Fin septembre 2023

Les premiers jours à Tortuga ont été difficiles. Contraint de fuir aux côtés de Dante et Chase après l’attaque de leur campement, le métis vit mal ce départ précipité. La grave blessure de son coéquipier les a menés jusqu’ici, sans nouvelle des autres Expendables. Otis fait son possible pour tuer le temps, pour ne pas trop y penser. Ils ne pourront pas repartir tant que Dante ne sera pas totalement remis sur pied…

Alors le dessinateur s’occupe comme il peut. Il dessine la plupart du temps ou il se promène un peu, histoire de se dégourdir les jambes. Aujourd’hui, il fait un petit passage du côté de la cage. C’est plutôt calme en ce début d’après-midi. Mains dans les poches, sac sur le dos, son regard balaie l’endroit jusqu’à s’arrêter sur une tête connue. Il s’avance alors avant de souffler « Salut ! » Avec Chris, ils se sont déjà croisés les jours précédents, sans prendre le temps de discuter mais cette fois, le métis est bien décidé à prendre de ses nouvelles. « Je te dérange pas ? » Demande-t-il, affichant un léger sourire. Puis, il baisse le regard, remarquant les crayons et les feuilles devant le tatoueur. « Tu dessines toujours à ce que je vois. Les affaires vont bien ? »

Les jours sont monotones en ce moment. Je ne sais pas si je devrais m'en plaindre, malgré tout. Depuis ma vaccination, je ne suis pas en super forme. Le gros des symptômes est passé, mais je continue à me trainer un peu. Ou alors c'est psychologique, c'est possible aussi et je saurai jamais le fin mot de l'histoire.
Quelques membres des Expendables sont arrivés récemment, apparemment avec un blessé grave. De ce que j'ai compris, un mec a perdu un œil. C'est pas de bol.. Perdre un membre ou un œil aujourd'hui, c'est un handicap bien plus terrible qu'avant l'invasion. J'ai aussi vu passer Otis. Ça m'a fichu un coup, me ramenant à des mois et des mois en arrière. Bien avant les Oblivions. Avant la disparition de Bill. Et avant les morts et départs de tous les piliers de feu les Gentle Bastards.

Depuis tous ces évènements, depuis ma fuite de chez les Oblivions, la mort de l'homme de ma vie, le départ de Danny, je me suis renfermé d'avantage encore sur moi-même. La musique est mon refuge. Le dessin est mon exutoire. Et justement, je dessine. Je dessine, encore et encore. Des carpes Koïs à n'en plus finir. Des portraits par peur de les oublier. Des..

- Salut !

Je sursaute violemment, et abaisse mon casque, laissant entendre quelques basses qui s'arrêtent aussitôt que je coupe mon walkman. H-Hey... Salut. Je me frotte le visage vivement. Non, non. Tu déranges pas, Otis. Mon regard suit le sien. Un portrait d'Aamir. Un énième. J'ai honte, je devrais réussir à tourner la page, faire mon deuil. Mais c'est au-dessus de mes forces. Je.. Oui, je dessine toujours, comme tu vois. J'esquisse un faible sourire, qui s'efface comme il est venu. Les affaires ? Et bien.. je n'ai plus de salon de tatouages. Alors, c'est un peu plus compliqué qu'avant... Je me demande dans la foulée si c'est de ça qu'il parlait, en fait. Surement.

Je me serais bien arrêté là, mais j'ai un vague sursaut de sociabilité. Otis était très proche de Dany, et j'ai de bons souvenirs avec lui. J'inspire doucement et lui fait signe de s'asseoir près de moi s'il le souhaite. J'ai le cul par terre, mais j'ai pas mieux sous le coude. Et toi, comment tu vas ? J'ai appris qu'un de tes amis était blessé.. Je suis désolé. Silence. Et toi, tu dessines toujours ?

Recroiser des visages connus, ça a quelque chose de rassurant pour le métis. Surtout lorsqu’il s’agit de personnes avec qui le feeling passait bien. Et si l’époque du No Man’s land est loin désormais, Otis se rappelle encore les dessins du tatoueur. Alors quand il apprend que Chris n’a plus de salon, il affiche une légère moue. « Mince… Je suis désolé. » Souffle-t-il d’un ton sincère avant d’ajouter. « C’est dommage. Tu faisais du super boulot, j’espère vraiment que tu pourras en rouvrir un ! »

L’homme lui fait signe de s’asseoir et Otis s’exécute en venant s’installer à côté de lui. Le portrait qu’il est en train de dessiner est magnifique. Le visage qu’il a esquissé sur le papier lui dit quelque chose mais il n’est pas suffisamment curieux pour le questionner à ce propos. De toute façon, Chris a pris les devants et lui pose déjà quelques questions. « On va dire que ça va. Mieux que Dante, ouais… Notre campement a été attaqué et on a dû venir jusqu’ici un peu en catastrophe pour qu’il puisse être soigné. » A vrai dire, il vit mal son séjour ici. Heureusement que Dante a été là pour le soutenir. Il se fait énormément de soucis pour les siens et c’est difficile pour lui de contenir son stress.

