L’après-midi allait bientôt débuter et Noam Artémis sortait finalement de sa chambre. Il n’avait pas dormi toute la matinée, loin de là. Il avait regroupé tous les bouquins qu’il avait pu trouver sur les sujets qui l’intéressait et farfouillé pour trouver un stylo encore en état de marche et quelques morceaux de papier. Installé sur son lit, il avait pris des notes, réfléchi, dessiné des schémas. Deux sujets principaux avaient capturé son attention : le potager et la médecine. Il avait commencé par le potager. Il avait bien l’intention d’optimiser au mieux cet espace et d’en faire quelque chose qui leur permettrait de subvenir à leurs besoins. L’autonomie était sans doute la clé de leur survie et si le jeune homme savait bien qu’ils n’y arriveraient pas en un claquement de doigt, il était prêt à mettre toutes les chances de leur côté. Avant tout ça, il s’intéressait déjà pas mal à la permaculture et en avait vu des exemples d’utilisation dans la coopérative. Il était persuadé que cette technique était leur salut. Laisser de la marge à la nature, utiliser la complémentarité des plantes et faire d’un petit espace une zone de rendements élevés. Il n’était pas expert dans la matière et savait qu’il lui faudrait du temps pour tout assimiler. Il commettrait sans doute des erreurs mais il avait un plan solide à proposer à ses camarades et savait ce qu’ils allaient devoir chercher. Noam Artémis avait donc passé toute la matinée plongé dans ses réflexions. Il comptait ensuite s’attacher à la médecine suite à sa discussion avec Emerson mais quand il releva enfin la tête de son bouquin, il se rendit compte que l’heure était bien plus avancée que ce qu’il pouvait penser et que son ventre gargouillait. Il n’avait pas mangé le matin même, trop pressé de commencer ses recherches. Les autres avaient dû trouver étrange de ne pas le voir se manifester. Il leur expliquerait au besoin. S’étirant donc, Noam décida finalement de sortir de son antre et d’aller voir s’il y avait quelque chose à manger, histoire de maintenir ses capacités cognitives.

Noam Artémis arriva finalement dans la cuisine. Il se servit un verre d’eau et attrapa deux barres de céréales qui trainait dans le coin. Il avait faim certes mais ceux qui partaient en expédition avaient plus besoin d’énergie que lui. Il se contenterait de ça pour le moment et verrait plus tard dans la journée comment son corps réagissait. Commençant à manger la première, son verre d’eau dans l’autre main, Noam décida d’aller prendre un peu l’air. On était toujours mieux dehors. Il prit donc sa petite collation, profitant du calme relatif et de l’air pur qui lui donnait un nouveau coup de fouet. Il était déjà à l’intérieur, prêt à gravir les escaliers lorsqu’un bruit l’interpela. Un air fredonné. Il ne l’avait pas entendu de l’extérieur mais maintenant qu’il était dans l’enceinte du refuge, il l’entendait vaguement, au loin. Cela venait des étages. Il ne lui fallut que quelques secondes pour deviner qui pouvait en être à l’origine. Heather. Elle était arrivée depuis peu dans la faction mais il l’avait déjà entendue une fois fredonner de la sorte. Il n’eut pas de peine à imaginer qu’elle devait être en train de monter la garde depuis sa chambre. Cela faisait partie de son rôle au sein du groupe. Noam Artémis décida alors d’attraper un autre verre avec de l’eau et deux nouvelles barres de céréales.

Arrivé devant la porte de la chambre d’Heather il la trouva close mais eut la confirmation que l’air qu’il avait entendu venait bien de là. Après une légère hésitation, il toqua alors à la porte.


« C’est Noam, je peux entrer ? »

Noam avait fait en sorte que sa voix porte suffisamment pour atteindre Heather. Comme toujours, son ton était amical et enjoué.

« Je t’ai apporté un verre d’eau et un encas. »

Le jeune homme avait parlé sur un ton léger, comme si les circonstances étaient tout à fait normales. Peut-être avait-elle déjà mangé et ne prendrait qu’un peu d’eau mais c’était aussi et surtout un moyen de nouer la conversation. Noam appréciait d’être de nouveau avec du monde malgré tout et il trouvait important de discuter avec chacun, de les comprendre, de savoir qui ils étaient pour mieux vivre avec eux. Et pour cela, il ne voyait pas d’inconvénient à entamer la discussion. Maintenant, si elle ne souhaitait pas être dérangée lors de sa garde, il rebrousserait simplement chemin et attendrait une prochaine occasion.

