En seulement quinze jours d’autonomie, Kaycee se confrontait à la dure réalité de la survie en solitaire. D’abord, sa parade si brillante de se barbouiller de sang de rôdeur lui avait collé la crève. Un mal de gorge lancinant qui avait migré progressivement vers sa trachée. Rien de bien dramatique en soit, mais la jeune fille se retrouvait de temps en temps en proie à des quintes de toux irrépressibles, qu’elle ne pouvait pas contrôler. Un handicap certain quand il était question d’évoluer au milieu des morts ! Aussi s’était-elle cloîtrée depuis deux jours dans une maison, non loin de la Bailey péninsule. Le temps que ça passe et qu’elle puisse retourner au dehors. Elle en avait toutefois profité pour se laver. Seulement, pendant ce temps, un autre problème s’imposa à elle : le manque de nourriture. Si elle avait récupéré quelques conserves et aliments de-ci de-là, et malgré le rationnement qu’elle s’était imposé, ses réserves avaient finalement fondu comme neige au soleil et il ne lui restait plus rien. Néant. Nada. Rien. Si ce n’était la douleur de son estomac criant famine. Elle se sentait faible et avait même parfois la tête qui lui tournait.

Ainsi, malgré sa toux, l’adolescente se décida à retourner dehors. Elle devait trouver à manger. Il le fallait. Alors que la rue où elle résidait était déserte, elle se glissa à l’extérieur, son sac sur le dos et sa batte de baseball à la main. Sa gorge la gratouillait légèrement, mais elle s’efforça de l’oublier. C’était une des premières fois depuis longtemps qu’elle sortait sans être puante de chaires putrides, et cela lui fit tout drôle quand son chemin croisa celui d’un rôdeur. Elle retrouva son coup de batte, duquel elle acheva sans hésitation la créature, consciente néanmoins que ses réflexes étaient clairement diminués par son manque d’énergie. D’un pas trainant, elle se faufila de maisons en maisons, en espérant trouver de quoi se nourrir.

Ses pieds lui faisaient mal. Elle sentait son sac – pourtant quasi vide ! – peser lourdement sur ses épaules. Sa batte de baseball lui faisait aussi l’effet d’une enclume au bout du bras. Sa chance voulut qu’elle ne croise pas un seul macchabé ambulant supplémentaire, mais en contrepartie, elle ne trouvait rien, encore une fois. Chaque maison semblait avoir déjà été visitée. Ce sentiment se transforma en évidence, quand elle tomba trois fois de suite sur des corps gisants au sol, la boite crânienne volontairement perforée ou explosée.

Elle soupira, dépitée, en regardant ce qui était certainement jadis une mère de famille, allongée au milieu de sa cuisine. Si des survivants étaient déjà passés ici, elle devrait aller encore plus loin. Cette simple pensée la terrassa de fatigue. C’était tellement… galère ! Au même moment, sa gorge la démangea et lui arracha une quinte de toux qui lui tira même quelques larmes.

- Quelle merde… pesta Kaycee en essayant de reprendre son souffle et de calmer sa gorge. Merde, merde, merde ! Lâcha-t-elle-même enfin, en donnant un coup de pied dans le corps mou, près d’elle.

Elle n’était plus à ça près, après le boucan qu’elle venait de faire. Quoique… elle sentit son cœur battre vivement dans sa poitrine comme après un effort d’enfer. Pas de doute, elle était désœuvrée. Elle ne savait plus quoi faire… Elle rejoignit pourtant le dehors, ignorant que quelqu’un l’avait aperçue préalablement dans la rue et l’avait vu pénétrer dans cette maison.