« Toujours ! » Dit-il à son interlocuteur, tout en ouvrant son sac à dos pour en sortir un vieux carnet et des crayons. « Je ne sais pas si ça te fait ça aussi… Mais dessiner, ça me permet d’oublier un peu mes vieux démons, de ne pas laisser mes pensées parasites prendre le dessus… »

J'ai souvenir qu'Otis est un peu.. particulier. Du moins, qu'il a des tocs, ou quelque chose dans ce genre, quand il stresse. Pour autant je l'apprécie vraiment, et mes discussions avec lui restent de très bons souvenirs pour moi. Et puis revoir de vieilles connaissances après tous les départs et les morts récents, faut avouer que ça fait un bien fou.
Je balaie l'air devant moi dans un sourire à ses mots : Oh c'est prévu ! On va rouvrir un salon de tatouages. Faut juste le temps que ça se remette en route. J'hésite un peu et j'ajoute. Et merci.. C'est gentil.

Je lui fais signe de s'asseoir s'il le souhaite et il ne se fait pas prier. Je range mes clopes dans mon sac, la bouteille d'alcool déjà bien entamée dans la foulée, et je repousse mon lecteur CD ainsi que mon casque audio. Sur mon carnet, le souvenir que j'ai d'Aamir s'étale au crayon. Je ne veux pas oublier son visage, comme je ne veux pas oublier ceux qui nous ont quitté. Alors je les dessine, encore et encore, comme autant de photos que j'aurais prises et gardées dans l'ancien monde.

- Ton ami va s'en sortir ? J'ai cru comprendre qu'il a définitivement perdu son oeil, c'est ça..? Je suis désolé pour lui. Et pour vous tous, ça va pas être facile à gérer. Il s'est passé quoi au campement ? Je relève définitivement les yeux vers lui, d'intérêt. J'aime parler aux gens que j'apprécie, je m'intéresse à eux et à leur vie. Ça a toujours été comme ça. Ma vie est sans intérêt, elle. Je le dévisage une seconde de plus avant de murmurer, d'un air navré : Tu as l'air.. angoissé. Je le sens, je le sais. Ça lui sort par tous les pores. Tu veux en parler ?

Quand il sort son carnet, je retrouve un grand sourire ravi et tend les doigts vers lui pour le lui quémander. Je peux ? Quelle que soit la réponse, j'acquiesce vivement à ses propos. Je vois exactement ce que tu veux dire ! En fait.. ça dépend des fois. Parfois c'est pour me vider la tête et éloigner mes démons, comme tu le dis. Gérer... mes émotions. Je me mords la lèvre une seconde avant de reprendre. Et parfois... C'est l'inverse. C'est pour pas les oublier. Tu sais. Ceux qui ne sont plus là. Comme un besoin de les imprimer dans ma mémoire.

C'est le moment que choisis mon furet pour pointer le bout de son museau par l'ouverture de mon sac, et je lui grattouille la tête machinalement avant de revenir à Otis, un léger sourire taquin aux lèvres. Tu veux toujours pas de tatouage ?

« C’est une bonne nouvelle ! Je suis content pour toi ! Et… Si je peux t’aider pour quoi que ce soit, hésite pas… » S’il peut s’activer, prêter mains fortes, ça sera avec plaisir. Le métis a besoin de penser à autre chose, de s’occuper l’esprit.

Le tatoueur lui demande des nouvelles de Dante. « Oui, c’est ça… Il a perdu un œil. Mais à part ça… Il va plutôt bien. Il lui faudra du temps pour s’en remettre. » L’artiste a fait ce qu’il a pu, retirer la balle sans aggraver les choses est déjà un exploit en soi. Malheureusement, il n’avait pas les connaissances et les compétences nécessaires pour gérer une telle situation d’urgence… Mais Dante n’arrête pas de lui dire que sans lui, il serait certainement mort durant le voyage jusqu’ici…

« Oh tu sais… Je suis toujours un peu angoissé. J’y travaille. Mais notre groupe a été attaqué et nous avons été séparés. Il a fallu qu’on vienne en urgence jusqu’ici. On ignore si nos amis s’en sont sortis et ça m’inquiète beaucoup… » Il affiche une légèrement moue, contrarié. « Mais pour l’instant, mon ami a besoin de repos. On repartira dans quelques jours… »

Le dessinateur sort ses affaires. Chris lui demande s’il peut feuilleter son carnet. Il affiche un sourire avant de souffler « Bien sûr ! Vas-y ! » Le tatoueur jette un œil à ses dessins, tout en expliquant les bienfaits du dessin. Otis le comprend à cent pour cent… Lui aussi a de nombreux portraits d’amis disparus… Plus les années passent et plus ils sont nombreux. Des souvenirs esquissés à la va vite sur les feuilles de ses carnets…

