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Re: Sidus

Dim 19 Sep 2021 - 17:43

Combien de temps avant que le sommeil me gagne? Et chaque fois, le visage d’Hazel, le sang sur son abdomen, le sursaut du réveil, la fissure en face de moi, sur le mur, que je fixe longuement pour replonger dans cet entre-deux cathatonique. Parfois une larme, qui glisse le long de ma tempe pour terminer sa course sur le drap poussiéreux à l’odeur douteuse. Je ne prends pas la peine de les effacer, tente de visualiser le chemin humide que l’eau salée laisse sur mon visage sale, avant de retrouver les bras de Morphée. Mais il ne me protège guère des cauchemars et des visions et plus les heures défilent, plus je sens dans un étrange paradoxe la fatigue s’accroître.
Je sens la présence de mon amie derrière moi mais jamais je ne me retourne pour lui faire face. Je refuse cette réalité, opte pour le déni, au moins quelques heures encore. Juste quelques heures. Pourquoi faut-il être prisonnière de ce genre de choix? Pourquoi dois-je perdre une soeur pour gagner une moitié? Pourquoi, pour une fois, Charlie ne pourrait pas avoir plus alors que la vie m’a déjà tant volé, si peu donné? Je fronce les sourcils, trop spectatrice de mon propre cas, pensant à moi comme si j’étais autre. Je dois raccrocher les wagons. Le passé m’a prouvé qu’il était dangereux pour moi de me dissocier autant.

Je finis par me redresser, à une heure tardive ou trop matinale, je ne sais pas vraiment. Apple s’est assoupie et je me rapproche sans bruit, écartant une mèche sombre masquant les traits de son visage. Elle n’a rien de ces beautés des magazines. Rien de cette perfection. Pourtant, parce que je sais ce qu’il y a au fond d’elle, ce qui la remue, ce qui fait écho chez moi, je la trouve magnifique. Me penchant, mes lèvres effleurent son front et je m’éloigne pour ne pas la réveiller. Elle mérite aussi un peu de repos, quoi qu’elle en pense. Il lui faudra des forces. Si je veux être une alliée pour elle, j’ai conscience que je serais davantage un poids qu’elle devra traîner, autant de temps qu’elle le supportera.

Retournant dans mon coin, je me recroqueville à nouveau en chien de fusil, les genoux proches de mon ventre et me perds à nouveau dans cette lézarde, attendant que mes paupières soient trop lourdes pour les tenir ouvertes.

La voix de la brune me tire d’un sommeil léger. Si je me suis assoupie, le sommeil dont j’ai profité par-ci par-là n’a eu rien de réparateur et quand je me redresse je sens les muscles me tirer et mes yeux me piquer. “Je viens avec toi!” Et ma voix ressemble à celle d’un enfant qui aurait peur que sa mère ne revienne pas le chercher. Elle a promis de ne pas me laisser et si j’ai envie de croire en sa parole, je ne veux lui laisser aucune chance de prendre la poudre d’escampette. Elle m’aime aussi. Je l’ai entendu hier soir, dans ce murmure audible par le silence pesant qui plane sur cette maison, qui entoure le périmètre et confère à cet endroit des allures de ville fantôme. Nul doute que déjà trop nous poursuivent.

Récupérant mon sac, et le couteau forgé par Kara que je sangle sur le côté de ma cuisse, dans son étui, je prends l’un des seaux et ne lui laisse pas vraiment le choix. On fonctionne à deux maintenant. Pour ça aussi. Une équipe. Je n’ai même pas mangé les graines et le fruit que je m’étais gardé, mais mon estomac refuse d’avaler quoi que ce soit pour le moment. “Je te laisse plus toute seule. Plus maintenant.”
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Re: Sidus

Lun 20 Sep 2021 - 1:05

Un sourire fendit le visage fatigué de la trentenaire. Elle ne protesterait pas, au contraire. Depuis la veille, elle avait le ventre noué à l’idée que Charlie ne la déteste. La nuit aurait pu lui faire révéler tout ce qu’elle avait perdu par sa faute, y compris une demi-ration de nourriture qu’Apple avait fini par engloutir. Mais non. Sa cadette était là, à ses côtés. Prête. La community manager se risqua donc à ouvrir la porte, jeta un œil à l’intérieur, et puisqu’il n’y avait rien ni personne, elle sortit…

