Juliet s'adoucissait doucement sous l'assaut les sourires et la gentillesse du jeune homme. Les bras toujours croisés, son visage avait peu à peu abandonné l'expression neutre de départ pour adopter des nuances plus engageantes. Elle avait imaginé que sous son air renfrogné et ses regards fuyants, il déguerpirait comme devant un monstre. Elle était toujours mal à l'aise, comme enfermée dans un espace étroit, elle limitait inconsciemment tous ses gestes, prendre le moins de place possible lui donnait l'impression de disparaître. Son langage corporel prenait toutefois peu à peu de l'ampleur, signe qu'elle se libérait de ses démons.

Elle osa porter son regard sur le visage fin et ciselé du jeune homme. Elle entama ses observations qu'elle aimait tant. Détecter sur les rides du visage une habitude, un tic. Les survivants qu'elle croisait avaient souvent un regard profond qui contait silencieusement une histoire difficile. Tuer pour la première fois des êtres qui sont déjà aux portes de la mort. Regretter. Reconstruire son histoire sur des bases hypothétiques et se lancer finalement le défi de vivre. Après le cerveau, l'œil est l'organe le plus complexe du corps humain. Résultats de millions de composantes, d'entrelacs, de connexions et d'échanges d'informations. Chaque regard était unique, couleur algue, océan ou bronze. Unique à la manière dont nos empruntes digitales l'étaient En déroulant lentement sa pensée autour de ces faits, son esprit s'égara. Cela lui arrivait souvent de vagabonder et de sauter d'une information à l'autre. Ses pensées gravitèrent encore quelques temps autour du regard, incroyable informateur de l'être humain.

Il se défendit sur la taille de sa veste, lâchant un prétexte ridicule qui ne convainc pas Juliet plus d'une demi-seconde. Il ne prit pas son attaque frontale comme telle, mais plutôt comme une remarque anodine. Qu'il ne se formalise pas pour ces mots surprit la jeune fille. Elle envisagea alors deux solutions, soit il était simplet, soit il évitait délibérément le conflit. Elle refusa d'opter de suite pour un choix, préférant laisser la conversation parler d'elle-même.

Il lança une exclamation alors que son visage s'illuminait subitement. Intriguée, l'étudiante garda une expression plus au moins neutre alors qu'elle bouillonnait intérieurement. Il souhaitait lui apprendre quelque chose, partager les quelques connaissances qu'il avait récolté au cours de son voyage. Cette idée était à double tranchant, il n'était pas question que quelqu'un de son âge est un ascendant sur elle. Elle s'apprêtait à refuser, lui fermant la porte de ses sentiment à peine entrouverte alors qu'il apaisa ses craintes d'une boutade. Elle hocha la tête sans donner une confirmation exacte. Puis décidant que sa réponse devait être frustrante au possible, elle consentit à lui abandonner quelques mots.

C'est une bonne idée, en échange je peux t'apprendre des choses du côté de l'équitation si ça t'intéresse. Elle se prit d'une grande fascination pour le sol, décentrant encore son attention du réel.  

Lorsqu'il se leva pour s'approcher d'elle, la jeune fille eut envie de fuir. Elle se retint de fermer fort les yeux. Alors qu'il souffla, tout fier un "gagné", l'étudiante se sentit rapidement retomber en enfance. Ce n'était pas mielleux et écœurant mais au contraire infiniment doux, lui faisant oublier le reste, elle laissa un sourire pointer sur le bout de ses lèvres. Jouant un rôle, il adopta un vocabulaire horriblement snob et des manies bourgeoises qui finirent définitivement d'étirer les lèvres de Juliet. C'était quelque chose à laquelle elle s'adonnait : soulever un haut de forme imaginaire et s'imaginer coincée dans un corset au milieu du dix-huitième siècle. Elle chassa ses premières inquiétudes stupides et se concentra sur le deuxième élément de réponse à sa question.

Le regard de Murphy se perdit dans les limbes lorsqu'il fallut répondre à cette dernière question qu'il lui avait parue si inoffensive. Juliet savait exactement ce qui se déroulait derrière le néant de ses yeux. Il se repassait en silence la scène de sa vie affreusement normale. Banalité réconfortante que l'on regrettait souvent. Surtout pour l'électricité et l'eau chaude. Lorsqu'il s'agissait de passer une éponge glacé sur votre peau alors que l'hiver vous picotait, les regrets fusaient dans votre esprit. Finalement, c'était ces côtés pratiques que l'on regrettait le premier, horriblement engoncé dans le confort. Elle regretta sa question, elle avait un instant oublié que les membres d'une famille et les amis constituaient une grande partie des regrets du monde déchu. Elle hocha la tête, muselant sa curiosité qui lui ordonnait d'apprendre plus d'informations sur le petit frère en question. Elle se contenta de détourner l'attention de sa réponse en apportant la sienne.

Je serai allée dans une université prestigieuse à n'en pas douter pour être l'objet de la fierté mal placée de mes parents. J'aurais sûrement suivit le chemin tout tracé, et puis à un moment ou un autre, j'aurai craqué. Rien de bien passionnant.

Elle relégua cela à l'arrière de ses pensées. Ses parents n'étaient pas capables de faire quoi que ce soit par eux-mêmes, ils devaient être morts à coup d'oisiveté à l'heure qu'il était. Elle pointa son regard sur Murphy, un instant surprise par leur proximité. Puis, omettant finalement complètement cela, elle le noya sous un flot de paroles discontinu.

Tu peux m'apprendre quoi ? Montre moi ! Elle était réellement impatiente. On doit sortir ? Ou rester à l'intérieur ? C'est un truc de self défense ? Ou bien une tactique pour repérer quelles plantes inconnues je peux manger ? Un sourire lui mangeait le visage alors qu'elle l'assenait sans pitié de questions.