Holly avait toujours eu un don pour cuisiner. Même avec quasiment rien, la mère de famille réussissait à transformer un plat des plus basiques en quelque chose de très bon. Et depuis plus d’un an, le groupe n’avait jamais réellement connu la faim. Tout simplement parce qu’ils avaient tellement visité de maison, tellement fouillé les rues, qu’ils avaient toujours réussi à trouver deux ou trois conserves pour se nourrir.

Voir Kaycee se jeter sur l’assiette ne pouvait pas rendre la matriarche plus heureuse. Comme toute bonne cuisinière qui se respecte, elle appréciait que son plat soit honoré. Le petit sourire qui étirait ses lèvres la trahissait alors qu’elle était appuyée contre le plan de travail à scruter l’adolescente.

Holly et Hadley écoutèrent les explications de la petite blonde. Lorsqu’elle évoqua les militaires, mère et fille relevèrent la tête pour se regarder. Encore des militaires au cœur des problèmes. Encore un truc qu’elle pourrait envoyer dans la gueule de Peter quand il ramènerait un peu trop sa fraise. Hadley eut une mine désolée. Et elle fut un peu déroutée en voyant les larmes apparaître dans les yeux de la jeune fille. Doucement, la photographe s’approcha d’elle et posa une main sur ses épaules. Elle ne savait pas vraiment quoi lui dire. Elle se doutait bien que ce qu’avait du vivre l’adolescente ne devait pas être tout rose. « C’est rien, ne t’en fais pas.. » Murmura Hadley.

A la question de Kaycee, Hadley eut un sourire. « Ah, euh non. Mon frère vit ici aussi. Et trois autres personnes. Ils sont partis à la recherche de nourriture depuis ce matin… Ils ne devraient pas tarder à revenir. Tu pourras faire leur connaissance. » Les yeux baissés sur l’assiette que Kaycee ne touchait pratiquement plus, la brune resta muette, cherchant ses mots. Pour trouver un peu d’aide, elle chercha le regard de sa mère qui, elle aussi, avait bien remarqué que la petite blonde ne se ruait plus sur la nourriture. « C’était peut-être un peu trop. Si tu n’as pas mangé depuis plusieurs jours il faudra y aller doucement. » Avec précaution pour ne pas la braquer, Hadley récupéra l’assiette et la donna à sa mère. Du meuble, elle récupéra une bouteille d’eau qu’elle posa juste sous le nez de leur invitée. « Est-ce que tu veux te reposer un peu ? » Même si l’envie de la questionner à propos des militaires lui brûlait les lèvres, Hadley savait qu’il serait préférable d’attendre. L’état dans lequel elle s’était mis en évoquant simplement ce qui c’était passé ne laissait présager rien de bon.

« On reparlera une fois que tu auras dormi. Ce que tu as mangé va te faire du bien déjà. » En haussant une épaule, Hadley lui adressa un petit sourire en coin. « A ton réveil je te présenterais aux autres. » Ce fut au tour d’Holly de la rassurer. « Je te garde le reste pour ce soir. » Dit-elle en désignant l’assiette qu’elle avait laissée.

Dans l’esprit d’Hadley il n’était pas vraiment question que l’adolescente s’en aille pour l’instant. Même plus tard, elle ne l’envisageait pas spécialement. Après tout, elle avait bien vu qu’il y avait à manger. Que des adultes prêts à l’aider étaient présents. Qu’elle pourrait se reposer, prendre des forces, sans avoir à se soucier des morts ou des militaires. Alors rien ne pouvait la pousser à quitter cette maison, à les quitter eux.

Kaycee sentit qu’elle mit tout le monde mal à l’aise avec ses états d’âme. Même s’ils trainaient tous leur lot de malheurs, il était toujours inconfortable de réagir au désarroi des autres. Haldey tenta un geste de réconfort et la jeune fille se contenta de lui offrir une moue désolée d’ainsi s’exposer. La brune lui apprit alors qu’ils vivaient à six dans cette maison. La gamine leva les yeux vers elle, et les posa également sur sa mère. Elle revit en une seconde le schéma qu’elle avait fui à Emerald Freedom : les femmes dites faibles cantonnées à la maison, tandis que les hommes et les plus robustes partaient en ravitaillement. Elle oublia toutefois tout cela la seconde suivante, quand elle se demanda comment ces derniers allaient accueillir sa présence…

- Ils ne verront pas de problème à ce que je sois ici ? Demanda-t-elle, légèrement craintive. Holly avait beau avoir soutenu qu’Hadley lui donnait sa ration de lapin, les autres l’entendraient-ils de la sorte ?