Depuis sa dernière sortie avec Noah, Hadley était punie. Son frère et sa mère s'étaient alliés pour la menacer et lui faire comprendre que si elle remettait un pied dehors, elle entendrait parler du pays. Évidemment, la brune avait boudé. Fort et longtemps. Même si une part d'elle comprenait bien pourquoi sa famille en était arrivé à ça, Hadley trouvait ça très injuste. Bon, effectivement...elle était restée deux jours dehors et....elle avait rapporté quelqu'un. Peter n'était pas vraiment le bienvenue au début. Surtout du côté de Steven qui, au premier regard, ne l'avait pas aimé. Hadley n'osait même pas imaginé ce qu'il se serait passé si, directement, elle avait avoué qu'il s'agissait d'un ancien militaire. Noah, Peter et Hadley avait conclu un marché. La profession du blond resterait secrète les premiers temps. Une fois qu'il aurait fait ses preuves et qu'il aurait réussi à gagner la confiance du Clan Rhodes, alors là, ils annonceraient la chose à Steven. Pas avant sinon..Steven lui planterait sa hache entre les deux yeux sans même chercher à savoir le pourquoi du comment.

Si progressivement Hadley avait réussi à ne plus en vouloir à sa mère, ce n'était pas vraiment le cas concernant son frère. Installées dans la cuisine, mère et fille étaient silencieuses. Holly, occupée à préparer le repas du soir, jetait quelques coups d’œil en direction de son enfant tandis que la photographe elle, lisait tranquillement en buvant un thé rapporté quelques jours plus tôt par Penny et Peter. « Quand prévois-tu d'arrêter de bouder ton frère. » Lança Holly sans même se retourner et regarder sa fille. Loin d'être surprise, Hadley ne répondit rien sur le coup. Elle se contenta d'attraper sa tasse encore brûlante pour l'emmener contre ses lèvres. Elle but une gorgée sans quitter des yeux les lignes de son bouquin. « J'hésite encore. » Dit elle avec un ton absolument détaché. Lentement elle tourna une page puis, elle agita la tête de droite à gauche comme pour montrer à sa mère qu'elle cherchais encore. « Entre trois et cinq ans. » Le ton fut différent cette fois-ci. Il indiquait clairement que la discussion était close. En s'essuyant les mains sur le torchon qui était posé sur le plan de travail, Holly pivota finalement sur elle-même et s'approcha lentement du tabouret où sa fille s'était installée. « Tu sais ce que disais ton p.. » Mais Holly s'arrêta net. Son regard venait de capter du mouvement à l'extérieur, juste dans la rue en face.  Intriguée elle aussi, Hadley se redressa et, curieuse, elle alla se planter devant la fenêtre pour suivre le mort qui devait traverser la rue. Sauf que, peu à peu, les sourcils de la brun commencèrent à se froncer. Elle ne fit même pas attention à sa mère qui était venue se planter à côté d'elle et qui commençait à lui parler. « Steven s'en chargera en rentrant, laisse. » A tâtons, elle chercha le corps de sa mère et lorsqu'elle le trouva enfin, elle se mit à lui tapoter l'épaule puis le bras sans que ses yeux ne quittent la rue. « Maman. C'est pas un mort. C'est.. » Elle plissa le regard pour distinguer la silhouette qu'elle suivait derrière le feuillage des arbres qui entouraient leur propriété. « C'est une gamine. »

