Dans son malheur ? Au moins, n'était-elle plus obligée de se prostituer. Ne possédant désormais que quelques maigres réserves pour survivre, attendant patiemment un nouveau rendez-vous avec Kerwan, qui devait avoir eu un contretemps pour la rejoindre, au vu du temps qu'il mettait à arriver à leur lieu de rendez-vous habituel. La mine inquiète, cachée sous une épaisse capuche pour masquer son visage son éternel bandeau figé à sa paupière vide, quand son oeil valide scrutait les environs.

Il ne faisait jamais bon vivre au bidonville. Mais moins encore, quand les murmures pressentaient une colère sourde, difficile à contenir. Le départ de Tasya, par exemple. Mais aussi de toute ces filles brûlées vives, que personne n'avait pleuré. Inspirant profondément pour calmer cette colère froide qui parfois avait tendance à surgir, alors qu'elle était restée profondément endormie lors de leur dernière discussions avec Hoani et les autres, échangeant finalement ses derniers tickets obtenus pour un peu de vivre, dans l'espoir qu'elles suffiraient à nourrir tout le monde. Se doutant déjà par avance qu'elle devrait pourtant sauter un repas ou deux pour s'assurer que tout le monde ait sa part, rangeant précieusement son dû du jour avant de s'éclipser. Esquivant très volontiers deux hommes de la milice chargé de patrouiller dans les rues, se refusant à prendre le risque de croiser un quelconque visage, et moins encore celui de son agresseur. Mais Alec n'avait plus mis les pieds ici depuis son arrivée, pourtant. Se décidant finalement à filer en s'effaçant sur le côté, avant de heurter de plein fouet quelqu'un, bafouillant de brèves excuses en venant vérifier par instinct que ses ressources étaient restées sagement cachées.

Prête à s'excuser dans un murmure et poursuivre sa route, avant de relever d'instinct les yeux, et sentir ses muscles se figer. L'empêchant de bouger, alors qu'elle reconnaît sans mal le visage d'une amie. D'une amie qui avait été si proche, pendant si longtemps.

... Neela ? La surprise la tient muette, alors qu'elle vient avec lenteur faire tomber sa capuche pour dévoiler son visage amaigri par les privations, incapable de sourire malgré le soulagement qui pourtant l'anime. C'est vraiment toi ?

La venue au monde de Sun-Hi n'a pas été de tout repos. Depuis qu'elle est là et qu'elles sont toutes les deux autorisées à sortir de l'hôpital et à regagner une vie normale, sous la tutelle de Min-Oh qui étrangement, fait attention à tout et surtout au moindre gargouillis de la petite avec la crainte que ça puisse qualifier quelque chose de grave la concernant, Neela a l'impression quand même de revivre. Oh, sa fille lui prend beaucoup de temps et sait se montrer épuisante. Mais les circonstances chaotiques de sa naissance, et surtout sa survie actuellement, a réussi à créer quelque chose de très particulier pour elles deux. Neela se fait un impératif de la protéger de tout et de tout le monde. Elle n'était peut-être pas désirée et attendue, mais elle est là désormais.

C'est à sa cousine qu'elle l'a laissé pour gagner le bidonville et faire autre chose aujourd'hui cependant. Le prétexte pour atteindre cette partie de la ville n'a pas été simple à trouver, mais par des voies détournées, elle a réussi à atteindre cette zone désolée. Lèvres pincées, capuches rabattues sur sa tête, son objectif est clair, elle ne peut cependant pas s'attarder très longtemps ici. Pour des raisons évidentes, notamment puisque son mari est désormais un responsable de Walla Walla, et qu'elle ne peut pas faire n'importe quoi à visage découvert.