Jamais Heather n'avait envisagé que son prochain abri serait si confortable. Bon, un peu poussiéreux certes, mais presque luxueux ! Le lit était pas mal. Les sièges étaient cossus et la commode assez vaste pour qu'elle puisse y stocker tout son bordel. Le pied quoi !
Son premier réflexe avait été de retirer ses rangers, ses chaussettes et de passer un short à la place de son jean et de ses guêtres afin de respirer un peu. Elle s'était ensuite jetée comme une gamine sur le lit et avait poussé un long soupire d'aise. Ça aurait vraiment pu être pire.

Dans la commode, elle avait roulé ses différentes tenues de rechange et déposé quelques affaires sur le meuble usé. Le badge de Tess était bien en évidence posé près du bord avec le cran d'arrêt. Le béret et son chapeau de brousse avaient eux trouvés refuge sur l'un des sièges avec le gilet pare-balles et le sac à dos.
Enfin, elle avait personnalisé son espace de vie en accrochant dans le cadre du miroir les 3 photos qu'elle conservait religieusement dans son portefeuille. Sur l'une d'elles, elle portait son uniforme de parade et était entourée de deux personnes agées au regard chargé de fierté. Sur une autre, elle était cette fois en treillis de combat, armes à la main et entourée de soldats aux uniformes variés devant un drapeau de l'ONU. Sur la dernière, un selfie prit en contre-plongée, elle embrassait une belle rouquine en uniforme de police au pied de la Space Needle

Elle avait également fini par pousser le lit devant la fenêtre après avoir fermé les rideaux. Elle s'était ainsi aménagé un super nid. Du dernier étage, à travers le trou dans un des rideaux, elle pouvait observer tout le quartier sans risquer d'être vue. La base de tout bon poste de surveillance...
La jeune femme s'était trouvée une place assez naturellement à l'armurerie et au guet. Ce n'était pas pour lui déplaire ; elle aimait la paix qu'offrait un poste aussi pépère. Et puis nettoyer un fusil avait l'avantage de bien occuper son esprit tout comme surveiller un périmètre.

Elle n'avait pas encore bien eu l'occasion de rencontrer tout le monde. Elle connaissait bien sûr les deux blondes qui l'avaient conduit ici et les enfants avec qui elle aimait passer un peu de temps. Mais en dehors de ces quelques personnes, elle était encore une parfaite étrangère. Peut être qu'elle évitait d'elle-même le contact, ou bien que tout le monde était bien trop occupé.
Le résultat final restait le même. En dehors de quelques banalités, elle n'avait pas encore vraiment échangé plus de quelques mots avec quiconque en dehors de la marmaille. Et puisqu'elle passait pas mal de temps seule à "son" étage...


La journée avait beau être assez fraîche, elle s'était contentée d'un débardeur gris et noir, de son habituel short de sport et d'une paire de tongs puisqu'elle était à l'abri du vent et des éventuelles précipitations. Son camouflage de joggeuse du dimanche était presque parfait.
Heather était allongée à plat ventre sur son lit, l'œil vissé dans la lunette de son fusil depuis un sacré bout de temps. Il était hors de question qu'elle laisse un novice toucher à cette arme. La régler prenait un temps fou et elle était relativement fragile. Elle commençait à peine à s'ennuyer et s'était surprise à marmonner un air populaire. Un air du genre à rester dans la tête. Foutue Sally Brown...

Alors qu'elle envisageait de se défenestrer afin de se changer de morceau, elle entendit quelques coups timides contre la porte de sa chambre et une voix inconnue lui demandait si elle pouvait entrer.

"C'est ouvert !"

De toute façon, elle n'avait pas de clef pour la verrouiller. Elle se racla la gorge et se redressa pour faire face au jeune homme qui envahissait ses quartiers. Assise en tailleur, elle lui tendit une main et le dévisagea un instant comme si elle cherchait à graver son visage dans sa mémoire.
Sur un ton rieur, elle déclara :

"Au risque de te décevoir, je ne te laisserai pas m'embrasser au premier diner offert aussi idyllique et opulent soit il ! C'est peut être l'apocalypse, mais il reste des codes à respecter !"

