Bon, autant le dire de suite. Rien qu’à l’idée de devoir discuter avec cette gamine me casse les couilles par avance. Mais j’sais aussi que j’vais pas pouvoir y couper. L’ignorer, faire comme si elle existait pas et comme si on l’avait pas ramassée sur le bas-côté comme un chiot abandonné, ça va deux minutes. Et puis, va bien falloir qu’elle se décide à faire sa part. Ou qu’elle se casse. J’saurais pas trop dire quelle option je préfère.

J’avoue que, si j’me suis habitué aux gosses de Lennox, j’sais pas encore quoi penser de … Kira donc. Ca fait une paire de jours qu’elle est là donc. Je l’ai vu ramener du poisson déjà, donc elle sait se démerder. Alors, pour le moment, d’une certaine façon, elle a payé le toit qui est sur sa tête. J’suppose qu’on avisera au fil de l’eau.

Du coup, forcément, j’hésite. J’descends de la remorque où continue de dormir avec Ruby pour aller vers les dortoirs qu’on est en train de fini d’aménager. La plupart des gens du groupe sont occupés, que ce soit à la surveillance, à chercher de la bouffe ou des ressources qu’on pourra échanger. Et j’serais presque étonné que la môme soit là. Sauf qu’elle est bien là, posée sur le lit qu’on lui a … assigné ? Prêté ? Ouais, un truc du genre. Occupée, la tête baissée sur j’sais pas quoi. L’espace d’un instant, j’ai l’image d’Esperanza qui se superpose à celle de Kira. Ou plutôt, l’image que je m’en étais faite vu qu’elle aura jamais cet âge-là. Et putain, ça me donne juste envie de faire demi-tour et de continuer de faire comme si elle existait pas. « Fait chier putain… » Marmonné entre mes mâchoires serrées alors que je finis par toquer, plus pour le principe qu’autre chose vu que, de toute façon, la porte est grande ouverte. « Hé ! » J’attends quelques secondes qu’elle daigne relever la tête et je reprends, d’un ton bourru. « J’vais faire le tour des pièges et j’me suis dit qu’il serait temps que tu fasses un peu le tour du proprio. Et qu’on cause un peu. Surtout si tu veux passer l’hiver ici. »

Au final, elle pourrait carrément tomber plus mal en vrai. Mais j’ai besoin de savoir de quoi elle est capable, si elle mérite sa place ici. Si tant est qu’elle ait envie de s’en faire une. « Bouge ton cul, j’ai pas toute la journée. » Alors, clairement, qu’elle imagine pas avoir le droit de refuser la balade. Déjà, elle pourra noter l’effort que j’fais pour lui causer. Ouais, ouais, j’suis trop sympa comme type.

Putain mais à quel moment on s’est dit que c’était une bonne idée de ramasser une ado sur la route ? J’en sais foutrement rien, mais j’espère qu’au moins, elle sait se démerder. Au moins, elle est pas du genre à coller aux basques de qui que ce soit, c’est déjà un bon point pour elle. Et j’espère qu’on va pas avoir le droit à une foutue crise d’adolescence, sinon j’réponds plus de rien. Ouais, ouais, le père de l’année, j’vous le dis moi. Dans ces moments-là, je réalise que c’était pas forcément une mauvaise chose que j’sois pas là pour élever mes propres grosses.

Avant de me dire, quand j’pense à Lennox, que ça m’aurait ptet permis d’évoluer autrement. Mais vu que le sujet a tendance à mettre un peu les nerfs à vif, j’évite de trop me pencher sur la question. De toute façon, c’est pas comme si je risquais d’avoir une nouvelle chance avec mes gamins. Et, vu le monde de merde dans lequel on vit, c’est pas plus mal qu’ils soient plus là pour voir ça. Je réprime un soupir, chassant tout ça de mon esprit, avant de me focaliser sur la petite brune donc. Qui respire la joie de vivre.

Je lui laisse quelques secondes pour me remettre, avant de hausser une épaule à sa remarque. « J’ai pas dit que ça m’faisait plaisir. » Mais que c’est une nécessité. Pas tout à fait la même chose. Je la regarde se préparer. Au moins, elle sait ce qu’elle fait et il lui fait que quelques instants pour être parée. Forcément, elle a droit à une œillade approbatrice alors que je hoche la tête. « Pas mal. T’es restée longtemps toute seule ? » Parce que ouais, clairement, elle a pas le comportement d’une gamine qu’on a couvée dans un campement loin du danger. Heureusement pour nous d’ailleurs. Ou pour elle. Parce que ça nous aurait vite gonflés de devoir jouer à la nounou.

J’attrape mon sac à main alors que je me contente de lui désigner la sortie d’un mouvement du menton. « Joaquin. Toi c’est Kira c’est bien ça ? » Des fois que je me sois foiré quand Moon et les autres m’ont donné son nom. « Je t’explique. On va faire le tour du bâtiment. Nettoyer les éventuels rôdeurs pris dans nos pièges. Et faire le tour du pâté de maison pour nous assurer que tout est en ordre. Après, j’comptais partir un peu en exploration. Tu pourras m’accompagner. » Je m’arrête et je la fixe de bas en haut avant d’ajouter. « Enfin, ça dépend. Tu sais faire quoi concrètement ? » Histoire que je sache déjà à quoi m’en tenir. Au moins de ce côté-là.

