Ça faisait deux jours. Quasiment 48h que ni Joy, ni le groupe d’expédition duquel elle faisait partie n’était revenu. On savait bien que chaque sortie était soumise à son lot d’inattendus. Un rien pouvait les avoir bloqués : une horde, une rencontre, une bonne piste, un accident… mais la vérité, c’était qu’il était rare que ça soit si long. Sincèrement, il aurait bien aimé s’en foutre. Si personne des gens qui lui tenaient à cœur n’était dehors, il aurait vaqué à ses occupations. Si en plus ça avait été Lucas, Merl et Clayton, il aurait discrètement souhaité qu’ils ne reviennent jamais.

Mais là, il s’agissait de sa sœur. Son insupportable aînée qui devait s’être lancée le défi personnel de l’humilier mille fois plus de fois qu’il l’était nécessaire dans une vie, mais sa sœur quand même. Elle lui avait sauvé la vie, Swann sentait qu’il lui était éternellement redevable et aussi… il y avait quelque chose entre eux, depuis la mort de leur mère, puis la découverte des cadavres sur l’ile. Une promesse secrète, qu’ils veilleraient toujours l’un sur l’autre. S’il devait sauter par-dessus la barricade seul pour aller la chercher à pieds, il le ferait ! Mais comme il préférerait quand même que ce ne soit pas le cas, il avait réuni Czarek et Joann. Ils étaient les deux personnes en lesquelles il avait le plus confiance pour confier ses attentions. Enfin… il y avait aussi Evy, mais elle n’aurait pas pu l’accompagner dehors, ou Stan, mais peut-être aurait-il raisonnablement voulu le dissuader. L’étudiant ne voulait pas être dissuadé ! Il voulait des partenaires de chocs.

- Ils ne reviennent pas, lâcha-t-il en refermant la porte derrière ses deux invités, l’équipe dont faisait partie Joy, elle ne revient pas. Elle est partie avant hier, rappela-t-il avant que l’un des deux n’osent poser la question.

Ce n’était clairement pas dans ses habitudes de paniquer de la sorte, pas de cette façon. Même ses deux amis, qui avaient pourtant l’habitude de le fréquenter, ne reconnaîtrait pas Swann dans ses gestes nerveux et son teint blafard. Chaque minute qui passait, l’image morbide de la blonde dévorée dans un caniveau se précisait. C’était surnaturel, ça lui vrillait méchamment les nerfs. Il ne pouvait pas concevoir qu’elle soit morte… c’était juste… non-non-non. Elle n’avait pas le droit de faire ça ! Dans le salon, l’hôte ne songea même pas à proposer de s’asseoir. Il faisait les cent pas entre la table et le canapé.

- Je sais vers où ils devaient aller…, annonça-t-il avant de lâcher : je veux aller la chercher.

Il passa une main dans ses cheveux déjà en bataille et croisa les bras. Ses yeux gris allaient de l’un à l’autre puis s’arrêtèrent sur la trentenaire. Il savait qu’elle n’aimait pas l’aînée Blackmore, il savait que c’était réciproque, mais… elle était la meilleure – à ses yeux – pour l’accompagner. Maintenant qu’ils s’étaient livrés l’un à l’autre, le lien qui les unissait était toujours particulier et intensément plus fort. En l’honneur de ça… peut-être qu’elle céderait à son minois désespéré pour l’aider dans son coup de sang ?

Le camp vacillait à ses occupations habituelles. Un groupe partant en expédition, un autre revenant, une petite visite faite aux personnes âgées et un peu d'attention. Ces derniers étaient certes peu utiles et en quelques sortes une menace en raison de leur âge, mais ils ne méritaient pas d'être rejetés, tout comme n'importe quelle autre personne. Un groupe devait être uni, solide comme un roc. Et c'était pour ça que Czarek prenait tant à cœur le principe du camp : tout le monde était plus ou moins égal. Il n'y avait pas officiellement de plus fort ou de plus faible. Les civils n'étaient pas uniquement passif, chacun pouvait participer à sa façon et même si des règles de vie étaient respectés tout le monde était plus ou moins libre dans ses actions.

C'est ainsi qu'alors qu'il s'occupait de quelques tâches ménagères quelqu'un vint l'interrompre. Il se révéla que ce n'était d'autre que son ami Swann. Voir même mieux qu'un ami. Le polonais ne savait pas comment définir sa relation avec son aîné mais il était très attaché à lui et lorsqu'il lui demanda de se réunir pour discuter d'une chose assez importante apparemment. Le brun accepta évidemment de s'y rendre et c'est ainsi qu'une fois arrivé à la maison des Blackmore il aperçu une connaissance, Joann Cain s'il se souvenait bien. Connaissance était un grand mot, disons voir qu'il la connaissait de vue et comme pour tout le monde s'il la rencontrait et qu'ils étaient assez proches physiquement il lui adressait un bonjour suivi d'un sourire. Mais jamais il n'a pensé plus que ça à aller lui parler.

Une fois entrés, Swann leur annonça que sa sœur -Joy- et l'équipe avec laquelle elle était sortie n'était pas revenue. Et ça, c'était plutôt annonciateur de leur sort, sans être trop pessimiste cependant. Une si longue absence ne devait pas se faire sans raison. Son ami étudiant en semblait également conscient. Une attitude jusqu'alors inconnue s'empara de lui. Quelle terrible chose que l'incertitude et l'ignorance. Si Olga -sa mère- devait un jour disparaître ainsi... Mieux valait ne pas imaginer ce qui pourrait arriver.

Evidemment, la décision de son compère allait de sens avec les faits. Il voulait aller chercher Joy et c'était tout à fait admirable, ils n'avaient certes pas l'air d'avoir la meilleure relation au monde, mais parfois les liens du sang, la dernière famille, c'était la seule chose à laquelle on pouvait se rattacher. S'il avait convoqué deux de ses amis proches ce n'était sans doutes pas pour le réconforter, il voulait que le polonais et la demoiselle l'accompagne dans son expédition. Cela se confirma par la réponse de la jeune femme qui lui prêta alors plus d'attention en l'interrogeant sur ses capacités.

"Hmm, je dois avouer que je ne sais pas trop me servir des armes à feu. Je m'en sors mieux avec les armes blanches. Ce sera la première fois que je sors vraiment, mais j'espère pouvoir vous aider et pas être un poids mort pour vous..."

Face à son ami et l'amie de son ami qui semblait légèrement plus sévère dans son jugement rien que par la formulation de ses phrases, Czarek savait qu'il n'allait pas être la bouée de sauvetage du Titanic. Sa mère n'a jamais vraiment voulu qu'il sorte et qu'il aille se battre corps et âmes mais il ne pouvait pas non plus laisser tomber son ami. Peut-être cette décision était stupide, mais il était aussi intrigué quand à ce qu'il y avait vraiment au-delà de ces murs.

Joann fut la première à accepter. Il lui en fut infiniment reconnaissant et si l’angoisse lui nouait trop la gorge pour parler, il hocha la tête en signe de remerciement. Bien sûr qu’elle le faisait pour lui et pas pour sa sœur, il en était pleinement conscient, mais ça suffisait. Avec elle à ses côtés, n’en déplaise à Evy, il se sentirait beaucoup mieux. Ce serait la première fois qu’il ressortait depuis sa blessure et son bras était à peine opérationnel, alors l’efficacité de l’escort-girl ne serait pas de trop. Malheureusement, la question dériva – trop – vite vers les compétences de Czarek. C’était vrai qu’il n’était pas de ceux qui sortaient habituellement mais il n’avait pas vraiment pris ce détail en considération en lui confiant ses intentions. Swann cherchait plutôt la fidélité, quelqu’un qui oserait le suivre sans essayer de le raisonner. Il souffla un bon coup, essayant d’évacuer du stress, et prit la parole avant que son aînée ne le fasse :

- Ça ira. On va de toute façon être accompagné par un militaire, ils n’aiment pas qu’on parte avec une voiture sans quelqu’un de… d’assermenté, il eut une moue dédaigneuse, je connais un gars qui viendra avec nous sans trop poser de question. Il m’en doit une, expliqua vaguement l’étudiant, on y va, on les trouve, on revient. On ne perd pas plus de temps.

Car il était obligé de croire qu’ils étaient encore en vie ou au moins : que sa sœur était encore en vie. Ça lui donnait des ailes de leader, lui qui était si habitué à se ranger du côté de l'idéologie d'un autre. Le jeune Blackmore repartit alors immédiatement vers la porte : le conciliabule fut court, il n’avait pas eu besoin d’argumenter pour les convaincre. Il enfila manteau et écharpe, sachant qu’il allait sûrement changer sa tenue du côté des militaires. On leur demandait généralement de ne pas se balader en ville avec de l’équipement ou couvert de boyaux pour ne pas inquiéter les civils qui choisissaient de rester dans la semi-ignorance, alors Swann avait pris l’habitude de procéder ainsi.

A l’extérieur, ses yeux gris balayèrent la rue, presque en guise de défi. Est-ce que quelqu’un se doutait de quelque chose ? Ce n’était pas interdit à proprement parler, juste… pas recommandé. Les ravitaillements devaient être organisés, répertoriés, étudiés ; ça ne pouvait pas être fait sur un coup de tête, et encore moins de quelqu’un qui n’appartenait pas au corps de l’armée. Au feu tout ça : il estimait avoir donné suffisamment au camp pour s’autoriser quelques entorses au règlement. Et si Donovan avait quelque chose à lui dire après ça, il saurait quoi lui répondre.

- De quoi tu as besoin, Joann ? Demanda-t-il en croisant son regard, son cœur rata évidemment un battement : même contrariée, elle restait… waw.

Swann avait soufflé un coup après les dires du jeune polonais. Sans doutes n'avait-il pas pensé au fait que le brun ne s'était jamais heurté à ces créatures des enfers. La demoiselle que son ami avait convié semblait elle également un peu "déstabilisée" si tel pouvait en être la description. Il y avait quelque chose qui la chiffonnait et Czarek s'attendait à se voir interrogé minutieusement sur ses capacités.

Ce fut pourtant Swann qui la devança non pas avec des questions mais plutôt en le rassurant d'un certain côté en annonçant qu'un militaire viendrait avec eux. Un militaire lui redevant un service apparemment. Le jeune Komorowski connaissait beaucoup de militaires, de vue tout du moins et se demandait si celui que Swann allait appeler était l'un de ceux avec qui il avait des affinités. Il se doutait plus ou moins que ça ne serait Donovan le courant ne passant pas très bien entre les deux.

Ils retournèrent donc dehors et commencèrent à marcher afin de se rendre chez Joann, l'air était frais. Pendant que cette dernière rentra chez elle pour se préparer, Czarek se laissa inviter à entrer avant de se laisser emporter par ses pensées. Sa mère. Il ne voulait pas lui faire de peine ou de peur, c'est principalement pour elle qu'il restait au camp et n'était jamais sortis. Va t'elle comprendre ? Bien que soit dis en passant elle se laisse draguer par l'autre type là, ça lui ferait du bien aussi de se souvenir que son fils n'a plus de père et qu'il n'a encore pas fait son deuil avant d'aller chercher à droite et à gauche.

La dame revint et demanda au novice des expéditions s'il n'était pas trop stressé, ce à quoi Czarek fit non de la tête en souriant, peut-être un réflexe pour se rassurer lui-même ? Il ne savait d'un côté que trop peu à quoi s'attendre. Il avait déjà vu des morts massacrer des vivants mais tout était sous contrôle, la situation n'avait pas dégénérée. Mais et s'il se retrouvait dans une situation plus catastrophique ? L'avantage serait d'ailleurs que contrairement à ceux dans le camp, il ne connaîtrait pas ceux-là. Du moins, il n'espérait pas.
Joann lui rappela que le principal était de rester concentré. Ok. Inspire, expire. C'est comme avant une représentation, il y a un peu le trac au début mais au fil du temps cela devient assez habituel et l'on s'améliore.

"- Je pense que ça ira... Si vous y arrivez... Je devrais pouvoir le faire également !"

Dans un sens il était un peu jaloux d'eux. Enfin, oui et non. Il aurait aimé pouvoir s'entraîner à se battre contre les rôdeurs et faire des expéditions mais dans un même temps il redoutait le pire, un seul faux pas et on est finis... Comme son père.

La jeune femme fit un signe de tête indiquant qu'ils y allaient et Czarek sortit le premier, étant le plus près de la porte. Il fût rapidement rejoins par les deux autres et le trio se mit en marche vers la zone des militaires, sans doute vont ils à l'armurerie. La femme s'adressa de nouveau à Czarek pour prendre de ses nouvelles. Dans un sens, c'était une bonne chose mais dans un autre il se demandait si elle n'avait pas peur de son inexpérience. Mais il préférait tout de même resté concentré sur une vision optimiste. Elle agissait un peu comme une mentor ou du moins quelque chose dans le style et cela - bien que la situation n'était pas des plus formidables - lui fit l'effet d'un baume au cœur.

