Ses doigts s’entremêlèrent brièvement avec ceux de Sebastian alors qu’elle échangeait un dernier regard avec lui. S’il avait tenu à l’accompagner jusqu’au No Man’s Land, la grecque n’était pas à l’aise avec l’idée qu’il s’expose ainsi avec la menace qui planait potentiellement sur lui… Et la présence accrue des soldats de New Eden dans les parages la rendait d’autant plus nerveuse. « Sois vigilent. » le pria la jeune femme en s’éloignant pour retrouver la Cage avec la prudence qui la caractérisait.

Les échanges épistolaires avec Alex s’étaient poursuivis et quand la blonde avait sollicité une entrevue avec elle sans vraiment s’étendre sur ses motivations, Elena avait accepté sans hésiter. Compte tenu du climat délétère qui asphyxiait leur groupe en raison des primes posées sur certains de leurs membres et du deuil récent qui frappait Connor, elle tenait à leur manifester son soutien indéfectible. Et si elle pouvait leur venir en aide d’une quelconque façon, elle le ferait. La silhouette camouflée de la jeune femme interrompit le cours de ses pensées, et un sourire s’épingla sur les lèvres de la grecque.

« Merci pour l’invitation ! Puis-je suggérer qu’on se tutoie ? Nos missives me font l’effet qu’on se connait déjà depuis longtemps. » lui déclara la brune avec une franche chaleur. Il était difficile de ne pas succomber au charme candide de son interlocutrice. Celle-ci dégageait en effet une certaine naïveté en plus de faire preuve d’une spontanéité rafraîchissante. « Et ne t’en fais pas, il semble que nous ayons le même type d’escorte. Je soupçonne mon garde du corps de m’épier de loin au cas où l’un de ces sièges décidait subitement de me dévorer. » rit doucement Elena en se moquant gentiment du caractère surprotecteur de son compagnon. « Une bière pour moi. » enchaîna-t-elle sans se départir de la bienveillance qu’elle cultivait pour sa voisine. Cette dernière extirpa en premier lieu une enveloppe de son bagage pour la lui tendre.

« Bien sûr, je n’y manquerai pas. » promit-elle, en mettant la lettre à l’abri dans son sac. Elle en profita pour extirper divers présents que lui avaient confié, à son tour, Sebastian. Elle agita les paquets avec un sourire amusé en les tendant à Alex. « Il m’a aussi chargée d’une mission. C’est pour ses deux frères et il a pensé au bébé également. » Un tendre sourire se dessina sur son visage, confiante quant à l’avenir du trio Brody malgré les différends qu’elle devinait sans en connaître l’étendue. « Félicitations à ce propos ! Fille ou garçon ? » s’intéressa Elena en laissant ses yeux glisser sur le sweat dont l’absence du ventre rebondi trahissait la récente maternité de la jeune femme.

Un sourire plus timide étira ses lèvres quand Alex la remercia pour les lettres qu’elle avait rédigé à l’attention de Connor d’abord, avant de ne les destiner qu’à leur amie commune faute de réponse du sportif… « C’est normal, Connor m’est très cher et j’aurais voulu être en mesure de faire plus. » Des mots alignés sur un bout de papier ne suffiraient pas à soulager l’homme de la peine insupportable qui l’affligeait. Ni sa compassion ni sa pitié, ni même sa prétendue compréhension ne sauraient lui ramener la mère de son fils. « Je suis heureuse de le savoir en d’aussi bonnes mains. » confia-t-elle en adressant un long regard chargée de gratitude à la jeune femme qui occupait manifestement une place de choix dans la vie de son ancien compagnon. Le soutien dont il avait besoin lui était sans aucun doute assuré.

Elle jeta un coup d’œil vers le bar, adressant un sourire à Sebastian au loin. « J’ai cru comprendre que les frères avaient quelques affaires à régler oui. C’est dommage qu’ils ne prennent pas conscience de leur chance… Se retrouver tous les trois maintenant, je crois que tout le monde en rêverait. » Mais la grecque n’avait jamais osé questionner son compagnon sur la nature de ses griefs envers Roman. Elle s’était contentée du résumé succin qu’il avait dressé à son sujet : un gamin immature et impulsif. Si sa confiance en son amant était incontestable, elle mettait un point d’honneur à se faire sa propre opinion sans obstruer son jugement avec des préjugés alimentés par de veilles rancoeurs. « Peut-être parviendrons-nous à les convaincre de mettre de côté leurs orgueils si nous conjuguons nos efforts. » suggéra la brune à son amie.

Les lèvres de la grecque se retroussèrent sur ses dents, riant doucement alors qu’Alex évoquaient les enfants. « C’est une bonne chose qu’Eliott puisse compter sur toi aussi. Entre Connor et toi, il ne manquera pas d’amour, c’est certain. » La présence et l’affection sans limites de son père avaient suffi à compenser l’absence de sa mère la concernant. Eliott ne connaîtrait peut-être pas Joséphine, mais il aurait la chance inestimable d’avoir une Alex Lockwood pour l’accompagner dans chaque étape de sa vie, comme seule une mère saurait le faire.

