Elle ne veut pas de mon Bounty. Damn. Et Selene n'est pas convaincue par ma défense. Qu'est-ce que j'peux dire ? J'suis pas doué pour ce genre de choses. J'me contente toujours d'esquiver la punition, m'excuser et récidiver. Alma a l'habitude. Notre petit manège continuerait à perpétuité, non ? J'accuse un instant le regard acéré de mon amie, apparemment vexée par les paroles de l'hispanique. Il y a - peut-être - un peu de quoi. Quand je récupère le regard de ma mère et qu'elle m'écrase de tout son discours, j'me contente de m'pincer les lèvres en silence, acquiescer sagement à chaque injonction. Je range doucement la barre chocolatée là où je l'ai trouvée, et commence à marcher à reculons, m'engager dans les escaliers sans pour autant la quitter des yeux. "Creo que la disgustaste." que Selene se sente au moins un peu épargnée par la suite de la conversation. "Deja de gritar delante de mis amigos, es ... vergonzoso."

Ding-Dong !

"J'prends !" Puisque je suis le premier à dévaler les escaliers, j'viens tout naturellement ouvrir la porte d'entrée. Sans penser d'ailleurs une seule seconde à ma gueule de déterré. C'est Tyron. Frais. A peu près. Plus que moi, en tout cas. Il remonte sur le haut de sa tête ses lunettes de soleil, l'énorme sourire éclatant. "Heyyy mec ! T'as vu ta gueule ? Tu t'es fait cogné ou quoi ?" ... Soit. On s'en tape cinq, quoi que de mon côté le geste se résume à un vague réflexe halluciné. Comme toujours. Ce mec ne connaît absolument pas les effets de la gueule de bois. Malgré tout ce qu'il pourra en dire. J'ai déjà assisté au processus complet : il tombe comme une brique le soir-même. Il roupille d'une lourdeur affolante. Le lendemain, il reste assis, complètement immobile, peut-être deux heures à regarder le vide. Il garde cette pose complètement imperturbable, quoi qu'on y fasse et quoi qu'on lui dise. Et puis à un moment, sans qu'on ne sache par quel force divine, il se dresse sur ses deux pieds et est déjà fin prêt à conquérir le monde. "Hey, j'ai l'crâne renversé, t'imagines pas. Mais j'ai pensé à toi et Selene !" Gros mytho, va. Il me montre les deux sachets de boulangerie qu'il tient à bout de bras, tout fier. "Hey, c'est cool, mais j'suis un peu aux prises avec -" "Tu daubes Eli, sérieux. Oh man, t'as vraiment gardé c'T-shirt ?" "C'est quoi l'soucis avec le T-shirt ?" "Haha, t'inquiète. Tiens j't'ai ramené ça aussi," Il sort de sa veste un petit pochon plein d'herbe et l'agite en toute innocence sous mon nez, "fraîch'ment séchée d'mon cousin Sta-" J'le coupe, tout en panique, chope le sachet pour l'envoyer bouler plus loin dans le jardin avant que la génitrice n'arrive pour constater le délit. En murmurant, j'ajoute, "Ma mère est là, ducon !" Il s'étonne, puis se met à rire en me dépassant pour entrer à l'intérieur. Il fait un peu comme chez lui, ici. Faut dire que le garçon y traîne depuis toujours - depuis notre rencontre dans la cour de l'école primaire. C'est généralement chez son père qu'on trouve refuge, mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

La présence d'Alma dans l'entrée n'suffit pas à le déstabiliser, et il vient même lui offrir une courte étreinte. Lui, a eu le temps de se doucher. De se changer. Il s'est même parfumé aux fleurs de printemps alors que j'baigne encore dans le houmous et la vodka. Je serai bientôt le dernier à empester la mort sous ce toit, et j'doute qu'Alma me laisse un break le temps d'arranger ça.

"M'dame Delgado, c'est votre fils qui vous contrarie comme ça ?" "Hm..." J'me renfrogne un peu, sens la coalition se former contre moi. J'referme la porte, et, profitant de cette petite distraction, je sors mon téléphone qui vibre à un message de Kathlyn, "Coucou, tu viens toujours ?" Je relève les yeux pour jauger de la situation, chope quelques mots de Ty au passage "Oh y en a pour vous aussi ! Vous aimez les gaufres j'espère !" J'secoue la tête, me penche à nouveau sur mon portable. L'esprit un peu volage ne remarque même pas qu'il vient de m'emmener sur un autre contact. Je me contente de répondre mécaniquement "J'arrive dès que je peux. Occupe toi déjà de réchauffer les draps " Envoyer. Me relire avec un petit sourire. Lever les yeux de quelques centimètres. "[...] C’était la putain de dernière fois que tu m’emmenais ici." Geler sur place. "Oh fuuuuck...!!" la plainte s'étrangle dans ma gorge.

"Ça va, Eli ?" J'relève le menton, verrouille l'écran de mon portable au plus vite pour le planquer dans la poche de mon jeans. "Tranquille." Pas du tout. Ça s'efface, un SMS ? Ça se rattrape ? Putain. J'regarde ma chère mère, ne serait-ce que pour me changer les idées. Un problème à la fois. "Tu m'regardes bizarrement, m'man."

Pour Alma: