Plusieurs semaines sont passées depuis notre départ de Georgetown. Tout ce temps passé sur les route à la recherche d’un endroit qui pourrait convenir. Un nouvel abri pour tenter d’essayer de reconstruire quelque chose, de laisser derrière nous la fin tragique d’Emerald Freedom. Partis vers l’est comme prévu, le voyage a été périlleux, nous avons finalement repris la route vers le Nord après avoir passé Renton. A plusieurs reprises, la route nous a été barrée par de nombreux groupes de rôdeurs de taille bien trop imposante. A chaque fois nous avons été contraints de les contourner ou de faire en sorte de leur faire changer de direction, étant bien trop peu nombreux et mal équipé pour s’en débarrasser. Sans compter les nombreux arrêts pour ne pas trop fatiguer les filles et Thalia…

Cela n’a pas été de tout repos, et après tout ce temps passé à chercher nous avons finalement pris la route de Mercer Island, comme l’avait suggéré Ian quelques semaines plus tôt. Le E. Channel Bridge passé non sans mal deux jours auparavant, nous avons rejoint le centre de Mercer Island Town, trouvant provisoirement refuge dans une petite maison d’un quartier résidentiel. Et c’est en partant en expédition ce matin-là, à la recherche d’un peu de nourriture dans le centre tout proche, que je tombe sur une grande propriété privée, entourant visiblement un grand jardin privé. Intrigué, j’inspecte longuement les lieux, finissant par contourner l’immense bâtiment. Remarquant le panneau « voie sans issue », je continue néanmoins ma progression cherchant une entrée dans le complexe… Mais en voyant la longueur interminable de ce gigantesque bâtiment, je finis par me dire que c’est bien trop grand. Non, impossible que cela puisse convenir. Je continue mon chemin dans l’impasse, remarquant alors d’autres constructions, bien plus petites. Une fois arrivé au bout de la rue, je tombe sur d’autres bâtiments de tailles moyennes, des résidences et ce qui semble être une sorte de maison de retraite d’après le panneau à l’entrée…

Bien décidé à y jeter un œil, je décide finalement de rebrousser chemin. Cela fait un moment que je suis parti, sûrement un peu trop longtemps au goût des autres. Rentrant jusqu’à la petite maison en trottinant, je croise quelques rôdeurs dont je prends le temps de m’occuper. Laissant le dernier corps tomber lourdement sur le sol, je rejoins la maison avant de faire signe à Nans qui monte la garde dehors. « Est-ce que tu peux entrer et prévenir Ian et Jackson. J’ai peut-être trouvé quelque chose. » Je n’en dis pas plus, rejoignant Emerson dans le salon, occupée avec l’une des petites O’Connell. « Désolé. J’ai mis plus de temps que prévu… J’suis allé un peu plus loin que le centre, y’aurait peut-être moyen de s’installer quelque part là-bas… Faudrait prévenir les autres et y aller, voir si ça pourrait convenir… » Je ne suis pas tellement sûr de mon coup, mais cela fait bien trop longtemps que nous sommes sur les routes… Et ce n’est plus possible de rester dehors avec les petites. « Nans est allé chercher les autres, j’pense que ça serait pas mal d’aller y jeter un coup d’œil ensemble… »

Les journées de survie avaient déjà été beaucoup plus faciles pour les survivants et pourtant, il ne disait rien et choisissait de se taire. Il n’était pas le plus à plaindre, bien au contraire. Il prenait sur lui puisque de toute façon, il n’avait pas vraiment d’autre choix. Il continuait continuellement de s’inquiéter pour sa femme. Il savait qu’elle était bien plus fragile que les autres adultes du groupe. Il faisait de son mieux pour faciliter sa survie et il savait que ce n’était pas facile. Il se sentait coupable de la forcer à voyager autant, mais à la fois rassuré de pouvoir compter sur autant de personnes. Il était en train de discuter avec sa femme lorsqu’il fit la tête passée par la porte. Le regard de Ian à l’égard de son père se voulait interrogatif alors que ce dernier éclaira tout ça en quelque mot.