Noam Artémis avait sagement attendu qu’Heather lui donne la confirmation qu’il puisse entrer. Dans ce nouveau monde, il n’était pas rare de croiser des personnes un peu plus sur la défensive qu’à la normal. Tout le monde était tendu et l’espace personnel avait acquis une valeur toute particulière. Le jeune homme, qui avait toujours eu besoin d’un espace rien qu’à lui, n’avait aucun mal à comprendre cela, bien au contraire. Quand il eut le feu vert cependant, il glissa les barres de céréales dans la même main que celle qui tenait le verre d’eau et entra dans la pièce. Heather était en train de se redresser et de s’asseoir en tailleurs sur son lit qu’elle avait poussé contre la fenêtre. Noam se perdit quelques secondes dans la contemplation de l’installation et de l’arme qui se trouvait sur la literie lorsque la voix enjouée de la jeune femme le rappela au but premier de sa visite. Un sourire se dessina instantanément sur son visage, elle avait gardé de l’humour et ça, c’était plaisant à voir.

« Je ne suis pas un rustre voyons ! J’aurais au moins attendu le second repas. »

Noam Artémis avait exagérément ampoulé le ton de sa voix pour coller à ses propos. Il s’était ensuite avancé vers la jeune femme et lui avait tendu le verre d’eau ainsi que les victuailles. Ce n’était pas grand-chose mais dans ce nouvel environnement, au final, c’était loin d’être anodin. Chaque morceau de nourriture valait désormais très cher, chaque recharge d’énergie était vitale. Car il ne s’agissait pas seulement de souffrir de la faim, mais aussi de voir son corps ne plus réagir et d’être soudain à la portée de l’ennemi. C’était ça el plus grand risque, ne plus pouvoir se défendre et finir dévoré… Autant dire que ce n’était clairement pas ce à quoi aspirait Noam.

Après avoir tendu à Heather ce qu’il lui avait apporté, Noam Artémis avait naturellement fait un pas en arrière, pour ne pas s’imposer dans son espace vital. Dans le même temps, son regard s’était à nouveau porté sur l’installait qu’elle avait réalisée. Une véritable tour de garde. Il n’était pas spécialiste en la matière et n’avait pas particulièrement envie de le devenir, pour autant, il devait avouer que c’était intriguant.

« Il semblerait que nous n’avons pas les mêmes goûts en matière de décoration intérieure. »

Un nouveau sourire s’était dessiné sur le visage de Noam alors qu’il reprenait la parole, lançant un regard rapide à Heather. C’était une plaisanterie bien sûr et il n’y avait dans sa voix aucun reproche, aucun jugement. Il s’amusait simplement du décalage qu’il y avait entre elle et lui. Et surtout, il ne pouvait s’empêcher de se demander si elle dormait vraiment là, contre la fenêtre. Il trouvait cette disposition légèrement angoissante sans réellement savoir pourquoi. Quelque chose au fond de lui qu’il aurait eu bien du mal à expliquer. En même temps, Noam Artémis ne pouvait pas se voiler la face sur ce sujet, il n’était clairement pas le plus courageux dans ce logement. Il avait quelques tocs en plus de ça, quelques lubies qui ne l’aidait pas à se sentir en confiance en permanence. Mais bon, au moins, il avançait sur ce point.

« Le temps ne te paraît pas trop long quand tu montes la garde ? »

Noam Artémis faisait partie de cette catégorie de gens qu’on nomme les contemplatifs. Il était capable de rester des heures concentré sur une seule et même chose. Pour autant, il ne pouvait s’empêcher de se demander si fixer la rue dans l’attente de voir quelque chose mais dans l’espoir que rien n’arrive n’était pas particulièrement épuisant pour l’esprit… Bien sûr, il pouvait lui arriver de monter la garde, comme tout le monde, mais plus pour faire des rondes. Vu son habilité aux armes, il aurait été crétin de le mettre à la place d’Heather par exemple.

L'américain avait passé le test de la jeune femme avec brio. Il avait au moins un minimum de réparti, c'était déjà ça. Un sourire complice se dessina sur le visage d'Heather.

