Elizabeth semblait désireuse d’en apprendre plus sur New Eden, malheureusement pour elle, les informations dont je disposais n’étaient que fragmentaires : « J’ignore de nombreuses choses à leurs sujets, je peux seulement dire que les femmes n’ont guère de mots à dire dans leur société et que ne pas tenir son rang conduit sur la croix. » Je préfère laisser à d’autres, plus renseignés, plus à l’aise avec le contact humain ou même dont c’est le rôle. Je ne puis que commenter ce qu’elle me dit finalement et faire part de mon opinion sur le sujet, sur leur stratégie :

« Se montrer en héros, donnant et recouvrant de ses ailes protectrices un peuple souffrant de la fin et de la maladie, n’est-ce pas une stratégie admirable pour soumettre un peuple, cela économise des vies et leur épargne bien des combat ? Nous pouvons au moins reconnaitre la pertinence de ces actions et peut-être nous en inspirer. Mais cela est un autre débat où je n’aurai guère mon mot à dire. » Où je n’aurais, même en admettant que cela ait de l’importance, aucune envie de débattre. Je me concentre sur ce qui est important pour moi et il s’agit de piloter, de voler encore et encore, tant pis pour les autres considérations. Me mettre des œillères est finalement la meilleure chose que je puisse faire.

Ce qui me conduit à lui répondre, sur sa méconnaissance des aérodromes de la région : « C’est dommage que vous ne connaissiez pas la région, du moins dans le domaine qui m’intéresse, cependant, je ne peux guère vous en vouloir. » Non en effet, les rampants n’ont souvent que peu d’intérêt pour l’aviation et si celle-ci préférait donner une caution morale aux agissements de son pays, quittant l’état, alors tant pis pour moi : « Je ne vous gâche pas que nous sommes dans une situation complexe. Nous devons chercher un moyen d’augmenter nos forces dans un contexte d’une lutte asymétrique. N’y a-t-il aucun lieu que vous auriez visité depuis la Chute ? » Ce sont presques plus des pensées pour moi-même qu’une continuation de la conversation, Elizabeth ne peut m’aider donc elle perd de facto beaucoup d’intérêt à mes yeux.

C’est assez sinistre de penser de cette manière mais il m’a été reproché de ne pas me montrer assez… pragmatique.

Elle prend note, affiche une mine perplexe quant à cette annonce vis-à-vis de ce clan dont elle était maintenant rivale du fait de sa nouvelle allégeance. Elle ne sait pas encore qu’elle ne tardera pas à verser le sang dans cette cause qui deviendra personnellement la sienne, dans une expédition pour satisfaire la curiosité de la femme qui lui fait face. Elle se contente de réagir verbalement simplement en laissant échapper un : « ah » qui veut tout dire.

La suivante la fait presque sourire. Oui, ça fait parfaitement sens. Se présenter en sauveur, c’est se donner une légitimité. Elle acquiesce, approuvant à la fois le raisonnement d’Adrienne, et la véracité de son constat. Même si, Eliza approcherait le problème autrement. Elle n’en sait encore pas assez pour se prononcer, mais son passif à l’Agence la pousserait plus à les décrédibiliser, à inciter aux tensions internes, à équiper d’autres groupes pour les affaiblir plutôt que de se hisser également en sauveur, ce qui justifierait encore et toujours plus des actions directes. Avant qu’il ne tombe, le monde avait prouvé que la guerre ne se jouait plus dans les champs de bataille, mais, dans les coeurs, et à l’usure. Un peuple sans rien pouvait défaire une coalition de super puissance, à partir du moment où l’opinion publique flanchait ; que des tensions internes apparaissaient pour affaiblir un effort de guerre à la légitimité ébranlée.

Elle ne développe rien de tout ça, ou du moins, pour l’instant, à celle qui n’est pour l’instant qu’une parfaite inconnue. Elle esquisse un petit sourire, espérant bien qu’elle ne peux guère lui en vouloir. Sa remarque suivante, cependant, la pousse à révéler un peu plus son cheminement de pensée, en faisant passer pour de la simple logique sa véritable expérience :

« Non, ou du moins, je ne pense pas pouvoir donner des renseignements judicieux. Je suis tombée sur quelques appareils lors de ma traversée de Washington, mais, le temps a dû faire son œuvre. Je doute que les composants électriques aient survécus aux intempéries, et les pièces mécaniques risquent de demander beaucoup de travail. Il me semble avoir aperçu quelques aéronefs…» elle lève les yeux au ciel, creuse dans ses souvenirs, développe en énumérant : « Deux UH-1, un UH-60, un CH-47. Seul le chinook était véritablement intact, mais dépouillé ; et c’était il y a maintenant au moins deux ans » elle marque un arrêt, réalise qu’elle n’aurait peut-être pas dû être aussi précise dans ses révélations.