- Dans le salon. Dans cinq minutes.

Ian écarquilla un peu les yeux, sans en savoir plus que ça. Il aurait voulu poser des questions à son père, mais l’homme était de toute façon déjà parti. C’était typiquement le genre de comportement qui correspondait à l’homme. Faire des phrases sans verbe pour aller au plus court possible. Ian savait était déjà debout et prêt à rejoindre le salon. Il ne savait pas ce qui se passait, mais il savait que les cinq minutes n’étaient que figuratives. Il ne savait pas trop de quoi il était question, mais il savait dans le fond qu’il le saurait bien assez tôt s’il prenait la peine d’aller au salon. Il glissa sa main dans celle de Thalia alors qu’il l’entrainait à sa suite. La maison n’était pas grande ce qui changeait bien du lycée dans lequel il avait vécu pendant des mois.

Arrivé sur place, il ne lui fallut pas longtemps pour repérer les Barnett et les des enfants qui était avec elle. Emerson était comme une maman adoptive pour elles et c’était absolument adorable. Ian ne dit rien au début, il savait que dans que les autres ne seraient pas la aucune discussion n’aurait vraiment lieu. Il attendit donc patiemment le retour de son père et des deux autres. Il souriait légèrement nerveusement alors qu’il regardait Kendale puis Emerson. Il y avait un truc, il sentait qu’il y avait un truc. Il n’avait pas eu de réunion sauvage comme celle-ci depuis un moment, parce qu’il fallait se rendre à l’évidence c’était exactement à ça que ressemblait ce rassemblement de tout le monde au même endroit.

- Qu’est-ce qui se passe alors ?

La voix de Ian était claire, il était bien content de ne plus avoir Trey dans les pattes, il était bien content de ne plus sentir son ombre peser sur lui. Non pas qu’il ne l’aimait pas, mais il avait peur de lui. Il faisait pari des rares personnes d’Emerald qu’il n’avait pas envie de revoir et résultat, il faisait malheureusement partie des rares dont il avait eu des nouvelles. Il aimerait tant savoir ce qu’était devenu ses anciens amis. Enfin, il n’était pas question de se morfondre aujourd’hui, il fallait penser à l’avenir et il savait que cette réunion serait sans doute pour parler du futur.

Après avoir longuement marché dans les rues de Seattle pour trouver un nouveau refuge, non sans affronter les rôdeurs qui pouvaient hanter la ville, pouvoir se poser dans une maison avait été un soulagement. Et ce même si ce n'était que provisoire. Thalia ressentait la fatigue au même titre que les autres. Tout le monde avait les traits tirés par les privations, les épreuves et l'inquiétude. Dans son cas, c'était sans doute encore exacerbé par sa grossesse : la fatigue s'attardait davantage. Malgré tout, elle ne pouvait s'empêcher d'être un peu agacée par les attentions dont elle faisait l'objet. C'est comme si tout le monde avait le désir de la mettre sous verre pour la protéger comme une petite chose fragile. Elle le comprenait et était touchée, bien sûr, mais ils n'avaient pas vraiment le luxe de se priver d'une paire de bras supplémentaire. Alors, elle tâchait de faire un compromis et de se préserver sans pour autant devenir un boulet pour le groupe.
La jeune femme venait de changer Evelynn lorsque Nans vint pour leur dire qu'il y avait une réunion improvisée dans le salon. Après l'avoir assuré qu'ils arrivaient, elle finit de rhabiller la petite en se promettant qu'elle lui ferait un apprentissage aigu de la propreté dès qu'ils seraient stabilisés quelque part. C'est qu'elle grandissait vite, et qu'elle avait désormais plus d'un an et demi. Ian lui prenant doucement une main, elle donna la seconde à sa fille qui savait désormais marcher de son pas maladroit et raide. Avant de quitter la pièce pour rejoindre le salon, la zoologiste déposa un doux baiser au coin des lèvres de son mari, et pressa doucement sa main dans la sienne. De simples gestes d'amour et d'affection, comme pour se donner mutuellement du courage au cas où les nouvelles ne seraient pas bonnes.