La première réaction de sa mère fut d'avoir une grimace et de se mettre à sourire, l'air désolée. « Non, tu as du mal voir, c'est impossible. » Mais Hadley s'en fichait pas mal de ce que racontait sa mère à ce moment là. Il fallait qu'elle bouge pour réussir à la suivre. Au pas de course, elle dévala les marches menant à l'étage. Elle ouvrit la porte de sa chambre comme une folle furieuse puis elle alla s'appuyer contre l'encadrement de la fenêtre. Au moment où elle pu récupérer son visuel sur la jeune fille, celle-ci s'engouffrait dans la maison située juste en face. Aussitôt, elle fit chemin inverse pour retourner près de sa mère. Avant même que celle-ci n'eut le temps de dire quoi que ce soit, Hadley récupéra son manteau et l'enfila. Sauf qu'au moment où elle voulu récupérer une arme, Holly se dressa droit devant elle. « Tu ne peux pas y aller Hadley. Elle n'est certainement pas toute seule, il doit y avoir d'autres personnes avec elle... » Hadley ne pouvait pas regarder sa mère d'un air mauvais. Elle n'avait pas le droit. C'était sa mère après tout. Mais si elle avait pu le faire, elle ne se serait sans doute pas gênée. Mais malgré que son éducation lui interdise de la regarder de cette manière, elle ne l'empêchait pas d'être en désaccord. « On en sait rien. Si ça s'trouve elle est toute seule, elle cherche ses parents, sa famille, quelqu'un ! J'en sais rien moi ! Et on va pas rester là à la regarder passer pour peut-être finalement retrouver son cadavre au bout de la rue demain. Alors. Maman. S'il te plaît. » Elle attrapa les épaules de sa mère et avec fermeté, elle la poussa sur le côté, libérant son accès aux armes. « Laisse moi passer. Et je me fous de Steven, tu comprends ? » Elle lui adressa un sourire pour montrer à sa mère que, désobéir à son frère l'enchantait au plus haut point. « Maintenant, tu peux rester dans le jardin et attendre que je revienne ? » Holly quant à elle, ne se priva pas pour lancer un regard noir à l'attention de sa progéniture. « Bien. » Conclu Hadley en attrapant le fusil de chasse qui était posé contre le mur.

Son arme en main, Hadley s'extirpa du jardin pour rejoindre la rue. Celle qu'elle avait observé venait tout juste de sortir de la maison voisine. Elle n'avait pas rêvé, il s'agissait bien d'une adolescente. Bien qu'elle ne présentait pas grand danger, la photographe préféra rester à distance pour commencer. « HEY. » Dit elle pour attirer l'attention de la blonde. Les différentes recommandations de Steven, Peter et Penny lui tournaient dans la tête. Il fallait qu'elle fasse attention, qu'elle ne savait pas sur qui elle pouvait tomber, que les gens étaient mal attentionnés désormais. Tant de mise en garde qu'Hadley décida de faire taire dans une grimace. « Mais qu'est ce que tu fais ici ? » Demanda elle, le ton calme alors qu'elle était plantée au milieu de la rue, son arme tenue dans les mains sans  qu'elle ne soit levée en direction de l'adolescente.

Kaycee stoppa son mouvement vers elle-ne-savait-fichtrement-pas-où quand Hadley l’apostropha. Elle se tendit légèrement et regarda intensément la jeune femme qui venait d’apparaitre comme par enchantement devant elle, dans la rue. Elle gardait toujours cette appréhension de tomber sur quelqu’un du lycée. Mais non. Elle l’analysa rapidement, ne détectant aucune forme d’agressivité, ni dans sa posture, ni dans sa voix, malgré l’arme qu’elle tenait à bout de bras. Ses muscles se relâchèrent alors un peu et elle expira même bruyamment. Juste avant de toussoter trois fois, en apportant le revers de sa main devant sa bouche.
 
- Je… Elle regarda autour d’elle cherchant d’autres individus et devina la présence d’une autre femme dans le jardin juste derrière. Je cherche de quoi manger, reconnut-elle d’une voix qui manquait toutefois d’aplomb. Il ne fallait pas beaucoup de jugeote pour comprendre qu’elle était au bout du rouleau ! Je n’ai quasiment rien mangé depuis des jours en fait… et il n’y a rien…
 
Elle fit un mouvement las pour montrer les habitations alentours. Ce fut seulement alors qu’elle se dit que la présence de ces femmes ici n’était peut-être pas étrangère à ça. Les maisons déjà visitées. La faible concentration de rôdeurs. Peut-être vivaient-elles même dans cette maison derrière ?
 
Dans tous les cas, l’adolescente n’avait pas hésité à jouer rapidement la carte de l’honnêteté. Elle avait conscience d’être dans une situation plus que précaire et de n’avoir rien à perdre. Puis franchement, quelles étaient ses options ? Elle ne pouvait qu’espérer que sa chance l’ait amenée à croiser des femmes honnêtes et bien intentionnées. Un autre profil que la fille qu’elle avait croisée avec le vieux barbu, l'autre jour ! Peut-être même que sa situation d’adolescente à l’apparence fragile serait pour une fois un atout pour sa survie. Car elle était vraiment fragile, cette fois-ci !
 
- Est-ce que vous pouvez m’aider ? Demanda-t-elle ainsi carrément. Autant être cash. Son regard bleu se fit implorant en soutenant celui d’Hadley. Elle ajouta, devinant la question qui ne manquerait pas de venir : je suis toute seule depuis des jours… Elle baissa les yeux dans une moue difficile à déchiffrer.
 
Quand Kaycee repensait au lycée, là maintenant, elle s’avouait mitigée. Elle ne regrettait pas sa décision de s’en être allée. Elle restait convaincue que c'était la chose à faire, si elle voulait réaliser ses rêves. Ou simplement vivre pleinement, en dépit du danger. Mais elle mentirait en affirmant qu'elle ne donnerait pas tout en cet instant pour simplement se faire couver par ses parents.

Elle s'était trompée sur l'âge approximatif qu'elle donnait à la petite blonde. De loin, elle l'avait imaginé plus jeune mais maintenant qu'elle se trouvait face à elle, elle put voir qu'il s'agissait en réalité d'une adolescente. Une jeune fille qui semblait fatiguée et démoralisée. Le fait qu'elle ne prenne pas la fuite en la voyant lui fit légèrement froncer les sourcils. La jeune fille n'était pas craintive ou alors..elle n'avait plus la force de l'être peut-être. Les diverses raisons possibles à sa présence ici commencèrent à se tramer à l'intérieur du crâne de la brune. Son groupe était mort. Ses parents peut-être, étaient morts. Ou alors elle était perdue ? Elle avait peut-être du prendre la fuite, comme Hadley et Noah avaient du le faire lorsqu'ils étaient arrivés face à ce fichu pont ?

Alors que l'adolescente s'était décidée à lui expliquer ce qu'elle faisait là, Hadley resta immobile et écouta attentivement. Sans avoir à se retourner, elle pouvait sentir le regard inquiet de sa mère sur son dos. Comme eux, la blonde cherchait de quoi manger. Sauf que le secteur qu'elle avait choisi n'était pas vraiment le meilleur. Les Rhodes s'étaient chargés de vider les alentours dès les premiers jours. Le pâté de maison entier avait été fouillé, elle ne trouverait absolument rien d'autre que des carcasses pourrissantes de rôdeurs définitivement envoyés dans le royaume des morts. Forcément lorsqu'elle lui avoua ne rien avoir mangé depuis des jours, Hadley ne put empêcher une grimace de lui déformer les traits.

Mais sa demande aussi franche qu'inattendue lui fit ouvrir les yeux en grand. Elle ne passait pas quatre chemin et demandait directement de l'aide ce qui, d'un côté, voulait certainement dire qu'il y avait urgence et qu'elle n'avait plus aucune autre alternative. La brune ne lui répondit pas immédiatement. Tout ça était risqué. Mais d'un côté, si elle avait accouru à l'extérieur en la voyant ce n'était pas pour lui refuser son aide. Et là, elle en avait clairement besoin. A bien l'observer, Hadley pu voir les traces de fatigue et de faim qui tiraient les traits de la jeune fille. Elle n'était clairement pas en forme et les quelques toussotements qu'elle avait eu au début de leur conversation n'annonçait rien de plus joyeux.

Sans quitter les alentours des yeux, Hadley libéra l'une de ses mains pour ouvrir le bras en direction de la jeune fille. C'était une invitation à venir. « Viens, rentrons. » Quel genre de personne aurait elle été si elle lui avait refusé ça ? Peut-être qu'une bouche de plus à nourrir n'était pas une bonne nouvelle mais Hadley préférait devoir sortir un peu plus que de devoir abattre cette jeune fille dans quelques jours. Une fois que la blonde fut arrivée à son niveau, Hadley se mit en marche à côté d'elle. « Depuis combien de jour tu n'as pas mangé ? » Son ton se voulait inquiet. « Ne le prends pas mal surtout mais.. » La photographe leva les yeux pour croiser le regard de sa mère qui attendait devant l'entrée de la maison. « On va devoir te fouiller avant que tu rentres et il faudra nous... » Du regard, elle désigna la batte. « Confier ça. On te la rendra, ne t'en fais pas. » Maintenant qu'elles étaient dans le jardin, Hadley leva une main en direction de sa mère. « Voici ma mère, Holly. Moi c'est Hadley. » En attendant d'avoir une réponse, la brune s'attela à refermer le lourd portail qui les gardait en sécurité.