"- Oui, ça va aller... J'espère, aha ..." Un petit rire nerveux lui échappa alors,il se frotta légèrement le front. Il avait peur mais se sentait en même temps rassuré. C'étai très étrange comme sentiment.

L’intérieur de chez Joann. Même hors contexte, il ressentait toujours un étrange frisson en entrant. La fameuse nuit qu’ils avaient passé ensemble était toujours bien fraîche dans ses souvenirs et s’il ne se remettait toujours pas exactement ce qui s’était passé, Swann ne pouvait s’empêcher de se sentir particulièrement intime avec elle. Alors fouler son palier, c’était réempiéter sur son intimité, et… « hum-hum ». L’étudiant s’était éclaircit la gorge en la voyant revenir : toujours cette sensation qu’elle savait à quoi il pensait, surtout quand il se mettait à fantasmer.

Heureusement, le sujet revint d’abord à Czarek. Honnêtement, le benjamin s’en tira pas mal face à la trentenaire. Nombreux étaient ceux qui se laissaient impressionner par sa dureté. Lui, n’avait pas l’air spécialement dans son assiette – certes – mais il s’en tirait mieux que le jeune Blackmore des mois auparavant. Ce dernier ne put d’ailleurs retenir un sourire en coin un peu sarcastique à la réponse un peu naïve de son ami. Si c’était si simple, des tas de gens seraient encore en vie aujourd’hui et personne ne mourrait en expédition. Le chemin de Swann, qui était un pur produit d’une génération numérique désintéressée des activités sportives ou mécaniques, avait été long et laborieux pour en arrivé là. Il avait les tripes et les convictions, certes. Mais sans Stan, il n’aurait jamais pu sortir et survivre plus de quelques heures.

- Oui, sans doute, approuva-t-il néanmoins.

Il n’avait pas le temps de se lancer dans des mises en gardes. Sa sœur attendait. Chaque minute qu’ils perdaient, elle était peut-être à un instant de mourir. Ils allaient tous ressortir quand Joann retint ton protégé par le bras, l’isolant un moment des oreilles du polonais. Ce qu’elle avouait dissipa un instant la brume angoissée de ses yeux gris pour réveiller cette fameuse lueur cruelle qui les avait si bien réunis. Elle pensait que ça ne lui plairait pas ? C’était ne pas faire suffisamment confiance à ses sentiments pour elle.

- Pour moi aussi, c’est toi d’abord, il la fixa un instant, sans ciller, le coin de ses lèvres frémirent sans oser délivrer un sourire, je ferai attention, et toi aussi.

Le jeune homme avait envie de l’embrasser, pour sceller leur pacte – qu’importe de Evy – mais se détourna pour rejoindre Czarek. Ce serait une véritable perte qu’il disparaisse, Swann appréciait réellement sa compagnie depuis qu’il était prisonnier sur cette île. Mais il n’y avait bien qu’une personne pour laquelle il serait capable de bafouer ses principes et ne choisir la vie de l’escort-girl en deuxième. Tandis que la plus âgée s’intéressait à l’état psychologique du benjamin, lui essayait de se remémorer où habitait le militaire qu’il devait trouver. Le fameux Sergio.

La voiture s’éloignait du camp. L’hispanique en treillis au volant du pick up civil réquisitionné il y a des mois de cela, sa barbe hirsute et noire comme le charbon masquant tout une partie de son visage. Ils étaient équipés légèrement – lame et 9mm – mais ça suffisait. Ils ne pouvaient de toute façon pas embarquer de gilets-pare-balles ni d’armes plus lourdes pour une sortie non-officielle. Avec la nature qui reprenait ses droits, les rôdeurs et autres détours imposés, ils mettraient sans doute presque deux heures à rejoindre la caserne de pompier d’Hansville que le groupe de Joy était censé inspecter. Un temps qui ne serait pas de trop pour donner quelques filons au plus jeune de la bande.

- Quand tu affronteras les rôdeurs, parce qu’ils en verraient sûrement, respire par la bouche si tu penses que l’odeur va te faire vomir. Ça peur aider.