En arrivant dans le salon, ils trouvèrent tout le monde déjà assemblé, ou presque. Les filles O'Connell avaient même déjà leurs sacs sur le dos. Cela sentait le départ, mais pour aller où ? Ils n'allaient sans doute pas tarder à l'apprendre. Une certaine fébrilité planait dans la pièce, ce qui laissait penser qu'il y avait anguille sous roche. Evelynn poussa un petit cri enthousiaste en se défaisant de la main de sa mère, et alla jusqu'à Nans dans les jambes de qui elle s'accrocha. Ceci le temps de lever les bras et la tête vers lui jusqu'à ce qu'il cède et la porte. Apparemment satisfaite, la petite passa ses bras autour du cou de son grand-père adoptif et posa sa tête contre son épaule, attendant sagement la suite des opérations.
Au côté de Thalia, Ian demanda ce qui se passait. L'expression que Kendale arborait laissait entendre qu'il y avait du nouveau. Quelque chose qui était sans doute important. La jeune femme sentit son cœur se mettre à battre un peu plus vite. Sans doute espéraient-ils tous trouver un endroit sûr où s'établir et tâcher de reconstruire ce qu'ils avaient perdu, dans la mesure du possible. Elle voulut parler, mais se ravisa. L'urgentiste avait déjà énoncé clairement ce qu'elle pensait, et peut-être ce que d'autres pensaient également. Elle se serra très légèrement contre lui, dans l'attente d'une réponse qui allait sans doute être d'une grande importance.

Je ne peux retenir un sourire quand Catherine me fait les gros yeux, me reprochant d’avoir mis trop de temps à rentrer. Elle ajoute qu’Emerson n’était pas contente du tout de ne pas me revoir rentrer. Je croise alors le regard d’Emy avec qui j’échange un regard amusé. « Je ferai attention la prochaine fois, c’est promis Catherine. » La petite se contente d’hausser les épaules, avant d’aller chercher sa sœur à la demande d’Emerson.

Et alors que je veux répondre à la question de ma femme, j’entends les autres qui arrivent. Attendant alors que tout le monde soit là pour expliquer ce que j’ai trouvé, je salue Ian d’un signe de la main lorsqu’il arrive à son tour dans le salon. Puis c’est au tour de Jackson et Caly de faire leur entrée. Prêt à faire part de ma découverte aux autres, je laisse le temps aux petites filles de revenir s’installer sur le canapé du salon, visiblement enthousiastes à l’idée de repartir. Echangeant un nouveau sourire avec Emerson, je leur raconte alors « Ce matin, en partant en ravitaillement dans le centre, j’en ai profité pour explorer les environs. » Et à vrai dire… J’ai rapidement mis de côté mes recherches de vivres et de nourritures pour me concentrer sur ce quartier résidentiel, découvert non loin de là. « En parcourant les rues, je suis d’abord tombé sur une grande propriété close, entourant un grand terrain. J’ai d’abord pensé que ça pourrait convenir mais en essayant d’en faire le tour, j’ai bien peur que ce soit bien trop grand pour tenter de le sécuriser, nous ne sommes pas assez nombreux… » En évoquant ce problème de taille, je ne peux que repenser aux autres membres d’Emerald que nous avons perdu de vue… Avec plus de monde, cela aurait certainement pu convenir. Malheureusement, il nous faut quelque chose de plus petit… « Mais ce n’est pas tout, en faisant le tour de la propriété, je suis tombé sur d’autres bâtiments, plus petits, des résidences et ce qui a l’air d’être une ancienne maison de retraite. Je ne sais pas ce que ça vaut, mais je pense que nous devrions tous y aller, histoire de voir si ça peut nous convenir, à tous… »