La trentenaire arqua un sourcil avec curiosité lorsque la régisseuse demanda son aide. « Bien sûr, Alex, tout ce que tu veux. » répondit-elle spontanément. Elle était honnêtement trop heureuse d’avoir l’occasion de lui apporter son soutien quel que soit l’objet de sa requête. Ses sourcils se froncèrent la minute suivante, lorsqu’elle évoqua Connor, pas certaine de savoir où elle voulait en venir. Elle jeta instinctivement un regard dans la direction de son compagnon, comme si le simple fait de rappeler sa proximité passée avec le sportif était une trahison. « Oh euh… Oui, bien sûr. J’ignore si je vais pouvoir t’être d’une grande assistance, il y a… longtemps que lui et moi ne sommes plus ensemble tu sais ? » Si certains sentiments restaient inébranlablement enracinés, la grecque savait que les deux anciens amants avaient changé…

Une amie sincère qui ne l’oublie pas. Le résumé était ce qui se rapprochait le plus de la vérité. Elena était incapable d’oublier le sportif, même si elle le souhaitait. Il serait toujours, dans un ou dix ans, cet être pour qui elle nourrirait d’indéfectibles sentiments. Elle aurait toujours à cœur de le savoir heureux et en sécurité. De même que son fils. L’affection qu’elle lui témoignait était réelle, de même que la peine qu’elle éprouvait de le savoir en proie au chagrin. Aussi répondit-elle spontanément : « Il pourra toujours compter sur mon soutien. J’espère qu’il en a conscience. » Peu importait ce qu’il s’était passé, peu importait la rancœur qui avait émaillé un jour leur relation, elle serait son alliée sans conditions et sans péremption. Elle souhaitait vraiment qu’il le sache, qu’il ne l’oublie pas. En dépit de ce que représentait Eliott, de ce qu’il avait, à ses dépens, engendré, la grecque tenait à ce qu’il sache qu’elle serait présente aussi pour lui, quoiqu’il arrive. Sur ce point, toutefois, elle ne se faisait guère de soucis, le jeune Shepard semblait bien entouré.

Elena sourit doucement, attendri par la réaction embarrassée d’Alex dont les joues s’empourpraient sans qu’elle ne puisse le dissimuler. Elle posa sa main sur la sienne, en ancrant le cuivre de ses orbes aux siens. « Merci. » Simplement. Sincèrement. Peu importait la dette qu’elle pensait avoir envers Connor, peu importait les excuses, la brune n’était pas intéressée par leur histoire commune, elle ne voyait que les gestes, et ce que faisait la jeune mère méritait sa reconnaissance. Sans aucun doute.

Un soupir las lui échappa quand le sujet aborda les frères Brody. C’était là une bataille qu’elle regrettait presque d’avoir évoqué. Les problèmes de famille étaient toujours chargés de ramifications complexes qu’il ne serait, dans ce cas précis, pas aisé de démêler. Elle secoua négativement la tête pour lui répondre. « Non, je t’avoue que je n’ai pas osé le questionner à ce sujet… » Les Oblivions étaient déjà une jolie mise en bouche lors de leur premier rendez-vous… « Ce que je sais, c’est qu’il était sincèrement heureux de retrouver ses frères. » ça, elle en était persuadé. Elle commençait à connaître suffisamment son compagnon pour en attester. Pour le reste, seul le temps le leur dirait…

« Pourquoi tu devrais te séparer de lui ? » questionna Elena, les sourcils inclinés. Evidemment, la perspective que le blond refasse sa vie suggérait que sa future compagne ait un rôle actif dans l’éducation de son fils, mais cela devait-il pour autant écarter Alex ? « L’amour est heureusement plus simple qu’on ne veut bien l’admettre. Eliott ne connaîtra pas Joséphine, mais il aura peut-être la chance d’avoir deux mères et un père. Quelle que soit la place que la future femme de Connor décide de prendre dans la vie de cet enfant, elle ne saurait te priver de la tienne, même si elle le souhaitait. » Elle offrit un sourire qui se voulait rassurant à son amie. Rien ni personne ne l’éloignerait du fils de Connor, elle en était persuadé. L’homme ne le permettrait pas de toute façon. « S’il continue sa sélection sans faute de goût, il n’y a pas de raison que la prochaine soit une parfaite idiote. » Une esquisse complice lui ourla les lèvres.

La discussion revêtait soudain un ton plus sérieux, plus grave aussi. « Oh. » Oh. Les problèmes d’alcool de son ancien compagnon réveillaient de vieilles blessures, jamais vraiment cicatrisées, qui firent détourner brièvement le regard à la brune. Alex la renvoyait à de sombres épisodes de leur vie commune, les pires. « Il… Oui. » Il avait bu. A en oublier des discussions avec elle, à s’en rendre malade. « La première fois, il a arrêté peu de temps après qu’on se soit mis ensemble. Notre histoire avait mis du temps à démarrer et il en a beaucoup souffert en plus du reste. » Le reste… Les drames qui s’étaient succédés, les pertes accumulées… « La seconde fois je… Je ne sais pas. Je l’ai quitté au pire moment et… Il a pu compter sur le soutien de nos amis, il… Il a rencontré Bruce, Joey ensuite… » Tout ça, mis bout à bout, avait permis à Connor de se raccrocher à quelque chose pour se hisser la tête hors de l’eau. Il s'était forgé un but, une mission, une équipe à protéger, à faire progresser. « Il a besoin d’être entouré. Plus que jamais. Il pense que faire taire la douleur permettra de l’étouffer pour de bon, mais on sait toutes les deux que c’est faux. C’est… Difficile, je sais, mais ne fais pas l’erreur que j’ai faite ; ne l’abandonne pas. » Elle força un sourire. Elle regrettait d’avoir tourné les talons ce jour-là. D’avoir renoncé. De ne pas avoir été à son chevet avec Caroline et Selene quand il était au plus mal. Elle aurait dû y être. En tant qu’amie, à défaut d’avoir réussi à être sa compagne.