Les quelques applaudissements que Sarah mima renforcèrent la confiance qui se frayait un chemin, pour le moment timide, en elle. La jeune femme en face d’elle adhérait à sa théorie, Juliet hocha la tête avec conviction alors qu’elle ajoutait les derniers détails de la supercherie. Peaufinant le tableau des dernières précisions que Juliet avait omises. Après sa question, la guerrière s’était plongé dans ses pensées, affichant un air comptemplatif. Alors qu’elle lui contait son histoire, Juliet s’imagina dans les détails les épreuves subies par Sarah. Elle ne pouvait se projeter la femme forte qui lui faisait face tomber de fatigue. Ses yeux chocolat ne semblaient jamais se départirent de leur détermination. Ils brillaient de cet éclat féroce qui vous fait trébucher lorsque vous le fixez trop longtemps. L’idée d’une Sarah menottée, ne la surprenait toutefois pas. Avec la méfiance tranchante de Duncan, personne ne passait au travers du filet. Et lorsque Sarah prononça le mot « coopérer », Juliet ne put empêcher ses lèvres de se retrousser imperceptiblement. Sarah frôlait l’insubordination à chaque escapade en groupe qu’ils faisaient. Elle n’obéissait qu’à son instinct et acceptait de temps à autre de se plier à une autorité. Toutefois la personne lui donnant des ordres devait avoir mérité sa confiance ainsi que son respect. Faire obéir Sarah était difficile, l’asservir impossible. Juliet s’égara elle-même peu à peu dans ses souvenirs alors que Sarah évoquait certains moments qui lui firent écho. La guerrière emplit soudain ses propos d’une certaine mélancolie qui déteint immédiatement sur Juliet. Enfin, elle lui proposa de changer d’air si l’envie lui en venait un jour.

Merci, c’est vrai qu’on se sent un peu à l’étroit ici parfois. Laissons la médecine à Lisandro et concentrons nous plutôt sur les escapades. Dit-elle comme si c'était devenu leur secret sur l'instant. Ca me ferait réellement plaisir un de ces jours.

Juliet lança un regard à la tasse qui lui réchauffait les mains. Elle but le reste du contenu et déposa le récipient encore imprégné de chaleur devant elle. Pendant un court instant elle se demanda combiens de temps elle avait passé là, auprès de Sarah, et si une quelconque tâche requérait sa présence. Puis elle fut convaincue que c’était un temps court qu’il lui avait parut long avec tous les allers retours effectués dans les souvenirs mutuels. Elle s’installa plus confortablement et décida de prolonger encore cette conversation jusqu’au moment où Sarah l’interromprait pour s’atteler au travail. Dans un élan de doute elle demanda tout de même :

Je ne t’empêche pas de faire quoi que ce soit ? Je peux t’aider si tu le souhaites, comme ça on pourra continuer cette discussion.

Mais il y avait encore une myriades de sujets que Juliet voulait aborder. Elle aurait aimé savoir quel était le film où la musique préférée de Sarah. Elle avait des questions incongrues qui peuplant ses pensées. Elle voulait également savoir comment Sarah avait survécu livrée à elle-même et tous les conseils qu’elle pouvait lui donner à ce sujet.

Sinon on peut également continuer ça plus tard, je ne veux pas te retarder. Elle afficha un air serein comme si elle ne bouillonnait pas d’interrogations. Puis elle lissa les pliures imaginaires des ses vêtements pour cacher toute déception qui pourrait atteindre son visage.

Pour la suite:

C'est avec aisance qu'elle compléta la métaphore de la jeune fille qui lui faisait face. Le plus important était de faire durer le spectacle, jusqu'à ce que le comédien ne fasse qu'un avec son personnage... L'actrice était loin de trouver ses propos stupides, au contraire, elle les reliait au concept du Persona : véritable masque social qui pourrait finir par usurper l'identité réelle de l'individu, si il n'y prenait pas garde... Mais Juliet semblait prudente, tout autant qu'elle, alors il n'y avait sans doute pas lieu de s'inquiéter pour cette dernière.

Sarah se livra ensuite à quelques confidences -encouragée par l'adolescente- à propos de son intégration chez les Messiah, bien qu'en premier lieu étonné que personne ne lui en ait encore parlé. Il était assez intéressant d'observer que la blonde s'exprimait d'une voix douce -comme on pourrait s'y attendre d'une femme dont le métier était de s'entretenir avec une multitude de personnes- , mais quand la nostalgie s'emparait d'elle, sa voix donnait l'illusion qu'il y avait sept ou huit personnes dans la pièce,  comme pour les prendre à témoin du fait que sa vie n'avait sans doute rien d'exemplaire, et que malgré les fardeaux, elle faisait avec.

De ce groupe atypique, avec lequel elle avait tant de mal à se mettre au diapason, du chemin qu'ils avaient parcouru tous ensemble, malgré ceux qui n'étaient plus là... Inévitablement, une teinte de mélancolie vint accompagner les derniers propos de la trentenaire, qui restait de toute façon lucide, vis-à-vis de leur existence, et du temps qu'ils empruntaient. Bien que son sourire confirmait qu'elle réellement ravie de ce moment partagé avec Juliet, qui était selon elle une jeune fille enrichissante à connaître. D'ailleurs, elle se réjouissait déjà de leur future promenade symphonique, qui devrait sans doute beaucoup lui apporter, la native de New York étant encline à lui partager ses acquis , afin qu'ils perdurent dans le temps.

Une fois ce petit break terminé, Sarah envisagea de se remettre au travail, alors que Juliet lui proposait de l'aide " Non du tout... Je ne dirais pas non à un peu d'aide, merci." elle lui avait alors indiqué de la suivre jusqu'au box qui leur servait de stock et d'entrepôt. " C'est un contrôle de routine, afin de vérifier ce qu'il nous reste et prévoir les futures expéditions au mieux. " la blonde tendit alors un porte-document et un crayon à sa vis-à-vis. " Alors, devant chaque élément, il y a un chiffre que je devrais te confirmer par rapport au stock réel. " elle attendit alors ses indications, pour savoir quoi chercher. " ... Alors ... Quinze ? ... Ok super, ensuite... " ennuyée par la routine de la tâche la blonde commença alors à chantonner " I used to think maybe you loved me now baby i'm sure... " tout en balançant la tête de gauche à droite "  Hum ... Cinq ? Pas terrible ... Ça fait pas trop ringard comme chanson pour mettre de bonne humeur ? "  demanda-t-elle en ponctuant son discours de rire. " Et la tienne ? C'était quoi à l'époque ? Et maintenant ? "  la curiosité était parfois difficile à contrôler, et difficile de ne pas paraître indiscret dans ces cas-là ou maladroit... Mais beaucoup de questions la taraudaient elle aussi, elle devait bien l'avouer. Juliet était sans doute pas tombée du ciel, gardait-t-elle de bons souvenirs de son ancien refuge ? Du lycée ? D'un garçon ? Ce qu'elle aimerait par dessus tout faire maintenant ?   La musique c'était sans risques, et puis sur ça, elles semblaient s'entendre.

Spoiler:

Juliet s’engagea à la suite de Sarah. Elle était réjouie que leur discussion ne s’arrête pas là. Un léger engouement s’était levé au fur et à mesure de leurs échanges. L’étudiante se régalait des détails et des anecdotes. Lorsque Sarah avait accepté son aide, Juliet s’était d’abord assurée de s’emparer de leur tasses et de les laver rapidement. Puis la combattante l’entrainant dans son sillage, lui indiqua en quoi consistait leur tâche. La jeune fille hocha la tête au fur et à mesure des explications puis entama le travail, un air sérieux lui creusant le visage. Munie de son crayon elle annotait tout ce que Sarah lui dictait. Alors que leur discussion s’était lentement diluée dans le travail, Sarah chantonna les premiers mots d’une chanson qui faisait écho à Juliet. La jeune femme n’arrivait toutefois pas à compléter les paroles cette fois. Elle tapota le crayon contre ses lèvres, tentant de saisir les paroles manquantes.

Je me souviens des coups de trompettes kitsch du début et de l’air mais j’arrive pas à mettre un doigt sur le refrain, dit-elle en affichant un air pensif. Ca va je fais dans le ringard aussi, certaines choses sont quand même des classiques. L’hésitation fut remplacée par un sourire franc. Elle se donna un autre temps pour réfléchir à une réponse adéquate concernant la seconde question.

La musique qui me met de bonne humeur… je ne saurais pas bien dire, j’ai tout un panel. Peut être tout simplement Feeling good de Nina Simone. J’aime bien Bamboo Moon aussi, mais il y a une partie des paroles en japonais. Et j'ai juste apprit à marmonner le début. Sans internet, impossible de chanter la moitié de la chanson. Elle rit Ce qui est drôle c’est que j’ai une relation très spéciale à la musique. Mes parents étaient un peu coincés. Alors la musique que j’écoutais c’était mon secret, mais aussi mon sanctuaire, et parfois mon confident. Il y des paroles qui valent tous les conseils du monde. Comme Everybody's Free To Wear Sunscreen par exemple !  
Elle calla le crayon derrière son oreille et posa son porte document. Se tenant bien droite, les épaules rejetées en arrière, elle scruta son public imaginaire. Faisant un geste comme pour apaiser ses spectateurs bruyants, elle prit une longue inspiration.

Ladies and Gentlemen of the class of '99   Elle s’autorisa une légère pause
Wear Sunscreen  Ces deux mots furent accompagnés de ces gestes dont les orateurs ont le secret
If I could offer you only one tip for the future,
Sunscreen would be it
The long term benefits of sunscreen have been proved by scientists
Whereas the rest of my advice has no basis more reliable than my own meandering experience..
I will dispense this advice now…. Elle s'extirpa du rôle, reprenant une position moins guindée.

Et en fait il donne juste des conseils pêle-mêle sur la vie. Accompagné d’un rythme super agréable. Mais toujours dans ce style slam.

Presque amusée par sa propre interprétation, elle sourit puis décida de retourner à Sarah quelques questions qui la taraudaient.

Mais il y a toujours une part de nostalgie n'est pas ? Parce que les seules nouvelles musiques que l'ont peut entendre sont celles que l'ont créer. Moi je n'arrive pas à me défaire de cette sorte de tristesse.

Spoiler: