Spoiler:

La première partie du plan fonctionna assez bien – en dépit du pessimisme de Duncan. Le piano glissa grâce au rideau et ils parvinrent à l’amener en haut de l’escalier. Ensuite… ce fut plus expérimental. La masse était lourde, même pour un viking en forme et surtout en pente. Alors à un moment crucial, l’instrument lui échappa et l’un des pieds rencontra les marches. Aïe. Le poil de Selene se hérissa ; sept ans sans jouer, et elle réagissait toujours de façon épidermique quand on mutilait un instrument.

- Ouais, on va faire ça…

Elle n’était plus certaine, ils avaient plus de chance de lâcher le tout en mauvais moment et de l’éclater au sol, mais impossible de faire marche arrière. A la une, à la deux… la jeune femme souleva de toutes ses forces. Question trajectoire, c’était maitrisé. Par contre, le piano était bien trop lourd pour elle. Il fuit ses mains et heurta la rambarde au moment de la franchir. Plusieurs éclats écorchèrent le bois, Selene grimaça.

- Je me demande qui a eu cette idée de merde…, rouspéta-t-elle à son égard.

Quel ne fut pas son soulagement lorsqu’enfin, ils atteignirent le rez-de-chaussée. A priori, l’instrument tenait encore dehors, ce qui était un soulagement. Malheureusement, comme l’avait prédit Duncan, le rideau ne tint pas jusqu’au bout et se déchira juste avant qu’ils ne passent la porte. Impossible de le trainer donc, hors de question de lui faire racler le sol et il était insoulevable, à moins d’avoir envie de se ruiner le dos.

- Changement de plan : on va voir dans le garage si y’a un skate ou un truc du genre ?

N’importe quelle planche à roulettes ferait l’affaire en vérité, même un chariot de manutention lambda, elle n’était pas difficile. Selene avait repéré les lieux plus tôt, lors de sa ronde de recherche, alors elle sut rapidement retrouver la bonne porte. Pas de lumières, évidemment, et le faisceau de sa torche se refléta sur d’épaisses couches de toiles d’araignée. Impossible d’investir les lieux sans s’y confronter et même si elle avait vu bien pire, l’idée de se retrouver avec des bestioles dans ses cheveux ne l’enchantait pas vraiment.  

- Putain, je te jure que y’a intérêt d’y avoir un truc…, maugréa-t-elle.

Spoiler:

Ouais, ça puait. Entre ça et la poussière, le garage n’était vraiment pas une partie de plaisirs. Les semelles de Selene foulaient la crasse qui recouvraient le sol, alors que la lumière de sa torche balayait les étagères croulant sous un barda majoritairement inutile. Elle aperçut d’ailleurs le cadavre squelettique d’un raton-laveur mort et desséché – la source de l’odeur probablement. Contrairement à Duncan, elle fit chou blanc. Les sangles, c’était pas mal, mais la porte qui menait vers un étage inférieur…

- Mouais, je suis pas sûre qu’on trouve mieux…

Mais ses années à piller les ruines lui avaient appris que parfois, on trouvait ce qu’on espérait plus avoir dans les lieux les plus improbables. Après tout, si son propriétaire n’utilisait pas souvent de matériel de déménagement, il pouvait l’avoir bazardé dans un sous-sol, ce n’était pas non plus impossible.

L’issue était évidemment fermée. Il fallut l’enfoncer à coups de pieds, déglinguant complètement la serrure au passage. La porte s’ouvrit donc avec fracas, des morceaux métalliques dégringolant les marches moutonneuses de l’autre côté. Il faisait encore plus sombre et la densité de poussière était telle que Selene fut prise d’une crise d’éternument. Clairement, ça n’avait pas été aéré depuis LONGTEMPS.

- Je passe devant.

Les habitudes avaient la vie dure, et ce fut derrière le canon de son arme qu’elle descendit l’escalier. Pas de bruit, sinon les grincements plaintifs des marches usées. Arriver en bas, on croirait presque qu’il y avait du brouillard. Une forte odeur de renfermé et de crottes de rats surchargeait l’air déjà irrespirable.

- Oh, je vois…

Dans la première pièce de la cave, il y avait une batterie et des amplis guitare/basse. Des instruments étaient encore suspendus à leurs stands, câblés, médiators coincés sous les cordes. Des gens devaient répéter ici. A en juger par les graffitis au typex sur le corps des grattes d’entrée de gamme, Selene parierait sur des lycéens.

- Ça te rappelle des souvenirs ? plaisanta-t-elle en lançant une œillade à son ami, tiens, viens par-là…

Dans une pièce annexe, sans porte, s’amoncelait un tas innommable de fourbi. S’ils n’avaient pas peur de se prendre la montagne sur la tête, ni de plonger les mains dans un nid à poussière, il y avait peut-être leur bonheur là-dedans…

- Dommage… j’aurais adoré te voir lancer le premier groupe de metal post-épidémie, plaisanta-t-elle avant de s’intéresser au fourbi.

Duncan laissait s’exprimer sa colère, la musicienne commençait à délicatement manipuler les objets entassés sous la poussière. Un épais nuage s’envola quasi immédiatement, provoquant une irrésistible quinte d’éternuements. Les larmes lui en montèrent aux yeux et la sensation que ses muqueuses étaient désormais tapissées de crasse ne la quittait pas. Tout en bougonnant, elle persévéra un peu mais ne réussit qu’à manquer de se prendre les restes d’un meuble à chaussures sur la tête.

- Non, j’ai rien ! Râla-t-elle en déclarant forfait.

Sa peau moite de sueur et ses cheveux étaient maculés de moutons gris, ses sclères avaient rougi à cause de l’irritation. La pianiste jaugea le charriot de son ami et haussa les épaules – c’était mieux que rien. D’un signe de tête, elle lui indiqua qu’ils pouvaient remonter et retrouver leur casse-tête. Bon. La prochaine étape compliquée, ce serait de soulever l’instrument pour qu’il passe sur la planche… et ensuite espérer que la planche ne casse pas.

- T’es prêt ? Je pense qu’il faut lever un côté, passer la planche en dessous, je la tiens pendant que tu pousses le piano dessus.

Allez, ça devrait marcher, hein ? Les deux compères s’obstinèrent un moment et parvinrent au bout de leur tâche au prix d’interminables minutes de labeur. Définitivement en nage, le teint coloré par l’effort et les muscles en coton, Selene souffla pour évacuer l’épuisement. Le pire, c’était qu’ils n’en avaient même pas terminé…

- Bon, plus qu’à rouler jusqu’au camion maintenant, et…

Et le plus dur resterait à faire. Mieux valait ne pas y penser pour l’instant et prudemment déplacer le piano en équilibre précaire. Ce charriot était fait pour supporter des humains, pas des instruments de trois cents kilos ; les roues grinçaient pendant le trajet, protestant contre la charge qui lui était infligée. Heureusement qu’aucun mordeur ne trainait dans les parages – il n’aurait plus manqué que ça.

- Dis, ça te donne pas envie de te récupérer une batterie tout ça ? Ce serait sacrément moins chiant à bouger en plus…