« Tu as été marié ? » Ne put-il s’empêcher de commenter.

Pas qu’il le jugeait ou quelque chose de ce genre. Plutôt qu’il ne parvenait qu’à jalouser cet état de fait. Parce que lui en avait été tout bonnement incapable : il était un menteur, un joueur, trop content de sa célébrité, trop narcissique et égocentrique pour réussir à se focaliser sur quelqu’un. Il avait connu des filles que ça ne dérangeait pas, tant qu’elles étaient éclairées par sa lumière, tant qu’elles baignaient là-dedans avec lui. Mais si c’était pour être malheureux ? Quel intérêt…

« J’trouve ça… Impressionnant. » Admit-il ensuite, jouant nerveusement avec sa bouteille avant de pincer les lèvres : « Et respectable en un sens, même si c’est clairement pas pour moi ça. »

Ça mettait du temps, avec Elena. Beaucoup de temps, au point où il doutait que ça se fasse un jour. Comme s’il n’était pas fait pour partager une vie avec une personne, ne serait-ce qu’une partie. Quand il voyait les gens normaux, il se sentait coupable de ne pas l’être. Et à la fois, il savait qu’il ne pourrait jamais coller à ce qu’on attendait des personnes comme ça. A quoi bon ? Pourquoi s’enfermer sans arrêt dans un paradoxe insoluble, hein ?

« Ouais, clairement. » Par dépit, il ouvrit la bouteille et la porte à ses lèvres. Rinçant au passage la brûlure atroce de l’alcool de Thomas en la remplaçant par une autre pas aussi douloureuse mais qui n’éteignait aucun feu. « J’ai jamais réussi à me poser, et j’sais pas si j’aurais été heureux ou si j’aurais réussi à la rendre heureuse. »

Il était faible, inutile, trop crétin, trop égoïste pour ça. Et ça faisait un sacré coup de devoir l’admettre ouvertement, et de se rendre compte qu’il était incapable. Lancer une balle, ça n’était pas prendre soin d’une personne qu’on aimait. Encore fallait-il qu’il sache comment aimer, sincèrement. Il pouvait apprendre, mais est-ce que seulement il y avait des leçons pour ça ?

« J’étais con à l’époque, et de toute façon, j’ai jamais croisé la perle rare qui m’aurait fait tout quitter sans un seul regret. » Raconta-t-il avec un sourire triste : « Là-dessus, t’es… Loin devant moi. »

Même si ça avait été un échec. Comme il se disait souvent, une défaite n’était que la preuve d’une tentative. Et on échouait vraiment que lorsqu’on abandonnait, non ?

« A part si ta femme, c’était pas la bonne, t’sais, comme dans les films et les séries, celle qui change tout. » Rajouta Connor, sans savoir s’il dépassait une quelconque limite avec son collègue du soir.

Il était déjà trop fait pour s’en soucier.

T.H.

Un bout de papier ? ça n’avait pas été seulement un bout de papier pour ses parents. Il avait grandi avec l’idée que c’était important, et s’enlever l’idée de la tête désormais n’avait rien d’une évidence. Thomas pouvait se tromper, n’avoir vécu qu’une partie de l’histoire : celle de son point de vue. Il avait cependant raison sur un point : rien n’était aussi binaire ou ne l’avait jamais été. Connor le savait bien, même s’il avait du mal à l’admettre. Parce que dans sa mentalité, il fallait voir les choses de deux manières : comme une réussite ou un échec. Il n’y avait pas de juste milieu, de petites victoires par exemple. Seulement des défaites.

Il pinça les lèvres, hocha la tête.

« Trente-trois. » Précisa-t-il, un peu gêné qu’il lui demande son âge. Pas parce qu’il en avait honte, mais il donnait l’impression d’être un gamin qui n’y connaissait rien à côté. Un peu frustrant. « Parce que toi, tu n’as plus le temps de trouver un de ces chemins ? » Lui demanda-t-il. « T’as quoi ? Cent trente ans dans ta tête, peut-être ? »

C’était absurde, et il n’allait pas se gêner pour le dire et le redire s’il fallait le répéter. Et peut-être que la vie n’était pas comme dans les séries ou les films, mais il avait l’impression parfois que le script de la sienne était tombé entre les mains d’un sacré dramaturge qui avait envie de le faire souffrir un peu. Pour que le personnage gagne de la profondeur, probablement ! Allez savoir ce que cette tête de nœud avait en tête…

« Non, je n’ai personne. » Répondit-il à Thomas, avant de pincer les lèvres. « J’ai cru, pendant un temps, que j’avais une chance avec quelqu’un ici, et j’ai eu envie que ça marche mais je me suis trompé. »

Sa gorge ne put que se nouer. Il pouffa d’un rire sans joie, parce qu’il se sentait incroyablement con. Connor y avait cru, à ce petit mieux qui aurait pu changer la donne. Il avait cru voir chez Elena de l’intérêt, de la tendresse, surtout lorsqu’il s’était pris cette balle pour elle. Il avait été juste fou, fou d’y songer sérieusement, et peut-être que cette situation ne se débloquerait jamais. Il désespérait sérieusement que ça arrive de toute façon…

« On passe à quoi ? » Lui demanda le blond en se tournant légèrement vers lui : « Comment t’es arrivé ici, ou pourquoi ta femme a pas été assez patiente pour te sortir de ton merdier ? »

T.H.