A priori oui… mais elle ne le découvrirait pas tout de suite. Kaycee n’était effectivement pas contre se poser un peu. Elle se sentait épuisée, terrassée par la famine. Et nul doute que son système digestif allait tourner à plein régime au cours des prochaines heures. Elle acquiesça et suivit ainsi la jeune femme à l’étage, où cette dernière l’installa dans une des chambres, en lui donnant quelques vêtements propres à se mettre. Quand elle la laissa seule et ferma la porte après elle, l’adolescente prit quelques instants pour réaliser les évènements de cette dernière heure. Sa rencontre avait les Rhodes relevait pour sûr du miracle ! Elle entendit les voix étouffées de la mère et la fille au rez-de-chaussée, mais ne trouva pas le courage d’essayer de les épier. Elle s’endormit moins de cinq minutes plus tard…

La nuit était encore opaque quand la petite blonde se réveilla le lendemain. Elle n’avait pas dormi d’une traite jusque-là, même si elle en aurait bien été capable ! C’était Hadley qui était venue la réveiller et vérifier que tout allait bien la veille au soir. Elle l’avait alors présentée au reste de la maisonnée : Steven, Penny, Noah et Peter. Ils avaient mangé ensemble et Kaycee s’était montrée relativement discrète. Trop KO pour faire le show et trop impressionnée surtout par ces nouveaux visages. Elle avait bien sûr répondu aux quelques questions qu’on lui avait de nouveau adressées, mais put compter sur Holly et sa fille pour ménager le reste des troupes dans leur harcèlement ! L’adolescente avait toujours besoin de se requinquer et une nouvelle portion de lapin, assortie d’une vraie nuit de sommeil, la remit comme il se devait en état !

Aussi, quand la jeune fille se décida à se lever, peu avant l’aube, elle se sentait de nouveau plus vive ! Elle avait bien dormi quinze heures, en cumulé, et son estomac ne se tordait plus de douleur. Elle avait soif toutefois, et surtout horriblement envie d’aller aux toilettes ! Elle craignait un peu de sortir de la chambre - et de tomber genre sur un des gars ! - mais certains besoins élémentaires ne pouvaient pas éternellement attendre ! Elle se résigna donc à sortir du lit en commença à entrouvrir la porte le plus doucement possible. Bingo, ce fut précisément à ce moment-là que sa toux se rappela à elle, lui grattouillant le fond de la gorge ! Elle tenta bien de se retenir, croyant s’étouffer, les larmes aux yeux, mais ne put y parvenir. La quinte brisa ainsi le silence de la maison.

Mère et fille s'étaient regardées un bref instant lorsque Kaycee avait demandé si sa présence ne poserait pas problème ici. Toutes deux savaient que Steven ne serait pas forcément enchanté de savoir qu'elles avaient accueilli une adolescente pendant son absence. Qu'Hadley s'était aventurée dehors sans réfléchir et surtout sans écouter sa mère. Alors oui la pilule serait difficile à avaler pour l'homme de la famille mais il n'aurait pas d'autre choix que de l'accepter maintenant. Évidemment, pour ne pas faire paniquer l'adolescente, Hadley avait secoué la tête.

Afin qu'elle se repose, la photographe avait prêté sa chambre à Kaycee. Après lui avoir donné quelques vêtements propres et lui avoir assuré qu'elle pouvait dormir tout le temps qu'elle souhaiterait, la brune s'était éclipsée pour rejoindre le rez-de-chaussé où sa mère l'attendait, les bras croisés, prête à discuter de tout ça. Mais Holly, qui s'était rendue compte de sa bêtise, posa plus de question qu'elle ne reprocha de choses à sa fille. A vrai dire, les deux femmes se posaient les mêmes questions. Comment une jeune fille avait-elle réussi à s'en sortir ? Ses parents étaient certainement morts à cause des militaires. Est-ce que les Rhodes pouvait assumer une personne de plus ? La réponse était rapidement venue entre les Rhodes. Oui, parce qu'il était inconcevable qu'il la jette dehors. Et vu dans l'état dans lequel il l'avait trouvé, elles n'avaient pas besoin de plus pour se douter qu'elle avait bien du mal à se débrouiller seule.

