Tenant tant bien que mal sa veste étalée au sol alors que Ruben tiré le bas du vêtement, il s'attelait à découper le bas avec précaution. Il la trouvait beaucoup trop longue et avait proposé au neveu de la dénommée Andrea de l'aider à découper ce truc. Nan parce que faire ça seul c'était un peu galère et c'était aussi un prétexte pour passer plus de temps en sa compagnie et donc se sociabiliser un minimum. Oui, il parlait un peu plus avec ce type qu'avec les autres membres de ce groupe, excepté Eli qu'il connaissait depuis un moment et Lisandro aussi, mais eux ils ne comptaient pas. Dans les nouveaux il n'y avait que peu de gens vers qui il allait, par peur de déranger un peu, même s'il n'hésitait pas non plus à s'imposer quand il le fallait, comme il l'avait fait avec Sarah par exemple pour faire la ronde. Depuis il en avait refait quelques-unes d'ailleurs, histoire de montrer qu'il était un minimum débrouillard, oui ce n'était pas parce qu'il était un peu maigre à cause de sa perte de poids radicale des deux mois et qu'il était petit qu'il ne pouvait pas faire face aux cadavres ambulants. Il était vigilant en plus de ça. Tous les atouts pour faire des rondes. Il n'était plus pareil que quand il était arrivé, tout frêle, il avait repris du poil de la bête et il savait que c'était grâce à tous ces gens-là, il leur était vraiment reconnaissant. Et au final il était vraiment content d'être tombé sur eux, donc il voulait être le plus utile possible.

Tout en arrivant vers la fin de son découpage, il tendit le bout de tissu à Ruben une fois fait, une longue bande totalement utile. Quoique, à brûler ça pourrait l'être, pour faire une torche, genre enroulé au bout d'un morceau de bois pour s'éclairer. Donc oui, un bout de tissu ça pouvait toujours être utile. «Tient, je te le donne. Tu peux en faire ce que tu veux, genre une ceinture, tu vois ?» avait-il dit en se levant, entourant sa taille de la langue bande. Il avait ensuite ris avant de prendre sa veste et de la mettre, remarquant qu'elle était vraiment courte maintenant. Abruti qu'il était. Il allait faire froid et c'était maintenant qu'il décidait de couper sa veste. Bon elle ne faisait carrément pas sa taille donc c'était une bonne tentative de base, mais ça avait foiré, comme beaucoup de chose. «Merde. C'est super court.» avait-il déclaré en regardant. Déjà qu'elle n'était clairement pas esthétique, voilà qu'il l'avait enlaidi. Tant pis. Il retira le vêtement et l'étala au sol encore une fois. Regardant Ruben en croisant les bras, il plissa les yeux tout en réfléchissant. «Je vais faire les manches aussi, comme ça j'aurais l'air un peu moins con.» et face à l'air peu enthousiaste de son ami, il poussa un soupir, levant les yeux au ciel. «Je vais le faire tout seul t'inquiètes pas.», son ami était partie avec le bout de tissu après ça. Oui, il pouvait très bon se débrouiller seul.

Commençant à découper les manches, il se coupa sans faire exprès sur la manche gauche. Rien de bien grave, il n'avait jamais été très fragile, à geindre pour une quelconque petite blessure. Suçotant son doigt, il se mit à la manche droite. Il répéta la même opération que précédemment, mais sans personne pour tenir le vêtement de l'autre côté il galérait pas mal. Et sans faire exprès, au moment où son couteau arracha les dernières fibres pour que la manche soit raccourcie, Murphy appuya trop fort, la lame venant couper son pouce. Une longue coupure verticale qui partait du haut du doigt jusqu'à la dernière phalange. Lâchant directement son arme, il se leva, pinçant ses lèvres pour éviter de lâcher un cri de douleur. Bon, ce n'était pas qu'une petite blessure. Il avait vraiment mal. Jetant sa veste sur son lit, son couteau en dessous, il accourra vers l'infirmerie, espérant y trouver quelqu'un. Et il fut clairement satisfait d'y voir la fille de son âge qui l'avait ausculté le premier jour. S'imposant clairement devant, le sang coulant abondamment de son doigt. «Je viens de me couper.» avait-il soufflé en lui montrant rapidement le sang. «Vous avez pas des bandages ou un truc comme ça ?»

