Re: Le dernier des Kwakwakaʼwakw

D’un coup, la réalité se transforme en immense fresque de milliers de couleurs. Le soleil qui perce à travers les vitres du paquebot salies par la mer et le temps rebondit sur la foule de petites boules en plastique rouges, bleues, jaunes, vertes, et je me sens comme dans un rêve, flottant en toute légèreté au beau milieu de ce bassin extraordinaire.

C’est cool. Super cool.

Mais la voix paniquée de Kira résonne, lointaine, jusqu’à moi. Et j’ai beau tourner la tête dans tous les sens, bousculant des vagues de boules entassées sur nous jusqu’à la surface, je ne la vois pas. Rien qu’une ombre, un mouvement insaisissable.

“T’es où ? Qu’est-ce que t’as vu ?” Dans un ricanement pas vraiment inquiet. J’ai quand même envie de la retrouver. Lui sauter dessus pour l’entrainer dans les profondeurs de cette mer de couleurs.

Mais mon sourire s'efface quand deux yeux rouges me font face.

“Wow.”

C’est un rat qui se faufile entre les boules jusqu’à approcher mon visage, son museau se soulevant quand il me renifle avec curiosité, ses longues moustaches me chatouillant les joues. La bestiole a une petite bouille mignonne. Elle me fait penser à Vendredi…

Mais elle s’échappe de mon champ de vision, et j’apprécie bien moins la suite. La sensation que quelque chose se glisse dans mon cou, me griffe le dos, douleur éteinte mais étrangement déformée, diffuse, comme si des milliers d'insectes se mettaient à grouiller sous ma peau. “Merde !” Un cri plaintif, teinté de peur alors que je m’affaire à remuer, que la sensation se multiplie, me court les jambes. Je les entends ricaner, ces petits démons qui veulent me dévorer.

“Kira !” Un appel à l’aide, alors que je suis persuadé de me faire dévorer. Je nage dans les couleurs, repousse les boules de mes bras, perdu, je ne sais plus où est le haut, le bas, et sans voir mon amie, je me sens affreusement seul dans l’immensité de cette mer de plastique qui ne semble jamais finir. “C’est sur moi… partout sur moi…” Je vois une jambe, l’agrippe brusquement pour la tirer vers moi. Qu’elle m’aide, d’une manière ou d’une autre.

Sombrer ensemble

Kira & Ace

Le regard se multipliait, il était ici, là, partout. Observant mystérieusement la jeune fille sous toutes ses facettes, c’était comme si la matière se mettait à la juger prenant par la même conscience d’elle. Kira n’était plus cette créature qui observait le monde au travers de ce regard conscient, d’un seul coup les rôles s’étaient inversé si bien que c’était l’environnement lui-même qui l’inspectait comme un enfant le ferait avec un petit insecte un soir d’été…

Mais brusquement Ace l’arrache à cette oppression muette, alors qu’il tirait brusquement sur sa jambe, sa gorge se desserra. Dans un réflexe de survie, une volonté première de vivre, la jeune fille s’arracha à ce regard qui instantanément, sur toutes les faces de ces boules multicolores, se plisse. Comme s’il attendait les prochains faits de sa victime, tel un chasseur observant une biche au travers de sa lunette.

Ni une ni deux, ne réfléchissant pas, sans doute incapable de comprendre ce que pouvait bien lui dire Ace. Elle le traîna par les épaules étant bien plus grande que lui et naviguant au hasard des mouvements, trouva enfin un des bords de cette infâme fosse. Sitôt que son dos cogna contre ces rebords arrondi et molletonné, Kira souleva le garçon qui dû se débrouiller seul juste après car la gamine manqua de perdre l’équilibre tellement ses muscles étaient engourdi. Tandis que sa vision alternait entre des lignes droites et des courbes, que les contours devenaient alternativement nets puis flou ; elle réussit dans un dernier effort à sortir de la piscine à boule.

Sur le dos, devenu toute rouge sous l’effet du tord-boyaux, elle haletait comme un chien malade. Elle perdait les repères de son propre monde, voyant sa conscience sombrer dans les méandres de l’éthanol. Parvenant difficilement à articuler quoique ce soit, la gamine lâcha :

- Putain, ça va ? chacune de ses syllabes étaient entrecoupé de grognements et de rires intempestif comme si elle ne contrôlait plus rien. Mais cette simple question disait déjà tout.

Soudain, l’envie lui prit de le trouver. De le voir, lui et de se blottir contre lui. Peut-être pour se perdre ensemble ? Son esprit ralenti par la substance ne suivait plus que des instincts ou bien des désirs enfouis, refoulé par l’idiote fierté de l’adolescence.

(c) DΛNDELION

J’sens son contact s’enrouler autour de mes épaules, Kira me semble si grande et forte alors qu’elle m’extirpe du bassin comme un plongeur vers la surface.

J’suis désorienté lorsque mon horizon bouché de milliers de boules colorées s’ouvre à nouveau sur l’intérieur luxueux du paquebot et le reste de cette immense salle de jeux. Les distances sont floues, rien n’est stable, rien n’est fiable.

“Putain c’est sur moi… enlève le-” La sensation de griffure me remonte le bras en dizaines de picotis désagréables, le rat s’extirpe tout seul de ma manche, renifle un coup, lève un regard curieux vers Kira. Il se passe bien une ou deux secondes de flottement avant qu’il ne court se faufiler dans la piscine de boules, reprendre sa vie là où il l’a laissée. J’le regarde faire son bout de chemin d’un air ahuri, autant par la surprise que par l’alcool, le coeur qui bat à mille à l’heure et une étrange sensation de vertige qui me renverse les idées. J’passe une main sur mon buste, mon bras, massant à travers mes vêtements cette sensation qui persiste, et m’assurant de ne transporter aucun autre invité surprise.

“Ça va.” je réponds à mon amie avec un temps de retard et une voix un peu… lointaine. Mon crâne pivote contre le sol et mon regard glisse sur elle, étendue au sol à mes côtés, l’horizontalité comme nouvel axe commun. Elle a de jolis yeux, percés d’inquiétude et d’ivresse, les joues rouges et sa chevelure toute ébouriffée me fait sourire, et puis rire, moqueur.

“T’as une sale tête.” sans chercher à me redresser, plaqué au sol par le poids de l’alcool. “J’aurais pu m’en sortir tout seul.” fais-je dans un élan de fierté exagéré en lui donnant un petit coup de coude, prétexte tout trouvé à un contact qui me permet de me rapprocher. J’anticipe la riposte en attrapant ses poignets, me tournant un peu plus vers elle, l’enthousiasme nourri par les sourires saouls et les réactions de la jeune fille que je maîtrise bien plus facilement qu’il y a quelques mois, quand elle m’a humilié à l’occasion de mon tout premier combat.

“J’ai envie d’prendre ma revanche.” Proposition probablement complètement décousue du point de vue de la brune, tant pis. Si ma poigne ne serre pas fort contre la sienne, je suis loin de vouloir la relâcher - mais j’ai encore grave la flemme de me relever. “J’compte jusqu’à dix. Si tu t’libères, j’ai un gage. Sinon, c’est toi qui l’prends. Un...”