Lucy avait l’épée à la ceinture, son éternel sweat gris et informe qui cachait ses cheveux roux. Les sens en éveil, elle avançait d’un bon pas vers ce bâtiment qu’elle avait repéré un peu plus tôt. Son toit était plat, dégagé, propre, sécurisé. Parfait pour une nuit d’observation paisible sous la voute étoilée… La lune, un peu faible, fournissait une luminosité suffisante pour se déplacer, mais elle ne nuisait pas à l’observation du ciel.

La voie lactée était splendide, une toile céleste qui gonflait de bonheur le cœur de la rousse et qui attisait l’astronome en elle. Elle avait aussi son télescope sur l’épaule, il commençait à peser lourd, mais c’était le prix à payer pour avoir accès au ciel. La rousse grimpa aussi rapidement et silencieusement que possible, telle une ombre dans la nuit. Il ne devrait pas avoir de rôdeurs dans le secteur, mais c’était plus prudent de rester silencieuse.

Finalement, une fois sur au sommet du bâtiment, elle commença à l’installer, réglant la mire, avant de prendre une lampe et un de ses livres, cherchant une constellation à observer. Son esprit se tourna vers cette tâche, oubliant presque le reste du monde, si bien qu’elle ne se rendit pas tout de suite compte que quelque chose n’allait pas. Elle mit un moment à entendre la respiration discrète et la forme qui semblait se tapir dans la cage d’escalier, non loin d’elle… Sans paniquer, le cœur calme et la voix posée, Lucy s’approcha et annonça :

« Montrez-vous. » Elle avait la lame prête à s’abattre sur la forme en cas de problème. Si c’était un violeur ou un rôdeur, il gouterait le froid mordant d’un acier fraichement aiguisé et implacable. Mais elle n’eut pas à reccourir à de telles extrémité. Car une silouhete se détacha finalement à la lueur de la lune, une jeune femme, une adolescente qui devait être 10 cm plus petite qu’elle. L’air un peu sale, comme si ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas gouté au confort.

En opposition à Lucy, qui s’était lavé les cheveux et avait des vêtements propres, la rousse baissa légèrement sa lame, mais ce n’est pas pour autant qu’elle se relâcha, l’âge n’était en rien un gage d’innocence dans ce bas monde, très loin de là : « Qui es-tu ? » C’était à l’intruse de parler donner son nom en première.

« J'dois t'rappeler qui est l'espèce dominante ? »

Zelda se fend d'un léger sourire en observant ce rongeur un peu trop insistant. Un petit coup de pied suffit à le dégager de la marche et elle tire une nouvelle bouffée sur cette cigarette improvisée. C'est loin d'être aussi plaisant qu'un joint. Le tabac est bien trop sec, semblable à de la poussière. Mais ça l'occupe...

Elles ont marché toute la journée, Kassy et elle. Et pourtant, malgré ses jambes fatiguées, elle ne parvient pas à trouver le sommeil. Son amie dort à l'étage, dans un appartement abandonné avec une porte en bon état. Et Zelda patiente en guettant l'arrivée du marchand de sable qui, dirait-on, l'a oublié lors de sa première tournée. Les bras de l'américaine lui manquent déjà et quitte à devoir attendre, autant que ce soit dedans.

Alors elle écrase sa clope d'un coup de talon, se relève puis s'accroupit à nouveau quand elle croit entendre des bruits de pas provenant de l'étage supérieur. Ils témoignent de la présence de quelqu'un. Probablement vivante si elle se fie à leur rythme régulier et à l'absence de grognements caractéristiques. Super... Entre les morts et les vivants, ce sont incontestablement les seconds les plus dangereux. et Zelda se serait bien passée de ce genre de rencontre à une heure aussi tardive.

Sa main se porte presque naturellement à son arme. Elle la dégage de son holster et se contente d'attendre. Puis elle décide de rejoindre le toit pour avoir le fin mot de l'histoire. L'autre ne tarde pas à faire son apparition dans son camp de vision. L'australienne est un brin surprise quand l'inconnue lui demande de se montrer. Elle pensait que l'obscurité la camouflait davantage. Ce qui la rassure, c'est que l'autre ne semble armée que d'un couteau. Enfin plutôt une grosse épée. L'adolescente a donc l'avantage. Et c'est pour cette raison qu'elle fait un pas en avant pour se dévoiler davantage dans la clarté de la nuit.

