Dernière cigarette avant de rentrer dans la prison où ils retenaient Jim. Recrachant la fumée, il attendait que Sean et May le rejoignent, eux qu'il avait appelé pour travailler avec lui pour l'occasion. Pourquoi eux spécifiquement ? Son choix était discutable aux yeux des autres, mais l'homme procédait stratégiquement. Lui aurait sans doute à se salir les mains pour faire parler leur otage. Mais Sean pourrait sans doute attirer la pitié, et apprendrait dans la foulée l'art et la manière de mener un interrogatoire. Quant à May, elle qui se faisait discrète la majorité du temps, pouvait s'illustrer pour amadouer leur victime, lever un autre levier.

Quand les deux se présentèrent à lui finalement, arrivant quasiment en même temps, Levi les salua d'un signe de la tête. Il n'avait pas encore terminé sa cigarette, mais les avisa longuement avant de prendre la parole :

J'attends d'vous que vous écoutiez dans un premier temps, on va voir comment on s'y prendra en fonction d'nos échanges. Il est loyal à sa cause et convaincu d'son bon droit, donc ça s'ra pas simple de lui faire cracher le morceau, indiqua-t-il aux deux autres fermement. Notre but, c'est d'le pousser à la faute, on va aviser en fonction pour les moyens qu'on emploiera.

Les biais étaient suffisamment nombreux pour pouvoir en utiliser des différents, mais sur l'instant, il leur propose de rejoindre la salle où ils allaient débuter l'interrogatoire. Il invita May à ne pas se présenter immédiatement, préférant garder un atout dans sa manche. Si elle pouvait rester à l'extérieur et écouter, ça serait très probablement plus habile pour lui. D'autant qu'elle pourrait de faire cerner des détails que lui ne verrait pas forcément en étant devant le fait accompli.

Quant à Sean, il lui demanda de se joindre évidemment à lui, il avait été en première ligne quand Jim avait menacé de tout faire sauter. Il avait réussi à le dissuader avec pragmatisme et courage d'agir bêtement et de les tenir plus longtemps en otage. Jim s'était attendu à ce qu'ils l'abattent, mais ça ne s'était pas fait. A la place, ils l'avaient sauvé et ramené ici.

Peut-être avait-elle était un brin surprise de se retrouver ici, en réalité. Surprise, mais certainement pas inapte à relever le défi. Au contraire, elle avait vachement envie d'en savoir plus sur ces enculés. Après tout, plus ils avaient d'informations, plus ils avaient de cartes dans leur jeu. Enfin, elle verrait bien ce que ce gentil Jim leur réservait. Dans tous les cas, le vent était particulièrement présent, aujourd'hui. Elle se pointa donc pour rejoindre Levi avec la capuche de son hoodie sur le crâne, en plus de son imper qui tentait de protéger sa peau de cette brise plutôt mordante pour un mois de mars. Elle pouvait voir la lueur de sa cigarette au loin, marchant vers Levi en pressant le pas. La blonde leva les yeux sur lui, le saluant brièvement d'un signe de tête avant d'apercevoir Sean qui s'approchait lui aussi. « Hey. » lança-t-elle en souriant, les mains dans les poches.

Elle laissa Levi tirer sur son bâton de cancer autant qu'il le voulait, observant lentement les lieux autour. Elle était calme, elle était prête - elle essayait de se mettre dans le meilleur état d'esprit, tout compte fait, comme elle le faisait jadis sur des scènes particulièrement difficiles au boulot. C'était peut-être Levi qui lui faisait cet effet là. Elle le respectait, sans trop savoir pourquoi. Il parlait, justement, expliquant clairement ce à quoi il s'attendait pour la suite.

La petite hocha la tête - non, rien ne serait simple ici. Elle ne savait peut-être pas tant de choses au sujet de New Eden, sauf qu'elle savait parfaitement qu'ils étaient tous des ravagés du cerveau. Au final, le plan n'était pas particulièrement précis, mais c'était la beauté de la chose. Tous les trois savaient qu'il faudrait naviguer dans les eaux troubles de Jim - c'était la seule façon d'obtenir quoi que ce soit. Enfin, elle ferait de son mieux. Pour une rare fois depuis sa commotion cérébrale, elle n'avait pas de migraine. Et putain, rien que ça, c'était un bonus intéressant.

Liv se faufila donc à l'intérieur avec le duo, s'arrêtant pourtant avant eux. Elle resterait en retrait, juste assez loin pour que leur otage ne se rende pas compte de sa présence, mais assez près pour entendre ses conneries. Elle avait appuyé le dos contre le mur de la salle d'interrogatoire, impatiente, déjà. C'était maintenant ou jamais, et pour l'instant, la balle était dans leur camp.

Observe bien tout, j'veux que tu notes le moindre tressaillement ou trémolo dans la voix, fit-il à May fermement alors qu'il se séparait.

Tout bas, pour pas que l'homme en face puisse l'entendre parler. Pour pas qu'il sache qu'il était scruté, observé sous toutes les coutures. Qu'ils reviendraient le voir une fois, deux fois, cent fois s'il le fallait pour lui faire cracher tout ce qu'il fallait. Levi ne savait pas encore quel conditionnement il comptait mettre en place. Les liens positifs étaient toujours plus simples à exploiter sur la durée, mais très difficile à mettre en place. Une relation de confiance mettait du temps, et il n'était pas sûr d'en avoir suffisamment pour ça.

Les liens négatifs cependant donnaient des résultats immédiats mais très discutables de son analyse. De fait, il ne voulait pas partir sur une mauvaise base. Des informations biaisées ou incomplètes pourraient leur couter cher, d'autant que Levi comptait faire vérifier tout ce qu'il obtiendrait de cet homme lors de ces longues discussions. Qu'elles soient avec lui, avec Sean ou avec May. La blonde saurait probablement comment adoucir les angles, avec son air angélique et son regard de biche, même un homme intraitable ne pourra lui résister, et lui compte dessus.

Jim, le salut-il poliment en rentrant dans la pièce, laissant à Sean la liberté de s'installer où il le souhaitait.

Levi s'installa lui aussi, en face de Jim, au même niveau. De cette manière, même si l'homme était plus musculeux ou grand que lui, ils avaient la même ligne d'horizon, à un pied d'égalité. A la différence près que l'israélien n'avait pas de menottes aux poignets, ce qui marquait de toute façon une hiérarchie. Mais ces avantages se gagnaient. Jim devrait les mériter.

Tu te souviens de moi, et de Sean, souffla-t-il fermement. Visiblement, le dispensaire s'est bien occupé de toi, constata-t-il avec une moue appréciatrice. Bonne chose.

Il ne s'épancha pas sur ses émotions - notamment parce qu'il n'en éprouvait pas.

Tu sais où tu es, et qui nous sommes ? Demanda-t-il, pour mettre un contexte autour d'eux.

« Oui, okay. » répondit-elle à Levi en les délaissant un moment, question de trouver de quoi écrire. Il suffisait de trouver quelques morceaux de papier, n'importe quoi. Elle n'avait pas pensé à prendre le nécéssaire avant de quitter sa piaule. Elle déboula dans un bureau presque vide - il devait être utilisé pour les mecs qui surveillaient les prisonniers. Elle ramassa un vieux cahier de mots croisés et en arracha plusieurs pages pour écrire à l'endos des cases déjà remplies. La blonde s'empara ensuite du seul crayon qui trônait dans le tiroir d'un pupitre en bois, contre le mur du fond, avant de revenir rapidement vers les garçons. Encore une fois - elle se faisait toute petite. Invisible, même, se tenant près de la porte sans toutefois être dans le champ de vision de leur otage.