Juliet ruminait dans l'infirmerie. Elle repensait avec amertume à la remarque de Lisandro. Elle était assise, ses doigts croisés sur la table. Elle tentait de se repasser la scène en boucle et d'interpréter chaque ride de visage, chaque mouvement, chaque regard dont elle se souvenait. Elle en venait à des scénarios biscornus, sans queue ni tête qui tenaient plus de la chimère qu'autre chose. Rejetant doucement sa tête en arrière, ses cheveux s'éparpillèrent dans le vide en une cascade dorée. Elle porta une attention toute particulière au plafond, détaillant ses imperfections, sa composition granuleuse et la peinture grise qui craquelai en longues courbes sinueuses. Elle ferma finalement les yeux, se retranchant en elle-même, tentant de faire taire les mots qui s'enroulaient autour de sa patience. Elle fit basculer sa chaise, tenant en équilibre sur les deux pieds arrières. Seulement 7% de nos peurs sont fondées. C’est-à-dire que l'on se construit un château de déraison pour y habiter confortablement avec nos craintes. L'homme est l'animal le plus ridicule qui existe sur terre. Il en parvient à surpasser l'ornithorynque. Sur ces pensées, un sourire étira ses lèvres. C'est alors qu'elle entendit des pas se rapprocher. Elle rétablit l'équilibre, projetant rapidement les quatre pieds de la chaise au sol d'un coup de bassin. Puis, se levant, elle s'appuya contre la table en fer pour accueillir la personne qui s'approchait. Elle ne voulait certainement pas être surprise en pleine rêverie, quitte à paraitre ridicule, assise là au milieu d'une pièce à ne rien faire.

C'est le nouveau qui fit irruption dans l'infirmerie. Juliet avait espéré que les pas se seraient détournés de l'infirmerie, qu'ils se dirigeraient en réalité autre part. Qu'elle ne fut sa déception en apercevant une tête ébouriffée, la main dégoulinante de sang. Ce n'était pas le meilleur moment pour l'interrompre, mais le jeune homme paraissait être disposé dans une situation délicate. Aux mots Je viens de me couper, elle se contenta de hocher la tête. Il était évident que la main en question semblait peu heureuse de son sort. Elle devait sans aucun doute afficher un air maussade, mais elle s'abstint de tout commentaire. Elle se détourna de lui dans le silence et farfouilla dans une petite armoire le matériel dont elle avait besoin.

Assieds toi, dit elle sans réelle nuance dans sa voix.

Elle trouva enfin un flacon d'alcool dédié à la désinfection ainsi que des compresses et un bandage. C'était une agréable surprise que le matériel de la prison soit aussi bien fournit. Tout bien pensé, cela paraissait logique. La structure de prison permettait sûrement d'avoir une important de réserve médicale, c'était sans compter les raids qu'ils effectuaient.
Elle referma l'armoire d'un coup de coude et se dirigea vers son infirme.

Bon l'alcool, ça ne va pas être agréable. Hm, avec quoi tu t'es coupé ? Tu as déjà été vacciné contre le tétanos dans ton enfance, non ?

Elle ne fit aucun commentaire sur le tétanos et ses effets, ces précisions pour le moment inutiles, risquaient de l'inquiéter. Elle s'accommoda de sa tache, enroulant la bande par-dessus les compresses. Vérifiant au passage qu'aucun corps étranger ne s'était introduit dans la plaie.

Comment tu t'es fait ça ? Dit elle en se rasseyant au bord de la table.

Elle tenta de mettre de côté cette irritabilité qui bouillonnait en elle. La lycéenne était ainsi, elle en voulait constamment au monde entier. Toutefois ce feu qui brûlait en elle la rendait parfois lasse. Elle essaya de penser à un commentaire agréable qu'elle pourrait émettre, sans réel succès. Elle cala quelques mèches de cheveux derrière son oreille pour se donner contenance et se contenta d'une phrase banale.

Tu t'habitues doucement à ton nouvel environnement ? Elle n'avait pas vraiment envie d'avoir cette conversation, elle n'aimait pas le son de sa voix docile qui se propageait dans l'espace. Ce rôle, jusque là contenu, ne lui convenait pas. Elle ne tarderait pas à revenir à ses remarques cyniques, un terrain connu qui la mettait à l'aise.