"Oh, un vrai gentleman ! Un grand merci à vous mylord. Santé !"

Déclara Heather avant de vider d'une traite son verre. Ça ne valait pas une bière, mais c'était tout de même bienvenu. Elle le posa ensuite au sol avant de déposer le snack sur son lit. L'un ne pourrait ainsi tomber plus bas et le second resterait à portée de main. Son attention revint enfin sur son "invité" qui semblait perplexe vis-à-vis de l'aménagement des lieux. Après s'être reculé, il avait à nouveau plongé son regard dans la pièce avant de commenter la décoration. Tout en prenant soin de surjouer au maximum la chose, l'italienne répondit d'une voix qui se voulait pitoyable :

"Ma propriétaire ne veut pas que je change le papier peint... Et puis je suis nouvelle en ville, je ne connais aucun preu chevalier qui pourrait m'aider à bouger mes lourds meubles ici ! Dans mon grand malheur, je n'ai rien eu d'autre que les meubles abandonné par le précédent locataire !"

Sa pièce de théâtre une fois achevée, elle se laissa tomber en arrière et s'étira bruyamment. Elle se racla la gorge avant d'ajouter sur un ton un peu plus sérieux :

"Après, je ne devrais pas me plaindre, la literie est top ! Mais, je dois avouer que ma maison me manque un peu. Surtout le canapé. Du sur-mesure avec un super cuir, quelle misère..."

Un court silence contemplatif suivit sa réponse. Elle était du genre à facilement tomber dans la nostalgie après tout. Elle chassa ses idées noires aussi bien mentalement que physiquement en levant les bras au ciel avant de se redresser à nouveau face à son interlocuteur. Celui-ci brisa le silence en lui demandant si la surveillance n'était pas un travail pénible. Heather réfléchit un instant à sa réponse. Parler travail était toujours un peu délicat

"Tout dépend de ce que tu surveilles. Si tu protèges des copains, je peux te dire que tu peux rester l'œil dans la lunettes des heures sans bouger. Après, là je t'avoue que surveiller une rue déserte, ce n'est pas ce qu'il y a de plus passionnant. Mais bon, si ça devient "passionnant" pour moi, c'est mauvais signe pour quelqu'un généralement. Ça signifie qu'il va y avoir des morts. Du coup, vaut mieux que ce soit calme. C'est reposant le calme..."

Son expression changea à nouveau du tout au tout pour redevenir joyeuse et un peu joueuse. Elle demanda au yankee le sourire aux lèvres :

"Et si tu me parlais toi Billy boy ? C'est pas bien de faire autant parler une femme qui ne connaît que ton prénom ! D'où est-ce que tu viens ?"

Noam Artémis en gentleman ? L’idée l’amusait beaucoup. Il avait toujours traité les femmes avec respect et non pas parce qu’il considérait qu’il devait être courtois. Simplement parce qu’il était respectueux envers tout le monde et qu’il faisait en sorte de toujours traiter les hommes et les femmes de la même manière. Il y mettait même un point d’honneur. Mais dans le cas présent, il était tout à fait amusé par la remarque d’Heather qui semblait bien décidée elle aussi à prendre les choses à la légère. Et sincèrement, ça faisait du bien. Noam constatait que beaucoup de survivants avaient tendance à se plonger dans un sérieux le plus complet, se concentrant uniquement sur la survie. Lui, cette idée lui faisait peur. Il préférait garder un peu de légèreté, autant que possible… Heather de son côté poursuivit sur un ton léger en parlant de sa décoration et d’un propriétaire qui ne la laissait pas faire. Cette fois, Noam Artémis laissa échapper un rire franc. Il fallait avouer qu’elle était plutôt bonne actrice cette jeune femme ! Jeune femme qui se laissa tomber sur son lit et se mit à s’étirer. Elle n’avait aucune gêne et cela ne dérangeait pas Noam, bien au contraire. Elle se comportait comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. Certes ce n’était pas le cas mais dans les circonstances, il lui paraissait un peu idiot de faire des chichis.