C'est comme ça qu'elle parvient à trouver la trace de Phoebe finalement, qui semble ne pas réaliser qu'elle est bien là. Voilà plusieurs mois qu'elle n'a pas pu voir la jeune femme, à raison cependant. Tu aurais un endroit où on peut discuter ? Demande-t-elle simplement en lui faisant signe de ne pas se rendre trop visible aux yeux des autres. Neela garde sa capuche comme elle peut, cachant sa peau tannée ou ses cheveux reconnaissables. Elle a l'air encore trop belle avec ses vêtements dans cet endroit où la misère est l'apparat de base. Je préfère ne pas être vu ici, ajoute-t-elle simplement avec un sourire contrit.

Je ...

Elle ne rêvait pas, c'était bien elle pourtant. Encapuchonnée, masquée comme elle le pouvait des pieds à la tête quoi que ses vêtements ne soient trop propres pour la supposer habitante des lieux. Et à sa première question, elle hoche la tête un peu bêtement, avant de se reprendre. Ne pas être vue. Ca, elle savait y faire. Avait appris à se fondre dans la masse des miséreux, juste pour qu'on oublie jusqu'à son existence.

Suis moi. Se détournant d'elle pour arpenter les rues abîmées, baissant résolument le regard vers le sol pour ne pas tenter une seule personne alentour de la hêler pour une demande quelconque avant d'ouvrir la porte de la masure ou elle survivait, s'effaçant pour laisser passer Neela la première, et refermer la porte dans son dos. Inspirant profondément en réalisant qu'elle n'était pas encore en train de rêver, et que son amie était bien présente ici, avant de réaliser à quel point l'endroit pouvait lui paraître misérable.

Désolé c'est hm... Spartiate. Comme endroit. Et malgré leur volonté de vivre dans un environnement décent, l'humidité et le froid n'aidait en rien à rendre l'endroit agréable pour quiconque provenait d'un meilleur district. Bousculant les affaires éparses sur la table pour les jeter sur sa paillasse, invitant la brune à s'asseoir après s'être assuré que la porte était bel et bien fermé, entamant la première les questions.

Qu'est-ce que tu viens faire ici ? Pourquoi, comment, dans quel but ? Et surtout, ne risquait-elle pas de problèmes, pour venir jusque la ?

Je ... Je t'aurai bien proposé quelque chose à boire, question de convenance, mais ... A part de l'eau bouillie pour s'assurer qu'aucun germe ne leur apporte une maladie quelconque... Elle n'avait pas grand chose à lui proposer. Venant frictionner ses bras pour les réchauffer de la fraîcheur de l'endroit, venant à son tour s'installer sur l'une des chaises pour venir faire face à la brune, un millier de questions brûlants ses lèvres quand à sa présence, sans oser les poser. Lui laissant le temps de s'expliquer, avant de commencer.

Phoebe, temporise-t-elle à peine revenue à l'abri avec la blonde. Un soupir lui échappe, elle aimerait pouvoir lui dire que ça n'a aucune importance, mais ne sait tout simplement pas par quoi commencer. Depuis combien de temps n'ont-elles tout simplement pas eu l'occasion de se voir, toutes les deux ? L'agression d'Alec et des autres restent dans son esprit, gravé, difficile et douloureuse. Elle en a encore des impressions, des sensations. Du poids du corps d'Alec contre son corps, et de ce qu'il aurait été capable de faire sans l'intervention de Phoebe.

Je ne suis certainement pas venue pour parler chiffon avec toi et critiquer ta décoration, précise-t-elle très rapidement pour que la blonde ne s'inquiète pas : De toute façon, tu as bien autre chose à faire en l'état que t'occuper de repeindre tes murs ou me servir un verre d'eau, elle n'a pas soif, elle ne va pas prendre le pain de la bouche de ceux qui n'ont rien pour se nourrir. Elle n'a que trop conscience que ça n'est pas correct, et qu'elle pourrait tout aussi bien se trouver à la place de son amie aujourd'hui sans un ange gardien pour l'aider à tenir la route.

