas d’amis, je me fige et tressaille, bien malgré moi dès qu’il enchaine de la plus perfide des manières.

Je sais pertinemment que s’il voit une seule faille dans ma cuirasse, cela sera comme une goute de sang non loin d’un requin, mais chacun de ses mots me glace et me ramène a ces quelques jours d’enfer qui m’ont marquée plus qu’au fer rouge. Je suis incapable de réprimer un frisson glacé, ou de résisté a l’envie de serrer les pans de mon manteau sur ma poitrine à mesure qu’il parle, prenant un malin plaisir a ajouter toujours un peu plus de ces petits détails que je peine a oublier dans les bras de Daemon. Surement que toute la couleur qu’il pouvait y avoir sur mon visage n’est plus là. Mon sentiment de vulnérabilité du fait de la présence du fou, de ses paroles, aussi, est plus que décuplé alors que nous pénétrons dans ce vaste centre commercial, mais c’est le menton haut et sans baisser les yeux, avec ce réflexe de bravade que j’ai toujours eu avec lui que je m’arrête :

« Tu sais très bien de qui je parle. Maintenant, ne t’y trompe pas, je ne suis pas là par envie ou politesse. Il va y avoir une chasse a la sorcière qui va commencer, a toi de me dire si tu veux être de ceux qui tiennent les torches ou de ceux qui sont sur le bucher. »

La trouvaille de son ancien jouet venait à peine de commencer qu’elle était déjà bien trop longue à son goût. Las, James leva les yeux au ciel, en secouant la tête de gauche à droite. Une fois de plus, Alex se montrait bien présomptueuse et pensait tout savoir, tout connaître. Tout gérer. Elle parlait comme si elle connaissait Isha, comme si elle connaissait James. Elle ne connaissait que ce que l’anglais lui avait montré. Elle ignorait tout de la profondeur abyssale de l’esprit de James. Ce dernier souffla, ironisant la situation.

- Tu ne sais donc toujours pas que j’adore le sarcasme ? Tu n’as pas vu ? Bien-sûr que non, tu n’as pas vu l’ironie, toujours trop concentrée à être persuadée que tu sais tout que tu ne vois rien. Heureusement qu’on a quelques minutes de marche devant nous pour que je puisse t’expliquer à quel point Isha et moi on adore l’ironie. À ton avis, pourquoi est-ce qu’il a voulu préciser qu’il fallait que je te ramène en entière ?

Un léger rire lui échappa. Bien-sûr qu’Isha n’était pas au courant de tout. Tout comme avec Alex, le britannique lui montrait seulement ce qu’il voulait. Mais ça, la brune n’était pas censée le savoir et sa déduction ne pouvait qu’être ébranlée par ce qu’il venait de lui dire. Cette fameuse graine du doute qu’il adorait planter dans les esprits pour qu’elle ne germe. Pas assez pour en être persuadé mais juste ce qu’il fallait pour instaurer un simple “et si?”.

Et la brune avait beau redoubler d’efforts, elle ne pouvait pas cacher ce qui était bien trop visible à l’oeil. Si le regard de l’ancien garde du corps s’attachait au Store, il s’amusait de temps à autre à zyeuter sur le côté. Et plus les secondes passaient, plus il parlait, plus il voyait le langage corporel d’Alex évoluer. Elle ne voulait pas être là. Elle ne voulait pas être à ses côtés. Elle ne voulait pas l’entendre. Mais après tout, ce disait-il, c’était elle qui était venue le chercher alors pourquoi ne pas s’amuser un petit peu ? Rien de bien méchant, juste le temps de lui remémorer quelques bons souvenirs, le temps de s’assurer qu’il l’avait bel et bien marqué à vie et que là était sa plus belle des tortures.

La dépassant par sa taille, James tourna légèrement le visage, toisant la jeune femme avec un sourire satisfait aux lèvres.

- Inutile de lever le menton avec moi, ça ne fonctionne plus. Enfin, ça aurait pu fonctionner si tu n’étais pas aussi blanche que ta compagne de chambre à la fin de son entrevue avec mon “ami” et que tu n’étais pas comme une enfant à tirer sur tes vêtements.

Si Alex avait décidé de s’arrêter en pleine marche, l’escort boy ne l’entendait pas de cette oreille. Elle avait besoin d’une information qu’il possédait; elle le suivrait.

- Tu sais qu’il y a une position que tu as oublié dans cette chasse aux sorcières. Il y a bien ceux qui tiennent les torches, ceux sur le bûcher mais il y a aussi ceux qui regardent, ceux qui apprécient le spectacle.