« Le style du coin est un peu plus vieillot c’est sûr. Ton canapé en cuir trancherait vachement dans le décor, ce serait amusant. »

Noam Artémis sourit alors, amusé. Oui ils étaient dans un lieu qui visiblement accueillait des personnes âgées avant alors forcément, la décoration n’était pas des plus modernes. Pour le coup, Noam Artémis ne s’occupait pas du tout de ce détail, cela ne l’interpellait pas. Il trouvait même ça plutôt amusant. Encore une fois, il était capable de s’émerveiller de tout et n’importe quoi.
Après ce petit intermède déco intérieure, Noam tourna de nouveau son regard vers le fusil et ne put retenir la question qui le taraudait. Heather, qui s’était redressée, entreprit de lui répondre, encore une fois en toute simplicité. Le jeune homme hochait la tête tout en l’écoutant. Un sourire se dessina sur son visage à la fin de sa phrase.

« Je suis assez d’accord, le calme, c’est bien. »

Petit rire. Noam Artémis n’était pas un grand guerrier et ce n’était clairement un secret pour personne entre ces murs. Il savait se défendre quand il le fallait mais il avait bien plus envie de penser au potager et de passer des journées qui pourrait paraître ennuyantes plutôt que de se battre. Question de point de vue.
Le visage d’Heather affichait alors une nouvelle expression, un air joueur qui n’échappa pas à Noam. Il sourit lorsqu’elle se mit à son tour à l’interroger, lui reprochant gentiment de beaucoup en demander sans rien révéler de son côté. Il fallait bien avouer que c’était une de ses spécialités. Noam Artémis aimait parler avec les autres et n’était pas du genre à forcément rester dans son coin. Mais oui, il avait une fâcheuse tendance à n’en dire que peu sur lui, lâchant les informations au fur et à mesure.

« Au risque de te décevoir, je viens d’ici, de Seattle. »

Noam Artémis s’appuya alors contre la commode. Les mains posées dessus, les genoux légèrement fléchis, il afficha un sourire tranquille. Oui il prenait place, c’était sa manière de faire comprendre que même s’il répondait de manière succincte, il n’avait pas envie d’écourter la conversation. Pour autant, si Heather lui faisait comprendre qu’elle par contre n’avait pas que ça à faire, il saurait s’éclipser. Un vrai gentleman, non ?


« Mais je dois avouer que la dernière fois que je suis venu, les gens étaient un peu plus accueillants. »

Cette fois, c’était un sourire joueur qui se trouvait sur les lèvres de Noam Artémis. Oui il venait de faire une blague complètement douteuse qui ne ferait sans doute pas rire tout le monde. Mais il était intimement persuadé qu’Heather n’était pas du genre à se formaliser de ce type d’humour, bien au contraire.

L'américain ne lui semblait pas être un homme d'action. C'était également un bon point. Il disait apprécier également le calme ce qui rassura un peu la jeune italienne. Après tout, elle ne savait pas grand chose encore du groupe et espérait vraiment qu'aucune tête brûlée ne lui attirerait des emmerdes. Il faut être fou ou inconscient pour apprécier qu'il y ait de l' "action".
Bon après, il était assez économe de ses mots. C'était peut-être elle qui était "bavarde" bien que ce ne soit pas en son habitude. Après, elle n'avait pas eu l'occasion de discuter avec autre chose que sa radio durant plus d'un an. Elle avait l'étrange impression d'avoir un temps de parole à rattraper.

Il disait venir de Seattle. Quelle originalité ! C'était tout de même amusant de constater qu'elle n'avait rencontré que de purs produits du pays depuis qu'elle était sortie de chez elle. Elle qui pensait que l'Amérique était terre d'asile et de mobilité sociale... sur le coup, elle se sentait franchement déçue.

Noam se risqua ensuite à une blague plutôt vaseuse concernant l'accueil que leur réservaient les locaux. Heather se sentit dans l'obligation de contre-attaquer face à cette tentative de lui ravir le titre de plus mauvaise humoriste du camp. Sur un ton qui se voulait songeur, elle répondit :

"J'vois pas ce que tu reproches aux locaux l'ami. Moi je les trouve presque trop collant. Ils se ruent tous à bras ouverts dans ma direction lorsque je les croise !" Elle marqua une courte pause. Quitte à faire dans l'humour bas de gamme, autant y aller à fond."Tu sais, c'est difficile d'avoir autant de classe ! " Plaisanta la jeune femme avant d'essayer d'étouffer un rire franc.

