On frappe à la porte. J’y fonce sans demander mon reste, ouvrant dans la foulée. Dans l’entrebaillement, Cole me regarde déjà avec un grand sourire, s’imaginant déjà la session jeu vidéo qu’on devait se faire en tête à tête ! Sauf qu’en fait, pas vraiment. Dans mon dos, Stanley attend qu’il rentre, et surtout que je lui explique la situation. Si j’en ai pas parlé directement avec lui, c’est parce que Cole est un ami, certes, mais aussi un grand complotiste paranoïaque quand ça lui prend. Je sais pas combien de fois où s’est perdu dans des discussions longues comme la nuit sur ses croyances et ses convictions.

Faut dire qu’avant tout ça, le gars a beaucoup trainé sur ce qu’il appelle le Dark Web. Un truc que moi, j’ai pas vraiment effleuré mais dont j’ai forcément entendu parlé. Mon père disait que c’était un repère à criminels et terroristes, et que si j’allais voir à quoi ça ressemblait, on viendrait probablement trouver mes coordonnées pour m’enfermer ensuite dans une cage et me vendre en Afrique ou quelque chose comme ça. Du coup, j’ai pas tenté l’expérience de mon côté, mais Cole, lui, est du genre à y avoir passé des heures.

J’t’ai tendu un piège, je lui avoue ça de but en blanc avant qu’il parle. Je l’interromps d’ailleurs avec un signe de la main, et lui demande de rentrer. C’est là où il peut voir Stanley, sérieux évidemment mais surtout content des opportunités que Cole peut nous offrir : Stan est là, et il veut te parler, que j’ajoute dans la foulée.

Cole et Stan se fréquentent pas vraiment. Pas qu’ils s’évitent non plus, mais je pense qu’ils ont pas beaucoup en commun pour se permettre de trainer trop ensemble. Y’a pas forcément de haine entre eux, et heureusement ! Parce que Cole est un très bon pote, Stan mon copain, autant dire que j’ai aucune envie de choisir entre les deux. Je jette un coup d’œil près des escaliers pour voir si Esther chouine dans son lit mais j’en ai pas l’impression. De toute façon, Maddie est rentrée, et elle tient à passer du temps avec sa nièce quand elle apprend pas ses cours de langue ou je sais pas quoi.

Tu m’as dit que tu savais plutôt bien bidouiller avant, pas vrai ? que j’enchaine alors en avisant Cole avec sérieux. Je l’invite à prendre place sur le canapé qu’il connait bien : Tu saurais, genre, remonter une radio ?

Stanley était resté en retrait, alors que Casey s'était ruée vers la porte d'entrée. Debout près de la table de la salle à manger, il n'avait pas bien compris le but de cette mise en scène. Mais puisque la blonde pensait que c'était mieux d'attirer son ami sous un faux prétexte, soit. Il ne prétendait pas connaître le hacker aussi bien qu'elle. Loin de là ! Tant que cela ne retardait pas « leur plan ». Alors que le jeune homme entrait dans leur humble demeure, il vit l'étonnement sur son visage. Il le laissa réagir aux circonstances à sa guise, laissant sa compagne prendre les devants, le saluant néanmoins brièvement.

Le militaire resta debout, alors que les deux autres prenaient place sur le canapé. Dans un coin de la pièce, il avait déjà entassé du matériel choppé à droite et à gauche. Personne n'était hyper enclin à confier son matériel hi-fi, mais Stan avait l'autorité pour le faire. Alors il ne s'était pas privé pour viser les habitations des résidents qu'il ne pouvait pas blairer. Petite satisfaction personnelle ! Il ne savait pas toutefois si cela aurait la moindre utilité.

- Nos ennemis ont plusieurs avant-postes, commença-t-il à expliquer, à la suite de Casey. Super éloignés d'chez eux. On sait qu'ils communiquent par radio, ils avaient intercepté l'appel de ce Markus l'été dernier aussi. Ils ont contacté les leurs d'ici-même, pour lancer l'attaque contre nous. L'un des plus beaux râtés de leur histoire ! Mais passons. On n'sait pas communiquer à distance, mais c'est pas l'problème. On voudrait capter leurs communications. Les écouter sans qu'ils s'en aperçoivent.