Bon, elle s’appelle bien Kira. Ou alors elle s’en bat les couilles qu’on se plante. Dans les deux cas, ça m’va. Mais elle a quand même l’air d’avoir un bon caractère de merde. Remarquez, faut au moins ça pour survivre à cette foutue apocalypse. Surtout en étant seule. J’me demande d’ailleurs comment elle a atterri entre nos pattes, mais j’ai comme l’impression qu’elle me racontera que dalle. Enfin, j’pourrais toujours essayer.

Plus tard.

Pour le moment, je me contente de me marrer à sa réponse, surtout à son petit ton dédaigneux. « On dirait que t’as pas pigé gamine. C’était pas une question. Si tu dois mettre tes mains dans la merde et buter du rôdeur, tu le feras. Sinon, tu peux déjà faire tes valises et te tirer de là. C’est pas un hôtel ou un camp de vacances ici. » Non mais pour qui elle se prend là. Je réprime un soupir alors qu’elle continue et daigne me dire quelques trucs la concernant. « Okay, c’est déjà pas mal. Tu sais te servir d’un flingue ou pas ? » Même si c’est bruyant et qu’on nage pas dans les balles, ça peut toujours être utile. « Ou de n’importe quoi à distance ? »

« Et c’est quoi cet accent là ? » J’dirais russe à froid, mais j’suis clairement pas un pro pour ce genre de trucs, surtout sorti de l’accent espagnol qui m’prend quand j’suis un peu gonflé. Genre là, possible que j’sois en train de jurer entre mes dents dans ma langue maternelle en voyant son attitude. Et je la vois qui me montre un … fourreau. « Quoi t’agites un truc qui brille sous leurs yeux ? Fais voir la lame, au lieu de faire genre. Parce que pour le moment, j’suis pas convaincu. » Clairement pas. Surtout quand on fait de la poudre aux yeux comme ça. Déjà, j’note la perte de temps de devoir sortir une arme d’un fourreau. « Ton flingue il est chargé au moins ? » Non parce que là, j’ai un vieux doute quand même.

Je lève un sourcil quand je la vois se lever et finalement, décidée à se bouger le cul. Okay, je vais l’encastrer dans un mur avant la fin de la journée celle-là, ado ou pas. Rien à foutre. Ou alors, je l’abandonne dans une des fosses avec les rôdeurs. Là, elle me montrera vraiment de quoi elle est capable cette petite conne. « Tu sais au moins où on va putain ? » Un nouveau soupir, que je cherche même pas à comprendre. Et j’attrape ma veste, mon sac à dos, avant de sortir de là. « A droite. Tu connais le coin ou pas du tout ? » Ou alors elle en a rien à foutre, ce qui m’étonnerait pas. En tout cas, si elle veut rester là, elle a intérêt à vite me montrer qu’elle peut servir à quelque chose qu’à prendre une place de plus dans le lit et bouffer nos réserves. Sinon, j’aurais zéro scrupule à la dégager.

Elle commence déjà à me casser les couilles la môme. Et si j’suis pas très patient de base, j’sens qu’elle va vite réussir à en venir à bout. Plus vite que la moyenne en tout cas. Et, quand elle se marre, je lève un sourcil. « T’es sérieuse là ? Tu crois que j’vais me contenter d’une connerie pareille ? Ca marche avec les autres ? » Comme si ça pouvait pas être juste un élément de dissuasion. J’pense à tous les cons qui ont un flingue à la ceinture, persuadés que ça suffira à calmer les élans de ceux qu’ils croisent.

Et l’aplomb de Kira me fait penser à ces connards. Qui pensent qu’on va les croire sur parole. « Tant que je t’aurais pas vue à l’œuvre, je considère que tu sais pas t’en servir. » C’est pas spécialement contre elle. Pas totalement quoi. « Tchétchène ? C’est où ça ? » J’ai la tronche du mec qui s’y connait en géographie ? Déjà, je sais vaguement situer la Russie. Plus ou moins. Faut pas trop m’en demander non plus. « Et comment t’as débarqué à Seattle ? » Ouais, j’suis vaguement curieux. Pas trop non plus, j’irais pas insister si elle me répond pas quoi.

J’ai un regard curieux quand elle sort la lame. « Pas mal. » Et surtout, elle a l’air de savoir la tenir, bon point pour elle. « Tu l’as trouvée où ? » Vu comment elle la zieute, autant dire que ce serait un trésor de famille que ça m’surprendrait pas. Et, alors qu’on se dirige vers la sortie, je ricane à sa remarque. « Okay, alors ils sont où les pièges de cette rue ? » Et j’ajoute, avec un haussement d’épaules. « Franchement ? Ouais, je me demandais ce que tu branlais dans ce lit au lieu de partir en exploration. Visiblement, j’ai raté toutes ces longues sorties que t’as faites pendant que j’avais le dos tourné donc. »

Je lui désigne la direction à prendre et, direct, on tombe sur une fosse où quelques rôdeurs se sont paumés. « Je te laisse les achever. Je les dégagerais au fur et à mesure. » Pas comme si ça me demandait beaucoup d’efforts de dégager ces saloperies décharnées de là. J’ai l’impression que, plus le temps passe, moins elles pèsent lourd. J’attends qu’elle s’exécute avant de m’y mettre, curieux de voir comment elle va faire. Parce que là, les trois rôdeurs claquent des dents dans sa direction. J’croise les bras, un sourire narquois sur les lèvres. Si elle veut faire ses preuves, ce sera un bon début. Et d’ici à ce qu’elle réussisse à m’impressionner, y a un sacré taff.