De toute évidence, Levi prenait déjà ses aises. Sa voix ne tremblait pas le moins du monde - sans grande surprise. Mais Jim n'était pas très bavard, visiblement. Oh, il allait certainement parler avec beaucoup plus de facilité que la dernière fois - ce ne serait pas bien difficile. Mais il ne semblait pas avoir envie de dire grande chose. Il hocha la tête lorsque Levi se présenta à nouveau, levant les yeux sur Sean sans trop d'entrain. Il n'avait d'ailleurs pas eu de réaction particulière à la mention des soins qu'on lui avait donné au dispensaire, comme si vivre ou crever ne faisait pas de différence. Étrangement, May sentait son coeur battre plus vite. Les souvenirs de son retour de mission, sûrement. Cet interrogatoire devenait bien réel, tout d'un coup.

« Je sais surtout que si je suis ici, c'est pour une bonne raison. » Il n'était pas con non plus, le Jim. Même si le doute s'entendait dans sa voix, même s'il ne savait pas tout, le cinquantenaire se doutait bien qu'il n'était pas ici pour qu'on lui fasse la lecture. « Qui vous êtes? » répéta-t-il en esquissant un maigre sourire.

« J'sais pas - mais vous avez pas vraiment l'air d'un groupe qui vadrouille pour trouver des ressources. » lâcha-t-il en répétant exactement ce que Levi avait dit lors de cette nuit là. Le mec était sur la défensive, probablement parce que c'était tout ce qu'il pouvait faire, dans cette impasse. Mais il avait vu assez de choses ici pour saisir l'évidence - le dispensaire était assez grand pour servir une population vachement nombreuse. Il n'ajouta rien, cependant, préférant se taire. Liv, elle, ne comprenait pas nécessairement ce dont il était question, mais elle sentait déjà que la coopération allait être difficile.

La mine pas forcément ouverte, Levi planta son regard dans les yeux de son vis-à-vis. Il voulait se montrer ferme pour l'instant, suffisamment pour que l'homme comprenne qu'il n'était pas passé pour plaisanter. Enfin, il parla. Enfin, il fit montre d'un certain esprit de déduction. L'israélien s'y attendait. Dans la brève confrontation qu'ils avaient eu tous les deux, son vis-à-vis s'était déjà prouvé plusieurs fois comme intelligent et raisonnable dans sa manière d'être. Un bon bluffeur également, il s'était juste confronté là contre une personne qui ne bluffait pas lorsqu'il allait trop loin.

Tu aurais probablement pas baisser ta garde si je t'avais dit qui on est à ce moment-là, précisa l'israélien avec un hochement de tête. Il l'avait manipulé oui, il lui avait menti également. Mais lorsqu'on était en guerre, forcément, on devait semer l'information avec parcimonie. Mais Sean s'appelle véritablement Sean, et je m'appelle véritablement Levi, précisa-t-il.

Il fit d'ailleurs un signe à l'adolescent pour l'inviter à s'approcher, et à se mettre face à l'homme, à s'asseoir également. La conversation risquait d'être longue. Il voulait lui donner l'occasion d'intervenir, sa présence pouvait donner de quoi déstabiliser leur victime, qui ne pouvait pas forcément s'attendre à ce qu'on emploie une personne si jeune pour des interrogatoires. Mais Levi avait eu de bons cours d'histoire. Et il savait que les enfants guerriers africain n'étaient pas un mythe, que la Russie avait envoyé pendant la seconde guerre des adolescents avec des armes pour reprendre les tranchées ennemies.

La fin justifiait les moyens, pour tous les états, toutes les civilisations, tous les mondes.

Je t'ai ramené parce que tu sais visiblement des choses qui m'intéressent, ajouta Levi alors, pour remettre un contexte limpide autour d'eux. Tu voulais que je te conduise à un endroit pour obtenir d'autres ressources en compensation, il situait lui aussi les mots de son vis-à-vis, finalement, parce qu'il avait également de la mémoire. Je veux l'adresse, exigea-t-il.