Le trajet n’était pas long mais dans l’ombre d’une nuit inachevée, il n’était pas rassurant. Elles durent contourner la maison, traverser la plage et atteindre le rivage. L’aînée ne quitta pas ses rangers en cuir usé pour s’immerger jusqu’aux chevilles. Si elle se faisait surprendre, elle voulait être en mesure de s’enfuir sans se retrouver pieds-nus. Prudence élémentaire de la vie en solitaire. Apple remplit donc son seau d’eau et attendit que sa complice face de même.

- Viens, on rentre.

Avec ça, elles pourront se faire un brin de toilette à l’abri des regards. Leurs deux silhouettes de mouvèrent silencieusement dans les ténèbres pour regarder leur habitat. Prudente – ou un brin paranoïaque – la community manager rebloqua la porte et se refusa à ouvrir les volets. Elle s’isola ensuite pour enfin se décrasser. Au prix de longues minutes à se frotter, elle put se défaire du sang séché qui lui collait à la peau et de la sensation poisseuse de la sueur accumulée en couche de crasse. Ses parties intimes aussi eurent droit à une toilette raisonnable.

S’il n’y avait pas de savon pour se sentir vraiment propre, la sensation de frais était largement appréciable. Apple enfila ensuite des sous-vêtements de rechange, un tee-shirt « Def Leppard » trouvé dans les placards de la maison, et remit son jean sale. Il était taché de sang notamment, puait la mort et se trouvait encore mouillé au chevilles, mais elle n’avait rien de mieux.

- Charlie ?! En quittant la sale d’eau dans laquelle elle s’était enfermée pour ses ablutions, Apple eut la crainte irrationnelle que son amie soit partie – mais elle était là, je vais… je vais essayer de dormir une heure ou deux. Tu… tu me réveilles, d’accord ? Ensuite, on partira chercher à manger toutes les deux. Et ce soir, on aura quitter la ville, et leurs ennuis, leurs passés, leurs erreurs, seront abandonnés sur place. Elles n’auront plus de boulet au pied, elles seront libres…
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Re: Sidus

Lun 20 Sep 2021 - 19:23

Le seau rempli trop lourd pour ma force de mouche m’oblige à me traîner, le dos tordu, sur le chemin du retour. Je ne peux nier pourtant que la perspective de se décrasser a rarement paru si bienfaitrice. Laissant la salle de bains à Apple, je me contente du salon, là où j’ai passé la nuit, retirant mon t-shirt pour m’en servir de gant et retirer la poussière, la sueur et les quelques traces de sang incrustées sur ma peau. La fraîcheur est salvatrice et si je ne peux effacer la noirceur que je sens prendre le pas sur le reste, là, à l’intérieur, je peux au moins nettoyer ce qui est visible. Relevant ma tignasse dans un chignon informe dont s’échappe de nombreuses mèches rebelles, mes mains plongent dans l’eau pour mieux frictionner mon visage, ma gorge et ma nuque. Les yeux fermés, je savoure l’instant pour ce qu’il est, me rappelant sans chercher à trouver de lien les paroles du père Matthews sur le baptême. J’aurais parfois aimé que Dieu me marque de son empreinte, au lieu de quoi, j’ai plus la sensation que le Diable m’a caressé du revers de sa main.

Entendant mon amie revenir, je prends l’un des derniers t-shirts propres qu’il me reste et m’en couvre le haut du corps au moment où la brune revient. Acquiesçant à ses mots, je n’épilogue pas davantage, baissant le visage vers le sol. Quitter la ville. Partir. Sans savoir si Hazel est vivante, sans pouvoir prendre le risque d’aller chercher l’information. La décision me tord les entrailles mais je n’ai pas le choix. Nous n’avons pas le choix.

