Difficile d’évoluer dans ce sous-sol plongé dans les ténèbres en étant parfaitement discrète. Entre les débris qui jonchaient le sol, les dépouilles en travers du chemin et le mobilier renversé, c’était un véritable dédale. Si la nipponne n’appela pas sa proie à haute voix, ce fut parce qu’elle préférait ne pas prendre le risque d’éveiller quelque chose qui serait resté ici des années. Une horde, par exemple, une meute de patients, parmi les premiers décédés, enfermés ici.

Au moment d’entrer dans l’une des pièces, un éclair de douleur, puis le noir total. Yue rouvrit les paupières sur la lumière aveuglante d’une torche. Un grognement s’échappa de sa gorge, elle tenta instinctivement de se redresser et constata qu’elle était attachée. Ok. Un rideau de cheveux d’encre voilant partiellement son champ de vision, elle scruta à droite et à gauche, tel un félin qui explorait ses options. Les corps, le foutoir, une photographie d’horreur.

- Huit, souffla-t-elle ; bien sûr, son geôlier n’allait pas comprendre, alors elle répéta : sur l’échelle de la stupidité, je te donne un huit. Sur dix, bien sûr.

Un sourire narquois étira ses lèvres pales, un mouvement bref de sa tête renvoya sa chevelure dans son dos. Oui c’était con, d’après son point de vue. Il avait pu la surprendre, pourquoi ne pas s’en aller ? Il aurait pu la voler, l’abandonner, la tuer, n’importe quoi et se barrer de ce trou à rat. Au lieu de ça, il avait perdu du temps à l’attacher et patientait sciemment dans les sous-sols d’un hosto qui pouvait encore abriter une meute dormante. Drôle de choix de vie.

- Alors, on est là pour quoi ? Un interrogatoire ? Une pipe ?

Nouvelle expression insolente. Peut-être était-il un larbin d’Anton ? Impossible à dire mais elle ne connaissait pas sa tronche, c’était clair. Néanmoins, ce serait la seule bonne raison pour laquelle il la gardait otage – resterait plus qu’à attendre l’autre naze de poulet. Yue n’était pas stressée. Son mode de vie, même avant l’apocalypse, était fait de situations dangereuses, de confrontations et de négociations tendues. Il en faudrait bien plus que ça pour lui flanquer les jetons, si c’était l’objectif.

Maintenant que la jeune femme était attachée, il se sentait déjà un peu plus en sécurité. En attendant qu'elle se réveille, il l'aveuglait de sa lampe torche. Le grand brun entendait des petits bruits par-ci par-là, il restait à l'affut du moindre son un peu trop suspect, qui serait un peu trop proche à son goût. Mais pour le moment, le lieu semblait encore assez calme, alors autant en profiter.
Finalement, au bout d'un certain temps, son assaillante finit par se réveillée, et il poussa la lampe torche sur le côté après l'avoir suffisamment aveuglée. Désormais, le faisceau lumineux de la lampe éclairait des murs ensanglantés ainsi qu'un amoncèlement de corps, contre l'un des murs. C'était une scène digne d'un film ou jeu d'horreur, clairement. Le grand brun essayait de garder son sang froid mais c'était compliqué.

Malgré la tension et l'appréhension qu'il ressentait, il ne put s'empêcher de rire après les dires de la jeune brune. Elle était attachée, sans aucune défense, et elle osait raconter de la merde ? Sacré culot ! Néanmoins, l'ancien agent immobilier le pris à la rigolade : il en avait tellement rien à faire d'être considéré comme stupide ; il savait qu'il ne l'était, bien sûr, évidemment pas.

- Tant de compliment, j'en suis presque flatté.

Elle commença alors à poser quelques questions. Et, aux derniers mots, il se mis à rire de nouveau, plus fort cette fois. S'il devait demander un quelconque service de ce type, il ne le ferait certainement pas sous la pression et avec une femme attachée, sauf consentement, bien sûr. Mais non, au vu de l'atmosphère et du lieu, il était sacrément loin de bander !

- Exactement, petite interro surprise ! Alors, première question : Tu as été envoyée pour me tuer ? Seconde question : Si non, pourquoi tu essaies de me tuer ? Troisième question : Qui es-tu et pour qui tu es ? Ah, et pour ta pipe, ça aurait pu être avec plaisir, mais... les nanas qui essaient de flinguer, ça ne m'excites pas trop, tu vois ?

Pour le moment, il avait fait le tour des questions qui lui venaient en tête. Il gardait les mains sur son fusil à pompe, au cas où qu'elle n'essaie de tenter de s'enfuir ou, pire, de s'attaquer à lui, comme elle l'avait fait juste avant.