Elizabeth est vraiment une personne pleine de surprise, mais aussi de mensonge il semblerait. Pour quelqu’un qui n’était pas de la région et qui cherchait un travail à l’aérodrome, elle m’avait caché qu’elle pouvait identifier un modèle d’hélicoptère rapidement et en déterminer l’état général, voir même donner un diagnostic… Cela laisse songeur, elle ne semble pas avoir dévoilé tous ses atouts. Je fais d’abord mine de rien, me contentant de la questionner sur le sujet et commenter ses propos : « D’accord. Vous seriez surprise de la résistance de ces machines, il suffit parfois d’un simple toit pour qu’une machine résiste au passage du temps. Nous avons trouvés quelques appareils dans un état remarquable, où étaient-ils ? » Je prends le temps de noter sur un morceau de papier les modèles dont elle me parle. Je relève ensuite les yeux vers elle avec une lenteur calculée car c’était une description très précise, que ce soit des modèles que de leur condition générale. Je commence à me demander si je n’ai pas affaire à une aviatrice ou à une militaire.

Il n’est évidemment pas question pour moi de me montrer agressive avec la femme en face de moi, mais je ne peux retenir un certain ton péremptoire quand je reprends la parole et que je m’adresse de nouveau à elle : « Peut-être faire preuve d’un peu d’honnêteté envers moi Elizabeth. Rare sont les personnes qui vont donner la description numéraire d’un modèle, Vous auriez pu dire « Black hawk », Huey, ou bien simplement «hélico ». Cette précision, elle ne vient que de gens qui sont des professionnels. Alors… je vous écoute, pilote ou militaire ? » En plus, qui dans ce bas monde avait la civilité d’utiliser le nom « Chinook » au lieu de « banane volante » Je crois que c’est ce qui me marque le plus dans son discours. Immédiatement, à mes yeux, Elizabeth vient de monter dans mon estime et j’ai hâte d’en apprendre plus sur ce qu’elle sait, sur ce qu’elle peut me cacher et cacher en elle.

Je m’avance légèrement pour mieux entendre, souriant devant la facilité qu’elle a eue à capter mon attention, simplement avec quelques lettres et quelques chiffres.

Eliza affiche une mine perplexe. Cinq ans après la fin, elle doute de ce que viens d’annoncer l’autre ; surtout parce qu’il lui semble qu’aucun des appareils n’avait de toit. S’agissant de leur localisation précise… Sans carte, elle allait avoir du mal à le restituer. Et même avec. Si elle bénéficie d’une excellente mémoire, le temps qui passe fait quand même son effet, surtout sur les informations qu’elle ne juge pas vraiment utile. S’ils avaient fouillés les aéronefs en quête de provisions, ils n’avaient jamais envisager de voler avec, ou même, d’essayer de les démarrer. Si ce genre d’appareil donne un avantage certain dans beaucoup de situations, c’est énormément d’entretien et de potentiels risques. Elle lui annonce alors, très simplement après quelques instants de réflexion :

« Si vous avez une carte, je peux essayer de les localiser. Mais aucune garantie ; mes souvenirs datent un peu, comme je vous l'ai annoncé »

Elle écoute la suite, et, elle ne lui plaît clairement pas. Mais elle ne se laisse absolument pas démonter. Menteuse professionnelle, sa surprise semble parfaitement naturelle, alors qu’elle répond presque directement :

« Oh, non, non. Une petite amie attentive, à la limite. Comme je vous l’ai dis, je travaillais dans l’humanitaire, dans des pays en guerre. J’ai passé beaucoup de temps dans les camps de l’OTAN, et, vous savez, l’uniforme… » elle hausse les épaules, lève ses paumes vers le ciel. Elle ne se justifie pas plus que ça, ne considère pas à avoir à le faire. Le seul mensonge dans ce qu’elle vient de dire, c’est une potentielle implication amoureuse. Elle ne tarde pas à le fermer, en annonçant : « mais, les hommes... » nouveau haussement d'épaules, avant qu'elle ne répète avec un air perplexe, en un souffle blasé : « les hommes. ». Elle est loin d'être misandre, mais, a tellement enchaîné les déceptions amoureuses dans des relations relativement longues qu'elle ne peut s'empêcher d'être perplexe, ce qui rend son discours crédible parce que ses émotions sont sincères.

