Toute l’équipe poursuivait sa construction. Les activités manuelles avaient cet avantage de vider le cerveau : porte, tape, maintient, aide. Kaycee se laissait guider – principalement par Finn – et malgré ses ambitions d’indépendance, dans d’autres contextes, elle se laissait ici porter sans broncher. Il fallait dire qu’elle faisait un travail d’adulte, et que c’était finalement tout ce dont elle aspirait ! Par contre, s’ils avaient cru atteindre leur but la veille, ou l’avant-veille, ils avaient finalement encore du pain sur la planche. Aussi se retrouvaient-ils, de nouveau, tous ensemble de bon matin, pour poursuivre ce qu’ils avaient entamé le jour précédent. Loin des grasses matinées qu’elle aurait pu faire dans un autre monde, et légitime à son âge, la fille Barnett était une des premières sur le pied de guerre ce matin-là. Mais il semblait hélas que leurs plans allaient être mis à rude épreuve ! Ce fut tout du moins ce que leur annonça le guetteur de nuit.

Coiffée de deux nattes, que lui avait faites sa mère, Kaycee soupira. Encore ! Il semblait qu’ils n’avaient vraiment aucun répit avec ces trépassés.

- Ils ne nous laisseront jamais tranquilles, hein ? lâcha l’adolescente à Daniel qui se tenait près d’elle quand on leur annonça la nouvelle. Une nouvelle fois, elle espérait qu’elle pourrait se montrer utile. Se frotter un peu aux créatures.

Alors que certains membres méditaient à la marche à suivre, les petits bras se mirent sans attendre au travail. Et Kaycee parmi eux, bien sûr. Mais comme l’avait prédit l’autre type, les rôdeurs ne furent pas longs à rappliquer. Leurs râles se firent entendre rapidement, ainsi que leurs visages putrides se présentèrent à eux. Bien qu’ils aient été prévenus, la plupart des travailleurs cessèrent leur travail pendant un court instant. Toujours aussi inquiets, malgré les habitudes.

La petite blonde fit quelques pas sur sa droite pour s’approcher de Finn, qui était un peu le capitaine sur tous ces travaux. Du moins à son niveau.

- Comment on procède ? Je veux bien aider à les écarter, je saurai faire, affirma-t-elle avec une assurance qui se voulait des plus convaincantes. Elle planta ses yeux clairs dans ceux de l’homme. Oserait-il lui dire non ?

Cela faisait un bon moment maintenant que la fatigue tirait les traits de la métisse. Elle s'acharnait à se donner dans le travail qu'on lui avait confier. La jeune femme ne comptait plus les jours qu'elle passait à l'extérieur pour aider à consolider leur nouvelle maison. Ce matin là, plus fatiguée encore, Eva s'était dirigée vers le point de rendez vous habituel. Mais apparemment bien en retard. La plupart des volontaires étaient déjà en place et discrètement, elle se mit en retrait du groupe. Des murmures ça et là attirèrent son attention. Des rôdeurs en masse qui pouvaient gêner leur labeur. Rien de bien différent de d'habitude. Du moins, c'était l'esprit éreinté de la métisse qui avait conclus à cette finalité peu commune.

Eva se mit au travail sans un mot. Sans un bonjour, renfermée sur elle même, se faisant d'une discrétion presque anormale. Si bien que Kaycee ne vint pas vers elle comme à son habitude. La conscience de la femme était ailleurs, concentrée sur sa tâche et rien d'autre. Quand les premiers macchabées approchèrent, la métisse ne releva même pas la tête. A quoi bon, c'était leur quotidien maintenant. Mais une rage nourrissait le ventre de la mécano. Pour elle, ça faisait trop longtemps qu'elle était là, enfermée dans cet endroit. La liberté lui manquait, son métier lui manquait. Et bien d'autre encore. Un soupire passa ses lèvres alors que, distraite, une main passa le grillage et attrapa son poignet bien trop près de celui ci. D'un geste, elle essaya de se dégager. tant bien que mal.  Un mouvement près d'elle attira son œil et une seconde plus tard, ses fesses se retrouvait à toucher le sol. C'était David, un jeune volontaire qui avait pousser le rôdeur d'un coup pour le faire lâcher prise. D'un nouveau regard, Eva remercia son sauveur. Mais ses lèvres restaient closes. Ses yeux se posèrent enfin sur l'extérieur et la vue de tous ces désaxés la fit de nouveau soupirer.