L'autre la questionne et lui demande qui elle est. « Qu'est-ce que ça peut t'foutre, hein ? » rétorque-t-elle presque aussitôt. Les présentations, c'est sympa. Mais on ne peut pas vraiment dire que ce soit très utile... « On a qu'à dire que j'suis la fille qui tient l'flingue ? » propose-t-elle avec lassitude. Pas besoin de connaître leurs prénoms respectifs pour comprendre qui est la dominante et qui se retrouve dans le rôle de la dominée.

Zelda baisse le regard sur l'arme de l'autre et lâche un petit soupir blasé. « Y'a quand même un truc bizarre avec vous, les gueux... C'est qu'vous avez jamais une arme à portée d'main ! » Milow l'avait dans son sac à dos. Cette femme, pour peu qu'elle en possède une, ne semble pas l'avoir directement à portée. « Une vraie arme, hein, j'veux dire... » Les lames, c'est sympa contre les rôdeurs. Mais les flingues, c'est largement mieux contre les vivants.

« Enfin bref... » soupire-t-elle. Ce n'est pas le moment de refaire le monde. Ni l'endroit, d'ailleurs. Il y a tout de même plus accueillant qu'une cage d'escaliers... « J'imagine qu'tu connais la coutume ? » questionne-t-elle dans la foulée en la désignant d'un geste du menton. « Tu poses tes armes, tu me files tes affaires et tu pries pour que j'sois dans un bon jour ! » Elle ne compte pas l'abattre. En fait elle préférerait économiser une balle et éviter d'attirer les attentions des morts et des survivants qui peuvent arpenter les environs. Non, ce n'est pas vraiment de l'altruisme. « Oh et tant qu'à faire explique-moi aussi pourquoi tu t'balades avec une longue vue, tiens ! Ca m'intéresse ! » Elle comptait espionner qui ? Ou quoi ?

Lucy laissa un très léger sourire se dessiner sur son visage, elle regarda avec intensité la jeune femme, sans un mot, sans une provocation même. Elle ne se serait pas attendu à se faire attaquer de la sorte de façon aussi soudaine par la jeune femme… Mais en même temps, elle avait du mal à la prendre au sérieux avec son accent, sa carrure et aussi cet air sur le visage. Simplement légèrement amusée par le ton hautain et arrogant de l’adolescente. En dépit de toutes les bravades et des menaces qu’elle faisait à Lucy, celle-ci ne se sentait pas en danger pour le moment. « Et bien. » Ce fut la seule réponse de la rousse alors qu’elle rengainait son épée, un pistolet, pourquoi faire ? Il y avait une liste longue comme le bras d’arguments qui allaient à l’encore de l’utilisation d’une arme à feu aux yeux bleus de Lucy.

Calmement, la rousse se détourna pour observer sa lunette astronomique, la jeune femme avait commis une erreur dans sa menace, elle avait fait preuve d’intérêt et de curiosité. Elle avait déjà vécu des braquages, des agressions et même pire… elle savait à quoi ressemblait quelqu’un qui en voulait à sa vie et cette adolescente ne semblait pas réellement vouloir la tuer. Après, elle pouvait se tromper, mais Lucy se contenta de rabattre sa capuche avant de finalement tourner franchement le dos à la jeune femme et désigner la scène devant elle, ne répondant pas à sa question: « Tu peux me menacer avec ton arme, voir même me tuer, mais tu n’auras jamais la réponse j’imagine. »

Puis, sur un sourire de coin, elle retourna à ses occupations, s’éloignant de l’ado : « Si tu veux bien m’excuser, j’aimerai régler mon télescope en paix. » Attentive néanmoins aux mouvements de l’autre, d’un œil discret, Lucy recommença à chercher la position d’une formation astronomique : « Ce soir, les conditions sont idéales pour observer les piliers de la création, c’est une nébuleuse à la forme particulière. » D’un air parfaitement détendu, comme si elle n’avait pas une adolescente béliqueuse à quelques mètres d’elle, Lucy faisait finalement la conversation, au pire… mourir sous les étoiles, sous un tel ciel, il y avait pire… non ?

« Ouais... »

Effectivement, elle n'obtiendrait jamais la réponse à sa question. Mais à quel moment cette inconnue s'est-elle mis en tête que ça représentait un véritable obstacle ? « J'me demande comment j'ferais pour vivre sans une information aussi capitale... » ironise-t-elle tandis qu'elle s'approprie davantage l'espace du toit. De son toit. Celui que la rouquine est en train de squatter. L'australienne est encore tombée sur l'originale du coin, c'est ça ?