à l’époque, si son statut n’était pas officiellement connu par les militaires qui croisaient son chemin, ils s’en doutaient tous fortement. Vu le contexte, certains ont quand même tentés, mais ont vite été refroidis par le professionnalisme distant de l’espionne. Elle était trop occupée de toute façon pour s’attacher, et n’était pas du genre à apprécier les coups d’un soir. Bourreau de travail, elle passait son temps à rédiger des rapports, organiser des rencontres, et à préparer le terrain pour le groupe d’opérations clandestines dont elle était l’élément de liaison avec la maison. Elle se souvient du nom de ses appareils parce qu’elle été transportée par la plupart d’entre eux ; mais se maudit d’avoir été assez stupide pour étaler autant sa connaissance sans que cela ne soit vraiment nécessaire.

Elle soutient sans ciller le regard de son interlocutrice, attendant de voir sa réaction.

Elle ne sembla pas se démonter ni même paraitre choquée de mon accusation, en fait, Eliza a fait preuve de calme et m’a donné une explication à ses connaissances, utilisant un mot que j’ai répété à voix basse : « Attentive… » Je ressasse le mot quelques secondes, réfléchissant à son impact, à la crédibilité de son argument. Je dois reconnaitre que cela peut également se défendre, les personnels humanitaires devaient souvent travailler avec l’aide des militaires, ne serait-ce que pour les défendre. Et puis, je ne peux retenir un sourire, bien que trivial, quand elle me parle de l’uniforme. Je connais que trop bien celui-ci l’attrait que l’on peut ressentir… Mais aussi le malheur qu’il peut amener dans une vie de couple. Même encore après tout ce temps.

Je concède sur le sujet, tombant d’accord avec elle au moins là-dessus : « J’admets que l’uniforme a son charme. Mes deux fiancés étaient pilotes, un sur hélicoptère d’attaque et l’autre dans l’aéronavale. » Je ne me suis guère étendu sur le sujet, l’utilisation du passer devait être bien assez suffisant pour faire comprendre qu’ils n’étaient plus de ce monde. En ce qui concernait les hommes en eux même, je m’en fichais comme d’une guigne, même chez les gens brillants, nous pouvions trouver des actes et des réflexions idiotes et sans intérêt.

J’acceptais sa proposition avec plaisir, c’était une excellente idée, peut-être même qu’elle saurait me donner des éléments remarquable que je saurai utiliser : « Nous pourrons toujours examiner des cartes ensemble, ça ne coûte pas guère, à part le temps et c’est bien une denrée que nous avons ici. » C’est même la seule dont nous disposons en réalité. Je fais tourner un peu le stylo dans ma main, réfléchissant quelques secondes à la tournures à donner à cette conversation, devenue bien plus intéressante depuis peu. Je l’invite finalement à s’exprimer un peu, me demandant jusqu’où nous pouvions encore aller.

« Vous avez d’autres connaissances de femme attentive à me partager… mais aussi, quand voulez vous passer à l’aérodrome ? » D’autres agréables surprises qui pourraient venir illuminer ma journée et me faire réaliser que les gens sont parfois plus qu’ils peuvent en avoir l’air. Je lui fais un discret sourire pour l’encourager

Elle la regarde, alors qu’elle répète l’adjectif qu’elle a employé, comme si celui lui inspirait une réelle réflexion. Elle ne se démonte clairement pas, ne réagit pas spécialement ; la laisse réagir au reste de son discours. Elle esquisse un sourire au moment où elle reprend son argument de l’uniforme, esquisse un franc sourire, qui ne tarde pas à se dissiper à la mention de deux fiancés. Si elle emploie ce terme, ce n’est probablement pas pour rien ; les choses se sont probablement mal fini. Elle prend donc note silencieusement, pudiquement, et ne commente pas pour éviter de balayer tous les progrès fais dans la discussion. Elle envisage l’éventualité d’un passé tragique, et ne réalise pas à quel point elle est proche du but, alors qu’elle l’écoute passer à autre chose.