Lorsque le bruit du portail qui s'ouvre s'était fait entendre, Hadley s'était pointée devant la porte pour annoncer immédiatement la nouvelle. Elle n'avait même pas laisser le temps aux autres de montrer leurs trouvailles ou de raconter leurs périples. L'aventure du matin était bien plus importante à ses yeux. Forcément, Steven l'avait regardé de travers puis, il avait serré la machoire, signe qu'il n'était pas très content de savoir qu'elle avait accouru derrière quelqu'un en pleine rue. Qu'elle expose ainsi leur refuge. Avant même qu'il n'ait le temps de lui dire quoi que ce soit, Hadley s'était justifiée et avait raconté la discussion qu'elles avaient eu avec Kaycee. Peter n'avait rien dit de particulier. Penny elle, lui avait adressé un regard compatissant. Elle aussi aurait fait la même chose, Hadley le savait. Sans même avoir retiré son sac, Steven avait voulu monter à l'étage pour aller voir l'adolescente. La brune s'était interposée dans l'escalier en lui adressant le plus noir des regards. Il pourrait la voir après.

Une fois la nuit tombée, Hadley s'était faufilée jusqu'à sa chambre et avait réveillée leur invitée. « J'ai du monde à te présenter. » Avait-elle dit avec un léger sourire. « Tu pourras encore te reposer. Mais il faut que tu manges. » Même si elle l'avait dit avec douceur, sa phrase ressemblait plus à un ordre qu'une invitation. Si Kaycee ne descendait pas elle savait très bien que Steven lui en ferait tout un fromage. Alors, une fois l'adolescente prête, Hadley l'avait accompagné jusqu'à la salle à manger où la table était dressée. Peter, Steven, Penelope, Noah, Holly. Tous étaient là. Le repas s'était passé dans le calme. Steven s'était aventuré à lui poser quelques questions mais son regard avait quelque peu changé depuis qu'il avait vu Kaycee. Ses craintes avaient certainement du s'envoler en voyant la frêle jeune fille.

Finalement, tous s'étaient couchés. Hadley qui avait de nouveau laissé sa chambre à Kaycee fut obligée d'aller dormir avec Peter tandis que Penny dormait avec Holly. Dos à dos, Hadley et Peter avaient rapidement sombré et ce ne fut que lorsque son colocataire se leva le lendemain matin que la brune rouvrit les yeux. Il faisait quasiment encore nuit mais Peter conservait de drôles d'habitude de sommeil et, chaque matin, il était debout à l'aube. Malheureusement pour Hadley, même si elle aimait particulièrement dormir, une fois qu'elle était réveillée il lui était impossible de se rendormir. Alors elle aussi s'était levée. Elle s'était préparé dans le silence et avait rejoint Peter et sa mère en bas. Ils avaient une routine. Il fallait vérifier les alentours. En mettant le nez dehors, Hadley rebroussa chemin. Elle n'avait pas pris sa veste et il faisait bien trop froid encore puisque le soleil commençait seulement à se lever. « Je reviens, je vais chercher ma veste. » Dit elle doucement à Peter pour ne pas réveiller les autres qui dormaient encore.

Sur la pointe des pieds, elle grimpa les marches mais un bruit l'interrompit. Une toux. Celle de Kaycee. L'adolescente était réveillée. Au moins, Hadley n'aurait pas besoin d'entrer en ninja dans sa propre piaule. D'un pas un peu moins discret, elle s'avança jusqu'au palier puis, du bout des doigts, elle poussa la porte laissée entrouverte. Avant même de saluer la tête blonde, la photographe fit une grimace.« Hm. » Soupira-elle en la regardant s'arracher les poumons. « Il faut que tu soignes ça. ». Peter ne tarda pas à les rejoindre sûrement parce que lui aussi avait entendu le bruit. Le regard tourné vers l'homme, elle désigna Kaycee qui était encore en train de se débattre avec sa toux. « Est-ce que tu peux regarder dans les médicaments ? » Son regard bifurqua vers l'adolescente bien qu'elle continua à s'adresser à Peter. « Avec une toux pareille elle va finir par nous rameuter tous les morts du quartier. ». Une fois qu'elle réussit à stopper un peu sa toux, Hadley lui adressa un sourire. « Bien dormi ? ».