Le challenge était donc technologique pour commencer. Ils devaient être capables de capter sur une longue distance, mais aussi trouver les fréquences sur lesquelles émettaient leurs ennemis. Un travail de longue haleine, et de patience surtout.

- Tu crois qu'tu saurais faire ça ? Il arqua un sourcil. J'ai collecté quelques trucs, ça peut t'donner un point d'départ. Il fit un mouvement vers le bazar en question. Si t'as besoin d'autre chose, tu m'dis, j'te trouverai ça. Sans hésitation. Ses yeux bleus acier se posèrent sur sa belle. Ils en avaient discuté, il y aurait sûrement un deuxième effet kiss cool, s'ils parvenaient jusque là. Faut sûrement s'attendre à c'que leurs messages soient un minimum codés aussi, mais ça t'fait pas peur ça, j'imagine. Craquer des codes, c'est ton domaine, non ?

Mais qui serait certainement une broutille pour notre petit génie. Car tout portait à croire que si les New Eden masquaient effectivement en partie le contenu de leurs communications, ils n'étaient pas non plus allé inventer un algorithme de malade.

Tout le monde peut pas comprendre pourquoi je prends ces précautions avec Cole. Faut le connaitre pour saisir, parce que le blond est pas exactement comme tout le monde. Quand il s’agit de causer de théorie du complot, il est carrément intraitable. Tout est sujet à débat et obscurs traités pour dominer le monde. Y’a qu’à voir ! Pour lui, le virus, c’est soit mère nature qui reprend ses droits sur le monde, soit une création militaire qu’aurait échappé à ses scientifiques. L’un dans l’autre, c’est carrément possible, sauf que pour lui, y’a carrément une imagination improbable là-dedans.

Alors, tant pis. J’ai pas à m’expliquer sur ça, Stanley prend rapidement le relai pour poser les choses à plat, et je l’écoute avec son air sérieux. Quand je le fixe, c’est avec un sourire conquis : Stan, il peut avoir n’importe quelle expression ou grimace, je le trouve quand même sexy ! Cole est captivé pour sa part ! Surpris, mais captivé. Je sais que j’ai visé dans le mille avec lui, faut dire que je commence à plutôt bien le connaitre dans le genre !

Il est d’ailleurs réactif pour répondre et ça m’arrache un petit rire amusé. Ça me laisse aussi le temps d’aller chercher de quoi grignoter un peu et de la bière. Décapsulée dans la foulée, je la sers à Stanley et Cole, avant de poser sur la table un paquet de chips entamé. Là, sur le coup, on va pouvoir discuter sans que ça ait un tour trop sérieux.

Les deux idées ont des avantages et des inconvénients ! Je constate ça après coup, y’a beaucoup de paramètres qu’on a pas pris en compte avec Stanley, mais aussi, on est pas des exprès en télécommunication ! Si on en fait une mobile, va falloir le stock d’essence pour pas qu’on tombe en panne. Et ça va nous obliger à parcourir bien des distances mais si on doit aller à la rencontre de gens, c’est pas si mal.

Je pose un regard sur Stanley. Après tout, on pensait partir vers le No Man’s Land, sans se faire repérer et tout, alors forcément !

Et puis, si on la laisse ici, ça va nous demander pas mal de matos… Faudra que tu puisses sortir dehors pour aider à trouver ce qu’il te faut ! C’est toi l’expert alors forcément.. Je hausse les épaules. Le plus malin ici, ça reste Cole.

Finalement le jeune homme prit la supercherie plutôt bien. Il fallait dire qu’être hacker, cela signifiait : aimer les défis ! Et celui qui lui était proposé était de taille ! Et il avait un vrai sens, alors comment dire non à une telle mission ? Stanley accueillit sa réaction dans un sourire, échangeant un rapide regard avec sa copine, alors que Cole réfléchissait déjà à tout ce qu’il devrait faire. En tout cas, il avait des idées, se projetait, alors ils allaient clairement pouvoir s’y atteler rapidement ! Le militaire se contenta de lâcher un rapide rire, suite à son allusion à ses méfaits passés. Pour tout dire il s’en fichait. Ce n’était pas comme s’il avait toujours été très clean de son côté. Suivre les lois et les institutions ne faisait pas toujours de vous un doux agneau. Bien au contraire…

- Tant mieux, glissa-t-il, tout en laissant le garçon s’approcher du matériel. Il attrapa au passage la bière que lui tendit Casey. Fouille, fais comme chez toi.

