Il fait nuit depuis longtemps. La journée a été longue, éprouvante. Et en refermant la porte du bureau de Madame Phelbs derrière moi, je prends le temps de souffler. Les dernières quarante huit heures ont été rudes pour moi, terriblement stressantes. Je crois que j’ai bien mérité une bonne nuit de sommeil. Et alors que je sors de la demeure de l’avocate, je remonte le col de mon manteau pour me protéger d’une brise glaciale. Frissonnant légèrement, je me mets en marche pour rentrer jusqu’à chez moi. Casey et Stanley doivent y être, profitant du retour du militaire, sain et sauf.

Et alors que mes l’écho de mes pas résonne doucement dans l’obscurité du camp, je rumine, repensant à ces deux journées interminables. J’en ai fait un rapport détaillé à Madame Phelbs. Les contestations, la colère des manifestants, leur rage même… L’attaque du complexe scientifique visant le laboratoire, la réactivité des personnes y travaillant pour protéger nos recherches. L’effusion de sang et les morts. Mes erreurs aussi. Forcément, après coup, c’est toujours plus simple de se dire qu’il aurait dû réagir comme ci ou comme ça. Mais dans le feu de l’action, j’ai pris les décisions que je pensais les plus adaptées, me laissant souvent gagner par le doute. Le manque d’expérience, diront certains. Me concernant, je ne suis vraiment pas satisfaite de moi. Pourtant June m’a félicitée pour mes initiatives…

Il va me falloir quelques jours pour digérer tout ça. Pour l’instant, je sens toujours cette pression sur mes épaules, qui peine à disparaître. J’ai besoin de penser à autre chose, de mettre tout ça de côté. Mais c’est difficile. Surtout lorsque je passe devant l’atelier de Raphaël. Je me remémore immédiatement les paroles que j’ai eues à son égard, et contre Zelda aussi. A froid, je sais que c’était sous le coup du stress et de la colère. Et je m’en veux, forcément, d’avoir agi de la sorte. Je m’arrête alors quelques secondes, jetant un œil en direction de l’endroit où vit le tailleur. J’hésite. Je fais quelques pas, prête à reprendre mon chemin, puis finalement je me dirige vers la porte de l’atelier. De la lumière derrière les fins rideaux me laisse penser qu’il est là.

Une fois devant la porte, je frappe doucement contre battant. Sans être certaine qu’il veuille réellement me voir après la façon dont je lui ai parlé…

Le calme était revenu au camp depuis que l'expédition était rentré avec une certaine réussite. Nous allions encore être en guerre un moment, mais cela m'importait que moyennement pour l'instant. Le soleil c'était couché depuis quelques heures, mais c'était à ce moment que j'étais le plus productif. Comme toujours je ne comptais pas mes heures passé à assembler chaque étoffe entre-elle pour créer un petit refuge contre le froid et le mauvais goût vestimentaire. Cet élan de révolte allait engendrer surement des restrictions et des contrôles plus réguliers quand aux morales du groupe. J'esperais que le fort n'allait pas plus de diviser après cette action inutile et futile. On leur fournit un toit, des armes, des vivres un vaccin ! Et ils ne sont pas contents. Le bon côté des choses c'est que cela faisait plus de vivres pour le reste et moi plusieurs vêtements en moins vu qu'ils allaient rester dans leur cage un moment.

Regardant la pendule qui faisait courir inlassablement ses aiguilles, je décida de faire chauffer de l'eau, un petit remontant chaud n'allait pas faire de mal. Mes mains presque de manière indépendantes continuait leur travail pendant que mon esprit divaguait sur les airs d'une bouilloire qui chauffait. Cependant un petit bruit que j'entendais toute la journée retentit, vu l'heure se n'était pas normal. Roulant des yeux, sans me retourner je répondis :

C'est ouvert, vous pouvez rentrez.

Peu de monde était encore dehors à cette heure-ci. Finalement un parfum léger ampli le salon, il n'y avait pas beaucoup de personnes.... de fille du moins qui portait ce genre de parfum. Son pas léger traversa la salle, intérieurement je souriais. Elle n'était pas là pour rien et malgré notre altercation, j'appréciais passer du temps avec elle en comité réduit. Lachant mes instruments je me retourna faussement étonné :

Miss Summer, les responsabilités vous tiennes éveillé tard le soir. Ou c'est l'appelle du thé que je préparais qui vous a attiré.

En attendant sa réponse je me leva pour retirer la bouilloire de son socle et sortie deux tasses et les ustensiles nécessaires.