La petite blonde ne s’était pas doutée qu’une partie de la maison était déjà réveillée ! Il lui avait semblé se tortiller un certain temps dans son lit, sans pour autant entendre le moindre son, aussi bien au rez-de-chaussée qu’à l’étage. Elle fut donc surprise de voir débouler Hadley, déjà habillée, dans la chambre où elle s’était repliée en espérant faire moins de bruit.

- Désolée, se contenta de dire l’adolescente en affichant une grimace, contrite, essayant de retrouver son souffle, entre deux toux. Ses yeux brillaient. Elle n’eut pas le temps d’ajouter quoi que ce soit que la brune décidait de prendre son mal en main, alors que Peter pénétrait aussi dans la pièce. Ça va, parvint-elle à articuler, pour rassurer les deux autres, néanmoins bien contente qu’ils essaient de la soigner.

Sa toux se calma globalement à ce moment-là. Jusqu’à la prochaine quinte ! Kaycee acquiesça à la question de la jeune femme.

- Oui, comme un bébé. Elle fit un sourire. J’en avais besoin, je crois. C’est pas facile de dormir sur ses deux oreilles, là-bas. Elle montra la fenêtre, évoquant le dehors. Pourtant ça n’avait pas été son principal souci jusqu’ici. Le repas d’hier m’a bien requinqué aussi. Il ne reste plus que cette - keuf- toux.

L’homme revint deux minutes plus tard, tout au plus, avec un sirop. La jeune fille le remercia d’un mouvement de tête, et approcha le goulot de ses lèvres, pour avaler une gorgée. Elle avait toujours adoré ces breuvages hyper sucrés, mais là, c’était encore autre chose ! Elle n’avait pas mangé de bonbon depuis des lustres et elle aurait pu siffler la bouteille d’une traite, jusque par gourmandise.

- C’est trop bon, confessa-t-elle, presque confuse de leur voler ce plaisir. Merci encore. Pour tout. Puis elle regarda les deux adultes. Vous étiez déjà levés ? Leur demanda-t-elle, avant de recevoir leurs explications sur l’organisation du petit groupe, et notamment le tour des environs qu’ils effectuaient généralement au lever du jour.

La jeune fille s’excusa ensuite pour aller aux toilettes, et descendit rejoindre Holly dans la cuisine, pendant que les autres étaient dehors. Cette dernière n’en revenait pas qu’ils parvenaient à si bien se nourrir malgré les conditions.

- Où est-ce que vous trouvez cette nourriture ? Questionna-t-elle ainsi la femme, pour améliorer ses recherches futures, elle l’espérait. Elle pouvait encore en apprendre, pour sûr ! Des astuces, des bonnes pratiques, tout était bon à prendre ! La femme lui posa aussi quelques questions sur son alimentation au cours des derniers mois. La jeune fille répondit sans en dire trop sur son groupe d’origine. Jusqu’ici, vous avez changé de refuge tous les combien de temps ? Elle était prête à en apprendre davantage sur l’histoire de cette famille. Et à partager aussi la sienne. Sans se montrer aussi émotive que la veille ! Vous n’avez jamais cherché à rejoindre des groupes plus importants ?

Ce fut à cet instant que Hadley et Peter refirent apparition dans la maison.

Elle ne savait pas combien de temps resterait Kaycee. Les Rhodes s'étaient concertés à ce sujet et, pour eux, il était impensable que la jeune fille reparte sur les routes. Mais Holly avait soulevé un point important. Kaycee était peut-être traumatisée de ce qu'elle avait vécu avant d'arriver chez eux. Peut-être n'était elle plus stable et qu'il serait impossible pour elle de rester avec cette famille, ce groupe de parfaits inconnus. Pour Hadley, que Kaycee reste deux jours ou deux ans était tout à fait pareil. Dans tous les cas elle refuserait de la laisser s'en aller sans être complètement en forme et prête à affronter l'extérieur.

