Mes gestes s’interrompent sur la déclaration du garçon. Depuis tous ces mois, jamais je ne me suis réellement interrogée sur son devenir. Je le savais en vie, là, quelque part, mais jamais je ne l’ai imaginé vivant avec eux. Ça n’a rien d’étonnant en soi. Ils sont de bons samaritains adeptes de la rubrique des chiens écrasés. Je ne sais pas ce que ça provoque en moi mais un sourire discret fend un instant mes lèvres. Il survivra au traumatisme. D’autres ont vécu pire et s’en sont sortis. Marqué à vie certainement, mais il vivra, survivra. Le temps jouera en sa faveur ou incisera cette anomalie familière quelque part dans son esprit. Je sais de quoi je parle, sans doute un peu trop.

Acquiesçant à son affirmation quant aux fiançailles, je conserve un silence poli. Je n’aurais rien à dire de sincère et de profond sur le sujet. Je ne suis heureuse pour Hazel que parce que ça la comblera d’un bonheur amplement mérité mais je ne suis pas à ce point empathique. Je ne suis pas à ce point hypocrite. Je ne saurais donner dans le compliment superflu. Ce serait maladroit et à quoi bon apposer des mots sur un vide absolu d’émotions. Fiancés. Ils vont se marier. Si ça n’a pas de sens pour moi ça en a pour elle et c’est tout ce qu’il me faut savoir et accepter.

Terminant de me débarbouiller le haut du corps, je repose le linge dans l’eau maintenant noire et me fige quand quelques mots me glacent le sang. Immobile, seul le crépitement des bûches dans l’âtre rompt le silence de plomb qui s’abat soudain entre nous.

Enceinte.

Hazel est enceinte. Tout s’enchaîne à une vitesse folle dans ma tête. Le monde dans lequel on vit, sa relation récente, sa prise de drogues, les risques qu’une grossesse implique maintenant.

Enceinte.

Il y a une vie qui grandit en elle. D’ici quelques mois, elle sera mère et ne vivra que pour ce petit être fragile. Un rôle dans un monde où je n’aurais pas ma place. Un rôle dans un monde où je serai un boulet accroché à sa cheville qui ne la mettra que toujours plus en danger.

Quand il vivra, je ne devrais pas être ici. Je devrais être loin.

Lentement, je me tourne vers elle, les yeux rivés sur son abdomen encore relativement plat. Mon visage est ce masque de porcelaine qui ne laisse rien filtrer. La plupart de mes émotions sont feintes ou calquées sur mes vis-à-vis dans un jeu de miroir devenu désolant. Je n’ai pas l’énergie physique ou la force mentale de m’obliger à quoi que ce soit.

Alors doucement, ma main meurtrie et couverte d’entailles se rapproche de son ventre, empiétant son espace vital sans demander l’autorisation comme toute personne lambda le ferait. Ma paume vient rencontrer, par-dessus les vêtements, l’arrondi de sa matrice je me penche pour poser ma joue contre ses cuisses.

Toi, petit têtard encore insignifiant qui prendra un jour toute la place, prendra la mienne et me coupera du lien le plus cher à mon coeur

Toi, que je devrais détester.

“Bienvenue” que je chuchote simplement. “Moi c’est Charlie” et redressant le visage pour poser à présent mon menton sur les jambes de la métisse, je laisse un sourire triste étirer mes lèvres avant de remonter mes yeux dans les siens. “Tu seras une maman formidable, n’en doute jamais.” Parce qu’elle en doute déjà, je la connais trop bien.

Je sais pas trop pourquoi je retiens mon souffle. J’attends de voir la réaction de Charlie. J’ai tellement envie de partager ça avec elle, mais d’un autre côté est-ce que je ne vais pas la blesser ? Lui donner l’impression que la vie avance sans elle ? C’est pas le cas, il n’y a pas une journée où je ne pense pas à elle. J’espère qu’elle le sait et sinon, j’aurai aucun mal à le lui confirmer. Je peux pas expliquer comment on en est venue là, mais elle a pris cette place dans ma vie, dans mon cœur. Elle est différente et ça ne m’a jamais dérangé, irritée ou quoi que ce soit que d’autre aurait pu ressentir à ma place. Elle est elle. Charlie. Et je voudrais pas qu’elle soit autrement pour rien au monde.

