Une nouvelle mission, une nouvelle aventure. Mais cette fois, point de vol à haute vitesse, non. Une mission d’observation et de reconnaissance. Je considère ça comme largement en dessous de mes capacités, mais je ne nierais pas que j’ai plaisir à piloter. Même s’il s’agit d’une cagette à moteur… Le rolls-royce de mon spitfire me manque, ses 1800 chevaux de puissance avaient de don de me faire vibrer. A comparaison, les 300 du Cessna me semblent si… timorés.
Mon co-pilote sera Lukas Yoon, il a de bonnes bases et son expérience au sol me sera largement utile si jamais nous devions ramper avec les autres.
En bout de piste, je procède à une ultime vérification : « Pression d’huile… carburant… Garde un œil sur le régime moteur et la température. » Les moteurs continental tiennent plus du moteur diesel d’une clio qu’autre chose, leur fiabilité est comme le gout des américains en vin… douteux, dans le meilleur des cas. « Ici DCY-001, procédons au décollage. »

J’augmente la puissance moteur, le roulage s’amorce doucement, le ronflement du moteur résonne dans ma cage thoracique. « 90…100…120… Décollage, rétracte le train. » Le léger vent de face nous aides à nous élever rapidement. Je garde un œil sur l’altimètre, le plancher est prévu à trois cents pieds. Une fois arriver à notre niveau de vol, je stabilise l’appareil et prend le cap.

Le plan de vol est très simple, les conditions météo sont bonnes. Une fois la vitesse de croisière, on aurait presque pu croire que notre appareil était à l’arrêt tant tout était calme. Cependant, au bout, d’un temps que je peine encore à définir, je sens le Cessna s’incliner et me résister, il cherche à m’emmener sur le côté et à rouler. Rien d’exceptionnel en soit, mais je perds ma concentration, alors même que j’observais le plancher des rampants : « J’ai un vent de travers, je compense avec le trime. » Je tourne la petite molette et règle l’angulation de la dérive : « Tu vois quelques chose ? »

Spoiler:

Forcément, il fallait que ce vieux moulin nous lâche, je soupire quand je me rends compte qu’effectivement le moteur sonne étrangement. Mes yeux se portent sur les jauges : « J’ai une baisse de la pression d’huile. » Puis sur le thermomètre, évidement… « La température monte, on doit avoir coulé une bielle. » Je réduis immédiatement le régime moteur pour le ménager, nous pourrions avoir besoin de sa puissance plus tard. Je sors les volets pour augmenter la portance et j’active ma radio pour prévenir la tour : « Contrôle de DCY-001, Panne-Panne, Panne-Panne, Panne-Panne. Nous allons tenter un atterrissage hors site. » Pas de réponse… Je répète mon message. Toujours rien, tant pis, j’ai plus important à gérer à cet instant. J’active également le transpondeur pour que la tour puisse nous localiser et envoyer une équipe de secours en cas de besoin.

Je cherche maintenant un endroit où nous poser sans nous tuer. Sous nous, je vois une route qui serpente entre les collines, le bitume ferait une bonne piste, mais sans moteur, je ne veux pas risquer un atterrissage là. La moindre erreur nous enverrait directement percuter les pentes alentours. Heureusement, j’avais gardé une certaine hauteur, je pouvais planer pendant quelques minutes encore.

Je baisse les yeux sur la carte de vol : « Avec la puissance qu’il nous reste et l’altitude, on devrait pouvoir atteindre ce champ à quelques kilomètres. » Je règle l’assiette, nous perdons petit à petit de l’altitude, mais la vitesse reste constante. Je jette un œil à Lukas : « Le chargement est bien arrimé ? Je ne peux pas garantir l’atterrissage en douceur. » Je n’attends pas sa réponse et j’enchaine : « Je compte sur toi pour observer le sol. Nous aurons le droit à une chance, deux si j’accepte de détruire le moteur. »

Sans huile, le moteur pourra fournir sa puissance pendant quelques secondes et nous redonner un peu de vitesse, mais le faire serait d’accepter de ne pas le réparer après… Il vaut mieux _ça que d’être morte j’imagine.

Je finis par repérer la horde au loin, en temps normal je n’aurai cure de celle-ci. Mais avec notre moteur, je ne pourrais pas multiplier les manœuvres : « Ils sont diablement nombreux. » Mais en dehors de la marée putride, il ne semblait pas y avoir d’obstacle particulier. J’hésite un instant à relancer le moteur et tenter ma chance plus loin. Mais je n’aurais pas la certitude de trouver un terrain aussi favorable. Tant pis, je tente ma chance, impossible de faire un passage de reconnaissance alors je vais devoir compter sur ma chance insolente et sur mon adresse hors du commun.

Je surveille mes instruments d’un œil, l’autre observant l’horizon et la masse de rôdeurs au loin. L’avion est stable, ça se présente bien, la vitesse est constante, le sol se rapproche doucement. Juste avant que les roues touchent le sol cependant, je murmure à Lukas : « Je ne garantis pas la distance de freinage par contre. » En d’autres termes, il y avait un risque non négligeable de finir dans la masse de rôdeurs en face de nous. Les roues touchent, nous sommes secoué par les chaos du terrain mais les trains tiennent, j’écrase autant que possible les freins, sans pour autant bloquer les roues, nous risquerions de finir sur le ventre ou de nous retourner.

La masse des rôdeurs se rapproche beaucoup trop à mon gout alors même que l’avion perd enfin de la vitesse et finit par s’immobiliser. Immédiatement je coupe le moteur et je détache mon harnais : « Il faut faire vite. » Je prends l’appareil photos et je prends les photos rapidement. J’ouvre également le capot moteur pour jeter un œil aux dommages et déconnecter la batterie. En faisant ça, j’entends dans l’air une clameur, faible mais parfaitement audible, aussi entêtante que le ronronnement d’un moteur. En dehors du fait qu’elle ne m’évoque que de la peur : « La dernière fois que je me suis posé en dehors d’une piste, j’ai perdu une jambe. »
Je saisis mon sac : « Il est temps de ramper, par où voulez-vous partir. »