Sa remarque – si culottée – m’arracha un rire surpris à travers le voile de mes larmes. C’était vrai que de nombreuses femmes étaient victime de malnutrition depuis le début de la pandémie. Il n’était pas toujours simple de manger à sa faim, surtout quand l’hiver arrivait. « Je peux savoir qui tu traites exactement de planche à pain ? » Le charriai-je avec un sourire retrouvé. Mais je voyais ce qu’il voulait dire, quelque part. Tiago avait essayé maladroitement de me dire la même chose, mais trois jours à peine après ces événements tragiques, il n’avait eu le droit qu’à des cris et des larmes. J’avais la chance de pouvoir dissimuler mes blessures sous des vêtements informes, même s’ils étaient bien trop nombreux à mon goût à avoir assisté à la scène. Je ne savais pas si je parviendrais un jour à regarder de nouveau toutes ces personnes en face. J’aspirais à l’oubli, avec l’envie de partir loin, très loin d’ici. Mais Ace me proposait une autre alternative pour m’approprier à nouveau mon corps et apprendre de nouveau à l’aimer.

M’imaginer déployer mes ailes me donnait l’impression que je pouvais surmonter ces épreuves. J’avais toujours eu un faible pour les souverains du ciel. Je n’étais pas devenue ingénieure en aéronautique sans raison, au-delà de l’envie de bien gagner ma vie et de prouver que je valais quelque chose. « Un phénix sera parfait. » Plus calme, je finis par lui sourire un peu. « Montre-moi ce que tu as là. » Je me penchai au-dessus de lui pour détailler ses croquis, commençant à dessiner à mon tour pour lui schématiser ma pensée.

Être debout ne me suffisait pas. Je voulais apprendre à voler.

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Nous nous étions finalement retrouvés sur la péniche avant leur départ. Ils avaient attendu quelques semaines de plus, juste le temps nécessaire pour que je puisse leur installer les derniers panneaux solaires en leur possession. Maintenant débarrassés des pirates, ces projets d’électricité au point mort avaient pu être menés à leurs termes sans que je ne sois plus inquiétée. Ma récompense était surtout de voir la machine d’Ace fonctionnelle entre ses mains, alors qu’il était prêt à graver ma peau. « Ça va faire mal ? » Lui demandai-je en m’asseyant sur le bord du siège. Je n’étais pas idiote. Je savais bien que oui. Mais à quel point ? « C’est mon premier tatouage. » Lui confiai-je, pour justifier mon hésitation.

J’avais choisi de commencer par les épaules et les bras, là où les ailes devaient s’enrouler. Le tatouage en lui-même serait conséquent et tout y passerait. Ma poitrine, mon ventre… pour recouvrir l’ensemble des cicatrices. Nous étions partis pour plusieurs longues heures de travail. J’avais dénudé mes épaules pour rester en simple débardeur. C’était déjà bien plus que ce que je m’étais permise ces derniers temps, hors de mon intimité. J’attachai mes cheveux en un chignon approximatif avant de me retourner vers lui. C’était la première fois que nous nous retrouvions à nouveau que tous les deux, depuis les événements sur la plateforme pétrolière. « Tu te sens comment ? » Son puissant désir de vengeance avait fait écho au mien là-bas, mais j’avais bien en tête que je lui avais proprement retourné l’estomac.