J’étais épuisée, certainement à force d’avoir pleuré. Je m’étais refusé de le faire pendant des années… Et c’était comme si on abattait les digues de ma conscience une à une. Ressentir tout ce flot d’émotions, aussi soudainement, était hautement perturbant pour moi qui faisais toujours preuve d’un pragmatisme sans faille. J’avais atteint mes limites, de toute évidence.

Et forcément, c’était plus facile de rejeter la faute sur Joaquin. C’était lui qui faisait mal les choses. C’était lui qui se trompait. Pas moi. Jamais. Il n’avait de toute façon pas la force de me dire le contraire, ce qui m’arrangeait bien au fond.

Je m’en voulais un peu de lui avoir posé cette question. Il n’existait pas de bonnes réponses, c’était comme si je l’avais piégé. J’avais eu ce besoin irrépressible de savoir, en sachant pertinemment que ça me déplairait. Au moins avait-il eu l’honnêteté de me dire la vérité. Est-ce que je lui en voulais pour ce qu’il s’était passé ? Non. Il ne s’en était pas pris à moi personnellement… Mais je n’étais plus certaine de savoir où j’en étais avec lui, et ce que j’attendais encore de lui.

Sauf une chose, une seule. Je voulais qu’il reste avec moi. Je refusais d’avoir à me priver de sa présence, sur un simple coup de tête. Je m’étais retournée vers lui après avoir atteinte la moto, en espérant qu’il me rejoigne. La question sembla le surprendre.

Et ce fut comme si le temps était suspendu à ses lèvres. Il se tenait debout, sur la carcasse de ce véhicule, sans vraiment parvenir à se décider entre partir ou rester. Une part de moi se disait que ce ne serait pas plus mal si nous disparaissions de la vie de l’autre. Nous n’aurons plus à nous poser de questions, à nous blesser sans arrêt mutuellement. Mais une autre ne se satisferait pas de ce goût d’inachevé.

Quand il se rapprocha enfin de moi, je le fixai longuement sans bien comprendre ce qu’il avait cherché à me dire. Je soufflai dans un sourire incertain. « Je ne suis pas sûre d’avoir tout compris, mais… Je crois avoir saisi l’essentiel. » Ce qui résumait bien, jusqu’à maintenant, toute cette foutue discussion. Je montai derrière lui sans me faire prier, le casque vissé sur ma tête, avant de l’enserrer solidement de mes bras. Il était temps de rentrer.