Une voix m’invite à entrer. Hésitante, j’actionne finalement la poignée avant de passer doucement la tête dans l’entrebâillement de la porte. Et si d’abord, je n’aperçois personne, je me dirige à pas feutrés jusqu’à la lumière qui illumine l’atelier, après avoir fermé la porte derrière moi. Raphaël est là, occupé à travailler. Il se retourne alors, visiblement peu étonné de me voir ici. Je n’y prête pas plus d’attention que ça, le saluant à mon tour. « Bonsoir Raphaël. Oh… Je rentrais de chez Madame Phelbs. Nous avions des choses importantes à gérer, comme vous devez le savoir… Mais je ne serais pas contre l’idée de prendre un thé. » J’affiche un petit sourire gêné. J’ignore si ma présence le dérange ou non. Néanmoins, le fait qu’il me propose cette boisson chaude me rassure un peu.

Et tandis qu’il prépare le thé, je m’installe sur l’un des fauteuils après qu’il m’y ait invitée. J’observe alors la pièce, remarquant les innombrables rouleaux de tissus, et tout le nécessaire pour la confection des vêtements. De très beaux modèles sont d’ailleurs exposés sur quelques mannequins dans un coin de la pièce, ou accrochés sur un portant. Je les admire longuement, fascinée par la beauté des tenues, retournant finalement mon attention vers l’italien alors qu’il pose enfin une tasse devant moi. « Merci. » Dis-je alors tout en le regardant s’installer sur le fauteuil voisin.

Après un léger temps de silence, je reprends finalement, quelque peu embêtée. « Je tenais à venir vous… Te voir pour ce qu’il s’est passé hier. » Je m’emmêle les pinceaux un instant, ne sachant pas vraiment comment m’adresser à lui. Nous avons quasiment le même âge et je dois avouer que je ne sais pas vraiment si je dois le tutoyer ou non… D’autant plus après ce qu’il s’est passé. « Je suis sincèrement désolée de vous avoir parlé comme je l’ai fait, à toi et Zelda. La situation était vraiment critique et j’ai perdu mon sang-froid, j’en suis navrée. Je ne voulais pas te paraître aussi désagréable…Ce… Ce n’était vraiment pas contre toi… » Ce n’est vraiment pas mon genre, et je suis vraiment très gênée d’avoir pu être aussi froide sur le moment.

La belle Madisson entra dans le salon d'un pas hésitant. Nous étions légérement en froid depuis l'altercation vis à vis de vieux cons qui « gardait » l'armurerie. Quand la miss ouvra la bouche, elle m'informa qu'elle était avec la gérante du camp, chose évidente vu que la Summer était sa seconde en quelque sorte et qu'il y avait eu pas mal de grabuge en son absence. Mais l'heure n'était plus à l'affrontement mais au réconfort, une tasse de thé bien chaud dans un lieu cosy et les soucis partiront d'eux même. Je continuais donc mon travail malgré sa présence, j'avais pourtant toujours l'oreille tournée vers mon interlocutrice pour l'écouter et lui répondre.  Elle ne savait pas ou peu mentir, et je pouvais voir à sa tête qu'elle était gênée. Madisson ne savait même plus si elle devait me vouvoyer ou me tutoyer. Les vouvoiement parfois était utilisé pour parler au tailleur et non à Raphaël. Dans ce cas là cela apportait une distance et une froideur que je m’efforca de balayer d'un revers de main.

Tu peut me tutoyer, je pense pas que tu veuilles d'adresser au tailleur mais plutôt à Raphaël lui-même. Vous avons le même âge en plus, je prends 10 ans dans ce genre de situation ahah.  


En utilisant le « tu » elle finit par ouvrir la conversation qui était évidement basé sur notre altercation. Je l'écouta avec attention surtout qu'il était rare de l'entendre s'excuser. Intérieurement j'étais satisfait, j'appréciais les excuses en privée quand personne ne les a demandés ; elle était beaucoup plus sincère que des excuses publiques pour garder la face. En réalité se n'était pas des excuses que je souhaitais mais voir ce Terrance me regarder avec encore plus de mépris quand il perdra sa place et sa notoriété dans ce camp. Là je pourrais être pleinement satisfait et je jubilerais de voir cette antiquité se retrouver en position de faiblesse. Je l'attendrais au virage de toute manière, il pourra passer l'hiver à poil, il ira se brosser pour que je lui répare des vêtements.