La main meurtrie de ma sœur trouve doucement mon ventre, tandis qu’elle pose la joue sur ma cuisse pour être plus confortable. L’une de mes mains de pose naturellement sur la sienne et l’autre vient caresser ses cheveux tandis qu’elle parle à mon bébé. J’ai le cœur fendu d’amour, débordant de tendresse à la voir comme ça, parler à son futur neveu ou sa future nièce. De la voir si tendre pour l’une des rares fois.

Et… comme elle me connait un peu trop bien, elle vient directement couper les inquiétudes qui commençaient à poindre le bout de leur sale nez dans mon esprit. J’aimerais la croire, j’aimerais avoir cette certitude que tout le monde semble avoir en moi…

- J’espère ... Que je souffle, toujours en caressant ses cheveux emmêlés. Tu seras une super tatie. Ça j’ai même pas l’ombre d’un doute. Je veux qu’elle fasse partie de ma vie pour encore longtemps, je veux qu’elle puisse rencontrer et aimer le bébé, que mon enfant connaisse Charlie vu l’importance qu’elle a pour moi.

Ça me rend tellement triste tout ce qui s’est passé… C’est tellement idiot. À la limite je comprendrais pour Apple, ou du moins j’essaierais, mais Charlie…

Ils devraient savoir qu’elle n’est pas méchante, qu’elle n’est pas une menace, qu’elle n’est pas dangereuse ?!

Moi je le sais.

Je ne me priverai pas de quelqu’un que j’aime. J’espère qu’on ne m’en tiendra pas trop rigueur. J’espère… je rêve qu’ils comprennent. Qu’ils la pardonnent même. Que les choses rentrent dans l’ordre… Elle a tenté de raisonner Apple. Elle me l’a dit elle-même et je le savais. Elle n’avait même pas besoin de me le dire que je le savais. Elle a tenté de la protéger parce qu’elle a bien vu que son amie agissait sous la panique, sous la peur, qu’elle ne méritait pas de mourir même malgré l’horreur, le meurtre… Si seulement on avait discuté, calmer les choses. On aurait trouvé une solution…

- Tu vas rester un peu ? Beaucoup ? Longtemps ? C’est presque une supplique mon truc, mais je ne veux pas qu’elle disparaisse à nouveau. Pas maintenant que je l’ai encore retrouvé.

Les mots blessent autant qu’ils me touchent. Sincèrement. Il n’y a qu’elle pour avoir une portée si grande sur mon âme, si tenter que j’en possède encore une. Si tenter que je crois encore à ce principe. Tatie. Le sobriquet me paraît étranger, refuse de se frayer pleinement un chemin dans mon esprit et ne parvient pas à s’y ancrer. Il est trop porteur de promesses, d’espoir, de ce paradis auquel je n’aurais jamais accès. Il offre une vision idéalisée et idyllique de laquelle je ne ferai jamais partie. Il n’y a rien de beau dans ce monde, rien de juste. Sauf elle. Hazel et son aura particulière, unique. Ce que j’ai honteusement pris, dans les premiers temps, pour de la naïveté extrême puérile, facilement malléable, est sans doute la seule lumière que j’ai envie de savourer. Tatie Non, je ne serai jamais ce personnage dans cette scène parfaite. Les liens du sang n’y sont pour rien. La métisse est davantage une soeur pour moi que les enfants qui ont grandi avec moi. C’est plus fort que de l’ADN ou toute une vie de liens liés à l’enfance. Cette rencontre, cette connexion, ni l’une ni l’autre ne l’avions anticipé mais elle existe. Forte, incompréhensible. Hazel est tout ce que je ne suis pas, tout ce que je ne serai jamais mais ça fonctionne. Elle et moi. Sans tabou. Sans complication autre que celles qui nous sont tombées dessus il y a quelques mois. Je sais ce que les autres pensent de moi vis-à-vis d’elle, toutes les intentions impures et malsaines qu’ils me prêtent. Jamais je ne pourrais lui faire de mal justement parce tout est démesuré me concernant. Mon indifférence, ma détestation, mon amour. C’est viscéral, physique, puissant, bien plus que ce qu’ils peuvent imaginer, peuvent concevoir.

Et parce que je ne veux pas la heurter je me contente d’acquiescer dans un sourire triste mais résigné pour ne pas entacher l’image parfaite qu’elle a en tête. Je récupère un débardeur qu’elle a emporté avec elle et couvre le haut de mon corps, retirant mon sous-vêtement par dessous pour ne pas lui infliger ma complète nudité. Retirant doucement mon pantalon déchiré et crasseux, j’en enfile un autre plus rapidement pour couvrir les bleus sur mes cuisses. Leur nature - mains masculines perverses - ne sont pas difficiles à identifier et je me rapproche du feu pour me réchauffer après ce brin de toilette rapide.