Abruti, il avait demandé à Ruben de partir au moment le plus délicat. Nan la couture c'était clairement pas pour lui et il se maudissait déjà d'avoir fait ça. S'il avait pu se baffer il l'aurait fait mais c'était impossible vu qu'il avait perdu un doigt, bon c'était exagéré mais ça lui faisait vraiment mal, et que son autre main était occupée à appuyer sur sa plaie. Il détestait se blesser, il n'aimait pas la douleur, il ne la supportait pas surtout et ça pouvait le rendre vraiment chiant, plus chiant qu'il ne l'était déjà normalement. Alors en arrivant dans l'infirmerie il s'était vraiment senti con. Il avait espéré croiser Lisandro, celui-ci ce serait probablement foutu de sa gueule, puis l'aurait peut-être rassuré un peu, nan parce qu'une blessure on savait jamais ce que ça donnait. Peut-être que ce serait mal désinfecté, que ça s'infecterait, qu'il mourait dans d'atroces souffrances. Bon, il avait peu de doute sur ça. Pas qu'il ne faisait pas confiance à cette fille-là, celle de son âge, mais bon, il était un peu plus rassuré avec quelqu'un qu'il connaissait déjà. Si Ruben aurait été là ça aurait déjà été mieux, même s'il se doutait bien que ça ne l'aurait pas intéressé de le voir découper les manches de sa veste, c'était pour ça qu'il l'avait libéré de sa présence. Si le monde se relevait il ne se reconvertirait pas dans la couture, une seule expérience c'était suffisant pour savoir qu'il détestait ça, il n'était pas assez appliqué pour coudre ou même découpé des trucs comme il l'avait fait à l'instant. Il regrettait amèrement et était clairement énervé, contre lui-même bien sûr.

S'asseyant comme lui avait dit de le faire la fille, il posa sa main pleine de sang sur le table, regardant l'entaille comme si c'était l'œuvre du diable lui-même. Ne cessant pas de grimacer et de gindre tant la douleur se propageait, il ferma les yeux une seconde. Non, ce n'était clairement pas beau à voir. «Putain ça fait surtout mal cette merde !» s'était-il exclamé alors qu'elle était probablement parti chercher de quoi le soigner. Rien à faire s'il se plaignait, il avait mal et s'il aurait pu le faire comprendre à la terre entière il l'aurait probablement fait. Et alors qu'elle revenait, Murphy serra la mâchoire à cause de la douleur, ancrant bien ses pieds sur le sol. Il ne manierait plus son couteau comme ça, il avait bien compris la leçon, mais une simple petite coupure n'aurait-elle pas suffit pour lui faire comprendre que c'était stupide ? Regardant la blonde alors qu'elle lui disait que l'alcool ne serait pas agréable, il pensa intérieurement que tout serait mieux que la douleur qu'il ressentait à l'instant alors qu'elle envoie l'alcool, il ferait avec. Acquiesçant à ses propos, il se rappelait encore de ses vaccins quand il était plus jeune, il détestait ça. Il savait qu'il avait été vacciné par le tétanos vu que tout le monde avait eu le droit au vaccin. Normalement. Le doute s'empara de lui un instant. Merde, si ça se trouve ça allait être plus grave qu'il ne le pensait. Il se sentait encore plus con d'avoir joué avec sa veste et son couteau maintenant. Mourir du tétanos, horrible. Il ne voulait même pas savoir ce que ça faisait, rester dans l'ignorance lui convenait parfaitement.

La fille examinant sa plaie, il expirait et inspirait bruyamment. Horrible, il voulait juste que la douleur s'estompe, rapidement, quand bien même ça n'allait pas partir tout de suite. C'était énervant. «Je..Je découpais ma veste.» avait-il répondu sans même prendre en compte le fait que ce soit totalement stupide. Il s'en foutait pas mal, il avait juste mal. Et alors qu'elle essayait de faire la conversation, il balança sa tête en arrière, n'ayant pas du tout envie de parler à l'instant. Il lui serait reconnaissant, il lui parlerait de sa vie si elle en avait envie et lui dirait tout ce qu'il pensait de l'endroit mais quand elle aurait versé ce putain d'alcool sur son doigt et qu'elle aurait mis le bandage ! «Oui, oui ! Je m'habitue très bien..» avait-il répondu toujours en souffrant. Il ne lui en voulait pas, peut-être voulait-elle juste lui changer les idées. Mais lui avait juste envie qu'elle s'occupe de sa blessure. Il réagissait comme un con, il le savait, mais une blessure faisait souvent disparaître toute bonne humeur en lui.