Merci pour les excuses, je les acceptes. Autant plus que tu as fait le premier pas, et en privée les excuses sont plus sincères que en publique pour éviter de perdre la face et jouer la comédie. Quand j'ai quitté la salle, je t'avoue que mon sentiment était mitigé. Ta façon de parler n'était pas digne de toi, je sais que tu es capable de faire mieux mais que tu as perdu ton sang froid. Cependant j'ai mal pris qu le fait que tu es pris la défense de Terrance alors qu'il est clairement coupable, à la même hauteur que les autres. Que tu ne veuilles pas entendre ou recevoir l'argument qu'il m'a manqu de respect et m'a limite humilié je le conçois tu te doit d'être objectif en tant que seconde de Mme Phelbs.

Je marqua un temps d'arrêt en prenant une gorge de thé. Dans le même geste, je lui posa un petit pt de miel si jamais elle voulait apporté une note sucrée au brevage.

Ne t'en fait pas, comme je t'es dis, tu doit savoir qui sont t'es alliés ou non. Malgré cela je resterai toujours à t'es côtés. L'affaire avec Terrance est plutôt du ressort personnel, j'en discuterais avec Mme Phelbs et si jamais il n'a aucune sanction. Il pourra se brosser pour se vêtir. Tant que j'aurais pas des plates excuses et celle-ci en public.  Bref l’événement est clos je pense. Je pense que tu as des nouvelles ou des petites rumeurs un peu plus joyeuses que tout ça


Finalement je cessa mon travail pour prendre un fauteuil plus confortable et m'asseoir en face de la douce Summer et partager un moment plus intime et conviviale avec elle.

Mon rire se mêle nerveusement au sien. Il est vrai que, par convenance, j'ai tendance à vouvoyer les personnes que je côtoie, ici, à Ford Ward. Mais dans la situation actuelle, je suis d'accord avec Raphaël. Vu nos âges respectifs, c'est tout de même un peu étrange de garder ce « vous » si sérieux. Pourtant, après ce qu'il s'est passé la veille, garder une certaine distance était sûrement ce que j'avais de mieux à faire. Je ne me voyais pas lui adresser la parole d’une autre façon… Du moins, pour lui expliquer pourquoi j’ai été aussi désagréable.

Et si l'atmosphère semble être moins tendue pendant un instant, l'italien n'a pas l'air décidé à jeter l'éponge. Malgré l'acceptation de mes excuses, il persiste. Il a toujours une dent contre le vieux Terrance et cela me contrarie. Alors forcément, je prends ses paroles trop à cœur. Je détourne le regard, me sentant terriblement mal. Je n'ai pas envie de reprendre cette conversation. Tout ce que je veux, c’est oublié toute cette histoire. Et si les mots qu'il emploie pour parler du vieil homme ne sont pas tendres, je n'ai pas la force d'intervenir. Heureusement, le tailleur finit par changer de sujet, venant s'installer sur un des fauteuils, près de moi.

J'échange un sourire – un peu forcé – avec le jeune homme, attrapant ma tasse de thé. Je souffle doucement sur le liquide fumant. Là, il me demande, si par hasard, je n'ai pas une ou deux anecdotes plus joyeuses à lui raconter. Je chausse légèrement les épaules, avant de lui répondre. « Oh... Je ne sais pas. A vrai dire, j'ai été très occupée ces derniers temps. Travailler pour Madame Phelbs est très prenant. Et je crois que cela ne va pas s'arranger avec tout ce qu'il s'est passé… Mais... Arrêtons de parler de tout ça. Parlons plutôt de toi. Tu viens d 'Italie, c'est ça ? » Je laisse un léger silence s'installer, lui souriant encore. Puis je finis par reprendre, d’une voix plus enthousiaste.

« J 'ai failli partir vivre en Italie, après le lycée. Je devais aller vivre dans une famille pendant un an, comme fille au pair. Je voulais apprendre l'italien. J'avais commencé à étudier seule, l'été précédent. Mais avec l'épidémie, je n'ai pas pu y aller. Heureusement d'ailleurs... »

En réalité le sujet était clos avec elle mais pas avec moi. J'allais en parler à June ou June m'en parlera à un moment donné et ce vieux débris aura la sentence qu'il mérite. L'ambiance se calmait peu à peu, le thé était là pour réconcilier les âmes et prévenir des petits tracas de hiver. En voulant ouvrir la conversation sur autre chose j'appris que travailler avec Mme Phelbs n'était pas ça . Je m'en doutais clairement elle avait parfois autant de charisme que de glace dans les veines et j'admirais secrètement cela. Elle me donnait un sentiment de confort d'être entre les mains d'une personne qu'il a des intentions fermes, justes et dures.
Rapidement la jeune blonde bifurqua sur une nouvelle voie beaucoup plus agréable et profitable pour nous deux. Elle m'avoua que avant tout ce bordel, elle aurait dû partir en Italie pour apprendre ma seconde langue maternelle.... enfin paternelle. Ce genre d'échange était de plus en plus courant mais surtout extrêmement riche, J'oublia donc tout le reste pour me concentré sur les dernières paroles de la Summer.