Zelda arque un sourcil lorsqu'elle voit la femme se retourner et poursuivre son observation des cieux avec ce qui se révèle finalement être un télescope. Ses pensées s'envolent un instant vers Max. Il aimerait beaucoup avoir un appareil du genre, lui. Et quelque part elle aimerait bien lui ramener celui-ci. Seulement l'adolescent n'a pas été particulièrement sage ces derniers temps. Spécialement avant son départ pour cette expédition qui n'a de cesse de se prolonger. Et puis elle s'imagine mal se trimballer un truc aussi encombrant jusqu'à Fort Ward...

« Tu m'en diras tant... » soupire-t-elle alors que l'autre évoque une nébuleuse avec un drôle de nom. Visiblement l'autre n'a pas compris qu'elle est dans la merde et s'octroie un luxe bien trop déraisonnable : ignorer une adolescente armée. « Mais t'as tellement la tête dans les étoiles que t'oublies d'garder les pieds sur terre, là ! » Ce qui devrait la préoccuper ce n'est pas des espèces de bulles de gaz qui brillent à des milliards de kilomètres mais plutôt le canon froid de ce Glock 17 pointé sur elle, à quelques mètres de là.

Cela dit l'australienne comprend aisément le problème. Elle ne doit pas sembler bien crédible aux yeux de l'inconnue. « J'vois l'truc... Tu te dis que j'suis trop jeune ou trop mignonne pour vraiment mettre mes menaces à exécution, c'est ça ? » La voici qui lève son pouce pour armer le chien de son flingue, provoquant au passage un cliquetis métallique caractéristique. « Va falloir que j'me montre plus convaincante ! » Et elle le sera ! Car ce qu'elle déteste encore plus que la perspective de devoir aller réveiller Kassy pour devoir fuir les lieux après un coup de feu, c'est encore l'idée qu'on puisse ne pas la prendre au sérieux...

« À trois je t'explose le genou ! » annonce-t-elle simplement. L'autre croit qu'elle bluffe ? Elle risque d'avoir une mauvaise surprise. « Un ! » Le genou droite ou gauche ? L'australienne hésite un peu. « Deux ! » Va pour celui de gauche. L'adolescente glisse sa seconde paume sous la crosse de son arme pour gagner en précision et abaisse le canon en direction de la jambe de l'inconnu. Elle ouvre alors la bouche pour prononcer le chiffre trois. Si l'autre veut éviter de se retrouver avec une rotule en miettes, c'est le moment de se manifester...

La jeune se rapprochait d’elle, bien, de cette façon, Lucy pouvait mieux voir son visage, noter des traits caractéristiques. Gravant cela dans sa mémoire, elle pourrait après demander à Otis de dresser un portrait robot de sa braqueuse et déposer une prime sur elle au NML : « Je pense surtout que tu manques d’esprit pratique. » En réponse à la jeune femme, qui amorçait le trois du coin de ses lèvres. Au moins, ça eu le mérite d’interrompre son décompte. Lucy savait qu’elle jouait à un jeu dangereux, mais elle ne voyait pas dans ce pistolet et dans cette adolescente, la peur indiscible d’un violeur puant, lui explosant le visage contre une table… Cette rencontre de novembre l’avait décidément endurcie, aussi Lucy décida de continuer à jouer. Leva doucement les mains, dans un signe qui ressemblait fort à de la réédition :

« Tu aurais pu me le demander correctement et là, j’aurai peut-être accepté de te donner de la nourriture. Ou alors, tu m’aurais agressée directement, sans me menacer et tout me prendre, là tu hésites, tu pialles, tu comptes, tu repousses le moment. Donc soit ton arme est vide, soit tu as peur. » Voilà qui était claire, alors que Lucy se levait finalement pour prendre son sac à dos et ouvrir doucement la fermeture éclaire. Dans ce qui semblait être une tentative d’apaisement :

« Mais si tu tiens tant à ma nourriture, va donc le chercher. » Lucy s’approcha du bord de l’immeuble, déposant du pain, une pomme et un peu de viande séchée, avant de tout balayer et de les envoyer voler aux quatre vents. Elle n’aimait pas qu’on la menace et si la jeune femme voulait la priver de sa nourriture, alors aucune des deux ne l’auraient. « Oups. »

L’autre semblait avoir bien plus besoin de manger qu’elle, Lucy se contenterait de rentrer plus tôt, elle reviendrait un jour pour regarder le ciel. Toujours de sa voix calme, elle dit, non sans un air amusé : « Trois du coup ? Je crois que tu n’as pas compris, tu n’obtiendras rien de moi sous la menace et l’intimidation. » La peur de la mort et des blessures, elle la ressentait évidement, mais elle était désireuse de ne jamais plus montrer sa peur et sa détresse, cette fille n’était pas digne de la voir paniquer ou supplier. Elle n’était pas assez effrayante et menaçante pour ça.