Déjà, comment vas-tu ? Entame-t-elle de but en blanc. Je sais que c'est un grand mot, tu n'es pas obligé de me dire que "ça va" par convenance, la vérité, je peux l'encaisser, et "mal" est une réponse admise. Sérieuse, audible. Elle scrute ce qui cache son orbe désormais vide, le creux qu'on lui a pris, avec d'autres choses sans doute. Ce qui l'a amené jusqu'à Walla Walla, et le quartier le plus mal famé du lot. J'ai appris que c'était Alec, qui t'avait fait ça, ajoute-t-elle en désignant cette blessure cachée. Il est introuvable depuis, et elle le regrette. Elle aimerait lui faire payer, au centuple, ce qu'il a fait à trop de monde.

Vu la décoration de son abri miteux ? Il y avait pourtant pas mal à redire. Mais elle se contente d'hocher la tête, et baisser brièvement le regard vers le sol pour masquer son oeil manquant. Même si ce bandeau en masquait la paupière vide de toute orbite, il n'empêchait. Quand à comment elle allait ? Si elle hésites une petite seconde, la vérité sort d'elle même, finalement.

Mal. A elle ? Elle peut le lui dire. J'ai ... Une main tremblante se dirige à la blessure de son oeil, sans entrer dans le détail. A ce rythme, je vais mourir ici, Neela. Voilà ce qui allait arriver. Elle le sentait, au plus profond de son être. J'essaie de tenir, d'accepter la possibilité que je mérite mon sort, mais je n'y arrive pas. Si on avait rien fait, Ray en aurait subi les conséquences. Elle s'était refusée à rester impassible, sur ce coup. Quand à Alec ? Le nom durcit son regard, secouant doucement la tête.

Il n'a pas fait que ça... Soupire la blonde, passant une main dans ses cheveux. Tasya a vécu bien pire que moi. Assurément. J'ai essayé de trouver un semblant de survie au bordel, mais il à brûlé. Kerwan nous à proposé de l'aide, mais j'ai trop peur qu'il se fasse prendre, s'il vient ici régulièrement pour nous filer un coup de main... Et elle se refusait à ce que quiconque subisse le courroux de New Eden par leur faute. Quand au fait qu'il soit introuvable ? Un rire sans joie s'échappe de ses lèvres, secouant doucement la tête à l'idée.

Il n'aura sans doute rien... Et l'amertume se devine sans mal dans ses paroles. On va lui mettre une tape sur la main, et après, plus rien. Voilà ce qu'il va se passer. C'était comme si toute sa peur et sa douleur s'étaient changée en une rancoeur tenace, qu'elle se découvrait subitement auprès de la brune. Baissant le regard fugacement, avant de reprendre à son attention.

Dis moi la raison de ta venue. Parce qu'elle doutait fort que Neela ne prenne des risques inconsidérés de la sorte, pour uniquement s'assurer de son bien être, en l'état.

Je vois, soupire-t-elle. Les mots de Phoebe lui vont en plein cœur, parce qu'elle déteste voir une amie au bord du désespoir, happée par la douleur, brisée par les mots, les coups et les injustices. Sa place n'est plus ici. Ils sont en train de broyer une étoile, si lumineuse avant. Ils lui volent sa volonté, sa douceur, sa gentillesse, pour en faire quelque chose d'impur. Défaite de sa famille, de sa liberté, de ses enfants, de son corps. Que peuvent-ils lui prendre encore dans tout ça ? Elle ne sait même pas, elle se dit que c'est déjà trop, déjà suffisant, mais ça n'est visiblement pas à elle de négocier ces questions-là et... Neela imagine que c'est trop, dans tous les cas.