Yue l’observa un instant pendant sa réponse… puis rit doucement. Difficile de juger ce mec. Il n’avait pas l’air de sa trempe au sens propre du terme, mais il s’inquiétait d’être traqué. Pourquoi ? Il avait quelque chose à se reprocher ? Peut-être la chance lui avait-elle souri et une proie dont la trogne était placardée sur le tableau d’affichage lui était tombée droit dans le bec. Si tel était le cas, la première étape serait de ne pas se faire plomber par son fusil à pompe. Les prunelles sombres de la yakuza le toisèrent un instant, avant qu’elle ne lâche :

- Pourquoi quelqu’un chercherait spécifiquement à te tuer ? Elle expira avec une once d’impertinence, tu as quelque chose que je veux et tu n’as pas voulu me le donner, c’est tout.

La loi de la jungle, où les prédateurs régnaient en maitre. Ce serait assez étonnant qu’il ne connaisse pas ce principe, il devait faire semblant d’être si naïf. Après un bref instant d’hésitation, elle choisit de jouer le jeu, mais avec quelques réserves.

- Je m’appelle Mirei et pour qui je suis… je ne comprends pas, je suis censé dire quoi : les Yankees ? Ironisa-t-elle. Le sourire moqueur qui flotta sur ses lèvres s’estompa bien vite tandis qu’elle enchaina : écoute, si tu n’as pas l’intention d’exiger quelque chose et que tu n’es pas là pour un moment extraordinaire, nouveau demi-rictus insolent, ça te dit de me détacher ? Sa tête se pencha légèrement sur le côté, tu veux quoi, des excuses ? Un bisou sur la joue ? Une promesse de ne pas essayer de te plomber en sortant d’ici ?

Un grondement retentit jusqu’ici : l’orage avait l’air de se déchainer dehors. Ce ne fut toutefois pas ce bruit qui crispa Yue : ce fut un grincement insistant, mêlé à des chocs sourds. Comme si quelqu’un – ou quelques uns – essayaient de forcer une double-porte bloquée par une barre de fer. Ça n’annonçait rien qui vaille, il n’était plus l’heure de trainer. Celle fois, plus de trace d’amusement sur le visage ivoirin de la nipponne. Son expression était claire : « détache-moi ! ».

La jeune femme, en plus d'avoir voulu lui coller une balle dans le crâne précédemment, se foutait bien de sa gueule. Il l'avait très bien compris, et il détestait particulièrement ça, d'ailleurs. Il resserra sa prise sur son fusil à pompe. Si elle lui casait trop les couilles, il n'hésiterait pas à lui en coller une pour la faire gueuler un peu. Après tout, dans un tel endroit, personne ne les trouverait. Mais à coup sûr, un tel lieu finirait très rapidement par le rendre fou et il se comporterait de façon particulièrement mauvaise avec elle. Pas sûr qu'elle n'en ait très envie. Mais pour le moment, elle continuait à déblatérer n'importe quoi.

- Eh bien, il fait croire que oui, vu que j'ai quelque chose qui t'intéresse. Sauf que j'ai l'ai trouvé en premier, ma p'tite dame. Donc premier arrivé, premier servi.

Elle finit par vaguement se présenter, et il pouffa presque lorsqu'elle mentionna les Yankees. Mais bien sûr. Il secoua légèrement la tête, d'un air las. Ce qu'elle était ennuyante. Elle n'avait clairement pas la fibre de la tchatche, cette femme. C'était pas très drôle. Par contre, elle avait un sacré culot de lui demander de la détacher ! Il ne put s'empêcher d'éclater de rire, et encore plus lorsqu'elle annonça les pseudos "échanges" contre sa libération. Eh puis quoi encore ? C'était évident, comme le nez en plein milieu de la figure, qu'elle le tuerait aussitôt qu'elle serait détachée.
Le rire du grand brun, sans doute dû à un écho, entraîna une réaction en chaîne. Il se tut presque instantanément et, tout comme sa "prisonnière", il entendit du raffut derrière des portes, un peu plus loin. Il se redressa alors, empoigna la lampe torche ainsi que son fusil à pompe. Il mis la lampe torche dans sa bouche afin de pouvoir bien maintenir le fusil face à la jeune femme. Il se recula petit à petit, toujours face à la jeune femme, jusqu'à atteindre l'encadrement de la porte. Il éclaira la zone bruyante, à une dizaine de mètres d'eux. C'était au bout du couloir, une double porte avec un truc métallique -certainement des chaînes au vu de la brillance- qui retenaient l'ouverture. Kerwan eut un petit coup de pression mais, ne voulant pas se démonter, rentra de nouveau dans la salle et referma la porte derrière lui, à clef, et vint alors s'approcher de la jeune femme. Son expression semblait, cette fois, bien plus que réelle, et l'ancien agent immobilier afficha un rictus plus que mauvais.