Parce qu'en définitif, Hadley était bien consciente qu'ils ne pouvaient pas la forcer à rester. Certes il s'agissait d'une adolescente devenue orpheline mais cela ne leur donnait aucun droit particulier dans ce nouveau monde. Alors le moins que puisse faire Hadley était de soigner cette vilaine toux. Levant le nez, la photographe regarda la direction que pointait l'adolescente. Elle parlait de l'extérieur. La brune pinça les lèvres et fit une légère moue. C'était presque douloureux de savoir qu'une jeune fille si jeune avait affronté le monde entièrement seule. « C'est le principal. » Dit elle pour répondre au fait qu'elle ait dormi comme un bébé. « Peter ne va pas tarder. » Le blond qui connaissait parfaitement bien la maison désormais avait du retourner quelques boites et cartons pour retrouver le flacon avec lequel il revint quelques secondes plus tard.

« C'est déjà mieux que rien. » Et elle souleva un peu les épaules avec un léger sourire. Mais finalement lorsque Kaycee le porta à ses lèvres et qu'elle avoua que le sirop était trop bon, Hadley éclata de rire, un peu surprise qu'elle ait cette réaction. Un large sourire encore encré sur les lèvres, elle hocha de la tête pour lui répondre. « Oui. » Du pouce, elle désigna Peter derrière son épaule. « Dormir à côté de lui c'est une véritable épreuve. » Elle s’humecta les lèvres avant de reprendre. « Mais oui sinon, on se lève tôt le matin pour faire le tour des environs. Vérifier qu'aucune horde approche ou autre. Et tu n'as pas à nous remercier, ne t'en fais pas Kaycee. »

« Au boulot. » Lança elle à Peter, signe que la discussion était terminée puisque Kaycee était partie aux toilettes. Deux par deux, elle descendit les marches tout en enfilant son manteau. Une fois le fusil de son père récupéré, Hadley passa le pas de la porte pour aller effectuer la ronde. « J'vais à droite ? Et toi à gauche ? » Le tour du pâté de maison commençait.

Le craquement des marches fit relever la tête à la matriarche Rhodes. Légèrement penchée, elle scruta le couloir afin d’apercevoir qui venait la rejoindre. En voyant Kaycee, elle lui adressa un sourire tendre et sans rien dire, elle la laissa s'installer face à elle tout en reprenant le remplissage des bols qu'elle était en train de faire quelques secondes auparavant. Sans relever le regard, elle répondit à l'adolescente. « On fouille beaucoup et partout. » La réponse était évidente. Peut-être que la jeune fille cherchait à connaître quelques unes de leurs astuces. « On fouille quartier par quartier, maison par maison. On occupe toutes nos journées à ça. C'est fatiguant et dangereux mais on a réussi à mettre pas mal de conserves de côté. » Pivotant sur elle même, elle attrapa les verres. « Six personnes à nourrir ce n'est pas rien. » A la suite, la mère de famille lui posa quelques questions afin de savoir comment elle s'était débrouillée pour se nourrir jusque là mais surtout de quoi s'était elle nourrie.

Tout en inspirant, Holly leva les yeux vers le plafond, un torchon roulé en boule entre ses mains. Il fallait qu'elle fouille sa mémoire. « On a vécu dans un bateau pendant un temps. Mais l'hiver nous a fait partir. » Le petit déjeuner étant près, l'ancienne caissière s'installa à son tour sur un tabouret. « On a passé beaucoup de temps dans notre appartement. Il était dans Queen Anne. » Un sourire nostalgique vint étirer ses lèvres. « Et puis on a passé du temps sur les routes à dormir là où on le pouvait. Deux nuits ici, trois ailleurs. » Il n'y avait qu'ici que les Rhodes s'était véritablement établis. « On a voulu rejoindre un camp. Celui du stade du Century Link Field. Mais on est arrivé trop tard. » Hadley et Peter avaient terminé leur tour. Manteaux enlevés et armes rangées, ils vinrent se joindre à Holly et Kaycee. « Je disais que nous ne sommes pas aller dans le camp de réfugier du stade. Parce qu'il était déjà tombé avant qu'on arrive. » Et là Hadley s’immisça dans la conversation. « On a voulu en rejoindre un autre mais des fils de pute de militaire nous sont tombés dessus. Apparemment leur camp était tombé à eux aussi. » La photographe fit un geste dans l'air. Comme pour dire qu'elle n'avait aucune certitude sur ce que les militaires avaient bien pu dire. Portant le verre d'eau à ses lèvres, elle ne put s'empêcher de pester une nouvelle fois avant de boire une gorgée. « Tous des connards. » Souffla-elle. Boire l'obligea à se taire. Mais lorsqu'elle reposa son verre un peu brusquement, la colère lui revint immédiatement. « Ils ont exigé nos vivres. Parce que, tu comprends, c'était des soldats et que ces hommes exemplaires devaient se nourrir pour nous défendre ! » Évidemment, Hadley avait pris un ton d’exagération. Les yeux grands ouverts, elle mima la scène avec les mains. « Bizarrement. Ces hommes sensés nous défendre n'ont pas eu trop de scrupules à s'en prendre à nous quand on a refusé. ».

