« Désolée. » Chuchota-t-elle, un peu piteusement.

Mauvais réflexe ? Jaden l’avait formé à utiliser tout ce qui était à sa portée, à surprendre, forcément qu’elle usait ce qu’elle connaissait. C’était dur de se défaire de ce que le corps faisait spontanément. Heather était heureusement loin d’être en reste à ce sujet, puisqu’elle parvint peu de temps après à reprendre son souffle, et à lui montrer ce qu’elle savait déjà faire. Viser les points qui faisaient mal ! Et elle s’y connaissait, visiblement. Ok, elle n’avait pas grand-chose à lui apprendre, si ce n’est les points du visage qui feront forcément mal à l’adversaire au niveau des articulations. Là encore, ça ne serait que d’un nécessaire discutable, Heather était bien plus compétente qu’elle.

Ça ne l’empêcha d’ailleurs pas de déjà l’envoyer au sol en lui repliant le poignet lorsqu’elle lui montra une prise. Le genre qu’elle n’avait pas eu le temps de voir avec Jaden, mais qui était des plus implacables maintenant qu’elle épousait le sol et sentait une tension encore soutenable dans son bras. Etonnée, notamment par la vitesse avec laquelle elle s’était retrouvée par terre, et l’efficacité de la prise, la blonde fronça les sourcils avant de se remettre debout et d’épousseter ses vêtements.

« Effectivement, c’est efficace… » Souffla-t-elle sans cacher son étonnement : « Tu veux dire qu’il est pire que toi ? » Demanda la blonde avec un sourire amusé lorsqu’elle lui parla des compétences de Zelef, et du fait qu’il était visiblement encore plus compétent. « On la refait ? »

Puisqu’Heather était motivée pour l’entraîner, Emy ne comptait pas non plus se ménager pour l’occasion. La brune lui remontra une seconde fois le mouvement à effectuer. Elle termina à nouveau à terre, avant de se relever. Saisir le poignet fut la partie plus compliquée à ses yeux : il fallait trouver comment pouvoir le bloquer. Se servir ensuite de son corps pour tirer la personne au sol et la faire tomber violemment avant de l’immobiliser, lui semblait tout de suite plus instinctif pour le coup. Elle dut s’y reprendre à trois fois avant de bien savoir saisir le poignet d’Heather, qui ne se laissait pas faire. Créer les opportunités, donc ?

« Les ouvertures, du coup ? Comment est-ce que tu les crées ? » Demanda-t-elle à la formatrice en plantant son regard dans le sien.

"Bien sûr que c'est efficace. On ne l'enseignerait pas ça aux bidasses et aux marines sans ça ! Et pour le cas de Zelef... Bah, j'suis instructrice de tir à la base moi. Lui c'est un soldat des forces spéciales. Niveau entraînement au corps-à-corps, ce serait un peu comparer une licence à un doctorat. J'ai aucune chance face à lui si j'arrive pas à donner un bon coup grâce à l'effet de surprise.

Répondit l'ancienne mercenaire avant de se remettre en position. Elle fit "non" de la tête lorsque la blonde lui demanda si on allait refaire immédiatement cette prise. L'Italienne avait donné un exercice avant que la chirurgienne parte en improvisation totale, elle comptait bien au moins voir si la patronne pouvait se défendre "normalement". Et puisque madame voulait jouer, Heather allait faire preuve d'un peu de mauvaise volonté et résister. Elle lui fit signe de s'approcher et para ou esquiva les attaques trop "moles" à son goût.

Quand elle lui demanda les astuces pour se créer une ouverture, l'instructrice déclara avec un air plus sérieux qu'à l'habitude : "il n'y a pas de mystère. Tu attends que le type d'en face fasse une erreur. Ou bien, tu le sonnes assez pour la créer cette "ouverture". Si tu n'as pas l'initiative, ce sont bien les deux seules vraies écoles."

Plutôt que de rester sur du théorique, la brune tenta d'illustrer son propos. La blonde ayant déjà un niveau correct, Heather fit preuve d'un peu de patience avant de prouver ses dires et d'envoyer un bon coup de pied dans le flanc avant de se ressaisir du bras de sa partenaire et de l'envoyer au sol en utilisant une technique très similaire à la première. L'aidant une nouvelle fois à se relever, elle demanda à l'Américaine :

"Ça va ? Là niveau erreur, c'était une mauvaise gestion de la distance. Si tu restes à ma portée après t'être raté, tu risques de déguster. Respire, ce n'était pas sur les cotes flottantes ! Y a rien de mieux qu'une bonne contre-attaque." Son sourire carnassier disparut alors qu'elle ajoutait : "un prêté pour un rendu. C'est à mon tour d'attaquer et au tien de trouver une ouverture. Je vais répéter deux coups hauts puis un bas. Évite juste le visage pour aujourd'hui : on est à court de soupe !"