Kaycee dévisagea Hadley, alors que cette dernière en faisait de même. Elle était hésitante et l’adolescente ne pouvait pas la blâmer. Si leurs ressources étaient limitées – supposition finalement plutôt évidente – l’aide qu’elle lui demandait était aussi un sacrifice. La petite blonde pinça les lèvres, saisie un instant par la crainte de retourner dans l’état démuni dans lequel elle se trouvait moins d’une minute plus tôt. Elle soupira ainsi de soulagement, lorsque la jeune femme l’invita à la rejoindre. Elle aurait même pu en pleurer !

- Merci, lui dit-elle en arrivant à son niveau. Elle sentit d’ailleurs sa gorge se nouer… ce qui lui arracha une nouvelle quinte de toux. Pardon… j’ai attrapé froid, se sentit-elle obligée de préciser. Qu’elle ne croie pas qu’elle avait un sale virus à leur refourguer. J’ai mangé quelques céréales hier, trois cornflakes quoi, la fin qu’un paquet que je trainais depuis deux semaines. Et du coup… Elle se retrouvait à sec, sous alimentée depuis plusieurs jours déjà.

La jeune fille jeta un coup d’œil vers la seconde femme, qui se tenait devant la porte de la maison. Elle était plus âgée et semblait avoir un air de famille avec la plus jeune. Elle affichait un regard soucieux, méfiant aussi peut-être, mais toujours sans agressivité. Kaycee releva les yeux vers Hadley quand cette dernière lui parla de la fouille. Ils procédaient de la même manière au lycée quand des nouveaux rejoignaient le camp. La gamine posa ses yeux une seconde sur sa batte de baseball, souillée de sang encore frais, et hocha la tête, résignée. Elle comprenait la démarche. Pour tout dire, elle était même prête à sacrifier toutes ses affaires en échange d’un diner. Elle se souvint une seconde de ce père et ses deux filles que Roza et sa clique avaient ramenés en même temps que les médicaments. Paraissait-elle aussi misérable aujourd’hui ? Elle commença à retirer son sac à dos et reporta son attention sur Holly, puis sa fille, quand cette dernière les présenta.

- Kaycee, dit-elle simplement. Elle força un sourire reconnaissant, qu’elle adressa principalement à la plus âgée. Vous… c’était votre maison ? Demanda-t-elle en regardant la batisse. Elle avait gardé son état d’antan et l’adolescente ne put s’empêcher de se demander ce qu’aurait été sa vie si sa famille n’était pas allée se réfugier à Garfield. Seraient-ils encore « paisiblement » chez eux ?

Tout en posant sa question, elle tendit son sac à dos d’écolière à Hadley, pour qu’elle en inspecte le contenu à sa guise. Elle y trouverait une serviette de toilette, bien salie de quelques traces de sang, un T-shirt à manches longues à peine plus propre et un bonnet en laine. Une balle de baseball usée et des feuillets pliés d’un cahier. Pumpy, le lapin en peluche de son enfance. Ainsi qu’un 9mm. Chargé. Elle lui donna ensuite sa batte de baseball et se laissa fouiller.

La brune préférait ne pas imaginer la tête que ferait son frère en rentrant à la maison. Même les autres : Penny, Peter et Noah. Il avait suffit de quelques heures d'absence pour qu'Hadley chamboule leur tranquillité durement acquise. En plus, l'arrivée de Peter n'était pas encore tout à fait de l'histoire ancienne. Steven lui avait fait les gros yeux, il avait pincé les lèvres et l'avait désigné de l'index avec une colère palpable mais ils n'avaient pas réellement pu s'expliquer sur le problème. Ils n'avaient pas encore fait la paix.

Et malgré ça, malgré tous les risques que connaissait parfaitement Hadley, voilà qu'elle ramenait une nouvelle personne dans leur maison. Steven allait sans doute faire une syncope mais il était impossible pour elle de la laisser dehors. Mais Hadley n'était pas irresponsable non plus. Elle voulait bien sortir la gamine de la rue mais il fallait que celle-ci accepte leurs règles. Qu'elle soit fouillée de la tête aux pieds, que sa batte lui soit confisqué le temps où elle serait à l'intérieur. Si la blonde refusait elle devrait tourner les pieds pour retourner là où elle venait. L'adolescente avait faim et en plus de ça, elle était malade. Bien qu'elle ne semble pas à l'article de la mort, elle n'avait vraiment pas l'air en forme. En l'entendant dire qu'elle avait mangé quelques céréales la brune haussa les sourcils et eut un léger sourire en coin. On ne pouvait pas qualifier ça de repas. Vraiment pas. Comment faisait elle pour être encore debout ? « Hmhm » Répondit Hadley en secouant la tête pour répondre à la question de la jeune fille. « On vient de Queen Anne. On a trouvé cette maison récemment. » D'un geste, elle récupéra le sac à dos qu'elle tendit à sa mère. Elle n'eut besoin de rien dire pour que celle-ci comprenne qu'il fallait qu'elle l'inspecte et qu'elle le garde avec elle.

Sans grande douceur, la photographe souleva les bras de l'adolescente pour la palper sommairement. Elle leva même un peu son pull qui cachait légèrement sa ceinture et donc ce qui pouvait y être accroché. « Elle n'a rien. » Hadley s'était retournée vers sa mère qui semblait désormais beaucoup plus sereine. Tout de même, la matriarche Rhodes scruta les environs avant de prendre la parole. « Et bien..Kaycee, je t'en prie, rentre. » Hadley qui passa à côté de la blonde lui adressa un petit haussement de sourcil joueur puis elle grimpa les quelques marches qui donnaient devant la porte d'entrée. « On a quelques réserves. Suffisamment pour t'enlever l'horrible douleur qui doit te tordre le ventre. » Kaycee devait sans doute la suivre. Dans tous les cas Hadley avait continué sa marche jusqu'à la cuisine. De l'index elle lui désigna un tabouret tandis qu'elle débarrassait son livre et avalait le reste de son thé. « Installes-toi. » Proposa elle sans pour autant l'obliger à le faire. Le dos tourné, Holly était de nouveau le nez fourré dans ses casseroles. « J'espère que tu aimes le lapin jeune fille.» Aussitôt sa phrase terminée, elle pivota sur elle même et déposa l'assiette sur la table. Du lapin, des pommes de terre, des carottes, des haricots verts. Les repas étaient fournis chez les Rhodes mais à six ils étaient obligés de faire de grands plats pour que tous puissent avoir une part. « Hadley te laisse sa part. » Une main sur la hanche, l'autre appuyée sur l'îlot qui servait de table, Holly adressa un petit sourire mesquin à sa fille lui faisant comprendre qu'elle seule était responsable de la présence de la jeune fille et donc c'était à elle de se sacrifier. « C'pas grave. J'ai des gâteaux là haut. » Répondit elle à sa mère.

Le livre serré contre sa poitrine, elle s'installa sur la table. « Et toi, tu viens d'où Kaycee ? » C'était quand même la question la plus important à poser !

Kaycee leva les bras et se laissa manipuler sans rien dire. Ses yeux clairs continuaient de détailler la maison, curieuse d’en découvrir l’intérieur et surtout impatiente de s’y réfugier. La présence des deux femmes promettait un instant de réel répit. La jeune fille avait dû se montrer plus vigilante au cours de ces deux dernières semaines qu’elle ne l’avait jamais été dans sa vie. Le prix de l’indépendance. Elle appréciait toutefois l’idée de pouvoir baisser un peu sa garde.