Soulevant le seau pour la caler dans un coin où je ne risquerai pas de donner un coup dedans, je reste un long moment là, à tenter de ne penser à rien, jusqu’à ce que mes yeux se posent à nouveau sur la jeune femme. Combien de temps lui faut-il pour sombrer? Je ne saurai dire, mais dès que je vois sa poitrine se soulever à un rythme régulier et sa respiration devenir plus profonde, je sors de mon sac mon carnet de croquis et les quelques crayons restants. Le gros de mon matériel est resté à Sanctuary Point et nul doute qu’il me manquera.

Prenant place en tailleurs non loin d’Apple, je me mets à l’observer plus attentivement, commençant à laisser glisser le carbone sur la feuille. Je ne l’ai jamais immortalisé. Parce que je devais préserver son anonymat et que personne ne sache ce qu’elle m’avait fait. Après… par peur de la voir s’éclipser et qu’il ne me reste d’elle que ça. Un portrait figé sur un format A4.
Mon regard dévie sur elle puis sur la feuille dans des allers-retours constants. Elle a presque l’air paisible maintenant. Presque. Pour les esprits comme les nôtres, la paix est un luxe inaccessible. Il y a toujours une pensée sombre, une envie dévorante et non acceptable, un besoin impérieux immoral. J’accélère, accentue certaines ombres, joue avec les rais de lumières qui ne sont pas filtrés par les volets et éclairent sa pommette. De longues minutes durant, mon monde se résume aux traits de son visage.

Une expiration, un souffle pour faire s’envoler le surplus de carbone et je pose la feuille à ses côtés, me relevant pour aller explorer le reste de la maison. Une chambre, puis deux, je récupère quelques vêtements, évidemment trop grands mais qui ne seront pas de trop. Pas d’armes, pas de munitions, pas de conserves laissés et avec lesquelles on aurait pu jouer sur les dates de péremption. Il y a eu une vie ici, il y a longtemps, mais comme tout le reste elle est ensevelie sur plusieurs centimètres de poussière et de moisissure. Dans la salle de bains, un tube de rouge à lèvres écarlate, ou comme l’aurait dit Jane, le rouge catin. En revenant dans le couloir, je pénètre en face dans la chambre parentale. Dans une penderie, de nombreux albums photos et des vidéos sur cassettes. En tailleurs, je commence à les feuilleter, me nourrissant de façon malsaine et voyeuriste de ce fantasme familial qui a bercé toute ma vie.

J’oublie le temps, j’oublie de réveiller Apple. De toute façon elle a besoin de repos et le soleil est encore haut dans le ciel.






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Re: Sidus

Mer 22 Sep 2021 - 10:28

Lorsqu’Apple rouvrit les yeux, elle sentit que quelque chose n’allait pas. Elle était… reposée. Plus que d’ordinaire. Le temps que ses pensées se remettent en place, elle se redressa d’un bond. Charlie ne l’avait pas réveillée ! Par les interstices entre les volets qu’elle n’avait pas daigné ouvrir plus tôt, une lueur orangée filtrait dans l’habitation altérée par leur présence. C’était déjà le crépuscule, alors que le jour se levait à peine quand elle s’était couchée.

- Charlie ?!

La trentenaire l’appela avec force, un brin de panique dans la voix. Pourquoi son amie ne l’avait pas écoutée ? Était-elle partie ? Avait-elle eu des problèmes ? S’était-elle… Apple trembla. Dans un coin de son crâne, la réminiscence du suicide de son frère s’alluma comme une mauvaise pellicule de film ancien. Le son du coup de feu, qui laissait présager le pire, résonna avec force dans sa tête torturée.

En voulant prendre appuie pour se relever, la main de la community manager écrasa une feuille de papier. Ses prunelles ternes se posèrent dessus. Un dessin. Un dessin d’elle-même, endormie. Elle s’était figée pour le découvrir, émue. Depuis le temps qu’elle survivait, c’était la première fois que quelqu’un avait une telle attention pour elle. Ce n’était pas à manger, ce n’était pas une arme, ce n’était pas des médicaments. Mais c’était précieux – très précieux.

Charlie finit par arriver alors et Apple oublia qu’elle aurait pu être énervée. Elle fut soulagée de la voir et… prise d’un élan d’affection qu’elle ne saurait concrétiser en mots. Ils se bousculaient dans sa tête et elle avait passé trop d’année seule pour avoir conservé le peu de talent sociaux qu’elle avait avant. Elle adorait cette jeune femme, plus que tout. La trentenaire ne réussit qu’à bafouiller un « merci » et à soigneusement plier le dessin pour le mettre dans une poche de son sac – elle ne s’en séparerait jamais ! Il y avait plein de choses qu’elle voulait lui demander : échanger sur les dons de dessinatrices de sa cadette par exemple. Mais… une obsession revenait à la charge et occultait tout le reste.

- Il faut qu’on trouve à manger…, amena-t-elle ensuite doucement, avant qu’il fasse nuit.

*

Retourner à The Store se fit avec un soupçon d’appréhension. Il y avait beaucoup de monde comparé au reste de la ville, mais de ce va-et-vient, elles pourraient tirer profit. Encore sur le parking, sous la lumière d’un jour à l’agonie, Apple se pinça les lèvres et rappela son plan à sa complice, inspiré de sa dernière victime en date.  

- Tu vas te cacher dans les toilettes, je te montrerai lesquelles. Je vais y faire venir un gars, qui pensera pouvoir me… qui pensera que je coucherai avec lui, pour de la nourriture, serait-elle réellement capable de le faire ? Heureusement, elle n’avait pas à répondre à cette question aujourd’hui, quand on sera là, tu sors de ta cachette en le menaçant, on récupère le « paiement » et on s’en va. C’est ok ? Sur le papier, ça avait l’air simple.
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Re: Sidus

Mer 22 Sep 2021 - 19:05

Face à mon amie, je me contente d’un haussement d’épaules et d’un sourire en coin discret. Ce n’est qu’une représentation réaliste d’un moment volé où les soucis ne semblent pas ternir ses traits. J’aimerais lui dire qu’il y en aura d’autres, des représentations de ma vision d’elle, de ce qu’elle nourrit chez moi et pas seulement l’image renvoyée aux autres qui la jugent sans la connaître. Ceux dont la bien pensance incite au rejet sans autre forme de procès. J’aimerais lui dire qu’elle ne se réduit pas à l’opinion que la masse grouillante se fait de sa personne. Mais le pragmatisme souffle le sentimentalisme et je me contente d’acquiescer. Je connais son rapport à la nourriture et ce que le manque peut provoquer chez elle. Je ne doute pas de ses intentions me concernant mais il y a parfois des forces que l’on ne peut maîtriser.

The Store.
C’est risqué. Personne n’a pu avoir le temps d’avoir notre description ou de savoir ce qui s’est passé la veille mais c’est une prise de risques dont je me serais bien passé. Je suis une suiveuse et Apple est habituée à la survie en solitaire. Je ne conteste ni son autorité, ni ses décisions. Je me mords la lèvre inférieure seulement parce qu’il existe une alternative moins brutale et qui nous mettra moins en danger. “Je peux le faire” que j’avoue timidement en relevant mes yeux chocolat dans les siens. “Coucher avec lui contre de la nourriture.” Je sais que tout le monde pense que c’est rabaissant, que ça me réduit au statut de vulgaire prostitué mais… "Ça ne changera pas beaucoup de mes expériences passées tu sais. J’aimais pas ça non plus avec mon ex copain. Je me contentais de penser à autre chose pendant qu’il faisait son affaire. Et je suis plutôt douée pour leur faire croire que j’aime ça.” Je ne parle jamais de mon absence de désir et/ou de plaisir, parce que je sais que ce n’est pas la norme acceptable et qu’avant, on aurait voulu analyser mes tares. Mais tout ça n’a plus de sens aujourd’hui et la brune n’est pas en capacité de me juger, je ne crois pas qu’elle en ait l’envie de toute façon.

Mon ton est calme, détaché, loin des traumatismes que ce genre d’actes odieux peut nourrir chez les femmes. Peut-être n’ont-elles pas la faculté de scinder leur esprit en deux pour se détacher de la réalité. Ce n’est qu’un moment à passer, ni heureux, ni douloureux. C’est un vide tout simplement. Un parmi tant d’autres. "Ça ne me dérange pas” que j’affirme une nouvelle fois en haussant les épaules. Je ne suis pas une période propice à la fécondation et l’expérience ne m’empêchera pas de dormir cette nuit, surtout le ventre plein.
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Re: Sidus

Sam 25 Sep 2021 - 15:32

La proposition de Charlie lui glaça le sang. Elle accepterait de coucher pour qu’elles aient à manger ? La trentenaire ouvrit la bouche, la contemplant avec des yeux de poissons hors de l’eau. Elle se dégoutait. Pendant une fraction de fraction, elle avait songé à accepter. C’était horrible, ce que la faim l’obligeait à envisager. Apple secoua finalement la tête en affirmant :

- Hors de question. On va lui casser la gueule plutôt.

Elle n’avait pas su empêcher la colère de teinter sa voix. La community manager se sentait déjà enragée, comme si la cible qu’elle n’avait même pas encore défini avait déjà touché sa complice ; comme si cette dernière avait déjà eu à s’allonger. Elle allait faire payer un crime que l’homme n’avait pas commis. L’idée de départ était de le voler, Apple comptait maintenant lui fracasser la mâchoire.

Quelques minutes plus tard, elle plan commençait à s’exécuter. La trentenaire avait montré à sa cadette les sanitaires desquels la gamine était sortie l’avant-veille, puis elle avait commencé à arpenter les allures lugubres du centre commercial. Ici et là, il y avait des échos de voix, quelques exclamations, des rires parfois. Les gens vivaient, troquaient, s’affairaient. Elle était une intruse dans leur monde, elle le sentait. Un parasite, un virus. Mais elle voulait simplement vivre.

Dans ce qui était autrefois une enseigne de prêt-à-porter, un homme était occupé à triturer un vieux réchaud au gaz. Apple crut le reconnaître, il ressemblait à celui qui avait payé la fille de l’autre fois en tout cas. Son rythme cardiaque accéléra, un frisson courut sur la peau nue de ses bras. Elle fit un pas, un autre pas. Que dire ? Comment faire ? Elle ne savait ni aguicher, ni flirter, et simplement poser les yeux sur la face barbue du survivant lui donnait encore de le frapper.

- Tu… tu veux venir avec moi ? L’appela-t-elle maladroitement.
- Hum ? T’es qui ? Pour quoi faire ?
- Pour, euh… je cherche à manger.
- … et ?

Il leva enfin ses prunelles noires sur elle. La community manager fut décryptée de la tête au pieds, puis inversement. Jean rapiécée, débardeur taché de sang, ses cheveux vaguement attachée, elle n’avait rien de vraiment sensuel – rien du tout. Mais à cette époque, les hommes cherchaient simplement un trou, non ? Apple s’éclaircit la gorge pour se montrer plus explicite :

- Tu viens, je baise avec toi et tu me donnes un truc en échange.
- Oh, il laissa échapper un bref ricanement, non merci, j’ai rien pour une pute. Dégage.

La trentenaire resta figée, sans voix. Interdite que ça ne soit pas si simple, énervée d’avoir été insultée. Ses pensées s’égarèrent un instant, que son interlocuteur mis à profit pour enfin allumer son réchaud. Réalisant qu’elle n’était toujours pas partie, il haussa le ton :

- dégage j’t’ai dit !
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Re: Sidus

Dim 26 Sep 2021 - 19:46

Les minutes défilent dans des relents d’urine et d’autres substances dont je préfère ignorer la source, que ce soit olfactivement parlant que visuellement. Il n’y a que le silence pour compagnon ici et je commence à trouver le temps long tandis que je répète le plan dans un coin de ma tête. Je persiste à penser que le mien aurait été moins dangereux. Je ne comprends pas pourquoi les gens font tout à foin du sexe et sacralise la femme et ses besoins dans cet exercice. Il n’y a rien de divin là-dedans, rien de foncièrement bon. Exceptée Erin, je n’ai jamais rien ressenti. Un vide comme un autre pour combler des attentes masculines. J’ai joué ce rôle avec brio pendant bon nombre d’années, et sans rien gagner en retour. Laisser un inconnu le faire pour de la nourriture me semble finalement beaucoup plus sensé, pourtant, vu la réaction de mon amie, ses yeux ronds, je crois que c’est une tare de plus à ajouter au compteur. Je ne suis plus à ça près mais je me convaincs pourtant que je ne suis pas complètement dans le faux. Le sexe n’est finalement que ça, encore plus maintenant. Les gens ont ce besoin incessant et futile de se raccrocher à l’intimité physique sans chercher de connexion plus forte. Je ne désire pas Apple, pas charnellement en tout cas. Jamais je n’aurais envie de la toucher ou d’être touchée par elle. Cependant, le lien qui nous lie est unique, puissant, métaphysique, entier, et ça vaut plus que ces amourettes désuètes que l’on voit partout.

La porte des toilettes finit par s’ouvrir et je retiens ma respiration sans même m’en rendre compte. Je m’attends à entendre le rire graveleux d’un homme qui m’est encore inconnu de visage, le jeu de séduction de mon amie pour l’attirer dans ses filets. Pourtant, mes sourcils se froncent quand un gros boum résonne contre la porte derrière laquelle je suis précisément caché et qu’une voix grave et autoritaire, porté par un énervement qui n’a rien de compliqué à deviner se fait entendre.

“Tu voulais manger? Tu vas manger…” Je grimace quand un mot de quatre lettres injurieux passe ses lèvres. Ce n’est pas le plan et un instant, privée de mon rôle de suiveuse, je ne sais comment réagir. Un nouveau boum, cette fois-ci plus loin, résonne et je sens mon cœur s’affoler dans ma poitrine. Je tends l’oreille, crois reconnaître le bruit d’une boucle de ceinturon que l’on décroche et me dit que ce type aime juste que ce soit brutal et qu’Apple a réussi sa partie du plan. Sauf que j’entends rapidement le bruit caractéristique du cuir qui s’abat sur un corps et un gémissement étouffé qui ne peut appartenir qu’à mon amie. Mes yeux s’ouvrent en grand et, un instant, je reste figée. Je connais bien trop ce bruit mais mon esprit refuse d’aller sur cette pente savonneuse. Les souvenirs ont été refoulés et il y a distorsion, entre des traumatismes passés réels et ce que mon esprit refuse d’admettre. Une seconde attaque tout aussi cinglante que la première et je sors enfin de ma torpeur.

J’ai encore l’effet de surprise. Doucement, je pousse la porte de la cabine et l’homme est dos à moi. Je serre les dents devant le corps de la brune recroquevillée contre le mur face à moi. Je n’ai qu’à sortir ma lame, approcher du type, glisser l’acier sous sa gorge et le tenir en joue, même s’il fait deux fois ma carrure. C’est sans compter la semelle de ma chaussure qui s’écrase sur un débri de verre, attirant l’attention du bourreau sur ma personne. Pris dans son élan de sadisme et par la surprise que ma présence crée, il balance sa ceinture dans ma direction et le cuir s’abat douloureusement sur ma joue, brûlant mes chairs et électrisant toute la moitié gauche de mon visage. Par réflexe, ma main se porte sur ma joue. “Qu’est-ce que tu fous ici toi? Tire-toi, c'est pas tes oignons!” crache-t-il alors que mes yeux remontent sur lui, froids, bien loin de ceux de la petite fille sage et docile que beaucoup connaisse. Loin de celle qui, quelques minutes plus tôt, était prête à se laisser prendre par le bougre contre de la nourriture.

Au moins, ma présence a détourné son attention d' Apple et ma main vient chercher lentement la lame rangée pour le moment dans son étui à ma cuisse.  
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Re: Sidus

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