Mais c’était qu’il avait du caractère, ce gros naze ! Casey le fixa avec des gros yeux, outrée qu’il se comporte comme le dernier des crétins. Monsieur n’aimait pas sociabiliser, il ne voulait pas l’entendre se plaindre, alors qu’elle avait MAL et donc, par définition, le droit de le faire. C’était un comble ! Elle pesta en détournant le regard : ne tenant pas à se vider de son sang bêtement, il valait mieux obtempérer. Mais dès qu’elle en aurait l’occasion, elle le pousserait probablement dans des escaliers pour qu’il se casse un bras…

Et quand il faudrait quelqu’un pour lui remettre en place et le soigner, et qu’il hurlerait de douleur, elle voulait être la seule capable de l’aider pour lui dire « bah alors ? Si faut que j’te soigne, tu devras pas pleurer comme une petite fille de cinq ans qui vient de se faire un bleu sur le genou. C’pas si grave c’que t’as ! C’est pas ton os qui sort ? Si ? C’est dommage. » Oui parce que du coup, ça serait forcément une fracture ouverte, et il aurait encore plus mal.

C’était pas gentil de lui souhaiter ça, mais lui n’était pas gentil de ne pas comprendre sa douleur. A se demander s’il avait un cœur capable d’un peu de pitié. Elle manqua de crier lorsqu’il commença à la recoudre, parce que ça n’avait rien d’agréable. La douleur de l’aiguille était à peine atténué par la douleur de l’alcool sur son bras tout à l’heure. Elle avait envie de chialer comme une gamine ! Et lui, il la comprenait même pas…

Comment est-ce qu’un type comme lui avait pu finir à l’infirmerie, au juste ? C’était pas possible. Elle avait conscience qu’elle était pas vraiment dans un groupe d’enfants de chœurs, mais de là à tomber sur le dernier psychopathe consanguin de sa lignée, c’était chaud patate au niveau du karma ! Elle contempla l’homme un long moment, jusqu’à la fin de son œuvre avant qu’il ne lui applique ses derniers conseils.

« Mouais… » Grogna-t-elle, les sourcils froncés qui témoignaient vraisemblablement de sa frustration. Elle avait toujours envie de lui casser un genou. Encore plus lorsqu’il tapota sur sa tête. « Mais eh ! » Geint-elle en le fixant avec de gros yeux. « C’est quoi ton prob-ouh ! »

Elle se redressa, se mit sur ses jambes, et ressentit une vilaine chute de tensions qui manqua de la faire s’étaler par terre. Décidément. Se rattrapant à son siège, elle mit un temps à retrouver la vue, mais dès qu’elle put discerner des formes, ce fut pour voir la sale tête d’Elias. Merde quoi !

« Va y, tu m’as fait un truc chelou ! » Grogna-t-elle. Elle n’allait pas rentrer tout de suite pour le coup, question de sécurité. Même si l’idée de rester coincé avec lui ne l’enchantait pas des masses pour le coup.

La p'tite blonde boudeuse voulu se mettre sur ses jambes sans vraiment faire attention. Et, forcément, la répercussion ne tarda pas à lui tomber dessus. Croisant les bras contre son buste gonflé, Elias laissa un vague sourire flotter sur ses lèvres. Il compta dans sa tête. Le nombre de secondes avant qu'elle ne lui jette la faute dessus.

Cinq secondes, joli ! Tout juste le temps pour se remettre de son violent vertige. Elle ne perdait pas de temps, la nenette.

- D'où ! S'exclama-t-il. Quand on perd autant de sang on se lève pas aussi vite, tout le monde le sait !

Il roula des yeux, retourna dans son armoire où il se mit à genoux pour fouiller un peu dans son joyeux bazar.

- C'est pas possible ça, pas de merci, rien ! J'aurais dû la laisser se vider et mourir dans son coin en la regardant … j'aurais pu rendre le truc encore plus affreux pour elle … p'tin j'aurais pu vraiment faire mumuse et lui donner une raison de brailler, et voilà ! Voilà ! Solidarité ! Remerciement ! La gentillesse ne paie pas, décidement ! J'suis mal jugé. Mal jugé. J'fais des efforts et voilà !

Tout en baragouinant dans sa barbe, il finit par mettre la main sur ce qu'il cherchait. Une jolie exclamation ravie lui échappa, coupant court à ses ronchonnements. Il sortit d'une petite boîte une minuscule petite chose avant de se remettre sur ses jambes et de rejoindre Casey.