« Y’a pas de mal, tu peux rien y faire. Et c’est pas si important. » Souffla Connor en lui faisant un signe de la main.

C’était pas important, ou tout du moins tentait-il de s’en convaincre depuis un long moment. Sans toujours y parvenir, parce que ça lui faisait mal au cœur et que ça le quitterait jamais. Y’avait des rendez-vous qu’on manquait forcément, et il ne restait derrière que des regrets, amers, comme le goût du sang dans la bouche. Thomas était bien placé pour le comprendre, et son changement de facies le frappa d’autant plus. Avait-il dit quelque chose de mal ? Il n’en avait pas l’impression.

Mais Connor était du genre arrogant, certain de parler juste lorsque ça lui prenait. Pour lui, c’était un état de fait : si divorce il y avait eu, c’était probablement parce que Thomas était trop les deux pieds dans sa merde pour s’en sortir, mais aussi, peut-être, parce que sa femme ne l’avait pas aimé assez pour l’aider. Et ça… on ne lui retirerait pas.

« Désolé, je voulais pas être méchant » Commenta-t-il en levant les mains, comme pour se montrer innocent. « J’demandais juste… »

De toute façon, la suite du discours donna le ton : l’histoire de l’errance de Thomas jusqu’au ranch fut… étrangement vague. Comme s’il cherchait à ne donner aucun détail sur ce qui avait pu advenir, et sur ce qui l’avait durablement marqué. Ça n’était cependant pas leur accord, et Connor ne pouvait le pousser à le faire. Ça serait de la curiosité mal placée, juste un moyen de remuer le couteau dans la plaie au pire moment. N’empêche que sans mot, c’était parlant.

« Sans Francisco ? J’vivais pas loin. Ma sœur et moi, on vient de Las Vegas, mais on est partis sur Seattle pour le boulot. C’comme ça qu’on s’est retrouvés là en fait. » Raconta-t-il en fronçant les sourcils.

Bordel, ça remontait déjà à si loin. Ça faisait plus d’un an que Miguel était mort. Un an. Il n’imaginait pas le malheur de sa sœur à ce sujet, mais pire encore… Il n’arrivait pas à se mettre à sa place. Ça lui faisait peur. Et à la fois, il l’enviait d’avoir réussi à y croire, même si elle y avait perdu. Il hocha la tête, réfléchissant pour lui-même. C’était trop compliqué alors… Il but une autre gorgée, en sentant déjà ses pensées s’embrouiller.

T.H.

« J’suis persuadé que j’aurais pas posé les yeux sur toi en d’autres circonstances. J’aurais eu l’arrogance de croire que tu voulais un autographe, et j’serais passé à autre chose. T’aurais probablement pas été une anecdote dans ma journée… Comme la majorité des gens de ce ranch. » Souffla Connor après un soupir.

Il passa sa main sur son visage, comme pour essayer de se dégriser, mais ça ne marcha pas. L’alcool le rendait bizarre, déprimé, la majorité du temps. En tout cas, passé une certaine consommation. Lorsqu’il en avait trop. Lorsqu’il quittait son air jovial pour enfiler son manteau de tristesse. C’était le signe qu’il devait arrêter. Sauf que depuis le temps, il ne passait même plus par la phase alcool-joyeux : il tombait juste dans un antre noir, terrifiante, faites d’idées sombres.

« Et aujourd’hui, j’me sens comme la pire des merdes au milieu d’gens que j’aurais ignoré y’a deux ans de ça… » Il pouffa d’un rire sans joie, comme à son habitude dans ce genre de moment. « C’est juste incroyable. »

Incroyable de voir ce que le monde l’avait changé. Comment il ressentait le poids de la culpabilité et du manque. De ne pas avoir pu sauver Alan, Arthur, Christina, Isabel,… Blake aussi. Il aurait voulu pourtant. Il rêvait encore d’y arriver, certaines nuits, avant de cauchemarder ses échecs. Croire qu’être en vie suffisait à rendre cette existence supportable, c’était bien la pensée d’une personne qui n’y comprenait plus rien. Connor n’y croyait plus, lui. Il avait besoin d’une raison pour se lever le matin, et ça devenait de plus en plus compliqué d’en trouver.

Parler lui fit étrangement du bien cependant. Sans doute parce que sa langue était plus aisément déliée par l’alcool, mais aussi parce qu’il avait l’impression qu’on le comprenait. Qu’en face, Thomas traversait les mêmes maux, depuis plus longtemps encore.

« On devrait s’arrêter là pour ce soir, et… Reprendre une prochaine fois. » Le sportif tourna le regard vers son voisin, venant attraper sa flasque pour la déboucher pour lui. Pas dit qu’il y trempe les lèvres, mais il comprenait pourquoi il se tuait à petit feu. « Même heure, même endroit, même genre de discussion. » Jura-t-elle. « Pour y aller par étapes. Et se plaindre de tout ce qui tourne pas rond. »

Il ne força pas un sourire sur ces mots. Lui avait eu sa dose pour ce soir, ça lui suffirait pour trouver le sommeil. Ou ce qui y ressemblerait un peu. Parce que c’était pour ça qu’il buvait : parvenir à fermer l’œil, rien que quelques heures.