Rien n'avançait réellement, pour l'instant. Enfin, pas aux yeux de la blonde. Peut-être que c'était justement le plan du duo que de travailler le mec lentement, elle n'en savait rien, au final. Sean n'osait pas vraiment s'impliquer tout de suite, de toute évidence, alors que Levi expliquait à Jim pourquoi il avait fait ce qu'il avait fait, lors de cette fameuse mission. Le type n'était pas impressionné, visiblement. Liv gribouillait quelques notes sur son morceau de papier - elle n'écrivait pas grand chose, c'était seulement une façon de s'occuper les mains et rester concentrée.

Enfin, Levi entrait dans le vif du sujet, maintenant. Il posait la question que tout le monde s'était posé ce jour-là. Tout le monde se disait que c'était peut-être ce qui leur donnerait une longueur d'avance, le détail qui ferait une différence. La miss était encore plus attentive, du coup, se faisant toute petite en portant même attention à la propre respiration tant sa réponse l'intéressait.

« Je connais les gens comme vous... Vous pensez que vous pouvez prendre, et prendre, et prendre encore... et qu'on va tout vous céder. Mais le Seigneur a déclaré : tu ne dois pas avoir peur de ces gens, car je suis avec toi pour te délivrer. » May fronça les sourcils tandis que le prisonnier fixait Levi droit dans les yeux. « Changez de discours, vous ne me faites pas peur. » Putain, il faisait exprès de le provoquer? Ou était-il seulement complètement inconscient, voir stupide? Peut-être avait-il simplement abandonner tout espoir, aussi - elle ne le jugerait même pas. La petite divagua un instant, se demandant sincèrement si elle abandonnerait, elle aussi, dans une situation pareille. Elle ne se pencha pas longtemps sur la question, pourtant, reportant son attention sur la séance avant de sombrer trop loin dans sa cervelle.

N'empêche, elle secoua un peu la tête, incrédule face à cette réponse. À l'abri derrière son mur, elle était libre de réagir sans contraintes, contrairement à ses deux copains. C'était pour le mieux, parce que sur le coup, elle était choquée de voir à quel point ces types pouvaient être endoctrinés de la sorte. Elle inspira lentement une grande bouffée d'air, expirant doucement en prenant sur elle, avant d'écouter ce que Levi allait bien pouvoir répliquer à ça.

Les gens comme eux. Levi garda un aspect neutre, terriblement serein en fixant son vis-à-vis. La prise de paroles de Sean ne le déstabilisa pas, il ne détourna pas les yeux de ce type, dont les mots raisonnaient dans son esprit. Dans toutes ces zones de guerre où il avait été par le passé, dans l'espoir d'en ressortir entier, Levi y reconnaissait des traits limpides, qui formaient un portrait reconnaissable :

Tu vois Sean, dans le monde d'avant, on appelait ça des extrémistes, fit-il en se penchant légèrement vers lui. Des gens prêts à mourir pour une cause religieuse, une guerre sainte... Les médias avaient un nom pour les gens comme eux. A l'époque, ils étaient un peu plus basanés, comme moi, fit-il avec une certaine ironie. Et des noms à connotation arabe, comme lui. On les appelait terroristes, souffla-t-il.

Il était l'heure du cours. Du cours magistral. Aussi un biais de provocation. Puisque demander poliment ne marchait pas, Levi comptait souiller par sa trace toutes les convictions qu'il arriverait à dénicher. Peut-être que l'énerver viendrait relever quelques erreurs dans ce discours si lisse, si convaincu.

Des gens a qui on a mis beaucoup de choses dans la tête pour croire qu'ils sont... Choisis, par Dieu, trouva-t-il enfin avec un léger froncement de sourcils. Je dois admettre, c'est plutôt bien sur le CV.

Qui était choisi par YHWH ? Qui décidait qu'on était dans le bon chemin de quand on en déviait ? Levi avait étudié beaucoup d'écrits saints, de son propre pays évidemment parce qu'il n'était pas chrétien par éducation. Parce qu'il ne croyait pas aux miracles. Pas après avoir foulé du pied la fange de l'humanité.

Choisis par Dieu, répéta-t-il avec une moue appréciatrice, presque impressionné. Sa chance, c'est qu'il est choisi par le bon Dieu, pas celui des juifs, pas celui des musulmans, fit Levi à Sean en posant son regard sur lui un bref instant : Le Dieu de l'Amérique, celui la même, qui venait sur terre avec des armes, des tanks, des opinions sur des choses qui ne le concernaient pas, un visage orange à cause des UV et des cheveux peroxydés.

C'est justement la question qu'on vous a posé, pourquoi, souffla Levi avec un air impassible.

C'était facile de poser la question, encore. De retourner la chose, de croire qu'il pouvait mener l'interrogatoire ou obtenir les réponses à ses questions. Il n'était pas ici parce qu'il le voulait bien. Il l'était parce qu'il était le prisonnier de Levi, pas autre chose. Il n'y avait pas de Dieu ici, en réalité, seulement eux deux et un bras de fer qui s'amorçait. Depuis un moment. Ce bras de fer aurait des conséquences, évidemment. Beaucoup, mais ça n'était pas important pour Levi. Il entrevoyait la possibilité d'enfin obtenir une revanche sur ce qu'il attendait.

Pourquoi vous avez tué les civils de Bellevue, ceux que vous aviez recruté pour les abattre comme des chiens, demanda-t-il ensuite sans vraiment poser la question. Il s'arrêta après réflexion : des interrogations, ils en avaient beaucoup. Non, en fait, nous savons pourquoi, rectifia-t-il avec un air ferme, ironique encore. Parce que vous avez réaliser que vous n'étiez peut-être pas autant choisi que prévu par les grands plans de l'escroc qui vous dirige, suggéra Levi.

Et il le pensait. Cet homme qu'il suivait n'était probablement qu'un autre fantasque aussi vide que son coeur, qui était tombé au bon endroit au bon moment, qui avait bourré d'autres crânes vides pour se créer des fidèles qui ne réfléchissaient pas. Les Remnants n'attaquaient pas : ils se défendaient contre un cancer depuis le début, une tumeur si grosse et si nocive qu'ils ne l'avaient découvert qu'il y a peu, sans doute trop tard. Voilà qui ne les empêcherait pas de se battre.

Je veux l'adresse de l'avant-poste où tu voulais que je t'amène, souffla Levi d'une voix plus froide encore. Je le demanderais qu'une fois, je te jure que tu mourras pas pour ta cause. Je vais m'arrange pour que t'en ais envie, mais que jamais t'y passes, certifia-t-il d'un air tranché.

Il n'y aurait pas de seconde chance le concernant. Et lui aussi avait été fait par Dieu. Pour être l'un de ses pires soldats.