- Quoi ? Tu ne vas pas me dire que tu as peur de quelques petits bruits, si ?

Son sourire ne fit que se faire plus grand, dévoilant ses dents blanches. Il avait trouver comme prendre l'avantage sur la situation : la peur. Désormais, il n'avait même plus envie de se barrer, mais de s'amuser avec cette nana qui avait voulu le tuer quelques minutes plus tôt. Il avait envie de lui coller une sacré peur, cette peur à en donner des nausées, à s'en pisser dessus, voire à en gerber. Mais, lui qui d'habitude n'était pas comme ça, était-il toujours pleinement maître de lui-même ou gagné, petit à petit, par autre chose ?

Pendant un moment, elle fixa l’homme qui se foutait de sa gueule, une lueur assassine dans ses yeux noirs, puis elle laissa s’exprimer un rire jaune. Ok… s’il pensait la voir supplier, négocier, implorer, c’était raté. Elle venait d’un monde où ce genre de comportement n’existait pas, où on mourrait dans l’honneur avant de survivre dans la honte. Yue cessa de lutter contre les liens, laissa momentanément son menton retomber contre sa poitrine, puis elle rejeta en arrière sa chevelure d’encre pour continuer sur le même registre.

- Écoute… tu fais le petit malin mais je crois qu’on sait tous les deux ce que ces petits bruits peuvent être, ce qui nous emmène à trois options : tu me tues et tu te barres, tu les laisses me bouffer ou… tu restes enfermé ici avec moi jusqu’à ce qu’on meurt de soif, ils étaient dans un sous-sol, la seule issue était celle qu’il venait de fermer derrière lui, il n’avait pas d’autre échappatoire, peut-être qu’après deux semaines cloitré avec moi, tu repenseras à ma proposition.

Son demi-sourire moqueur évoquait bien entendu sa provocation à propos de la pipe. Totalement destinée à le déstabiliser bien sûr, ce n’était pas demain qu’elle goberait un mec pour se tirer d’affaire. Néanmoins, l’expression de la yakuza se défit d’un coup quand d’autres chocs résonnèrent dans le couloir. Forts. Insistants. Pas de doute cette fois : il s’agissait bien de mordeurs qui essayaient de se libérer. Elle pouvait les imaginer pousser, grogner, s’obstiner. La chaîne qui les retenait cliquetait et grinçait. Rien de rassurant… ces choses étaient bien capables de la faire craquer s’ils étaient assez nombreux.

- Allez, fais-toi plaisir ! Relança-t-elle, cogne-moi, tue-moi, sors-moi un speech, abandonne-moi là…

Bien sûr qu’un frisson glacé lui descendait le long de la nuque, mais elle trouverait une solution. Elle trouvait toujours. Il l’avait attaché avec les moyens du bord : des langes de tissu, principalement. Peut-être pourrait-elle défaire ses liens par exemple… suffisait juste s’arranger pour qu’il ne fasse pas attention pendant encore un moment. Oui ce serait bien ça… ou qu’il se barre, tout simplement. Elle s’occuperait du reste.

Pour le moment, l'ancien agent immobilier était presque serein. Malgré les bruits derrière la porte barricadée par une simple chaîne de métal, il n'était pas particulièrement inquiet. Ce qui l'inquiétait davantage, c'était l'endroit, son atmosphère très glauque et lugubre, ainsi que la jeune femme qui avait essayé de le tuer. Pour le moment, comme elle était attachée, il ne craignait pas grand chose. En attendant, il avait refermé la porte derrière lui et le grand brun reporta toute son entière attention sur la femme attachée, qu'il n'avait quitté des yeux que quelques secondes.
Une fois la porte close, il alla se réinstaller à sa place initiale. Il reposa son arme sur les genoux, et la lampe torche à côté de lui, éclairant cette fois un autre mur tout aussi ensanglanté que l'autre, mais avec des tâches de formes différentes, celles-ci plus éparpillées mais moins nombreuses, ainsi que de tailles différentes. Il se concentrait sur la pièce lorsqu'elle se remise à parler. Il se contenta d'hausser les épaules. Elle était sacrément pessimiste, en tout cas. Il ne désirait absolument pas lui faire de mal, mais au moins bien l'épuiser psychologiquement pour être sûre qu'elle ne tente rien envers lui.

- On verra, j'ai tout mon temps. On peut même faire un baccalauréat, je suis sûr que tu m'épaterais.