Peut-être que cette histoire ferait peur à Kaycee. Peut-être que cela suffirait à la faire rester ici, en sécurité avec eux.

De sa conversation avec Holly, Kaycee comprit que son problème n’était pas tant dans la manière dont elle cherchait de la nourriture jusqu’ici, mais dans sa fréquence. En effet, quand l’adolescente se trouvait bien heureuse de trouver de quoi se sustenter, elle se reposait tranquillement sur ses acquis et n’attendait qu’une nouvelle pénurie pour se remettre ardemment au travail. Il fallait dire qu’elle avait fait de ses déplacements sa priorité et c’était bien son erreur. Elle marchait trop, se dépensait trop, comparé à aux ressources alimentaires dont elle disposait et au temps qu’elle dédiait à dénicher ces dernières.

Quand la femme évoqua leur appartement de Queen Anne, la petite blonde lui dit qu’elle venait de son côté de Montlake. Elle écouta ensuite le périple visiblement éprouvant de la famille sur les routes, et l’évocation du Stade de Centurylink field la vit pincer ses lèvres. Elle baissa les yeux, repensant à son amie d’enfance, Rachel, qui était partie se réfugier là-bas avec sa famille. C’était toujours un sujet sensible, même un an plus tard. L’arrivée de Peter et Hadley dans la cuisine se fit à ce moment, si bien que la jeune fille put masquer son émoi et la suite de la conversation l’arracha même complètement à cette nostalgie. Kaycee plissa ses yeux clairs, se demandant si les militaires dont ils parlaient pouvaient être « ses » militaires à elle… ceux du lycée. Son regard se posa ainsi tour à tour sur la mère, la fille et le jeune homme, essayant de les sonder. Elle hocha la tête, nullement surprise par les propos de la brune.

- Le camp qu’on a rejoint avec mes parents était gardé par des militaires comme ça aussi, commença-t-elle à expliquer à son tour. Ils nous ont entassés dans un gymnase, les uns sur les autres. La plupart des gens ne comprenait même pas vraiment ce qui se passait dehors, y avait plein de rumeurs, et tout le monde était effrayé. On nous disait de faire confiance à l’armée, mais on ne recevait aucune info et on a fini par réaliser qu’ils se servaient dans les réserves avant de les partager avec nous. Ils disaient pareil, qu’ils avaient plus besoin de nourriture que nous, de confort, puisqu’ils nous protégeaient et tout…

Oui c’était potentiellement les mêmes militaires qui avaient croisé les chemins des trois filles de la pièce. Ou alors ils étaient tous pareils, comme Hadley semblait le sous-entendre… Si certains avaient trouvé grâce à ses yeux, l’adolescente partageait toutefois bien son avis ! Car si la révolte de Garfield avait fini en joyeux massacre, elle n’oubliait pas qu’elle y avait participé de tout son cœur à l’époque.

- Ils ont même violé des filles… ajouta-t-elle ainsi pour terminer de dresser le tableau, se souvenant de l’élément qui avait tout déclenché au lycée. Que seraient-ils tous devenus s’ils n’avaient pas pris les armes ? Nul ne le saurait. En tout cas, Peter devait se sentir parfaitement à son aise dans cette discussion !! Quand est-ce que vous avez croisé ces militaires ? C’était longtemps après le stade ?

Ses yeux se posèrent sur Holly et sa fille. Puis elle se retourna vers l’homme. Elle se souvenait qu’Hadley l’avait présenté la veille comme un membre récent du groupe, si bien qu’il avait une histoire propre. La curiosité poussa ainsi la blondinette à lui demander :

- Tu as eu affaire à certains d’entre eux, de ton côté ? Sans imaginer une seconde qu’il était lui-même jadis membre des forces armées !