Elle avait consciencieusement fini sa tâche puis patiemment écouté le jeune homme se plaindre. Lorsqu'il l'éclaira de la raison, un sourire se répandit rapidement sur son visage. Elle tenta d'empêcher ses lèvres d'esquisser cette douce courbe qui conquérait déjà son visage en se mordant la lèvre. Comme tenter de réprimander l'expression de joie de n'aboutissait à rien, elle accompagna cela d'un haussement de sourcil dubitatif. Fixant son regard dans le sien, le sourire creusant des fossettes dans ses joues.

Vraiment ? Tu raccourcis ta veste avant l'hiver ? Non mais je ne te critique pas hein c'est juste que... un rire malicieux s'échappa de sa gorge. Okay, désolée, désolée. Dit-elle pas peinée le moins du monde.
Je peux t'aider à faire un short si tu veux. Un sourire taquin rongeait toujours ses lèvres alors qu'elle remettait en place le matériel utilisé.

Bon ça va cette plaie ? Tu sais si tu as besoin d'aide pour quoi que ce soit -même un projet ridicule- tu peux nous demander. Elle ne pouvait pas s'empêcher de teinter sa proposition d'aide de cynisme.

Un silence gênant s’installa progressivement après ses réponses. Elle lança un regard vers l’entrée, tentant d'échapper à cette situation qui s'annonçait difficile. Faire face seule, à un quasi inconnu. Elle aurait dû faire des efforts et ne pas étaler sous les yeux ébahis sa langues aiguisées et ses mots tranchants. Mais le début d'une pluie venait lentement s'écraser contre les vitres, empêchant toute retraite. Les larmes du ciel dégoulinait contre les carreaux. Juliet décrocha son regard de l'extérieur, tentant de faire face au problème. Elle croisa ses bras sur sa poitrine. Elle ne savait pas bien comment rendre sa présence supportable. Sa tentative de fuite évidente la mettait de plus en plus mal à l'aise. Plus elle se creusait la tête pour engager la discussion, plus il lui venait des suppositions étranges et des questions intimidantes. Elle était à l’autre bout de la pièce, aussi loin que possible du garçon. La lycéenne lui lança un regard froid, laissant le silence lourd trainer. Elle avait fait sa part du travail, et ne se trouvait en possession d’aucun mode d’emploi pour continuer la discussion.

T’as quand même une sacrée chance hein. Elle évita son regard. Le hasard fait tellement bien les choses. Il avait l’air si chétif, là, en face d’elle avec sa main entaillée, qu’elle avait du mal à le croire. Etait-ce un rôle qu’il jouait pour mieux les duper. Juliet ne parvenait pas à lire en lui et cela lui déplaisait énormément. Trouver notre camp comme ça alors que tu a pas l’air de pouvoir survivre seul plus de quatre heures dans la violence du monde extérieur.

Son visage avait perdu toute joie, elle avait abandonné sa tentative de socialisation pour libérer complètement ses doutes. C’était toujours ainsi, se dit elle en confession à son être intérieur. Tenter de faire maladroitement les premiers pas, chanceler, puis s’écrouler sous le masque de gentillesse et dresser les armes, prête à mordre et griffer quiconque s’approcherait trop près.

