- J’imagine… un truc qui « patch » les « kick » ? s’amusa-t-elle, non, je sais pas, reconnut Selene dans un rire, mais les peaux, tu ne peux pas les changer ?

Pour le coup, elle n’était pas experte en batterie – loin de là. Elle partait simplement du principe que les cordes de son piano, qui étaient responsables du son, se remplaçaient. Pourquoi ce ne serait pas le cas pour les futs des percussions ? En tout cas, au prix de beaucoup d’effort, ils atteignirent le camion. La musicienne était en nage et couverte de poussière. Elle s’essuya le front en soufflant alors qu’ils.

- En tout cas, tu as carrément mérité ta batterie ! Dès qu’on a monté notre gros bébé dans le camion, on va te la chercher, promit-elle, j’ai hâte de te voir balancer un solo devant une meute de voraces.

Aller, ce fut le moment de sortir les biscottos. Monter le piano à l’arrière du véhicule fut LOIN d’être une mince affaire. Après plusieurs tentatives pour soulever complètement l’instrument, ils durent se résigner à le basculer le plus délicatement possible, pour ensuite le faire glisser jusqu’au fond de la remorque. Ça allait rayer le bois, mais Selene s’était déjà résignée à ce que son précieux ait quelques bobos.

- Raaaaah, j’en peux plus ! Se plaignit la jeune femme quand ils eurent enfin terminé.

Les muscles en coton et les jambes flageolantes, elle s’assit sur le bord du hayon en soufflant. Elle s’étira comme un chat, puis massa sa nuque endolorie. C’était une certitude, elle allait avoir des courbatures qui lui feraient regretter de ne pas être une joueuse d’harmonica. Un ange passa, pendant lequel Selene observait une formation d’oiseaux qui traversa paisiblement le ciel.

- Merci au fait… de faire tout ça pour moi…, il n’était pas obligé, surtout maintenant, dis…, elle se mordit la lèvre inférieure, se rongea la joue, puis se jeta à l’eau : tu penses que… tu penses que ça va s’arranger avec Andrea ?

Ce n’était pas la première fois qu’elles se disputaient. Mais jamais ça n’avait paru si… définitif.

- Merci.

La musicienne attrapa la gourde et la vida pratiquement d’une traite. Pensive, elle écoutait les paroles de son ami de toujours, approuvant d’un soulèvement de sourcil qu’elle se souvenait TRES BIEN de la période où Andrea et Duncan ne pouvaient pas se voir en peinture. Certes, la régisseuse n’avait jamais aimé qu’on lui tienne tête ; mais là-dessus, Selene n’était pas en reste. Et la mention des plates excuses la fit partir d’un rire franc. Duncan parut se rendre compte que sa requête était aux portes de l’absurdité, parce qu’il enchaina en se proposant comme médiateur. La jeune femme le reconnaissait bien là : capable d’affronter toutes les tempêtes pour elle, même la plus dangereuse de toute.

- Je sais pas… je veux pas d’un intermédiaire, je veux que ça vienne d’elle. Qu’elle reconnaisse que sa réaction est…, elle haussa les épaules, je connais personne qui a subi ce qui nous est arrivé, à Juliet et moi. Je… je ne sais pas de quoi on a besoin pour « guérir », sa voix se brisait légèrement, bien qu’elle tentait de se contenir, mais venant d’Andrea en particulier, j’aurais cru qu’elle comprendrait le fait qu’on essaye de trouver notre réponse.

Pas celle de quelqu’un d’autre qui leur affirmait de quoi elles auraient, supposément, besoin. Ce qu’elles avaient à reconstruire, c’était un monument. De l’amour de soi, de la confiance en soi, tout en mettant la culpabilité et la rancœur de côté. Selene ne reviendrait pas sur ses ressentis, pas cette fois. Et si cette issue n’avait pas fonctionné, elle en trouverait une autre, un jour.

- J’ai l’impression que… que Nisqually lui a fait du mal, souffla tristement la pianiste, comme si… comme si elle se mettait à confondre ses proches avec ses « gens », au sens des habitants de son camp, même si techniquement, elle n’était pas seule dans le Conseil, j’ai l’impression qu’elle m’a reçue comme quelqu’un qui viendrait frontalement désobéir à ses ordres, pas comme une amie désespérée.

Les mots étaient lâchés. Un rictus chagrinée froissa brièvement le minois de Selene, qui laissa échapper un soupir. Tant pis, c’était passé maintenant. Sa tête se pencha sur le côté, alors qu’elle examinait son ami.

- Comment tu fais toi ? Pour ne pas changer ?

Selene rit avec son ami mais restait pensive. Était-ce de congés dont Andrea avait besoin ? C’était évidemment un peu superficiel dit comme ça mais… oui, elle avait besoin de lâcher-prise. De se ressourcer, quelque part, loin de toutes les tensions qui gangrénaient le camp. Nisqually était sur une bombe à retardement, prête à l’éventrer au moindre faux mouvement. Si elles se parlaient encore, la musicienne lui aurait suggéré de passer aussi un mois ou deux à Sanctuary Point. Leur maison, leur famille, avait de quoi remettre les idées en place…

- Tu devrais t’affirmer plus, tu sais ? Lui conseilla gentiment Selene, après que Duncan lui ait révélé sa « méthode », je veux dire : tu sais ce que tu fais, t’es un bon chef et… je suis sûre que sans toi, on serait pas arriver aussi loin – aucun de nous, elle parlait de l’équipe de la prison, aujourd’hui éclatée en mille morceaux, tu ne peux pas faire qu’écouter.

Ça avait toujours été dans son caractère pourtant : à l’époque de la Gig Harbor, le viking suivait les indications d’une jeune femme de 22 ans qui n’en savait pas plus que lui sur le meilleure moyen de survivre. Et au fond, ils n’avaient pas survécu parce que Selene était douée, ils l’avaient fait parce qu’ils étaient unis, et parce qu’ils avaient parfois une chance insolente.

- Moi, je sais pas… je voudrais raccrocher, tu sais ? Arrêter de me battre, me concentrer sur Juliet et Effy, mais… j’y arrive pas, elle se mordilla la lèvre, je sais pas si j’ai « besoin » de m’impliquer, ou si je cherche juste à fuir quelque chose…, haussement d’épaules cette fois, mais je me sentirais trop mal de ne rien faire contre New Eden finalement. Alors…

Alors elle continuerait de se mobiliser, même si ce n’était plus à l’ordre du jour du campement. Un long soupir lui échappa, puis elle avisa le camion, où le piano était enfin chargé et les attendait sagement.

- Et sur mon temps libre, je vais composer des sonates ! Ça le fait, non ? Plaisanta-t-elle pour ramener la discussion sur un ton plus léger.