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Isalín serre les derniers lacets de sa combinaison en cuir et vérifie qu’elle n’oublie rien.

- Nouveau sac à dos ? Check. Et il est grave moins stylé que l’ancien.
- Pistolet semi-automatique ? Check. Elle n’a que 8 balles, mais il est coincé dans sa ceinture.
- Talkie ? Check. Allez savoir combien de temps durera la batterie.
- Denrées alimentaires ? Check. Des baies et des restes de gibiers, ils en ont en pour trois ou quatre jours. D’ici là, s’ils ne crochèrent pas par la Ferme de Fort Ward pour faire un plein, ce sera au talent.
- Carnet bucket list ? Check. C’est carrément le plus important.
- Boussoles, cartes, allumettes, gourdes thermos ? Quadruple check.
- Affaires de toilettes ? Check. Ça se résume à un peigne, une brosse à dents et un vieux bout de savon.
- Vêtements de rechange ? Check². Elle n’a que deux tenues différentes et quelques sous-vêtements. Dans quelques jours, ils sentiront tous le bouc de toute façon…

Machinalement, elle flatte l’encolure d’Anoki. Sur la croupe de l’animal sont accrochés leurs affaires de couchage : duvets, couvertures et une tente pour deux qu’ils devraient partager à trois. Ce sera cosy !

C’est l’heure. Ça lui fait tout drôle de se dire que cette fois, elle dira au revoir à la région pour un long bout de temps. Peut-être pour toujours. L’Islandaise ne s’en sent que plus ragaillardie ! Elle ne peut empêcher un sourire de fendre son visage.

- Oubliez pas : l’premier truc, c’est d’trouver un polaroïd ! Elle a hâte de commencer leur carnet d’aventure, j’peux monter sur Anoki ? Ça m’entraine ! demande-t-elle à son copain, qui a récemment commencé à lui apprendre à monter.

- Ah ouais ? C'est pas de survivre ?

Si Kaya n'a pas particulièrement envie de critiquer l'intérêt d'un polaroïd, elle tente quand même de garder les pieds sur terre. La lakota décoche un petit regard en direction de sa meilleure amie puis poursuit l'inspection de son propre matériel. Globalement ? Le même que celui de ses camarades. Ils ont au moins eu le bon goût de s'équiper un minimum avant de se jeter dans la gueule des coyotes canadiens, eh ouais !

Ca t'entraîne à quoi ? Pas faire marcher tes petites jambes ? Ca l'ennuie un peu qu'Isa ait posé la question à Joa' avant elle. Parce qu'elle mentirait si elle disait qu'elle n'avait pas envisagé de commencer cette journée de marche par un petit séjour sur la salle d'Anoki, elle aussi, Kaya. On devrait p't-être l'économiser un peu, j'me dis ? La pauvre bête va devoir sacrément trotter ces prochains jours. Et la jeune femme suppose qu'il se retrouvera bien vite avec plein de trucs supplémentaires sur le dos si elle se fie à la bucket list de sa camarade.

Terminant de s'équiper, la lakota fait faire un petit tour à son tomahawk sur le plat de sa paume puis le glisse à sa ceinture avant de s'étirer d'un air satisfait. Franchement ? Elle est contente de partir à l'aventure, de découvrir de nouvelles choses et puis, surtout, de quitter ces lieux. Elle aura plein de choses à raconter à sa mère et aux autres, à son retour. En fait tu m'as pas dit c'que t'avais mis sur ta liste, toi, Joa' ? Qu'est-ce que peut bien désirer l'homme qu'il est devenu ? Un ballon d'basket ? Franchement ? Elle ne prend pas beaucoup de risques en imaginant ça. Elle espère vraiment qu'ils n'en trouveront pas.

Elle a assez fait de basket pour toute une vie, déjà, Kaya !

Je finissais d’harnacher Anoki pour le grand départ. Il n’était pas assez équipé à mon goût pour tous les projets fous que nous avions en tête, mais c’était aussi mon cas. « Première chose, il va falloir surtout qu’on s’équipe pour des températures plus froides et pour la montagne… pareil pour Anoki ! » J’imaginais qu’on aurait moins de mal à trouver ce qu’il fallait en se rapprochant de la frontière canadienne, alors peut-être qu’un polaroïd serait plus facile à obtenir dans un premier temps sur le chemin.

Je souris un peu devant l’enthousiasme d’Isalín, lui faisant la courte échelle pour monter sur Anoki avant de lui remettre les rênes de l’hongre entre les mains. Kaya était davantage boudeuse, même si je savais avec le temps que la fière Lakota se donnait uniquement un genre pour cacher sa joie. « On va se relayer sur Anoki, il est plus endurant que nous. On couvrira plus de distance comme ça. » Si, à tour de rôle, on montait sur son dos, la fatigue se ferait moins ressentir et surtout… il n’y aurait pas de jalouses !

Je regardais une dernière fois la prison, après avoir passé ses portes. « C’est marrant, c’est là que tout a commencé… » Et là que tout finit ? Peut-être… Kaya me sortit rapidement de mes pensées en évoquant plutôt notre avenir : la bucket list ! J’eus un sourire songeur. « Je veux aller à Three Lakes déjà, chez mon père ! On fera une halte là-bas avant le Canada. Et j’ai pas encore terminé ma liste… » Bizarrement, avec Kaya, j’étais un peu plus réticent à aborder mes idées les plus folles. Elle avait toujours été un peu du genre à juger, comme actuellement. « Euh… tu voudrais que je fasse quoi d’un ballon de basket ? T’es prête à jouer avec moi maintenant ? »

La jeune femme lève les yeux au ciel et jauge une à une les deux personnes les plus importantes de sa vie.

- Vous faites un super couple de rabat-joie, j’ai peur de tenir la chandelle, raille-t-elle avec malice.

Évidemment qu’ils ont des priorités plus prioritaires que l’appareil photo, mais… zut, c’est justement parce que c’est la base que ça va sans dire. Faut s’attarder sur le piment de ce voyage un peu ! Quant au froid, bah… s’il y a une chose dont elle se souvient très bien de son île natale, ce sont ses hivers à couper le souffle. Les températures négatives, elle connait ! Même en été, Reykjavik avait une température moyenne équivalente à un automne de l’état de Washington. Deux salles, deux ambiances.

- Héhé, appuie Isalín quand son petit ami a confirmé qu’elle peut rester sur sa monture, non sans adresser une grimace taquine à la jalouse de Kaya.

Trop concentrée à guider Anoki et à ne pas se casser la figure, l’Islandaise ne participe pas à l’échange entre ses paires piétons. De toute façon, elle n’éprouve pas la même nostalgie à l’égard de la prison : pour elle, son histoire avec eux a commencé à Kent, et ça fait bien longtemps qu’elle n’y est pas retournée.

- Parlant d’balle de basket, vous pensez qu’ils vont bien les autres ?

Ruben. Wyatt. Ils n’ont pas vraiment moyen de le savoir, mais c’est histoire de spéculer ensemble !

- Si t'as plus de doigts t'auras du mal à la tenir, de toute façon, ta chandelle...

Un petit regard complice à sa meilleure amie plus tard, Kaya hoche la tête pour signifier à Joa' qu'elle approuve son idée de s'équiper en vêtement chauds. Là, l'hiver est encore devant. Et le Canada n'était déjà pas particulièrement réputé pour son climat avant que les coyotes répondent à l'appel des mauvais esprits. T'as déjà une idée de l'endroit où on peut trouver de quoi équiper Ano' ? demande-t-elle ensuite. Elle suppose qu'il a déjà dû songer à ce genre de détails. Après tout il s'est très bien démerdé sans elles par le passé...

Ca l'emmerde un peu d'ailleurs, ça, Kaya !

Le fait qu'Isa puisse vraiment prendre place sur la monture aussi, d'ailleurs. Et réponds à sa grimace par la sienne, tout aussi enfantine. La voici donc condamnée à gambader un temps au côté de l'animal tandis que Joa' semble presque nostalgique en quittant la prison. L'histoire est loin d'être terminée... lui souffle-t-elle gentiment, ne sachant pas trop s'il regrette de tourner une page ou s'il se réjouit d'en écrire une nouvelle. Quant à cet arrête par Three Lakes. Pourquoi s'y opposerait-elle ? Y'a des chances qu'on trouve une autre Game Boy, là-bas ? Si oui alors elle est prête à presser davantage le pas. Même si ce rythme pourtant normal qu'ils suivent déjà mettent déjà à mal ses poumons.

La lakota transforme son rictus en sourire lorsqu'ils se retrouvent à évoquer le basket et que Joa semble presque étonné qu'elle lui pose la question. C'que tu ferais d'un ballon d'basket ? T'es sérieux, là ? Elle tousse un peu lorsqu'elle tente de rire. Mais t'as raison, ouais, d'toute façon j'avais pas hyper envie de jouer ! Il ne faut pas qu'elle lui donne des idées. En fait elle regrette déjà d'avoir posé la question et est plutôt contente qu'Isa change de sujet, et évoque leurs amis. 'Ben est increvable et Wyatt... J'm'en cogne un peu ! Pas vous ? Bon, depuis ce petit flirt particulièrement frustrant qu'il lui a fait endurer, clairement, elle n'a jamais réussi à entièrement recoller les pots cassés avec lui. Ni cherché à sincèrement le faire, d'ailleurs. D'toute façon c'est pas comme s'ils avaient cherché à nous contacter donc faut croire qu'la réciproque est vraie? Ben oui, ce silence radio, ça ennuie la jeune femme. Elle le prend pour une forme de désintérêt.