La douleur s'estomperait probablement au fur et à mesure de la journée mais il se trouvait sacrément con quand même. Et apparemment il n'y avait pas que lui-même qui se trouvait stupide puisque même cette fille, de son âge apparemment, semblait se moquer de lui aux vues de ses paroles taquines. Malgré le picotement qu'il ressentait au niveau de son entaille il lâche un sourire. S'il avait pu être désagréable juste avant il se sentirait vraiment mal à l'aise, ce n'était pas dans ses habitudes mais en même temps il avait été assez stupide pour couper un truc tout seul au lieu de demander de l'aide à Ruben. En même temps celui-ci était parti ! C'était énervant. Il lui dirait, sans le tenir pour responsable, quoique, il lui ferait croire qu'il serait énervé pour se foutre de lui, ça l'amusait de le faire chier. «Ouais..» avait-il lâché toujours avec ce fin sourire, regardant son bandage, le trifouillant légèrement. Elle l'avait sacrément serré mine de rien. Elle avait l'air un peu paumé comme fille aussi, il se surprenait à avoir lever les yeux vers elle pour l'observer, ce qui était vraiment gênant ! Mais il savait qu'il pouvait l'être parfois alors ça ne le dérangeait pas qu'elle le pense, il était comme ça. Ils pouvaient tous penser ce qu'ils voulaient, il savait qui il était. Le rire malicieux de la fille l'avait fait rire discrètement aussi. «Eh ! Je voulais juste raccourcir les manches ! T'as vu la taille de la veste ? Le type qui l'avait avant devait être.. imposant. Mais si tu veux tailler un short avec moi y a pas de soucis.» avait-il soufflé en souriant tout en fixant la fille. «T'inquiète que niveau couture je gère de ouf.» et il avait levé sa main bandée pour lui prouver tout en souriant. Sauf que ça lui faisait encore mal, abruti qu'il était. Heureusement qu'elle détendait l'atmosphère en un sens.

Il avait acquiescé à sa question, ses yeux descendant vers sa plaie. «Ouais, ouais ça va, 'fin ça pourrait être mieux, genre j'aurais pu ne rien avoir mais bon.. J'suis un peu bête parfois, couper un truc avec ma maladresse c'était quasi sûr que je me ferais un truc comme ça, j'aurais du m'y attendre mais bon..» avait-il commencé à expliquer sans vraiment se préoccuper de l'intérêt que pouvait porter la fille à ses paroles. Qu'elle s'en fiche ou pas, ça lui faisait ni chaud ni froid, il n'avait jamais été du genre à se prendre la tête sur ça. Oui, les silences gênants comme celui qui était en train de se produire l'embêtaient un peu mais il ne pouvait rien y faire alors bon, il se contentait de regarder tantôt sa plaie tantôt le sol avant de lever les yeux vers la fille se trouvant bien plus loin désormais. Il ne l'avait même pas entendu se déplacer, assez étonnant pour lui qui prêtait attention à tout et n'importe quoi, même les choses les plus insignifiantes. Le silence se faisant vraiment pesant, le bouclé laissa tomber ses épaules, adoptant une posture nonchalante. Oh, il aurait pu partir, mais non, il restait juste là, comme ça, assis. Il avait commencé à faire un discret bruit avec sa bouche, imitant le cheval, il espérait juste que la fille ne l'ait pas entendu. C'était quoi son nom d'ailleurs ? Merde, il s'en souvenait même plus.

Haussant un sourcil lorsqu'elle reprit la parole, il plissa finalement légèrement les yeux, ignorant de quoi elle parlait en parlant de "chance". «De ?» avait-il finalement lâché sans réfléchir. Et elle lui avait donné des explications. «Oooh, ça...», oui, il savait qu'il avait de la chance vu que tout le monde lui disait ! Surtout Eli, Lisandro et toute autre personne de ce groupe. Ruben lui avait sorti un peu plus tôt dans la journée d'ailleurs. «Ouais, faut croire que j'ai une bonne étoile, enfin je crois...» puis il avait froncé les sourcils. «Mais c'est pas parce que je suis.. très légèrement petit... et un peu maigre que je sais pas survivre ! Je veux dire c'est utile pour se faufiler. Puis je suis maigre parce que c'était chaud de trouver de la bouffe. Et puis sérieux je suis pas si petit que ça en plus.» il avait dit tout ça comme si c'était une évidence, un fin sourire sur les lèvres, essayant de se convaincre lui-même qu'il n'était pas petit. «Et toi alors ? T'as atterri ici comment ? Je serais curieux de savoir... Je te vois pas trop survivre dans la nature toute seule non plus.» et ce n'était pas péjoratif ! Il avait peur qu'elle l'est pris comme ça...