On ne peut pas dire qu'on est surprise, n'est-ce pas ? Qu'Alec s'en sorte à si bon compte. Qu'il ne risque rien de plus qu'une petite tape sur les doigts, comme s'il n'avait rien fait de si grave, si ce n'est mutiler une innocente. Après tout, que vaut vraiment la vie d'une femme dans tout ça ? A se demander si elles sont considérées comme des personnes, et la réponse est évidente : non. Pas le moins du monde. Jamais. Je venais te voir, répond-t-elle néanmoins en esquissant un bref sourire. Rien de rassurant en l'état, mais sa démarche est dénuée de méchanceté.

J'aimerais trouver un moyen de te faire sortir d'ici, quitter cet endroit, puisqu'il est exclu que tu y restes pour y mourir, admet-elle. Mais ça n'est pas aussi simple, tu te doutes bien... Elle soupire en haussant les épaules, consciente que ça ne va pas être facile, et qu'elle ne vient distiller qu'un peu d'espoir, peut-être rien du tout. Pour Phoebe, c'est probablement un monde quand on sait qu'il n'y a rien qui les attend. Que tu puisses partir à la recherche de ton frère. Tout ça, c'est un casse-tête, ajoute-t-elle. Je ne sais pas quoi te dire, je suis surtout désolée... J'essaie vraiment de faire changer les choses, poursuit-elle.

Non, pas vraiment. Comme tous ces hommes immondes qui géraient l'endroit, après tout. Soupirant à l'idée que son bourreau n'aurait rien, et moins encore une remontrance, secouant doucement la tête. C'est adorable, mais tu n'aurai pas dû ... Les lieux ne sont pas sûrs, ici. Souffle t-elle avec douceur à son amie en esquissant un sourire néanmoins attendri par le geste de venir ici la voir, relevant la tête à sa remarque, fronçant brièvement les sourcils.

Neela... Bien sûr, que l'idée était séduisante. Qu'elle aurait donné cher, pour retrouver un semblant de libre arbitre, loin de ces ruines que représentaient le bidonville encore debout. Ne prends pas de risques inconsidérés pour moi. Je ne le mérite pas. Il était tout bonnement hors de question que la brune puisse se retrouvée épinglée, pour avoir osé tenter de l'aider. Quand à Cooper ? Elle esquisse un sourire triste à l'idée, secouant doucement la tête. Je ressens de moins en moins de choses, le concernant. Un peu comme si ... Le lien qu'on avait pu avoir s'effaçait. Ca ne l'empêchait pas de continuer de le croire en vie, certes. Mais sans doute devait-il être assez loin, pour ne pas pouvoir se risquer à revenir ici la chercher. Ou tenter d'obtenir un semblant de nouvelles... Et l'idée lui serre un peu plus le coeur, fermant brièvement son regard pour ne plus y songer.

Tu n'as rien à dire, Neela. Fait-elle néanmoins remarquer aux propos de son amie, esquissant un sourire fatigué. Ce n'est pas toi qui m'a jeté ici, ou forcer à me prostituer. Et je sais à quel point tu peux être déterminée, quand il s'agit d'aider les autres. C'était bien là une de ses plus belles qualités, à ses yeux. Venant brièvement poser sa main aux multiples coupures sur la sienne pour la serrer brièvement, reprenant à son encontre.

Et ... Si on est amenée à ne jamais revoir, je veux que tu saches que je ne t'en voudrai jamais de quoi que ce soit. Juge t-elle bon de préciser, au vu de sa petite santé. Levant la main pour l'inciter à ne pas paniquer à ses propos, reprenant tout de même. Pour sortir d'ici, il faudrait trop de problématiques à solutionner. L'attention des gardes, les miliciens, s'assurer que la ville ne sache rien... Même en s'y mettant à plusieurs, ça serait sans doute du suicide. Et c'était bien là ce qui l'inquiétait. Mais quelque part, la mort sera plutôt une délivrance qu'un châtiment ici. Surtout au vu de ce qu'ils subissaient au quotidien. Kerwan me ramène des choses, de temps à autre. Mais c'est comme pour toi. J'ai peur qu'on ne finisse par lui tomber dessus...