Elle ne prenait plus grand chose au sérieux dans ce bas monde. Après tout, c'était un coup à se flinguer vu comment celui-ci sembler finir. Elle garda un instant un sourire assez large au visage avant de reprendre une mine plus sérieuse. Mimant le fait de sortir un callepin et un crayon d'une poche imaginaire, elle déclara :

"Caporale Wu, nous sommes le... hum... en Octobre. Il est au alentours de midi. Le suspect a refusé de faire appel à un avocat. Avant toute chose, je tiens à signaler que le suspect se montre particulièrement peu coopératif bien qu'il se soit lui-même livré aux autorités." Bien que les propos tenus soient accompagnés d'un air sérieux très professionnel, la jeune femme prit soin de garder rictus joueur au coin des lèvres. "Dans un premier temps, déclinez votre identité ainsi que votre profession. Je vous rappelle que vous êtes accusé de dégradations de biens publics, intrusion dans des propriétés privées, vol qualifié et atteinte à l'intégrité de cadavres. Eh bah, c'est du joli !"

Noam Artémis s’était lancé dans un humour sombre et assez osé mais, comme il s’en était douté, cela ne semblait pas déplaire à Heather. Bien au contraire, au lieu de se formaliser d’une quelconque manière, cette dernière se saisit à son tour de la vanne pour l’adapter à sa façon. En l’entendant décrire les gens du quoi comme des personnes collantes, se ruant sur elle, Noam ne put s’empêcher de rire. De toute façon, il n’avait nullement l’intention de se contenir, le rire avait toujours été bon pour la santé et l’était toujours, même dans un monde qui avait vécu l’apocalypse. Alors oui, il rit franchement et cela s’accentua quand Heather endossa le rôle de la princesse victime de son succès. Elle se joignit finalement à lui dans le rire et cela lui fit le plus grand bien. Alors qu’il retrouvait un peu de souffle et de calme, Noam laissa cependant flotter un sourire sur ses lèvres. C’était ça qu’il ne voulait surtout pas perdre, cette possibilité de continuer à vivre presque normalement. S’adapter, réussir à voir encore des côtés positifs dans ce nouveau monde… Voilà ce à quoi il aspirait.

Heather de son côté semblait elle aussi tout à fait capable de se laisser aller à des petits jeux malgré l’ambiance générale. Il la vit prendre soudainement un air presque sérieux et faire comme si elle allait prendre des notes. Noam Artémis fut légèrement surpris mais ne tarda pas à avoir plus d’informations sur ce petit manège. Heather commença à parler comme si elle enregistrait ses propos, le qualifiant de suspect. Noam afficha un sourire amusé.

« Suspect, carrément ! »

Et ce n’était que le début ! La jeune femme enchaîna, cherchant apparemment à lui soutirer des informations personnelles et l’accusant par la même occasion de multiples délits. Cette fois encore, Noam Artémis laissa échapper un rire franc.

« Dis comme ça, ça fait beaucoup ! »

Noam rit de bon cœur mais il devait bien avouer qu’au final, tout ce qu’elle disait était plutôt vrai. Dans ce nouveau monde chacun avait dû au moins une fois piller une maison abandonner, déconnecter un mort ou encore se fabriquer une arme avec n’importe quoi qui passait par là. Ils étaient tous des délinquants aux yeux de l’ancien monde. Pour le nouveau, ils n’étaient que des survivants.

« Noam Artémis Anderson, 26 ans, employé polyvalent d’une coopérative. »

Le jeune homme s’était redressé, se tenant bien droit devant la commode et avait aligné les mots sur un ton solennel et très sérieux, comme s’il répondait effectivement à un interrogatoire. Autant dire que c’était étrange de le voir avec un tel masque. Lui qui était habituellement toujours souriant semblait soudainement faire réellement son âge. Les épaules volontairement repoussées en arrière, le menton bien droit, il baissa alors le regard vers Heather, faisant de son mieux pour ne pas éclater de rire.


« Et s’il faut tout confesser caporale, je crois qu’il faudrait ajouter absence de regrets à ma déclaration. »

Noam Artémis resta sérieux alors quelques secondes encore avant de relâcher ses muscles et de reprendre ce sourire qui le caractérisait.