Son visage se lissa de toute émotion, sous son air neutre, sa sensibilité la titillait. C'était un aller-retour constant entre différentes fortes émotions et elle venait d'être touchée. Les traits de visage du garçon, inquiet, tentant de se justifier. C'était peut-être son jeune âge qui avait rappelé à Juliet sa propre arrivée au sein du camp. Se retrouver coincée entre le statut de prisonnière et celui de résidente, tentant de prouver aux autres qu'on vaut la peine d'être sauvée. Museler ses sentiments pour qu'ils implosent plus tard en elle. Se retrouver devant son lit et pleurer sans autre raison que le stress ou la nostalgie. Ne pas savoir si le bon choix a été effectué, ou si le chemin de vie jusqu'ici se résume à une erreur. Et de temps en temps, faire des plans d'évasions imaginaires qui n'aboutiront jamais. Ce dont Juliet avait eu peur, cela avait été de se faire mépriser par les autres. Elle se rendit compte qu'elle appliquait ce geste sur quelqu'un qui paraissait y être sensible. Cela mettait en exergue son comportement, qui se métamorphosait en quelque chose d'insupportable à ses yeux. Elle se fit mentalement la leçon.

Le fait qu'elle se contente de hocher la tête et de sourire aux réponses que Murphy lui avait offerte, les avaient menés à cette gêne. Il tenta d'étoffer sa justification que Juliet ignora. Elle abandonna ce début de discussion. Laisses le tranquille, c'est son histoire après tout, fous lui la paix. Elle se contenta de le fixer pour seule réponse à sa justification maladroite et enchaîna directement sur l'autre partie de la phrase énoncée.

Ah ouais, t'es pas si p'tit ? Viens par là l'asticot, on va voir. Elle lança le défi sur le ton de l'humour tout en étant sérieuse. Se faisant la plus droite possible afin qu'il n'y ait aucune triche.

À vrai dire, non je survivrais pas longtemps dehors. Heureusement qu'Isaac et son fils étaient là. C'est grâce à eux et au reste de l'équipe que je suis vivante. Mais moi je ne prétends pas pouvoir me débrouiller seule.

Elle livra ainsi une réponse en évitant de réellement dévoiler qui elle était. Si vraiment cela l'intéressait au-delà des commodités, il reviendrait au sujet. Juliet avait remarqué que c'était une chose commune de demander d’où l'on venait, son parcours depuis la césure du monde. Autrefois on parlait études, loisirs, et quotidien. Mais cette même notion de quotidien ayant été chamboulée, donnait l'impression que l'on se reposait sur ce qu'il restait. Le problème résidait en ce parcours qui se matérialisait souvent comme une traversée au cœur de l'enfer. La jeune fille ne raconterait pas son histoire pour remplir un silence, mais bien parce que cela intéressait vraiment son interlocuteur. Elle livrait donc souvent de ces semi-réponses qui ont tendance à agacer.

La lycéenne ne donnait pas dans le jeu de séduction pour amadouer son prochain afin qu'il vous apprécie. Elle aimait que tout se joue à l'instinct, aux non-dits et aux regards. Cela sonnait étrangement plus vrai à son esprit. Comme si la relation n'avait pas été parasitée par les charmes humains et chimériques. Malheureusement, il était difficile de déchiffrer cette manière de penser et de la comprendre. Le jeune fille ne voulait pas se faire désirer, mais que dès les premiers instants on l'aime ou on la déteste. Paradoxalement, elle aimait l'idée de plaire, cela apportait toujours un peu de soleil dans son intérieur refroidis. Concilier tout cela relevait du domaine de l'impossible. Toutefois cela ne l'empêchait pas de rester accrochée à sa manière de penser.

Elle se rapprocha imperceptiblement de lui, toujours quelque peu craintive. Elle attendait qu'il se lève pour comparer leur taille. Elle laissa tout de même une question lui échapper.

Dis, sans ce chaos tu serais devenu quoi ? On ne pouvait jamais bien savoir ce qui était sensible dans l'histoire d'une personne, mais cette question là lui semblait des plus inoffensives.