- Tiens, un susucre.

Il lui lança en cloche.

- Ca te fera pas de mal. Mais sache que tu le mérite pas.

Il tourna les talons, constata qu'effectivement, la p'tite blonde avait perdu pas mal de sang, et soupira un peu, dépité. Lui qui détestait le ménage.
Il jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule, hésitant à lui demander de nettoyer ce qu'elle avait sali avec tant d'entrain, avant de choisir de le faire lui-même. Un petit aller-retour dans la salle de bain lui permit de récupérer quelques pièces de tissus qu'il humidifia avant de se mettre au sol pour frotter le sang qui avait déjà commencé à sécher.

« Pourquoi tu me l’as pas diiiit ! » Grogna-t-elle alors qu’ils entamaient tous deux un concours de ralage en règle. Et ils pouvaient être extrêmement doué ! Elias avait même du panache dans le domaine, qui fit réagir Casey au quart de tour. Elle pouffa, pesta, soupira, grogna et secoua la tête dans la foulée, avant de lever les yeux au ciel. Il méritait le prix du pire infirmier du monde : « Tu vois, c’est de ta faute ! Au lieu de me dire de rester calme et d’attendre, tu m’dis rien, je peux pas le deviner, j’ai pas fait médecine, MOI ! »

Il avait un don tout particulier pour l’agacer. Quoi que ! Sur le coup, elle avait aussi envie de se marrer, parce que cette situation avait tout d’absurde. Elle était donc partagée entre le fait de le cogner et de lui balancer sa chaise à la figure, ou tout simplement de partir en fou-rire pour tout ce qu’il lui faisait vivre.

« T’es vraiment le pire du pire ! » Grogna-t-elle finalement avant de rouler des yeux.

Elle attrapa finalement le sucre qu’il lui lança, en regardant ce qu’elle tenait dans la main avec une pointe de curiosité. Enfin quelque chose de censé ! Pensa-t-elle avant de le fourrer dans sa bouche. Tant pis pour les carries ! Elle croqua dedans, se délecta du goût, et pouffa de rire après avant d’avaler histoire de pas lui parler comme une grosse mal polie dégueulasse :

« Tu veux que je t’applaudisse aussi parce que tu regardes pas tes patients mourir comme tous les gens censés qui font ton métier ? » Lui demanda-t-elle sans cacher son ironie, l’avisant d’un regard perçant : « MER-CI. »

Et Casey détacha méthodiquement les syllabes, dans le but évident de continuer à se moquer. Ce type en faisait trop… Comme elle ! Et elle n’était même pas en bonne voix pour s’arrêter malheureusement pour eux. Ils pouvaient continuer des heures sans s’épuiser, en faisant mine de trop se blaser l’un l’autre sans admettre qu’en fait, ça les faisait marrer.

« Voilà, t’es content ! » Elle fit la moue, pinça les lèvres, et croisa les bras sur sa poitrine : « Trop aimable de pas m’avoir laissé me vider de mon sang devant ta porte, drôlement sympa le gars ! J’t’offrirais bien le Nobel de la paix, mais je l’ai pas sur moi ! » Elle tapa même dans ses poches pour lui prouver qu’elles étaient vides et qu’elle disait la vérité.

- Mais parce que … tout le monde le sait !

Il leva les yeux au ciel, outré, et vint faire claquer sa main contre front avant de rejoindre son armoire pour lui chercher son sucre. Mais elle était vraiment cruche, c'est pas possible ça !

- Y'a pas besoin de faire médecine pour savoir que quand on se lève trop vite on a des vertiges !

S'ensuivit une série de ronchonnements du côté d'Elias, qui, au fond, ne prenait pas trop la situation à cœur. Lui qui s'ennuyait, à présent, ça allait mieux. Casey était distrayante, elle lui faisait penser à un personnage de dessin animé. Il prenait grand plaisir à en rajouter une couche de son côté pour mieux observer à la dérobée sa petite bouille d'offusquée de la vie.

- T'es vraiment le pire du pire.
- C'toi le pire du pire, répliqua-t-il avec la maturité d'un enfant de huit ans.

Elle avala son morceau de sucre avec avidité, si bien que le polynésien se fit la réflexion qu'il aurait aussi bien pu lui donner n'importe quoi qu'elle l'aurait gobé avec autant d'entrain. Cette pensée le fit vaguement sourire.
La p'tite femme enchaîna encore. Un vrai numéro. L'aide-soignant suivit son one-woman-show avec attention, à genoux, sourire aux lèvres et bras ballants, et lorsqu'elle eut terminée, il se mit à rire un peu. Sa main se passa dans ses courts cheveux, il leva la tête et admira une fraction de seconde son plafond.