Elle acquiesce directement, sans broncher, quand elle évoque la possibilité d’étudier des cartes. Pourquoi pas. Quoi qu’il se passe, l’échange sera probablement bilatéral. Elle observe son tic, avant de porter son regard à nouveau dans le sien.

Sa question l’amuse. Elle ne tarde pas à lui répondre :

« Je suppose, oui » et quand la proposition fuse, elle ne tarde pas à continuer : « Quand ça vous arrangera. Je n’ai pas d’occupation fixe, pour l’instant ; on m’a juste demandé de me rendre utile alors… » elle hausse les épaules, alors que sa boisson est enfin servie.

Après un merci, elle porte à nouveau son attention sur la française, la jaugeant un petit peu. Elle tente de continuer d’essayer d’en apprendre un peu plus, et s’intéresse directement à son interlocutrice :

« Vous étiez pilote, donc ? Dans l’aviation française ? » elle hésite à lui demander ce qu’elle fait ici, préfère finalement se taire pour la laisser développer vers où ça l’intéressait plutôt que de la guider.

Durant sa carrière, elle a eut l’occasion de rencontrer beaucoup de personnel naviguant ; et même des pilotes de la marine française, formés aux États-Unis. D’où sa question. Les élus qui avaient la chance de s’engager dans cette voie pouvait vivre leur passion, et, elle se demande si son interlocutrice réalise qu’un jour, éventuellement, elle n’aura plus jamais accès aux cieux ; par manque d’appareil, ou simplement de carburant. Au stade où en est l’humanité, elle se doute vraiment qu’un jour, des infrastructures capables de produire du kérosène.

Elle porte son thé à ses lèvres, écoute attentivement la réponse de l'autre, et scrute sa réaction. Est-elle réellement plus ouverte à la discussion que tout à l'heure ?

Voilà qui est parfait, j’approuve de la tête et je l’invite donc à me rendre visite : « Passez donc demain alors, nous en parlerons. » Voilà qui réglait la question des cartes et de son utilité pour le moment, je préparerai tout cela et nous pourrons en parler à tête reposée à ce moment-là. Je peux donc lui répondre, cette question à laquelle j’aurai aimé dire oui et pouvoir lui raconter comment j’avais bombarder ces pauvres gens qu’elle serait venu aider par la suite : « Je n’ai pas eu la chance de servir dans l’armée de l’air J’ai eu un accident de pilotage trois semaines avant d’entrée à l’académie. trois semaines… un battement de cil dans une vie.

Je cèdes à lui expliquer brièvement ce qu’il s’est passé, ce n’est pas un secret, ni une honte. Du moins plus maintenant : « J’ai ma licence depuis que j’ai 16 ans et j’étais déjà une pilote confirmée à l’époque. Un vent latéral m’a balayé à l’atterrissage et je me suis écrasée. Plusieurs fractures et une perte d’acuité visuelle suite au choc. » L’histoire suivante est évidente, réforme d’office, rééducation et diverses séquelles et la vie que j’avais planifiée à jeter à la poubelle. Mais bon, avec le recul, je me dis que j’ai peut-être été plus heureuse que je n’aurais pu l’être dans l’armée…
Il est de toute façon trop tard pour avoir des remords et se retourner sur mon passé, il est vingt ans trop tard. Je profite de l’instant pour lui expliciter également ma carrière, qu’elle comprenne mon parcours car si elle est effectivement intéressée par l’idée de travailler avec moi, qu’elle sache qu’elle a affaire à une professionnelle et non pas une amateur qui se prétend meilleure qu’elle ne l’est réellement.

« Je me suis reconverti dans l’instruction et dans la voltige, j’avais une petite entreprise dans le Nevada avec mon second compagnon, nous participions à des meetings de voltige et quand nous étions chez nous, je faisais des baptêmes de l’air, des cours, mais aussi des simulations de combat tournoyants. » Un chaleureux souvenir, de ces clients enthousiastes qui comprenaient la sensation grisante des G, de ces pilotes de chasse qui venaient se défier, me défier. Dany… des temps heureux. Je balais ces souvenirs d’un geste imaginaire de la main, il n’est pas le temps ni le lieux pour penser à eux, pas maintenant, j’attends maintenant la réaction d’Elizabeth.