Désolé que ce monde de merde t'es fait raté cette occasion unique. Les échanges comme ça c'est le pied ! J'essayerai de te retrouver des brides de mes passages et te les partager comme ci tu y était. Combien de temps et où tu comptais aller. .

Du Nord au Sud l'Italie n'avait pas le même visage, le nord avec son influence montagnard et du plateau européen alors que le sud avait clairement une influence de la Sicile de Grèce et Méditerranée en générale.

J'avais fait le tour de Italie en passant évidement par les incontournables, mais aussi les petites choses que seuls les locaux ou connaisseurs pouvaient atteindre. Une petite crique desserte de touriste avec son sable blanc et l'eau cristalline. La petite auberge de campagne qui sert que des produits locaux d'exceptions. Les Italiens étaient de mauvais conducteurs de mémoire, à la bonne franquette disons plutôt. Mais ils savaient accueillir et faire découvrir leur produits dont ils sont très fiers. C'était sûrement la mentalité des Méditerranéen, j'espère qu'ils l'on gardés cela les sauvera peut être.

« C’est un pays qui avait l’air si merveilleux… » Dis-je alors dans un italien sûrement imparfait. Je regarde Raphaël d’une mine gênée, j’espère qu’il comprendra ce que je viens de lui dire. Je lui souris avant de continuer la conversation en anglais. « Je devais partir à Rome pour un an. En plus de m’occuper des enfants de la famille qui étaient censée m’accueillir, il était prévu que je prenne des cours d’italien le soir et le week-end. J’avais déjà commencé à apprendre seule, l’été précédent. J’étais vraiment enthousiaste. » Des heures et des heures à parcourir des bouquins de de syntaxe, de vocabulaire, de grammaire… J’avais mis toutes mes chances de mon côté pour pouvoir me débrouiller dès mon arrivée en Italie. J’avais même communiqué deux ou trois fois par Skype avec ma future famille d’accueil…

C’était une véritable déception. D’autant plus quand j’ai réalisé que je ne pourrais peut-être jamais y aller. Pas tant que le monde resterait tel qu’aujourd’hui. En y repensant encore une fois, je laisse échapper un soupir las, avant de tremper mes lèvres dans ma tasse de thé. Puis je relève les yeux vers le tailleur avant de reprendre. « J’avais pour objectif d’intégrer une université en Italie. Je crois que celle de Milan était très réputée. Je m’étais déjà renseignée pour étudier les relations internationales, les sciences politiques et la diplomatie, pour travailler à l’ambassade des Etats-Unis. Cela m’aurait vraiment plu. Sinon… J’aurais bien aimé devenir traductrice ou interprète. » Tellement de projets que j’aurais bien aimé concrétiser. Malheureusement, cela me paraît impossible que je puisse prétendre à tout ça un jour. J’arrive à me consoler en me disant que ça aurait pu être pire. Ici, à Ford Ward, je n’ai pas le temps de m’ennuyer depuis que je travaille pour Madame Phelbs, j’ai d’énormes responsabilités à gérer. Et malgré la pression que cela implique, j’aime ce « travail ».

Buvant quelques gorgées du liquide encore fumant, j’observe encore la pièce. Tous ces tissus, ces vêtements confectionnés par Raphaël, cela contraste tellement avec le monde qui nous entoure. Mais cela a le don de le rendre moins sombre, presque normal, comme si le chaos n’existait pas à l’extérieur. Et je ne peux pas m’empêcher de me sentir à l’aise ici, l’atelier du tailleur a quelque chose de chaleureux, une atmosphère très apaisante. Et ça me fait du bien et cela me pousse à poursuivre notre conversation, à vouloir en savoir plus sur Raphaël. « Et toi ? Tu as vécu longtemps là-bas ? Je veux dire… Tu es originaire de là-bas ? C’est aussi beau que l’on dit ? »