“Je suis revenue pour toi tu sais” que je souffle en laissant mon regard sur les flammes qui dansent. Et pour Erin, même si les retrouvailles m’inquiètent. “Je ne peux pas retourner à Seattle. Ils risqueraient de m’attraper.” Je ne sais pas si ce serait vraiment un mal. La religion m’a sauvé une fois et je m’y suis enfermée dans un cocon souvent sécuritaire. J’aime les règles, les suivre est plus facile que les réinventer. “Je ne peux pas non plus rester ici, ce serait trop risqué.” Trop proche de l’activité qui grandit dans le secteur. “J’ai pensé au restaurant mais… je ne pense pas qu’elle ait très envie de me revoir. En tout cas les autres ne me voudront pas à l… enfin là où elles sont” que je me corrige rapidement, ayant promis de ne pas dévoiler l’emplacement de leur planque ni de parler de l’école. Je n’ai pas non plus envie de décevoir encore plus la jeune femme. Tournant mon visage dans sa direction, je plante mes prunelles dans les siennes. “Je promets de rester autant que tu le voudras tant que je suis en sécurité d’accord?” En tout cas pas en danger, parce que je ne connais plus la sécurité depuis longtemps. Je n’ai rien à lui offrir de plus pour le moment. “Tu sais déjà comment tu vas l’appeler? Et il va arriver quand?” Ça m’intéresse autant que ça m’inquiète, pour elle, pour sa santé, pour les risques.

Elle dit être revenue pour moi. Mon cœur de tort dans ma poitrine. J’espère que je serai à la hauteur, que je ne la décevrai pas. Qu’elle ne regrettera pas. Je suis… personne moi. Tellement inutile et faible. Je sers à rien. Tout ce que je peux faire, c’est essayer de prendre soin d’elle.

- Tu ne sais pas Charlie. Que je lui souffle, alors qu’il est question d’Erin, même si elle ne la nomme pas directement. C’est pour ça que j’ai pris les devants pour leur parler. Je voulais pas que quelqu’un d’autre déforme quoi que ce soit. Je voulais pas que tu sois accusée de choses que tu n’as pas faites. Je leur ai dit que tu as défendu ton amie, c’est tout.

Que Apple a paniqué parce qu’elle pensait qu’on allait manquer de nourriture. Qu’elle ne voulait sans doute pas être un fardeau, mais qu’elle a commis quelque chose de très grave… J’ai bien essayé de m’excuser, mais les choses se sont envenimées à une vitesse !

- Tant que tu es en sécurité Charlie. C’est le plus important pour moi. Je comprendrai si… Je sens déjà ma gorge de serrer. Je ‘n’ai pas envie qu’elle soit en danger. Je n’ai pas envie qu’à cause de moi, elle risque sa vie. Je ne sais pas comment les autres vont réagir. Je ne sais pas ce qu’ils poseront comme geste ou pas.

Charlie n’est pas dangereuse comme ils le pensent. Elle a bon cœur et c’est son bon cœur qui l’a mise dans cette situation. J’ai tellement peur pour elle. Mes yeux se brouillent un peu d’ailleurs.

- Tant que tu es en sécurité, je veux que tu restes, mais si ça devient dangereux… Il faut que tu survives Charlie. Je peux pas être égoïste au point de te demander de rester si c’est trop dangereux. Je me le pardonnerais pas. Jamais.

J’espère que Cinder’s Vale l’aideront. J’espère qu’ils comprendront. À Sanctuary Point, il n’y a aucune chance et j’en suis consciente. J’aimerais qu’ils me fassent confiance, mais je comprends. Pour eux, ils ne connaissent pas Charlie comme moi je la connais. Pour eux, ils ont surpris Apple en pleine préparation cannibale et ont pensé que Charlie était de la partie. Pour eux, elle a fait le choix de partir, alors qu’elle voulait juste protéger son amie qui avait fait une terrible erreur. Les coups… la détonation…

Ma sœur me tire de mes réflexions en me posant une nouvelle question. Sur le bébé. J’ai un mince sourire.