« Je vois. » Soupira la blonde, pas sûre d’être prête à se faire entraîner par Zelef, du coup.

Surtout si celui-ci était encore plus rude et exigeant que Heather. Parce qu’elle ne l’épargna pas, pas le moins du monde. Encore plus avisée qu’à la base, ses coups se firent plus précis, elle fut même un peu plus sèche dans ses réponses, et ne comptait pas se laisser approcher. Soit ! Après tout, dans le cas d’une véritable confrontation, l’adversaire ne risquait pas d’être sympathique juste parce que c’était elle. Elle avait donc totalement raison de l’éprouver !

« Est-ce qu’il y a des… Moyens de créer ces erreurs ? » Interrogea-t-elle dans la foulée.

Une manière de déstabiliser l’adversaire ? Elle l’envisageait bien mieux ainsi. A travers la conversation, ou dans l’analyse des choses peut-être. D’ordinaire, Emy était de toute façon plus habile pour ne pas en venir à user de violence, par principe. Elle était profondément pacifiste, son métier était de sauver des vies. Mais depuis la fin du monde, ça n’était pas comme si elle avait vraiment le choix. Et pour préserver les siens, elle avait dû abattre, et plus violemment, se battre en s’impliquant plus que physiquement. Son affrontement avec Daphne lui restait en mémoire.

Mais ça n’était pas suffisant : avoir la volonté de survivre ne faisait pas tout. Il y avait toujours plus fort que soi, et Heather en avait plus que conscience pour sa part. Si Zelef était capable de la mettre K.O. en deux temps trois mouvements, alors même quelqu’un comme son instructrice qui lui semblait vraiment compétente, et plus que supérieure à elle sur cet aspect, il y avait de quoi s’inquiéter. Parce que des personnes comme Zelef, capable de survivre, il en restait. D’ailleurs, ceux toujours en vie étaient forcément des gens qui avaient déjà dû se battre, tirer, tuer. Pire parfois.

« Bien, allons y. » Entama-t-elle en se mettant en position.

Garde haute, bien ancrée sur ses appuis, encaissant comme elle le pouvait les premières offensives de son instructrice. Loin d’être tendre toujours, elles durent s’y reprendre à trois fois avant qu’Emy puisse correctement placer les coups qu’Heather lui demandait. Deux coups dans la garde, un en bas pour déstabiliser. La perspective lui offrait l’opportunité.

Mais savoir l’appliquer une fois ne servait à rien. Il fallait être capable de le répéter, et ce fut ce qu’elles s’échinèrent à faire, à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le mouvement devienne pour Emerson bien plus logique qu’avant. Elles venaient au moins d’y passer une heure supplémentaire, à creuser un peu plus d’autres passes plus complexes.

Lorsque la blonde demanda s'il était possible de pousser l'adversaire à la faute, Heather ne peut se retenir de hausser un sourcil. Il lui semblait que la réponse était pour le moins évident. Pour qu'un adversaire fasse des erreurs, il fallait tout simplement se montrer plus habile que lui. Ça lui semblait tenir de l'évidence. L'Italienne laissait volontiers les "recettes miracle" au cours de Zelef. Si elle pouvait enseigner un truc dans ce domaine, c'étaient bien les bases. Connaître les bases, c'était déjà éviter de commettre trop de conneries. Ensuite, il faudrait juste attendre que le type d'en face en réalise une comme un grand. Elle répondit donc :

"Le truc c'est de ne pas se presser. Ma mère m'a toujours répété : "va doucement si tu es pressée". Si tu te précipites, c'est toi qui fait une erreur. La personne en face n'aura pas besoin de ton aide pour faire des conneries. Pour moi, tout l'art de se mettre sur la gueule repose sur ta capacité de voir où et quand ton adversaire se plante."