Il regarda brièvement les alentours, ils n’étaient encore que tous les deux.

- Et qui irait me mettre sur le bûcher, toi, Alessandra Lockwood... Brody ?demanda-t-il, son sourire en disant long lorsqu’il prononça le dernier nom

Je lui jette un coup d’œil et garde le silence surement une ou deux secondes de trop. Oui c’est homme un serpent et j’aurais tors de l’imaginer au sol et maitrisé. De la même façon que j’ai évolué, lui aussi et, visiblement, les poisons les aigres ne se bonifient pas dans le temps. Comme il y a des mois maintenant, sans nous en rendre compte, un dangereux jeu est en train de se remettre en place, un de ceux, sournois, que même le fou ne réalise pas. Il est incapable de renoncer a avoir le dernier mot et j’ai un travers une peu trop proche pour mon propre bien. Certes, il marque un point glaçant avec Isha, mais j’arrive a lui répondre :

« Je pense qu’il a très envie de revoir ses enfants et ne pas s’attirer les foudres des Expendables. »

Cela sonne comme un aveu tacite que je crois en la culpabilité du chef des SC que je suis contrainte d’accueillir chez moi. J’ai beau me répéter que Connor a confiance en Isha, je n’ai jamais été pleinement rassurée par cet individu qui parle seul et a des réactions imprévisibles. Quoique soit cet homme, il est dangereux, anormal et le fait qu’il s’entendent autant avec le fou est loin de me rassurer : qui se ressemblent… Je toise celui qui jubile un peu trop a mes coté d’un air froid alors qu’il se met a rire, incapable de lui rétorquer un contre argument valable et peu convaincue que c’est un terrain ou il faut s’aventurer. Je me contente de lui dire.

La suite ne semble être qu’une longue et douloureuse descente aux enfers alors qu’il se plait a me rappeler, par le menu, un de ces moments qui hantent encore mes nuits et fait que je suis obligée de subir sa compagnie. Je me reprends comme je le peux quand je le vois aussi fier et suffisant du mal être qu’il distille dans mes veines. La respiration courte, je suis obligée de mettre mes mains dans mes poches pour me donner une contenance et cacher mes tremblements. Sans baisser mon menton et essayant du mieux que je le peux de donner le change, c’est avec une voix faussement douce et avec un accent de dédains que je tente le diable :

« Cela ne pourrait pas être pire qu’un homme au sol qui me suppliait de le tuer… »

Un plaisir que je lui avais refusé, le condamnant a vivre avec sa folie et ses mensonges, sans avoir personne avec qui être lui-même. Je blêmis a nouveau quand on s’approche bien trop dangereusement du store a mon gout mais il ne me laisse pas le choix et je dois hâter le pas pour rester a son niveau. Je maudis mes idées et me demande de plus en plus si le fou peut encore être utile, pour le moment je n’ai eu aucune information mais je ressens une peur presque animale commencer a se nicher dans le creux de mon ventre. Je devine au son de sa voix et a son regard mauvais qu’il a une idée derrière la tête, qu’il veut m’entrainer dans un pas de danse ou il sera sûr de me blesser, pour autant, je ne vois pas, encore, le piège. Une fois de plus, avec cet instinct de compétition qui me perdra, je me sens de le contrer dans un calme que je suis loin d’éprouver tant je me mefie de lui.

« Ne t’inquiète pas, je n’ai pas oublié cette position et c’est bien celle que je compte occuper. »

Je lui coule un regard entendu mais je ne peux retenir un frisson a sa façon de prononcer mon nom, ou plutôt, celui que m’a donné mon époux. Je le connais trop et je vois bien que le serpent est prêt a mordre sauf qu’il attend son moment. La seule chose a faire et d’essayer de ne lui offrir aucune prise, voir de mordre avant lui :

« Au cas ou cela t’aurait échappé, je ne suis plus ton petit jouet esseulé et a ta merci. Je suis sûre que parmi les Expendables je trouverais un ou deux volontaires pour t’escorter vers ton bucher et s’assurer que cela te soit pénible.. D’ailleurs, comment va se cher Lee… j’ai l’impression que vous ne vous voyez plus vraiment toi et lui. »

Le ton est faussement badin. Cette menace qu’il a toujours brandit pour me museler semble de plus en plus anodine.

« Alors, si on parlait d’où se cache ton ami maintenant ? »