- Je sais pas encore. Selon les calculs, sans doute en juillet. S’il n’arrive pas plus tard ou plus tôt. Est-ce que j’ai peur ? À mort. Pas d’échographie, pas de péridurale. Pas d’incubateur s’il est prématuré… Il ne faut pas que je pense à tout ça. Ça va être difficile d’attendre la naissance pour voir si ce sera une petite fille ou un petit garçon. Je ris doucement. C’est tellement… surréel et superficiel à la fois. Je sais que c’est idiot, mais j’aimerais tellement commencer à préparer la chambre.

Super idiot. Et peut-être même déplacer face à Charlie en ce moment. Je m’en veux.

Les yeux baissés, je m’efforce de ne pas trop penser à l’ingénieure. Il y a trop de choses qui font mal depuis quelque temps et j’ai beau tenter de les effacer, plus j’essaie de ne pas ressentir et plus tout me revient de plein fouet dans les tripes. C’est physique. Douloureux. Et parce que je ne peux pas la laisser penser que je suis si innocente, parce qu’elle a le droit de savoir et de choisir de rester ou non en toute liberté, j’inspire un grand coup. “Je savais. Pour Apple. Ce n’était pas la première fois. Je n’ai jamais participé mais je savais ce qu’elle était capable de faire.” Je conserve les yeux au sol, gardant cependant pour moi le fait qu’elle m’ait attaquée et failli me tuer, moi aussi. Peut-être par volonté de ne pas l’enfoncer davantage, de ne pas me compromettre encore plus. Mais surtout, je crois, parce que ce lien si spécial n’appartient qu’à nous et que le silence le rend plus puissant encore. “Mais elle n’était pas que ça. Elle était tellement plus…” Seulement… “Les gens ne voient que ce qu’ils peuvent accepter. Il n’y a personne qui a survécu cinq ans sans rien commettre de répréhensible mais c’est plus facile pour eux de prétendre que si en oubliant. C’est plus facile pour eux de se dire qu’elle était un monstre assoiffée de sang plutôt que l’être humain qu’ils ont accueilli” et je n’inclus pas Hazel dans cette boucle, parce que sa bonté naturelle semble lui interdire tout jugement trop dur, trop tranché. Est-ce que c’est ça que j’aime tant chez elle? Tout le reste? Le savant mélange des deux?

Opinant simplement du chef quand elle m’ordonne presque de survivre, je ne fais pas d’autres commentaires. Il ne servirait à rien de lui dire qu’elle n’est responsable de rien me concernant. Ni sur le passé, ni sur ce qu’il adviendra de moi. Parce que la jeune femme a cette propension à tout encaisser pour elle et que peu importe la longueur de mon discours, il ne trouvera aucun écho dans ses névroses. Peut-être qu’un jour elle arrêtera de porter le poids du monde sur ses épaules, peut-être.

Relevant mes yeux sur elle seulement quand il est question du bébé, j’acquiesce. Juillet. Quelques mois. Ensuite, il sera préférable pour moi de disparaître, je suppose. Pour son bien à elle, même si elle ne le comprendra pas. “Est-ce que ça a une importance?” Que ce soit un garçon ou une fille? Je n’ai jamais compris réellement cette pression sociale à avoir un garçon qui me semble appartenir à un autre temps. En tout cas pour combler l’ego masculin qui veut diffuser son nom. Dans notre monde, ça me semble encore plus dérisoire. “L’important c’est qu’il soit en bonne santé non?” Et je parie sur une fille. J’aimerais une fille. Manquerait plus que ce têtard ressemble à Julian… “Fais-le, prépare sa chambre. Si ça te tient à coeur, fais-le. Si c’est une question de couleur, ne sois pas comme ses parents qui voient le monde en rose et bleu s’il te plaît. Et si c’est une question de prudence, fais juste comme tu le sens.” Elle aurait des regrets à en crever dans les deux cas de toute façon. “Pense pour toi Hazel, pour une fois dans ta vie, pense pour vous” Ma main vient retrouver son ventre, comme pour l’inciter à entendre mes mots, qu’ils ne fassent pas qu’effleurer la surface mais s’ancrent loin dans sa matière grise.

