Tu le mérites cent fois, souffle-t-elle en l'interrompant, d'un geste ferme de la main. Elle n'est pas en train de négocier ou de plaisante avec elle et elle n'a pas l'intention de lui laisser dire des absurdités du genre sans la reprendre à la volée. C'est du grand n'importe quoi à son sens. Pour compenser ce qu'ils t'ont fait, pour rééquilibrer la balance des injustices que tu as vécu sans te plaindre, c'est ça le pire. Elles ont eu le temps de partager leur vécu, de savoir comment elles ont souffert. Honnêtement, Neela déteste l'idée qu'elles aient été obligées d'encaisser autant pour les délires des autres.

Je ne te laisserais pas dire le contraire, Phoebe, annonce-t-elle d'un ton froid, avant de se raidir : Alors on devrait tenter le tout pour le tout, dans les deux cas, que tu meurs ou que tu t'échappes, tu es gagnante, à l'évidence, elle réfléchit la stratégie assez simplement : Ce qui peut vraiment arriver de pire, c'est que tu en sois encore au même point à l'issue de tous nos efforts, surtout quand on considère la main comme une finalité assez douce pour ne pas avoir besoin de s'y attarder.

Kerwan ? Elle fronce les sourcils, suspicieuse : Il y a un truc entre vous ? Demande-t-elle alors par curiosité avant de soupirer. Elle hausse les épaules sans cacher son dépit : Eh bien qu'ils me tombent dessus, je leur expliquerais le fond de ma pensée, quoi d'autres ? Franchement, Neela n'en est plus à s'y attarder : Je ne suis pas intouchable mais... J'ai quelques avantages désormais, on ne va pas s'en cacher, et certainement pas rougir d'en profiter quand on y a le droit, ils le font bien. Tous. Des droits qu'ils se sont offerts à eux-mêmes parce qu'ils ont un pénis ! J'ai quelques conserves, prend-les et planque-les, souffle-t-elle en lui tendant son sac. Je m'occupe d'embaucher Ray et de le nourrir chez moi lorsqu'il vient aider...

Tu n'es pas en reste non plus. Sur les injustices qu'elles ont pu subir. Mais je suis au moins rassurée que Min-Oh et toi soyez dans un district qui incite les autres à vous laisser... tranquille. Un peu plus, du moins. Un peu plus qu'ici. Hochant la tête quand elle se fait plus froide, émettant un murmure d'excuse avant de relever la tête vers elle, intriguée quand elle prononce à son tour le nom de Kerwan.

Heu, je, Non. Un truc ? La remarque tombe tellement de nulle part, qu'elle se sent prise sur le fait comme une adolescente alors qu'elle n'a pourtant rien à se reprocher. Il se faisait passer pour un de mes clients pour venir me voir, mais ... Il n'y a rien eu. Juge t-elle finalement bon de préciser, reprenant. Il est gentil, on s'est retrouvé ici un peu après la mort de sa femme. Pour lui annoncer la sombre nouvelle, ou encore lui apporter les vêtements féminins qui avaient le mérite de leur tenir un peu plus chaud que les guenilles du quotidien. Tu le connais bien, toi ? Qu'elle s'enquit, encore assez surprise par cette pointe de curiosité dans sa voix alors qu'elle esquisse un sourire à sa remarque.

Et c'est tant mieux. Au moins, tu es un peu plus en sécurité, et tu le mérites aisément. D'autant si elle pouvait s'octroyer certains avantages à être intouchable. Mais ... Je suis d'accord avec toi. A ce stade, je n'ai plus grand chose à perdre, à part la vie. Elle avait peur, pourtant. De vivre, de mourir. D'oser exister, sans doute. Mais sans doute que le discours d'Hoani après l'incendie du bordel devait trotter d'avantage dans son esprit qu'elle ne se l'imaginait. Tentons le tout pour le tout. Mourir devenait moins effrayant, que passer encore une année entière ici, au final. La remerciant pour les conserves, alors qu'elle évoques Ray.

C'est une bonne chose. Il en a besoin, et c'est moins épuisant que la prostitution... Entre le calvaire qu'il avait vécu avec les chiens, et tout le reste ...

Elle est dubitative et peut-être que ça se voit. Fixant la blonde, elle s'interroge, en la scrutant droit dans les yeux. Phoebe évite un peu son regard, semble ne pas bien comprendre et puis... Finalement, à quoi bon ? Est-ce qu'il y a quelque chose à cacher, d'une quelconque manière ? Une bonne raison de le faire en tout cas ? Un doute plus tard, Neela pince les lèvres : Et tu le connaissais d'avant au moins ? Je veux dire... Je ne vous ai jamais cru... Proches, il faut dire qu'elle ne le connait pas. Ni même avec sa femme, ajoute-t-elle.

Pourtant, ça aurait pu. Même si à nouveau, sa femme décédée, elle ne la connait que de nom, pour sa part. Luisa n'a jamais été une amie, une personne à qui elle a eu l'occasion de parler par le passé. Elle a appris la tragédie qu'il a traversé, la mort de son enfant aussi, elle n'imagine pas comme ça a dû être compliqué. Mais Neela n'est pas du genre à s'apitoyer, elle ne l'a jamais été. Alors sans doute a-t-elle l'air trop dur quand elle relève ça pour elle-même et se dit que ces morts font parties de toutes les vies possibles. Et ça, Kerwan, elle, ou quiconque, n'y peuvent rien du tout.

Non pas vraiment mais, elle hausse les épaules à nouveau en pinçant finalement les lèvres : Il m'a sauvé la vie donc on peut dire que c'est quelqu'un de bien, c'est tout ce qui compte. Elle écoute du reste sans intervenir, parce que Phoebe n'a pas besoin de ça. Au moins se décide-t-elle à agir, si l'occasion se présente. Reste à savoir comment et c'est une histoire bien différente. Neela songe aux souterrains mais après la capture de Mason et des autres, aucun doute qu'il n'y a plus rien à cacher là-dessous pour les révoltés de Walla Walla. Oui, soupire-t-elle. Il a été... Contraint aussi de se prostituer ?