J’essaye d’être le plus clair possible, de me rappeler des détails que j’ai pu remarquer lors de ma balade matinale. « Ces bâtiments sont au bout d’une impasse, mais j’ai cru voir un sous-bois derrière, avec sûrement de possibles issues. Ils ne sont pas visibles de la route principale, et je pense qu’il ne sera pas compliqué d’y sécuriser l’accès… » Je pense réellement que cela pourrait être un endroit où s’installer, alors je fais mon possible pour tenter de les convaincre que cela peut valoir le coup. « Je sais qu’on a pas mal vadrouillé ces derniers temps, on a tous besoin de se reposer… Mais je pense que c’est le mieux que j’ai pu trouver depuis que nous sommes sur les routes. Ça serait bien qu’on aille y jeter un œil, tous ensemble. Je n’ai pas pris le risque d’y entrer seul, je ne sais pas ce qu’on pourra y trouver… »

Je détourne les yeux vers Emerson, lui faisant comprendre que j’ai vraiment envie d’y croire cette fois. Sa mine fatiguée, ses yeux gonflés par l’épuisement, il est temps pour nous de trouver un endroit pour nous poser. Et il n’y a pas qu’elle qui a besoin de repos. Thalia et les petites aussi… « On peut y aller tout de suite, si vous voulez. Le quartier m’a paru plutôt calme, je n’ai pas croisé beaucoup de rôdeurs. »

La raison de la présence de tout le monde était pour le coup, une bonne nouvelle. Ian avait eu peur l’espace d’un instant que Kendale ne leur annonce la fin de cette coopération. Il n’avait pas envie. Il fallait que ce groupe dur, il fallait qu’ils tiennent coute que coute. Sept adultes ce n’était vraiment pas beaucoup, c’était même bien trop peu s’il devait y émettre une opinion sur la question, mais le choix, il ne l’avait pas et il était bien contraint de faire avec. Il réfléchissait un peu à tout ça. Pour lui les options n’étaient pas si nombreuses que ça…

- Si comme le dit Emerson, on peut se contenter d’un bâtiment annexe pour commencer cela me parait une bonne option.

Kendale voyait peut-être un peu grand, mais après tout c’était peut-être une bonne chose pour eux. Un terrain qui était déjà totalement clôturé était une bonne chose au niveau de la protection, c’était une chose qu’ils n’auraient ensuite pas besoin de faire eux-mêmes. Ce n’était peut-être pas très rassurant de se sentir en prison, mais c’était avant tout être en sécurité. Il avait fait le choix de suivre les Barnett, ce n’était pas aujourd’hui qu’il ferait marche arrière en tout cas. Il retournait la situation dans sa tête avant d’entendre les mots de la blonde. Oui, il n’avait pas énormément de choix.

- Il faudra être prudent, mais si chacun donne du sien tout devrait bien se passer.

Ce serait un travail long et fastidieux, qui demanderait sans doute beaucoup de temps et d’énergie. Le premier, il en avait sans doute pas mal, l’énergie cependant, devenait un problème. Ils étaient tous épuisés à cause du manque de sommeil et de nourriture. Il était sans doute temps de trouver une vraie maison, un endroit dans lequel s’établir et où ils pourraient être en sureté. Il fallait encore prendre trop de choses en compte avant d’avoir finalement un toit relativement définitif sur la tête, Ian avait peur d’avance, mais ça ne lui faisait pas peur pour autant.

- Il y a des chances qu’un endroit comme celui-ci a été pillé, mais dans ce cas, c’est plutôt positif, ça implique qu’une partie du nettoyage a déjà été faite…

Oui, il essayait de voir le côté positif. Si des vivants étaient déjà passés par ici et bien, il aurait dû tuer des malades ou en devenir eux même. Dans le premier cas cela impliquait qu’il y avait une menace moindre, dans le second que leurs sacs à dos seraient des trésors. C’était rare de voir l’urgentiste positivé, mais pour la première fois depuis longtemps il avait l’impression de voir la lumière au bout du tunnel.