Je pouffais à sa blague. J'aurai aimé pouvoir manger pour quatre, moi aussi. Mais c'était vache maigre en ce moment.
De la musique. Ca faisait bien longtemps que j'avais pas écouté ça moi non plus. J'étais partis avec mes vynils, dans l'espoir de survivre encore un peu, même sans le téléphone. Mais l'envie m'en était vite passée. Le moral aussi.

- Bien ça, la musique. Ca me manque aussi.

Petit temps de mélancolie. Mais passons à autre chose.
Hum, qu'est-ce qu'elle faisait avant ? Difficile de dire, sans risquer de vexer un peu. Mais elle avait l'air plutôt jeune, donc j'aurai dit étudiante, mais en quoi.
Un métier plutôt intellectuel, au vu de ses mains assez fines et blanches.
C'était moi qui posait les questions d'habitude, mais en tout cas, elle n'avait pas le profil de mes clients habituels. Donc pas actrice, ni avocate. Après, la fin du monde, ça change une personne.

- Hum, je dirai quelque chose de scientifique ?

Je ne me mouillais pas beaucoup, mais je restais large. Elle eut un léger sourire, comme si je touchais un peu proche du but.

- Je sais pas, chimiste ?

J'essayais des choses, mais au moins, ça faisait durer la conversation en la gardant légère et agréable.

- Et moi à ton avis, je faisais quoi avant ?

Je glissais un premier fil dans ma poche, en route pour le deuxième, si j'arrivais à forcer le capot de l'autre voiture.

- Le jazz.

Enfin c'était principalement ça. Je n'étais pas sectaire, mais la quasi totalité de ma discothèque était du jazz. J'étais un peu le vieux con pédant qu'on croisait dans un bar chic, mais j'aimais bien cette image.

- Pas que, mais surtout du jazz ou du blues à la limite. Cole Porter beaucoup. Et toi ?

J'avais vu à peu près juste, j'étais un peu content de marquer des points. Mais sacrée pointure devant moi alors. Pas très étonnant qu'elle ait survécue jusqu'ici, et qu'elle en sache plus que moi sur le matos que je cherche.

- Oh, prestigieux en effet !

Moi bûcheron ? Etrange quand même. Ou c'était ma barbe mal coupée et mon air miné qui donnait cette impression. Je pouffais un peu.

- Oh non, loin de là, j'étais psychanalyste. Le cerveau humain n'a aucun secret pour moi.

Si, beaucoup, mais à la portée de n'importe qui, je lisais mieux en les gens et leurs mimiques que personne. Sans même trop y faire attention, mais j'arrivais à sentir les humeurs. C'était pratique pour se mettre des gens dans la poche. Mais je devais mieux apprendre à modeler les miennes, pour passer pour un bon samaritain.
Juste, je devais avoir l'air un peu antipathique, et appeuré, dans la plupart des situations.

- Tu trouves ton bonheur ici alors ?