La petite blonde pénétra ainsi dans la demeure. Tout était propre et rangé, loin des habitations que cette dernière avait eu l’occasion dernièrement de visiter et fouiller. Comme si le temps s’était suspendu ici. C’était à la fois rassurant et terriblement déroutant. Kaycee sentit une vague d’émotions la submerger. Cette maison ressemblait à celle qu’elle partageait jadis avec ses parents plus au nord, à Montlake, pas très loin de Queen Anne. Elle avait eu envie de retourner là-bas en pèlerinage, pourtant elle ne doutait pas que ce serait un des premiers endroits où les gens d’Emerald Freedom la chercherait. Alors elle s’était convaincue que pour aller de l’avant, elle devait laisser son passé derrière elle. Comme elle l’avait fait avec Kendale et Emerson…

L’adolescente serra les dents, pour chasser ses regrets et sa nostalgie. L’invitation d’Hadley à venir s’asseoir et l’évocation du lapin aida grandement. D’autant qu’Holly déposa au même moment une assiette incroyable devant l’adolescente. Cette dernière entrouvrit la bouche, ébahie, tout en salivant immédiatement. Elle ne savait pas comment ces deux femmes s’étaient procuré tout ça, et si la question lui traversa l’esprit, elle la tut pour se concentrer sur l’essentiel : DÉVORER ce plat ! Elle attrapa une fourchette et s’engouffra deux patates, un peu de carottes et un bout de viande en moins de deux secondes. Oh mon dieu, c’était divin ! Elle avait mangé ces premières bouchées si vite qu’elle manqua de s’étouffer. Elle se retrouva à tousser.

- Oh merci, c’est tellement bon, parvint-elle à dire néanmoins, la bouche pleine, infiniment reconnaissante. Elle calma alors la cadence, prenant le temps de respirer déjà, et de savourer aussi. Les repas de Lee à Garfield ne lui paraissaient pas aussi complets. Hadley était venue s’assoir près d’elle, essayant d’en apprendre davantage sur elle. La petite blonde leva les yeux vers elle. J’habitais à Montlake, commença-t-elle, d’une voix d’abord neutre. Depuis sa rencontre avec Eileen et Caleb, elle avait médité à une histoire qu’elle pourrait raconter à des étrangers. Un mélange d’omissions et de vérités. On a rejoint un camp de réfugiés avec mes parents au tout début, mais ça a dégénéré avec les militaires qui le supervisait et… Sans qu’elle s’y attende elle-même, sa gorge se noua.

Elle n’avait pas à feindre son émoi. Les évènements qui s’étaient déroulés dans le gymnase, plus d’un an auparavant, étaient figés, indélébiles, dans ses souvenirs. C’était la première fois qu’elle les évoquait avec des gens qui n’en savaient probablement rien et sa propre réaction la surprit aussi. Si elle en parlait généralement avec colère, ce fut une profonde tristesse qui l’enveloppa cette fois-là. Son épuisement et sa maigre condition physique en étaient certainement responsables. Elle sentit ses yeux s’embuer de larmes. Ses nerfs lâchaient tout bêtement…

- Pardon, c’était il y a longtemps, c’est bête… Elle essayait d’essuyer ses joues, mais ne parvenait pas à stopper le flot. Elle força un sourire, peu crédible, tout en s’efforçant de garder une certaine contenance. Son visage s’était empourpré, gênée de pleurer ainsi devant ces femmes. Elle était loin de pouvoir leur servir l’histoire qu’elle avait pourtant préparée: celle qui expliquait sa présence seule sur la route. Elle ne trouva donc rien d’autre que de changer de sujet pour l’instant. Vous… vous ne vivez ici que toutes les deux ?

Pour se ressaisir, elle reprit aussi un peu de lapin, se retrouvant pourtant rapidement calée. La famine avait déshabitué son estomac et elle regarda à regret ce qui restait dans l’assiette. Elle voulait la terminer, mais avait conscience qu’elle s’exposerait alors au risque de tout régurgiter. Une mauvaise idée.