« Oh ! Salut toi ! » Otis sourit en voyant le furet apparaître. « Il s’appelle comment ?! » Demande-t-il avant de répondre à la nouvelle question du brun. « Si ! J’en ai qu’un ! C’est Ace, un gamin, qui me l’a tatoué. Il me l’a fait lors de l’inauguration de la péniche. » Il dire sur le bas de son pantalon pour dévoiler un Pikachu dessiné sur sa cheville. « J’aimerais en faire d’autres. »

Sa proposition me fait lever un sourcil et je me demande quel intérêt il y trouve avant de me souvenir qu'il s'agit d'Otis. La bonté incarnée. Ben écoute.. Si tu veux dessiner quelques flashs, je dis pas non, ça fait un style différent à proposer. Et je te garde une commission dessus, évidemment. Des trucs simples, te prends pas la tête non plus, si ça te botte.

La discussion dévie sur le dénommé Dante, et j'acquiesce légèrement. J'espère qu'il se rétablira bien. C'est bateau et qu'à moitié vrai, je m'en fous un peu, je le connais pas après tout. Vous repartez quand précisément ? Tu sais ? Je le dévisage en lui demandant. Je me sens plus vivant en sa compagnie, c'est étrange. Alors je suis pas pressé qu'il se barre.
C'est un peu comme s'il faisait revivre un passé à la limite de l'insouciance, quand on se croyait invincibles, nous les Gentle Bastards. Quelle connerie. Je suis la dernière relique de cette belle époque.

Lorsqu'il explique s'inquiéter pour ses autres compagnons, je hoche à nouveau. C'est normal. Surtout que tu les connais depuis un moment maintenant, si je dis pas de connerie. Je sais pas comment le réconforter, je suis mal placé pour ça. Mais je lui pose une brève main sur l'épaule. J'suis sur qu'ils s'en sont sortis. C'est pas des bleus. Ça veut rien dire, j'en ai conscience, mais je fais de mon mieux.

J'attrape son carnet et le feuillète avec précaution, retrouvant là des visages du passé. Je m'arrête sur l'un d'eux. Un ancien Expendable. De ce que j'en sais il les a quitté. Je le fixe longuement. Mon premier amour. Kaz. Je secoue la tête pour me remettre d'aplombs et continue de tourner les pages. Sans raison aucune, je demande : Tu reviendras me dire, quand vous partirez ? Sans lever les yeux. Juste envie de le revoir avant qu'on se quitte encore pour quelques mois ou années.

Mon furet pointe son nez et Otis le salue, ce qui m'arrache un sourire. Il s'appelle Vendredi. Tu peux y aller, il est pas farouche. Que j'ajoute en attrapant la petite bestiole pour la poser entre nous. Aussitôt, il se tourne vers le métisse et fait quelques petits pas vers lui.

Je me penche pour ma part vers la cheville d'Otis, pour regarder le pikachu qui y trône. C'est vrai qu'il était plutôt doué. Ace était un sale môme mais il savait tatouer, on peut pas lui retirer ça. Mon regard remonte à celui de mon interlocuteur, intéressé. Vrai ? Tu voudrais quoi ? On pourrait s'arranger. Si tu me fais quelques flashs, je peux te faire un tatouage.

Le tatoueur semble intéressé par sa proposition. Otis l’écoute avec attention, hochant finalement la tête quand ce dernier lui soumet son idée. Lui dessiner des flashs, avec une petite contrepartie ? Cela le botte, évidemment ! « Grave ! J’suis chaud ! » S’exclame-t-il avant d’ajouter « Je dois avoir déjà quelques dessins dans mes carnets, tu peux regarder. Je pourrais reproduire les dessins qui te plaisent. Y’a de tout… Des portraits, beaucoup… Mais aussi des motifs floraux, du géométrique, de l’abstrait, des cartoons… Je te laisse regarder. » Il sort deux autres carnets de son sac avant de les poser devant lui.

« Ouais… Faut rester optimiste dans ce genre de situation. C’est pas simple. Mais tu as raison, ils en ont vu d’autres. » Le tatoueur a raison, il ne doit pas se laisser abattre. Et surtout, il doit penser à autre chose.

Tandis que le brun feuillette son carnet, ce dernier lui fait une demande à laquelle le dessinateur répond « Oui, bien sûr. » Garder des liens avec d’autres personnes que celles du groupe, c’est important. Au même moment, le furet de Chris apparaît. L’homme le prend pour le poser en eux, le métis regarde la petite bestiole avec admiration. Puis doucement, il tend sa main, laissant à l’animal le temps de le sentir. Vendredi effleure le bout de ses doigts et Otis affiche un franc sourire. « Il est adorable ! Salut Vendredi ! » Dit-il alors que le maître de la petite chose observe son tatouage. Puis, à la remarque du dessinateur, il lui demande ce qu’il aimerait se faire tatouer. « Hum… J’aimerais bien avoir un tatouage sur l’avant-bras. Des fleurs. Ma mère adorait les fleurs. Les roses, les pivoines, les lys… » Explique-t-il alors, un brin nostalgique…