« Allons bon... »

Elle fait comme si tout ceci était habituel pour elle, Zelda. Elle se donne des airs de tueuse, essaie d'intimider son adversaire. Mais au fond, elle reste une gamine qui pointe une arme sur une femme plus ou moins désarmée. Appuyer sur une détente, ça n'a rien de bien facile. Le problème ce n'est pas l'acte en lui-même mais ses conséquences. Les cauchemars, les souvenirs, les éventuels remords... Toutes ces choses qui continuent à faire vivre une victime dans vos pensées.

Car oui, l'adolescente a déjà tué. Et elle n'est pas particulièrement pressée de réitérer l'expérience. Alors quand l'autre lui indique qu'elle manque d'esprit pratique, Zelda n'est pas seulement offusquée. Elle est également soulagée. Alors elle ne prononce pas ce troisième chiffre et octroie un délai à cette inconnue. Le tout en gardant la face.

L'intéressée, donc, fustige son hésitation. Elle la met sur le compte de la peur ou de l'absence de balles. Zelda arque un sourcil, dubitative. « Tu manques clairement d'imagination... » Et c'est une tare que trop d'adultes possèdent, selon elle. L'idée qu'elle ne soit tout simplement pas pressée de faire couler le sang ne l'a-t-elle pas égratignée ?

Mais la rouquine commence à ouvrir son sac. Elle se remémore Milow et l'arme qu'il a sortie lors d'une entreprise similaire. Cette fois, elle ne se laissera pas avoir ! Mais non, l'autre sort de la nourriture qui lui fait immédiatement monter l'eau à la bouche. L'australienne doit faire des efforts démesurés pour ne se focaliser dessus. Mais son regard est obstinément attiré par cette pomme, ce morceau de pain et ce qui semble être de la viande séchée. « Tu vois, c'était pas si comp.... Eh ! » C'est trop tard. La nourriture vient déjà de disparaître par dessus le rebord du toit.

Elle pose un regard d'incompréhension sur la rouquine. Cette dernière s'octroie le luxe de la narguer, lui demande si c'est l'heure de prononcer ce fameux trois qu'elle semble attendre avec impatience. Un estomac vide pousse les gens à agir par instinct. Souvent avec violence. Ceux qui sont encore vivants pour témoigner de l'épidémie s'en rappellent. Il y a un bruit assourdissant, une odeur de poudre puis de chaire brûlée et l'adolescente se rend compte qu'elle vient d'appuyer sur la détente.

Pendant quelques infimes secondes, elle a l'impression d'être imperméable au monde qui l'entoure. Elle ne sait même pas si la femme a crié lorsque la balle s'est logée dans sa cuisse. L'adolescente observe son arme comme si elle la découvrait pour la première fois. « Trois... » confirme-t-elle d'une voix éteinte. Et puis elle se force à détacher son regard de la plaie et lâche un juron tandis que ses pensées s'ordonnent à nouveau.

Elle a fait du bruit. C'était débile. Elle aurait tout aussi bien pu aller récupérer la nourriture en bas de l'immeuble. Mais maintenant elle va devoir retrouver Kassy pour fuir les lieux. Et cette rouquine... ? Zelda reporte son attention sur elle et hésite. « J't'avais prévenue, putain ! T'étais obligée d'faire un truc aussi con ?! » s'emporte-t-elle, préférant peut-être reporter la faute sur sa victime que sur elle-même. Oui, c'est elle qui l'a obligée à agir ainsi.

L'australienne se passe nerveusement une main dans les cheveux, ne sachant pas vraiment ce qu'il convient de faire. Elle commence à arpenter la largeur du toit en essayant de trouver une solution, quelque chose qui l'empêcherait de vivre avec l'idée d'avoir abandonné une femme sur un toit après lui avoir explosé la jambe...

Un plaid bien chaud, les bras de cette fille qui l’accompagne désormais depuis bientôt deux mois. C’est son confort à elle, désormais. Quelque chose de bien plus rudimentaire et moins convenable que tout ce qu’elle a toujours connu, mais pile ce qu’il lui faut pour se sentir bien. Kassandra a été la première à fermer les yeux ce soir. La journée a été affreusement longue et fatigante, en tout cas autant que les précédentes. Parcourir les rues dangereuses de Seattle en trainant les pieds est devenu une habitude à laquelle elle s’est habituée... ce qui ne rend pas pour autant les choses plus ennuyantes qu’elles le sont.

