L’entrainement était terminé, l’heure était maintenant à la partie détente de l’instant. Après l’effort, le réconfort, c’est commun. Il faut toujours une dose de calme après un gros effort. Enfin, dans la majorité des cas. Sauf lors de ma formation SEAL… Ah là, il n’y a pas eu d’instant de réconfort pendant des semaines, que dis-je, des mois… Les exercices s’enchainaient les uns après les autres, de jour comme de nuit. La nuit, c’était pire que tout… Les instructeurs nous laissaient dormir entre trente-minutes, et deux heures, avant de nous réveiller en fanfare, ou à l’aide de coups de feu, de grenades et de lumières fortes. Bordel, quand j’y repenses, c’était à devenir fou ! D’ailleurs, on devait l’être, fous, pour accepter ces entrainements sans broncher. Et le pire, c’est qu’on en redemandait !

Enfin bref, tout ça, c’est loin. Aujourd’hui, c’est bel et bien l’heure du repos. On range les armes, on prend le véhicule et on retourne au Fort. On dépose le véhicule, en signant, bien évidemment. On rend les armes, toujours en signant. D’ailleurs, je déteste toujours cette partie-là, car ce sont mes armes bordel… Mes putains d’armes ! Mais bon, ce sont les règles et les ordres, hein…

Puis, nous prenons la direction du bar le « Summer’s ». Lisa entre la première et salue les gens présents. Elle le fait pour nous deux, ce qui m’évite d’avoir à le faire également. Elle s’installe, et moi, je m’installe face à elle. Je suis toujours habillé comme un militaire, les munitions et les armes en moins. Cela doit faire énormément tâche, au milieu de ces gens habillés normalement. Elle commande pour nous deux… Et prend un cocktail alcoolisé. D’instinct, je hausse un sourcil interrogateur, et regarde Lisa avec insistance. Ainsi, elle aurait consommé ce genre de boissons sans consommation. Tu m’étonne qu’elle ne dût pas être bien ! Si on boit trop, avec une corpulence comme la sienne, c’est un aller simple pour les toilettes ! Assurément ! P’tit foie va ! Un rictus de sourire s’empare de moi face à cette pensée.

La commande prise, nous devons patienter. Cela ne me dérange pas. A vrai dire, j’imagine que faire tourner un bar, en des temps pareils, doit être un défi quotidien. Ce whisky, ce cocktail, et ces assiettes, ont dû coûter une blinde, en risques pris, et en travail fourni. Pour sûr, je boirais avec plaisir, et je mangerais avec respect, ce que d’autres ont produits, ou ramenés pour nous.

- T’inquiète, j’te l’avais promis, et j’tiens mes promesses. Dis-je en répondant à ses remerciements. Tu t’débrouilles bien. Mieux que c’que j’croyais. Faut un peu muscler tes épaules, et qu’tu t’habitue aux armes, mais ça, y’a pas trente-six solutions : faut s’entrainer. Y a pas moyen d’êtr’ plus rapide qu’ça. Mais s’tu restes motivée, ça s’pass’ra bien. Ah ! D’main, essaie d’prendre du r’pos. Avec tout ça, t’vas avoir des courbatures aux bras et aux fesses, comme si t’avais fais d’la zumba pendant 4 heures !

Ce serait marrant de la voir bouger ses fesses, cela dit !

Il faut se méfier des personnes calmes et timides, elles peuvent surprendre… Ainsi furent les mots de la belle Lisa Kimber, lorsque j’eus témoigné de ma surprise de voir son niveau meilleur que ce que je pensais. Et le moins que je puisse dire, c’est qu’elle avait raison. Ça me rappel l’arrivée de ce jeune soldat, Tobby McGuyre. Un type d’à peine un mètre soixante-dix, peut-être soixante kilos tout mouillé… Un type qui avait réussi la spécialisation de sniper, on-ne-sait-trop comment. Il était tout frêle, tout discret, sans aucune répartie… Le pauvre avait presque failli être viré de la section des SEALs, parce qu’il était trop timide… Enfin, c’est ce qu’on croyait. Durant sa première mission, il a été parachuté plus loin que ma section, avec son spotter. Ces deux salops sont restés quatre jours tous seul, immobiles, couchés dans le sable, à attendre une cible que nous devions attaquer avec ma section. Tout est parti en couille – forcément sinon ce n’est pas drôle – et ce gars a survécu à un escadron de traque d’une douzaine de Talibans. Tout seul ! Le type à détruit deux pick-up armés avec son calibre 50 millimètres, à neutralisé cinq Talibans au corps-à-corps, à réussi à exécuter une cible prioritaire à 1200 mètres de distance… Et à couru 8 kilomètres avec tout son équipement en moins d’une heure, pour échapper aux escadrons de poursuivants. Quand il est rentré à la base, j’peux vous assurer que personne ne s’est plus jamais moqué de lui, ah ça non !