Elle continua donc d'entraîner la chirurgienne prenant quelques bons coups et en redonnant également quelques-uns. Pour être tout à fait honnête, elle en avait donné bien plus. Et pas que des retenus. Elle fit signe qu'il était temps de s'arrêter après une bonne heure à distribuer et recevoir des droites. Vu la mine déconfite que tirait sa binôme, l'ancienne mercenaire tenta de l'encourager un peu en lui envoyant sur un ton moqueur :

"Faut voir le bon coté : les bleus d'aujourd'hui préviendront ceux de demain ! J'ai ramené du rhum et il doit en rester un fond. Tu veux noyer la douleur dans l'alcool ?RDV dans cinq minutes dans le salon si tu veux un verre."

Tout ça allait sans doute piquer un peu pendant quelques jours. Elle fit quelques étirements avant de regagner la chaleur toute relative de la résidence. Elle changea rapidement de t-shirt après s'être épongé avec une serviette-éponge et regagna le salon avec le fond de Bacardi. Boisson qui présentait pour avantage d'être à peu près potable et d'être bon désinfectant. Elle versa deux fonds de verre avant d'imbiber un mouchoir et s'attaqua à ses quelques égratignures.

Va doucement si tu es pressé.

Emerson nota ça dans un coin de sa tête avec un sourire en coin. La citation lui plaisait beaucoup, et la mère d'Heather était probablement très censé pour être capable d'offrir à sa fille un adage comme celui-ci. Se précipiter n'était pas du tout une solution, elle en avait conscience. Pousser à la faute impliquait être capable de ne pas en commettre de son côté, et ça n'était pas donné à tout le monde d'être aussi avisé. A son niveau, elle ne pouvait tout simplement pas se permettre d'être impertinente. Même Heather, qui avait son niveau et ses aptitudes, ne pouvait pas être aussi sûre d'elle pour en venir à volontairement motiver quelqu'un à faire des conneries.

Les muscles meurtris par l'exercice, elle accueillit la fin avec un sourire et un soupir de soulagement. Emy se savait bonne pour des courbatures le lendemain, aussi pratiqua-t-elle quelques assouplissements supplémentaires sur ses muscles encore chauds, pour pouvoir les détendre un petit peu et s'éviter des douleurs inutiles. La fatigue ferait le reste, elle ne manqua d'ailleurs pas de se couvrir d'un pull pour éviter de perdre sa chaleur trop rapidement. Le printemps arrivait à grand pas, mais il ne faisait pas encore assez chaud pour se permettre de retirer des épaisseurs.

D'ici quelques semaines, quand le printemps serait sur sa fin et l'été à leur porte, peut-être songerait-elle à procéder autrement. Mais d'ici là, d'autres événements viendraient apesantir leur quotidien déjà compliqué. Pinçant les lèvres, elle eut même un petit rire lorsque la brune proposa de l'accompagner dans la boisson :

« Après un entraînement, est-ce bien judicieux ? » Demanda-t-elle avec une petite moue en coin, signe que son rôle de chirurgienne experte en santé était toujours son préféré dans le lot. « Je t'accompagnerais, ça ne pourra pas me faire plus de mal. »

Mais avant ça, Emy avait besoin de se changer, et d'une toilette rapide. Elle ne retrouva Heather qu'au bout d'une bonne demi-heure, avec de nouveaux vêtements. Rafraichie, certes, mais encore assez en forme pour accompagner l'instructrice dans sa descente de bouteille.

« Je crois que les courbatures, c'était le point qui ne me manquait pas dans l'exercice. » Confia-t-elle. « Là où on se trouvait avant, quand on était bien plus nombreux, ça n'était pas aussi... Intense. » Ajouta-t-elle en soupirant. D'ici quelques mois, ça ferait un an que le lycée n'était plus. Le temps passait incroyablement vite...

Face à la réflexion de la médecin sur l'alcool après l'effort, Heather haussa les épaules. Elle ne comptait pas se mettre encore une fois la tête à l'envers. Non pas seulement par choix, mais aussi en raison de la taille des stocks. Et contrairement à ce que la blonde devait penser, elle ne comptait pas boire plus d'un verre. Histoire de se réchauffer et d'oublier un instant les nombreuses écorchures qu'elles venaient de se faire.

En attendant que sa camarade revienne, Heather versa deux verres et s'écroula sur un des fauteuils du salon. Elle s'enfonça lourdement dans la mousse de son "trône". Elle se battit un peu avec avant de trouver une position presque parfaite. Elle croisa les jambes et chercha instinctivement à regarder une montre qui n'était pas à son poignet. Une habitude qu'elle n'arrivait pas à perdre. C'était d'autant plus absurde qu'elle n'avait plus porté de montre depuis maintenant plus d'un an.

Lorsqu'Emerson se montra enfin, trente minutes environ s'étaient écoulées. L'Italienne hésita à pointer du doigt une très mauvaise déformation professionnelle propre au milieu hospitalier. Mais le sage évite de se mettre à dos la personne qui pourrait le ou la sauver. Surtout dans un monde où le nombre de docteurs diplômés risquait bien de ne jamais faire autre chose que diminuer. Elle se contenta donc de dire avec un sourire en coin :

"Eh bah. Heureusement qu'on n'a pas de glaçons !" Elle ajouta en levant son verre : "aux bleus et aux courbatures !"

Vu les reproches que lui adressait la blonde, ça semblait être un excellent toast. En bonne accro au sport, ses douleurs étaient un mal nécessaire. Une preuve d'un travail sérieux. Pas de quoi en faire toute une histoire donc.

Alors que la brune s'envoyait une gorgée de tord boyaux, sa camarade lui tendit un appât en mentionnant, chose rare, son ancien refuge. L'Italienne décida de mordre à l'hameçon. Elle n'avait pas l'impression d'être si dure que ça après tout. Raison pour laquelle elle demanda :

"Vous aviez un instructeur ? C'était quoi son passif ? C'est sûr, s'il était pompier..."

Elle n'avait pas réussi à s'empêcher de "vanner" le mari de son "élève". Elle leva les yeux au ciel avec un air coupable. Sur le coup, c'était venu tout seul. Une simple manifestation de la sacro-sainte rivalité entre les corps de fonctionnaires. Elle se justifia en déclarant :

"J'en demande beaucoup je sais. Mais je crois en l'idée que la sueur épargne le sang. On me l'a tellement répété..."

« Plusieurs, à dire vrai. » Fit-elle en passant sur la blague sur l’emploi de son mari. Elle avait tout à fait conscience du petit jeu d’égo qui se faisait entre Heather et Kendale, et préférait ne pas prendre de partie. Tous deux avaient des capacités nécessaires, un savoir faire unique, s’ils voulaient se faire une petite guerre gentillette, alors libre à eux ! « Le camp était tenu par des militaires, lorsqu’il y a eu une passation de pouvoir, quelques-uns sont restés pour aider. »

Voilà qui était joliment tourné ! Même si très loin de la réalité dans le gymnase. Peut-être parce qu’elle n’assumait pas encore ce qu’elle avait dû commettre, que le souvenir de cet endroit horrible venait se rappeler à elle sans arrêt lorsqu’elle y pensait, la blonde préféra passer sous silence l’ambiance horrible des premiers temps, celle pas forcément meilleure ensuite.

« Notre meneur était un ancien de la DEA, professionnel du krav maga il me semble bien. » Expliqua-t-elle à Heather. « Quand nous avons commencé à devoir sortir parce que les ravitailleurs n’étaient plus assez et qu’on devait impliquer des civils, nous devions apprendre à nous battre, à tirer et à nous servir d’une arme blanche. »

Au moins, la démarche de Jaden restait encore aujourd’hui très utile. Si elle avait beaucoup à redire sur les derniers temps de l’homme au sein du campement, sa fuite lâche en abandonnant tout le mon derrière lui en pensant égoïstement à lui, la blonde devait bien admettre qu’elle lui était reconnaissante de lui avoir appris à se servir d’une arme. Ça l’avait sauvé contre Daphne. Et contre d’autres. Puisque le souvenir de sa sortie avec Calypso où elle avait failli mourir pour sauver la vie d’un autre s’imposa à elle :

« Non, tu n’en demandes pas beaucoup. » Rectifia-t-elle franchement. « Tu as raison. Avec ce qu’il s’est passé avec Calypso, avant ça pour notre ancien campement, c’est nécessaire pour tout le monde de savoir se défendre. » Souffla-t-elle franchement en trempant ses lèvres dans son verre : « Nous n’avons pas tous le profil de tes anciens élèves, mais… Au moins nous avons notre expérience du dehors… »

Elle baissa le regard :

« Je ne veux pas qu’on se retrouve dans une situation où l’un de nous aurait pu survivre s’il avait été entraîné. C’est pour ça que je te suis reconnaissante pour ce que tu fais. C’est vraiment important. » Admit-elle ensuite.