Finn les appela tous au rassemblement. Toujours dans la plus grande discrétion, la jeune femme s'approcha et écouta les paroles du chef de chantier avec attention. Des volontaires pour faire face à cette nouvelle vague hein. Avant même que quelqu'un ne s'avance, Eva se rapprocha de Finn.

J'y vais.

Elle ne sut dire si le regard de Finn approuvait ou pas cette décision, mais quoi qu'il en dise, Eva serait de la partie. Sortir. Se confronter au monde réel. Elle en avait besoin. Quitte à courir un grave danger, elle s'en moquait. Et la fureur qui se développait de nouveau en elle n'en était que plus abreuvé. Deux autres personnes se joignirent à elle sans qu'elle ne daigne leur adresser de l'attention. Son regard se posa enfin sur Kaycee qui avait l'air bien déçue de la désapprobation de l'homme.

Et laisse la un peu sortir. J'm'en occupe. J'la prends sous ma responsabilité s'tu veux.

Ce n'était pas vraiment un ordre, mais dans la gorge nouée par le silence de la métisse, cela pouvait sonner comme tel.

Et voilà, Finn l’avait rembarrée… merde alors ! Pourquoi personne ne lui faisait confiance ? « On ne peut pas se permettre de faire du bruit, me faut des gens avec de l’expérience » lui avait-il balancé. Parce que quoi ? Elle était incapable de gérer un infecté sans beugler ? La jeune fille fronça les sourcils. Déçue ? Non furax ! Elle voulut rétorquer mais l’homme prit la parole devant le reste du groupe. Pour un peu, de la fumée lui serait sortie par les oreilles ! Ok inutile de faire une scène, elle avait l’habitude. Elle serra donc les dents, prenant sur elle.

Si elle avait été un brin plus mature, elle aurait pu se réjouir de la prise de position d’Eva en sa faveur. Cette dernière voulait bien faire, et la blondinette s’en rendrait compte plus tard. Mais Kaycee n’avait que 14 ans, et toute la fierté qui venait avec ! Sur le coup, elle se dit simplement qu’ils n’avaient qu’à se démerder, tous ! Sans elle ! Voilà, na !

- Merci Eva, mais laisse tomber. J’ai plus envie. Le ton qu’emprunta la gamine était sans équivoque. Bouderie puissance 1000 ! Elle accompagna en plus sa remarque d’un mouvement de la main, qui brassa l’air. Un peu à l’image des efforts qu’elle faisait pour être prise au sérieux. Du vent, du vent, du vent…

Aussi regarda-t-elle du coin de l’œil, et la mine bougonne, les quatre volontaires sortir de l’enceinte du lycée pour gérer les mort-vivants. Et elle ? Elle se remit au travail sur leur nouvelle muraille, en compagnie des autres. Elle rumina longtemps, mais la concentration que lui demandaient ses gestes éclipsa finalement progressivement tout le reste. La pression retomba ainsi finalement. Sans rancune ? C’était vite dit, car Kaycee fourrait tous ces petites « affronts » dans sa caboche et l’accumulation risquait un jour de la faire péter un plomb ! Affaire à suivre…

En attendant, ils continuèrent d’arrache-pied à bricoler leurs défenses et faire en sorte d’être moins vulnérables face à la présence constante des rôdeurs aux alentours de leur bastion. Quelques jours d’effort encore, et le résultat s’annonçait des plus optimistes. Une entreprise à laquelle ils pouvaient être fiers d’avoir participé, cela allait sans dire !