Elle savait pour Apple ? Je cligne des paupières quelques fois, alors que l’information rejoint mon cerveau, alors qu’elle m’explique qu’Apple a déjà commis ce genre de chose avant, qu’elle a déjà tué pour manger quelqu’un. J’ai l’estomac retourné, la gorge nouée. C’est horrible. Ça l’était même si c’était une première fois, ça l’est aussi même si c’était plusieurs fois. Je ne pourrais jamais… Je me laisserais mourir. Sauf que je voulais mourir à tellement de reprises dans ma vie déjà… Il en est quoi de quelqu’un qui ne veut pas ? Qui veut vivre ? C’est pas comme si on pouvait toujours trouver facilement de la nourriture aujourd’hui ? Et si on avait aucune connaissance ? Approcher un groupe et lui demander de la nourriture, c’était peut-être pas possible ? Je donnerais moi, mais je sais aussi que… Ma famille et moi on est un peu différents.

Je peux pas m’empêcher de vouloir expliquer. De vouloir rationaliser. Personne ne décide du jour au lendemain de manger un autre être humain, non ? Je veux pas croire que c’est une psychopathe. Ce serait l’explication facile. C’est peut-être le cas ? Je suis bien naïve peut-être… J’ai une part de moi qui veut croire que c’était la peur par contre. Une part de moi qui veut voir le bon. Le moins mauvais plutôt. Cette part qui veut croire que les gens mauvais sont bien plus rares qu’on le pense. Cette part qui veut toujours excuser le monde, parce que ça m’excuse peut-être moi aussi par la même occasion…

Je veux croire que si Charlie la considérait comme une amie, c’est qu’elle n’était pas mauvaise au fond. Qu’elle agissait par peur, pour survivre, sans savoir qu’elle n’aurait plus jamais à commettre l’irréparable chez nous. Si j’avais su… Si seulement j’avais su ! J’aurais dû parler avec elle. J’aurais dû la rassurer. On aurait pu éviter tout ça. On aurait pu lui permettre d’avoir une nouvelle vie, une vie meilleure…

- J’aurais aimé savoir. Pour l’aider. Je suis désolée de n’avoir rien vu. Que je souffle le regard empli d’un mélange de tristesse et de culpabilité.

Son regard retrouve le mien et j’ai envie de le fuir, mais on reparle de mon bébé. J’espère que je ne ferai pas trop d’erreurs avec lui, que je ne serai pas aussi aveugle. Il faut que j’apprenne de ce qui s‘est passé. De ce que j’ai pas pu empêcher…

- Oui, sincèrement rien d’autre ne m’importe au fond. C’est juste… tout le monde demande et j’aimerais leur donner une réponse. C’est idiot, je sais… Moi, je veux juste un enfant en santé, mais les autres ont des attentes, des désirs et je veux pas les décevoir. J’aimerais savoir pour leur dire et pour les satisfaire…

Et c’est trop agréable d’entendre Charlie me dire de faire ce que je veux. De me faire plaisir. D’essayer de m’encourager. Elle repose sa main sur mon ventre et je repose ma main sur la sienne.

- Je… je pourrais. Oui, je pourrais faire tout ça peut importe le sexe du bébé, peut importe si j’arrive à terme ou pas, non ? J’ai peur, j’angoisse, mais… pourquoi je me retiens au fond ? J’ai qu’à mettre les couleurs que je veux, j’imagine ? Le rose ou le bleu… J’aime pas trop. J’aimerais quelque chose de doux. D’enveloppant. Un endroit confortable, un refuge, avec plein de couettes, de coussins, d’oreiller, de petits animaux en peluche ou en bois, avec des plantes. Je rêvasse un peu là. Tu pourras lui faire un petit quelque chose ? Je pourrai l’accrocher au mur. Pour que le bébé ait toujours un petit quelque chose de tatie Charlie. À défaut de l’avoir elle quotidiennement. Sa me brise le cœur d’ailleurs. Peut-être… peut-être que les choses changeront ?

J’ai tellement envie d’y croire. Ça me fait tellement de bien d’y croire…

J’oublie pourtant pas pourquoi je suis ici. Pour prendre soin de Charlie. On a assez parlé de moi. On a trop parlé de moi.

- Viens, on va te laver les cheveux. On va aller à l’évier dans la cuisine. Je pourrai te les brosser après. Ça va lui faire du bien ça aussi, j’en suis certaine. On se sent toujours un peu plus léger quand on est tout propre et c’est ce que je veux lui offrir. Un peu de légèreté, parce que je devine aisément que ça été l’enfer pour elle. Je ne suis pas dupe. Il y a des traces très parlantes sur son corps et ça me détruit de les voir. Hors de questions que je les mentionne…