« Tu dis ça parce que tu n’as jamais froid, Isa… » Il n’était pas question que nous allions jusqu’au Canada, durant le mois le plus froid de l’année, sans être correctement équipé ! On n’allait pas survivre deux semaines sinon. Heureusement, Kaya abondait dans mon sens en s’intéressant un peu à la question. « A Three Lakes, justement ! Je vivais dans un ranch. Et pour la Game Boy, peut-être… » Je lui offris un sourire de connivence, avant de lever le regard vers la cavalière improvisée. « Mais on peut chercher un appareil photo en chemin aussi ! » L’un n’empêchait pas l’autre, non ?

Que Kaya parle subitement de basket, en espérant découvrir quelques entrées de ma bucket list, nous fit aussitôt tous penser à nos camarades partis quelques mois plus tôt. « Justement. Je vais pas jouer tout seul… mais sans Ruben et Wyatt dans les parages, t’as une chance de gagner tu sais ? » Je n’étais clairement pas le meilleur à ce jeu-là. Plus jeune que les deux autres, je m’étais aussi moins développé : plus petit, plus nerveux… même si j’aimais le basket, je n’excellais pas dedans.

Penser à eux me fit perdre peu à peu mon sourire. « Je sais pas… » Répondis-je tièdement, mais honnêtement, à Isalín qui se demandait s’ils allaient bien. « Ils ont voulu fuir plutôt que faire front, mais je vois pas en quoi c’était moins dangereux. » Je n’avais pas fait ce choix-là. Et si les propos de Kaya me choquèrent un peu au début, je compris rapidement que c’était la rancœur qui parlait. « T’as raison… » Une grimace amère déforma un peu mes traits. « On ne sait pas où ils sont partis, Rafaël et Lily n’ont pas voulu nous dire… et en plus ils sont revenus en moins de deux semaines, tous les deux, alors pourquoi les autres ne sont pas venus s’inquiéter notre sort ? » Peut-être qu’ils n’en avaient finalement rien à faire… « On les a attendus tellement longtemps, sans nouvelles… » J'espérais seulement qu'ils n'étaient pas tous morts. Mais dans le cas contraire, je leur en voulais pas mal de ne pas s'être inquiétés de notre sort, ou pas suffisamment pour être revenu à Gig Harbor ces mois passés.

Elle n’a jamais froid parce qu’il ne fait jamais froid ! Mais bon, le débat n’amènera à rien vu que ce sont de petits américains fragiles (hihi) et qu’en présence de Kaya, elle ne peut décemment pas arguer qu’elle réchauffera son copain elle-même. Concentrée sur sa monture, l’Islandaise regrette un peu finalement d’avoir lancé la question sur leurs anciens camarades. L’amertume est palpable, tellement qu’elle en a la gorge serrée et n’ajoute rien.

Il se passe ainsi de longues minutes dans un silence lourd, ponctué par le clapotement des sabots et le bruissement de leurs fringues. Isalín commence déjà à avoir mal aux cuisses – et aux fesses – mais elle ignore la douleur, comme elle sait le faire. On ne devient pas athlète sans un minimum d’endurance à la souffrance ; son passif lui sert à quelque chose, en dépit d’avoir été championne olympique.

Ils prennent un embranchement qui les fait rejoindre l’autoroute. Un troupeau de carcasses rouillées gît sur l’asphalte éventré par des touffes d’herbe folle. A leur approche, un chat errant, sauvage, descend de son perchoir et déguerpit. Lorsqu’ils arrivent à l’intersection qui dévie de la grande route pour la Purdy drive, la jeune femme tire les rênes pour faire se stopper Anoki.

- ’ttendez, ça m’dit un truc ici… faites voir la carte, elle repousse ses mèches noires, avisant le vieux panneau d’intersection, puis quand on lui a donné ce dont elle a besoin, ici-là, on peut pas passer, Isalín désigne la voie qui coupe à travers la baie pour relier Purdy at Wauna, vous vous rappelez ? On a voulu traverser par là en revenant d’la Ferme, et c’était tout inondé, la faute au temps et à pas de chance, on contourne par Burley et on fait une pause là-bas ?