Il écouta ses propositions, qui ouvrait de nouvelles possibilités. C’était incroyable comme le fait de parler avec les gens élargissait considérablement votre pensée. Il fit un hochement de tête, intéressé.

- Pour l’heure, faudrait déjà essayer d’les capter. J’partirai sur la grosse machinerie fixe. La radio mobile, ce serait quoi ? Pour essayer de les localiser pour précisément, c’est ça ? La blonde avait raison, la consommation d’essence pouvait être conséquente. D’autant qu’ils n’avaient pour l’heure aucune piste pour commencer à fouiller. On n’a aucune foutue idée d’où les trouver… Dans les environs de Seattle du moins… car il y avait bien cette base aérienne. On sait qu’ils ont une base vers Spoklane, leur camp principal est peut-être aussi par là-bas. Mais c’est sûr qu’ils trainent aussi plus près d’ici. Ils en avaient eu la preuve avec leur sortie à l’aéroport, quelques semaines auparavant. Si on arrive à intercepter des messages, et qu’on en sort quelque chose, peut-être qu’on pourra envisager la radio mobile… Parce qu’on aura aucun moyen d’savoir à c’moment là si le message vient de chez l’voisin ou de l’autre côté d’l’état, c’est ça ?

Clairement, ils avaient intérêt à intercepter des messages vraiment utiles pour en tirer quelque chose de pertinent pour leur guerre. Il haussa les épaules, en regardant les deux autres. Mais s’ils partaient sur cette option, cela impliquait effectivement de trouver un endroit propice pour placer leur matériel.

- On commence tout d’suite, pardi ! S’exclama-t-il, le sourire en coin, en brandissant sa bière pour trinquer. Pour le lieu, c’est quoi les contraintes ? Faut d’la hauteur ou quelque chose de ce genre ?

De toute façon, on est d’accord pour dire que déjà, pouvoir les écouter, ça sera un sacré progrès non ? Je demande ça sur le pouce, on discute et y’a beaucoup de trucs qui ressortent de l’idée principale. Cole est quasiment en roue libre, je crois qu’il a jamais été aussi stimulé que depuis qu’on discute. C’est comme retrouver une vieille passion amoureuse pas vrai ? On vibre comme aux premiers jours. Parce qu’au pire si on sait pas où ils sont, on pourra peut-être savoir où ils iront et ce qu’ils feront, je hausse les épaules en disant ça : S’ils doivent revenir à un moment, faut qu’on soit préparé, pas vrai ?

C’est l’épée de Damoclès au-dessus de notre tête depuis plusieurs mois. Qu’ils sachent qu’on est là et qu’ils reviennent. Si on les traque aujourd’hui, c’est pour palier cette éventualité, les prendre de court. Mais est-ce qu’on y arrivera ? J’ai tout de même un doute, je me dis que des gens qui ont des hélicoptères ont probablement autre chose de plus dangereux, et je peux pas le cacher : ça me fait vraiment flipper. J’essaie de pas trop y penser parce qu’il y a beaucoup de trucs qu’on a construit ici, et avec Stan, on a une famille qui vaut vraiment le coup aujourd’hui. Mais ça reste une sacrée menace…

Ok, ok, d’abord, la grosse radio fixe ! Et dès qu’elle sera effective, on tentera d’en créer une mobile pour obtenir de la précision ! J’esquisse un sourire en suggérant ça.

Si on y va pas à pas, on va bien finir par arriver quelque part. Cole a l’air encore si motivé que je vois pas ce que je pourrais faire désormais pour l’arrêter. Il parle, cherche des solutions. Une localisation surtout pour poser sa radio ! On peut dire que ça va pas être simple. Stanley connait bien mieux les recoins de l’île que moi, mais j’ai déjà quelques pistes à lui donner de mon côté :

Du coup, ça sera pas du côté du laboratoire : ils utilisent trop de machines, ça risque de t’emmerder… Je pince les lèvres en réfléchissant à mille à l’heure, sans vraiment de suggestion claire à lui donner. Tu as le bout de l’île, près du poste de surveillance face à la mer, je hausse les épaules, un peu dépitée. C’est pas forcément le mieux, mais à défaut de l’endroit parfait : Au moins, la vue sera jolie, je blague comme ça, je sais bien que Cole aura surtout le nez dans sa radio.