- Woah t'es trop marrante !

Une pointe de moquerie se lisait tout de même dans sa voix. Il claqua un grand coup des mains et les posa sur ses genoux. Ainsi penché en avant, il la regarda comme on regarderait un jeune enfant faire ses premiers pas.

- On dirait un petit chien dans un cirque !

Il eut un regard du côté du côté de la fenêtre avant de se mettre sur ses jambes. Le sol plus ou moins nettoyé. Il fera ça un peu plus proprement quand il en aura envie.
Dehors, l'eau continuait de couler sans s'arrêter. Au moins la communauté allait avoir de l'eau pure pour les prochains jours.

- J'aurais presque envie de te casser l'autre bras pour pouvoir te soigner à nouveau !

Ça, c'était bizarre, voir carrément glauque. Mais, venant d'Elias, c'était … gentil. Ce n'était aucunement de véritable menace, peut-être que Casey sera en mesure de le comprendre. Dans tous les cas, il avait été sincère.
Il récupéra la bassine d'eau souillée de sang et alla la vida dans la baignoire de la salle de bain.

- Tu veux rester le temps que la pluie cesse ? J'ai pleins pleins de revues médicales hyper intéressantes. Tu peux même poser ton cul sur mon fauteuil. J'suis un ange, pas vrai ?

C’était donc vraiment vrai : lorsqu’Elias côtoyait quelqu’un, ce dernier perdait la moitié de son QI et retombait en enfance. Casey se sentait comme une gosse, à lui tirer la langue alors qu’il lui renvoyait à la figure un « c’est toi le pire du pire », comme si ça valait vraiment un argument. Déjà qu’elle n’était pas spécialement mature, avec lui, elle devait avoir approximativement six ans. Pas plus ! Moins, c’était encore à débattre. Secouant la tête, elle pouffa d’un rire mauvais à sa remarque :

« Le p’tit chien dans un cirque, il mord, fais gaffe ! » Menaça-t-elle froidement en le foudroyant du regard. Même si la suite de sa déclaration avait tout de sordide, lorsqu’on y pensait. C’était sûrement un compliment… Maladroit ! Ou un compliment à la Elias, qui avait sa propre catégorie de compliments… « Ah ouais, ça c’est charmant comme déclaration ! »

Ses yeux se tournèrent vers la pluie à l’extérieur, et elle hocha la tête. La proposition du fauteuil ne tomba pas dans l’oreille d’une sourde. Elle fronça les sourcils et se leva leeeentement. Pour s’approcher leeeentement du St Graal et… tomber dedans comme un gros sac :

« Aloooors… » Commenta-t-elle en regardant tout autour d’elle : « C’est donc ça qu’on voit quand on est Elias Manaora… » Elle hocha la tête plusieurs fois, cherchant l’inspiration. Elle n’en avait aucune : « Fascinant. »

Pas du tout. C’était assez ordinaire en fait. Ce qui devait être fascinant, digne des montagnes russes, c’était d’être carrément DANS la tête d’Elias. Parce qu’il devait y avoir de la compagnie, de quoi discuter des heures. Elle fixa l’homme revenant dans l’infirmerie de fortune, après avoir vidé son bien dans la baignoire de la bâtisse. Elle le contempla un long moment avant de lui demander :

« En fait, t’avais rien à faire avant que j’arrive, nan ? » C’était une question sérieuse ! Elle était curieuse. « Y’a parfois du monde ici, au moins ? » A part les militaires qui reviennent en urgence, mais ça, il fallait plus compter dessus en soirée ou au retour de ravitaillement. « Tu t’ennuies pas trop ? Tu te sens pas seul ? » Demanda-t-elle.

Elle n’allait pas lui proposer de venir le distraire trop souvent. Ça impliquerait devoir se blesser ou le supporter aussi dans ses mauvais jours – pire que celui-ci, donc – et elle n’était pas encore disposée à sacrifier sa dignité.

Elle ne se fit pas prier pour s'installer dans le fauteuil d'Elias, comme s'il s'agissait d'un trône. Fièrement, elle posa ses fesses, et sembla très satisfaite de se trouver-là.
Le Polynésien, quant à lui, choisit de s'allonger de tout son long sur le lit. Bras repliés derrère la tête et jambe croisée, il remuait son pied distraitement, yeux levés vers le plafond.

La remarque de la jeune femme arracha un semblant de rictus à l'aide soignant.

- Certains paieraient cher pour s'asseoir-là, tu sais. Certains paient, déjà. Oui madame.

C'était faux, totalement faux, et Casey devait le savoir autant qu'Elias. Mais qu'importe ? Inventer était tellement plus amusant que de se contenter de la vérité !

- Je lisais, répliqua-t-il avec simplicité.

Il tourna la tête vers elle en se mordillant la lèvre inférieure, s'attendant presque à se prendre une petite pique du genre 'ah mais tu sais lire ?' et qui en l'aurait pas fait rire du tout tant elle serait prévisible.

- Oh, si, un peu. Mais pas en ce moment. Après j'suis pas toujours là. J'fais d'autres trucs aussi, hein. Des fois je suis de garde, souvent avec Stan. On s'ennuie pas. J'hésite à le faire tomber du haut de notre rempart pour pouvoir le garder en convalescence ici et avoir un peu de compagnie.

Il eut un petit rire. Il était vaguement au courant du lien qui unissait son ami à Casey. Rien que pour ça, il ne pouvait s'empêcher de l'apprécier, la p'tite blonde. Les p'tites copines de ses amis sont ses amis, c'est ainsi.

- J'serai pas contre sortir un peu plus souvent. Pas toi ?

Parce que même s'ils étaient en sécurité, au sein de l'Île, Elias avait passé la plus grand partie de l'apocalypse dehors, et presque seul. À bouger, à errer, à lutter pour survivre. Il avait l'impression d'être en pause depuis qu'il était ici, de ne plus avoir ce goût du danger, l'adrénaline et la fierté de vivre.

« Fais ça à Stan et j’vais te clouer à ton siège définitivement, tu vas voir ! » Le menaça-t-elle en bondissant à moitié de son siège.

Elle secoua négativement la tête, le visant d’un index accusateur qui lui jurait le pire s’il y songeait presque sérieusement. Il y avait des trucs qu’il ne fallait pas dire, surtout pas lorsqu’il s’agissait de ses proches ou d’une famille qu’elle aimait par-dessus tout. Stanley, c’était son quotidien désormais, et possiblement son avenir. Pas question qu’il finisse en bas d’un rempart pour les beaux yeux d’Elias. Même si les deux étaient très amis, elle suspectait le polynésien totalement capable de ce qu’il menaçait de faire.

« D’ailleurs, je sais pas ce quoi le pouvoir que t’as sur lui, mais dès qu’il passe la journée avec toi, il devient débile, c’est dingue ! » Fit-elle dans la foulée, esquissant une petite grimace.

Elle s’adossa un peu mieux au siège, s’enfonçant dans l’assise comme si elle y glissait. Le bras ramené avec précaution contre elle pour s’éviter des douleurs, elle poussa un long soupir en fixant ses yeux sombres sur son infirmier du jour. Il n’y eut qu’un petit rire pour venir troubler l’ambiance, alors qu’elle esquissait un sourire amusé :

« J’te jure que parfois, il me fait un peu honte. » Ajouta-t-elle. En fait, surtout lorsqu’il passait du temps avec Elias et revenait excité comme jamais. « Mais j’l’aime en vrai, donc j’lui pardonne. »

Eh oui. Vraiment. Passionnément. En toutes circonstances. Casey aimait Stanley même quand il régressait à l’âge de six ans et faisait n’importe quoi. Elle ne parvenait même pas à s’en lasser, ou le gronder, ou quelque chose dans ce genre-là, parce qu’il lui manquait la majorité du temps. Elle était d’ailleurs persuadée qu’elle ne l’aimerait pas autant s’il n’était pas un petit peu chiant de temps en temps.

« Sortir ? Ouais. » Ajouta-t-elle en plissant le regard. « C’est surtout qu’j’aimerais que les gens ici soient… Un peu plus conscient du dehors. Qu’y’ait pas un fossé si grand entre l’extérieur et notre petite vie tranquille. » Elle se racla la gorge, roulant avec la chaise jusqu’au bureau où elle scruta les quelques magazines qu’elle trouva. « On est jamais sortis tous les deux, hein ? Non, j’m’en souviendrais. Pénible comme tu es, ça m’aurait forcément marqué. »

Casey secoua la tête.

« Faudra qu’on essaie, un jour. » Ajouta-t-elle, distraitement.