Bref, revenons-en à nos moutons ! Ainsi, Lisa n’est pas étrangère aux douleurs et aux difficultés inhérentes au sport et à l’entrainement intensif – enfin si on peut parler de ce matin comme d’un entrainement intensif. Courbatures, crampes, ampoules… Les joies du sport quoi ! Quoi que j’avoue ne pas être mécontent de ne plus avoir d’ampoules aux pieds depuis des années… Plus depuis cette marche commando de quarante-cinq kilomètres à faire en moins de 18 heures. J’suis rodé !

- Ah ça ! Quand on n’a pas l’habitude du recul du fusil, ça peut faire plus mal qu’un coup de bâton, ça s’est sûr !

Je ricane légèrement, mes épaules se haussant à mesure que je me gausse dans ma barbe. C’était légèrement moqueur de ses efforts pour manipuler une lance… Mais à quoi bon parfaire la maîtrise d’une lance, dans un monde où une balle irait mille fois plus vite… Sinon plus.

Et voilà que l’ambiance devient légèrement plus pesante. Buvant une gorgée de mon verre de whisky, et mangeant une part de cette délicieuse viande, je tente de temporiser alors que la question posée par Lisa semble loin d’être anodine. Je sens chacun de ses mots qui s’emplisse d’un sentiment que je peine à reconnaître. Est-ce de la tristesse ? De la peur ? De l’inquiétude ? Peut-être un peu tout cela ensemble ? Je ne sais pas vraiment, toujours est-il que j’ai comme l’impression que lui dire la vérité pourrait la blesser, ou l’effrayer. Mais lui mentir servirait à rien non ? De toute manière, qu’est-ce qu’elle peut bien faire contre cette future mission ?

- Heum… J’avale l’entièreté de mon whisky, et en recommande un d’un signe au serveur qui passait par là. J’sais pas d’où tu tiens ça. Et à vrai dire, j’sais pas s’il y aura une mission contr’ ces salopards. Mais s’il y en a une, j’en s’rais, t’peux en être certaine.

Ouais, bon… Pour les pincettes, on repassera hein.

Oh ! Ok ! Je ne m’attendais pas à ce genre de réponses de sa part à elle. Sans doute que ces quelques mots comparant le recul d’un fusil à un coup de bâton, n’auront pas été pour plaire à la demoiselle. Cette petite pique répondue ensuite, insinuant qu’un coup de bâton dans les dents ne serait pas moins douloureux, provoque chez moi un petit mouvement de retrait, un écarquillement des yeux, et un haussement d’un seul sourcil interrogatif. Elle boit une grande lampée, l’alcool, visiblement, ça marche plutôt bien chez elle.

- Pour ça, faudrait qu’t’arrives à m’frapper avant qu’j’te neutralise.

Ouh, je sens l’orgueil pointer le bout de son nez, et poindre avec lui cette bonne vieille fierté qui ne fait avancer personne, et qui, par le passé, aura provoqué bien des choses négatives. Un rictus de gloussement me fait hausser les épaules, alors que je mange ensuite avec plaisir cette assiette très gouteuse. Une autre goulée de whisky pour faire passer le tout, et la voilà qui reprend à propos d’une potentielle mission. Je la sens soudainement inquiète, de par ses mots, son attitude fuyante et sa façon de dispenser ses craintes. Elle souhaite que je revienne en vie, ou au moins, entier. Elle joue encore avec ses cheveux – à force j’ai compris qu’il s’agissait d’un moyen de focalisation et de concentration pour reprendre constance. Casey passe par ici, Lisa commandant un second verre. Je profite de sa présence pour lui demander un second verre.

Puis, je regarde Lisa, et vide d’un trait ce qui me reste de mon verre. Je sens une certaine confusion dorénavant. Serait-ce l’alcool qui le ferait parler comme ça ? Ou est-ce que ledit alcool aide à abaisser ses barrières, et à libérer ses pensées ? Et si c’est le cas… Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire putain ? On est que coloc, et depuis… Très, très peu de temps. J’avoue, je ne comprends plus très bien de quoi il s’agit.

- Heum… L’est pas né c’lui qui m’fra crever. Si c’est ça qui t’inquiète.

J’avoue ne pas comprendre exactement comment me comporter maintenant.