Ça lui faisait bizarre de parler à une autre fille de son âge. La dernière qu'il avait croisée c'était.. longtemps avant. Comme quoi il avait une sacrée chance. Entre Ruben, elle et le fils de celui qui s'occupait des chevaux il avait de la compagnie, fort heureusement. Nan puis les autres membres du groupe n'étaient pas si vieux que ça. Et il avait presque l'impression de s'entendre bien avec la plupart d'entre eux. Ils étaient sympas, ils faisaient bien les choses, ils survivaient comme ils le pouvaient c'était assez remarquable ce qu'ils avaient fait de cet endroit. Alors il était bien content d'être ici, de découvrir de nouvelles personnes, dont cette fille qui avait l'air de vouloir rire avec lui ? Quand on essayait de blaguer avec Murphy, c'était ce qu'il comprenait. Il aimait juste rire, même pendant l'apocalypse. C'était sa bonne humeur constante qui le rendait heureux et optimiste même pendant la fin du monde. Bon, les minutes qui avaient précédé avaient été un mauvais exemple. Il s'était coupé, il avait peut-être été légèrement con sur les bords mais il avait bien souffert l'espace d'un instant et encore maintenant il avait mal, mais il était clairement reconnaissant envers la jeune fille pour lui avoir apporté son aide et ne pas l'avoir envoyé chier parce qu'il avait mal et qu'il était de mauvaise humeur. Il s'en voulait encore d'avoir renvoyé Ruben au moment où il était en train de couper sa veste. Surtout que la blonde venait de lui faire remarquer à quel point c'était stupide de couper sa veste avant l'hiver. Mais ça il ne l'avait remarqué que quand elle lui avait dit, donc il se sentait con.

D'autant qu'en appuyant le fait qu'il n'était pas petit il avait très clairement fait comprendre à cette fille qu'il était complexé par sa taille. Ou peut-être n'avait-elle pas compris ? Tant mieux, ça l'arrangeait. Oui, parce qu'il savait très bien qu'avec cinq ou six centimètres en plus il aurait moins l'allure du type frêle et pas capable de survivre dans la nature plus d'une semaine. Au moins il s'était prouvé à lui-même qu'il y arrivait.. enfin, un petit peu ? Mais jamais il ne renterait l'expérience. Ce n'était pas pour lui. Et voilà qu'elle le mettait au défi de se lever pour comparer leur taille. Non, non, hors de question, s'il était plus petit qu'elle il se sentirait très clairement gêné et encore plus con qu'il ne se le sentait déjà. Peut-être aurait-il mieux fait de rester dans sa douleur et se servir de sa veste pour soigner sa plaie, parce que clairement il n'aimait pas comparer sa taille. Il était l'un des plus petits de sa bande de potes au lycée.. et il l'avait encore mauvaise, pourtant ils n'étaient probablement plus là pour la plupart et il préférait ne pas y penser pour ne pas être trop triste. Il resta donc assis, regardant la fille assez honteusement. Heureusement elle avait changé de sujet, même si elle ne semblait pas abandonner l'idée.

Il l'écouta attentivement quand elle expliqua son "histoire", oui, il voulait en apprendre plus sur les gens d'ici alors il posait des questions, s'intéresser. Au moins elle était honnête en disant qu'elle ne survivrait pas très longtemps toute seule. Les sourcils du brun s'affaissèrent légèrement, jusqu'à ce que son visage s'illumine, ne pensant plus trop à sa blessure grâce à la discussion qu'il tenait avec la fille. «Eh !» s'était-il exclamé. «Pourquoi je t'apprendrais pas des trucs ? J'ai survécu dehors tous seul assez longtemps alors.. on sait jamais ? Ça peut te servir. Puis bon.. c'est pas comme si on avait dix millions de choses à faire ici. Enfin toi peut être mais moi... bref ! Je pourrais te donner des petits cours ? Et puis ce serait drôle, nan ?» bon en soi c'était surtout pour avoir un programme dans cet endroit et trouver des choses pour s'occuper. Puis elle était sympa ! «Promis je jouerais pas le prof trop autoritaire..» avait-il soufflé un peu plus bas avant de lui faire un clin d'œil. «Quoique.» puis il avait légèrement ri.

Devant la posture toujours droite de la fille, il s'était finalement levé avec un soupire un peu résigné. Il s'était levé, grimaçant alors que sa blessure lui lançait dans la main. Puis il s'était aperçu qu'il était légèrement plus grand que Juliet. Il avait alors souri alors qu'il était quand même assez proche d'elle, ayant fait quelques pas pour être quasiment collé et voir parfaitement qui était le plus grand. «Gagné.» avait-il soufflé toujours en souriant. «Navrée madame, seigneur Murphy n'est pas si petit que ça !»
Il avait ensuite haussé les épaules à sa question, regardant un peu dans le vide. «J'sais pas trop.. Probablement que j'aurais été dans une université que j'aurais pas voulue -j'étais pas très bon élève-, puis.. j'aurais faits ma vie quoi. J'aurais vu mon petit frère grandir par contre...» avait-il dit avec un sourire assez triste. «Et toi ?»