Le marchand de sable passé, Kassandra se permet de rêver. Ce soir, il est surtout question d’un gigantesque château, un manoir, un énorme bâtiment dont elle n’a pas vu l’extérieur mais que Zelda et Kassandra arpentent depuis de longues minutes qu’elles ne voient pas défiler... Déclenchant le robinet d’une gigantesque baignoire luxueuse après avoir planté les mains dans un gigantesque buffet qui est bien plus grand que tout ce qu’elles n’ont jamais vu... Ça dépasse l’entendement, mais elles n’en font rien et préfèrent se goinfrer et essayer de combler une faim qu’elles ne ressentent pas avec le sourire jusqu’aux oreilles et une joie qu’elles n’ont pas connu depuis bien trop longtemps...

Puis elle se réveille dans un grand sursaut lorsque le son d’une détonation vient lui caresser les tympans. C’est pas le réveil qu’elle aurait aimé avoir, loin de là. Elle se sent un peu enrhumée, elle est dans le brouillard, ses pensées l’empêchent de réfléchir correctement et la fait réagir avec un certain retard. La première chose qu’elle remarque et qui la frappe, c’est l’absence de présence à ses côtés. La partie gauche du lit est vide, elle ne devrait pas l’être. « Putain. »

Quelque chose est arrivé, quelque chose de grave. Et Zelda est impliquée. C’est ce premier détail associé au coup de feu qui l’a réveillée qui la pousse à se redresser et à se jeter sur l’arme qu’elle dissimule chaque soir sous son oreiller. Elle se débarrasse de son plaid qu’elle laisse tomber sur le parquet grinçant et se rue vers la porte de l’appartement pour rejoindre le toit, à l’étage juste au-dessus du sien. L’arme bien en main, elle ressent soudainement une vague de sueur accompagnée d’une crise tachycardie improvisée et de maux de ventre qui lui sont bien naturels. Causés par la peur de l’inévitable, de choses auxquels elle s’attend sans oser l’imaginer. Zelda en sang, Zelda sans vie.

Pourquoi est-ce qu’elle aurait tiré sur le toit ? Pourquoi est-ce qu’elle aurait tiré tout court ? Est-ce qu’elle est seule, est-ce qu’elle ne l’est pas ? Les questions s’empilent, se multiplient mais elle n’essaie pas d’y répondre. Tout ce qu’elle fait, c’est escalader les escaliers qui la mènent sur le toit avec la peur au ventre et l’entièreté de son corps qui tremble.

Puis elle arrive sur les lieux. La première chose qu’elle voit, c’est l’australienne. Levée, saine et sauve, en vie. Bien loin de ces images dont sa tête était en train de se remplir. Kassandra a rapidement le réflexe de baisser son arme à sa simple vision, mais la relève automatiquement lorsqu’elle aperçoit quelqu’un d’autre. Une rouquine, une jeune femme. Celle qui a accueillie la balle qui a certainement été tirée par l’adolescente. Ses bas sont tâchés d’un liquide rougeâtre qu’elles savent toutes les deux identifier... « Z-Zelda... ? » Elle bégaie, elle a toujours un peu la tête ailleurs mais est désormais consciente et des plus lucides. Sa main libre vient retrouver sa poitrine qu’elle tapote avec insistance comme pour essayer de se calmer... mais c’est pas possible. Son arme retrouve sa place initiale.

« Qu’est-ce... » Son regard se détourne plutôt vers l’inconnue qui est en train de se vider de son sang, à quelques mètres de là. « Qu’est-ce que t’as foutu... ? » Elle a la voix tremblante. Elle pensait que le pire aurait été de découvrir Zelda au bord de la mort, mais il n’en est rien. « Qu’est-ce que t’as fait... ? »

Elles sont seules, elles semblent l’être. Elle fait une croix sur toutes ces règles de sécurité futiles qu’on lui a apprises et s’approche de la victime sans s’annoncer, s’agenouillant à ses côtés et prenant la situation comme le ferait n’importe quel médecin... sauf qu’elle n’en a pas les capacités. « Elle... elle est désolée, on est désolées. » Elle est touchée au niveau de la cuisse, le trou qu’elle y trouve et les saignements qui viennent changer la couleur de ses fringues et tâcher ses mains le prouvent. « Zelda... ? » Les cours de premier secours... Ses doigts tremblent, elle est aussi perdue que terrorisée mais elle a le réflexe d’enlever rapidement sa ceinture pour l’enrouler en hauteur sur sa cuisse. « Zelda, ramène ton putain d’cul ! » Moins calme, tout aussi tremblante mais plus énervée. Elle peut pas s’en sortir toute seule, elle y connait rien. « J’sais pas comment faire, j’y connais que dalle... » L'inconnue est la seule à l'entendre pendant qu'elle marmonne dans ses dents. Mais elle essaie quand même.