Ah, sacré ironie et foutage de gueule de la part du grand brun. Il était prêt à rester là le temps qu'il faut. Néanmoins, il avait quand même une once d'empathie envers la jeune femme, car il ne désirait pas particulièrement sa mort non plus -à l'inverse d'elle qui était prête à lui coller une balle dans la tête-.
Cette fois, les chocs étaient plus violents contre cette double porte. Les deux savaient que celle-ci ne tiendrait pas cent ans. D'ailleurs, elle commençait un peu à s'entrouvrir et se refermer. A chaque entrouverture, des râles se faisaient gentiment entendre dans le couloir. Mais, là encore, l'autre n'attendit pas pour se prononcer à nouveau. Kerwan, dans sa plus grande splendeur, lâcha un son d'épuisement. Elle l'épuisait à piailler pour rien, celle-là. Il serra les poings, se retenant de venir lui coller une sacré gifle tellement il la trouvait chiante. Non seulement elle avait essayé de le flinguer, mais en plus elle lui demandait de s'occuper de son sort.

- Ce que t'es casse-couille, ma parole ! Ca te stresse tant de ne pas pouvoir maîtriser la situation ? Ca commence à devenir amusant, pourtant.

En réalité, il n'avait pas réellement choisi ce qu'il comptait faire d'elle. Mis à part la faire craquer et l'affaiblir, il n'avait pas de plan précis.
D'ailleurs, les deux devaient parler suffisamment fort pour que la double porte ne se mette à faire encore plus de bruit. Le grand brun entendit un gros bruit, un gros fracas ainsi qu'un cognement lourd contre le sol : la chaîne avait fini par lâcher. Les deux portes s'ouvrir dans un gros vacarme et les rôdeurs rentrèrent finalement dans le couloir. Les râles étaient plus forts et nombreux. Combien étaient-ils ?
Le grand brun se mis alors à parler à voix plus basse, avant de n'éteindre la lumière de sa lampe torche.

- Ton destin est entre tes mains. Sois tu parles et ils viennent te bouffer, soit tu la fermes et ils nous ignoreront.

Il pouvait se défendre sans problème et la donner en pâture s'il voulait. Mais déjà, avec cette première "épreuve", il verrait comment réagirait la jeune femme. En attendant, avec la lumière éteinte, il ne pouvait plus la voir, mais ne serait pas non plus vu par les rôdeurs dans le couloir, malgré la porte fermée.

Spoiler:

- Kuso kurae…, marmonna-t-elle en levant les yeux au ciel.

Ce mec était… épuisant. C’était le mot. Pourquoi l’attacher là pour… « rien » ? Parce qu’il ne voulait rien n’est-ce pas ? C’était à n’y rien comprendre. Les rôdeurs, eux, avaient réussi à forcer la porte – c’était en tout cas ce que lui dictait son ouïe. Combien étaient-ils ? Elle ne saurait le dire. Un instant, elle hésita à faire du bruit tout de même parce que… et bien s’ils s’agglutinaient tous contre la porte de la pièce, l’autre type serait aussi coincé qu’elle. Mais ce plan pouvait aussi très mal se passer. Surtout que… qu’elle pourrait bien essayer une autre approche.

En silence, Yue restait en alerte, attentive à ce qui se passait dans les ténèbres. Dans le couloir, les charognes butaient sans arrêt contre les obstacles – mobiliers, lits, dépouilles. Nul doute qu’elles resteraient prisonnières de ce sous-sol ; pourquoi partiraient-elles de toute façon ? Un sourire fendit le visage de la nippone – un sourire que son interlocuteur ne pourrait voir.

- Disons que je suis désolée, murmura-t-elle, y’a bien un type dans le secteur qui veut me tuer et… je deviens paranoïaque.

Ce n’était même pas vraiment un mensonge. La trentenaire connaissait assez le bousier de flic qu’était son traqueur pour savoir qu’il n’abandonnerait pas, même avec la trêve entre leur communauté respective. Et par défaut, son éducation et ses expériences lui avait enseigné de ne faire confiance à personne.

- Je peux voir que t’as pas l’intention de me tuer, souffla-t-elle toujours tout bas, et les morts se barreront pas tout de suite.

Pour ça, il faudrait qu’un bruit les attire ailleurs. Le problème, c’était qu’ils se trouvaient dans le sous-sol d’un hôpital abandonné. Il était plus probable que les cadavres restent ici pour l’éternité. Une durée qu’aucun des deux vivants ne pouvait se permettre, bien évidemment. Yue laissa passer un silence, le temps que son goelier se décide, puis elle proposa :

- Laisse-moi t’aider à sortir de là en vie et tu pourras garder ce que tu as trouvé…

Spoiler: