J'ai jamais lu le Petit Prince. J'ai juste vu quelques images, ici et là. Et puis je connais cette histoire de chapeau qui est en fait un boa. Ça date de mon enfance, à l'école. En tout cas j'ai toujours pensé que l'auteur ne savait pas dessiner, indéniablement. Moi non plus je ne sais pas, mais au moins je ne m'y essaye pas.

Enfin, du moins je ne m'y essayais pas jusqu'à récemment. J'ai du temps à perdre en fin de journée, et je me suis mis en tête d'apprendre à griffonner. Je m'y essaye secrètement parfois dans l'enclos des chiens, là où personne ne vient théoriquement me déranger, mais je dois bien avouer que jusque là, mon skill s'arrête aux bonhommes-bâtons.
C'est pour cette raison que j'ai rendez-vous avec Otis ! Le métisse est un artiste dans l'âme, et particulièrement talentueux au demeurant.

Je repense à notre première vraie discussion. Je lui avais chipé son sac pour fouiller dedans. Je ne sais pas ce que j'espérais y trouver, mais c'est sur son carnet de dessin que j'étais tombé. Finalement il m'a donné un croquis qu'il avait fait de moi, et qui a fini punaisé sur le mur de ma caravane. Comme les suivants, d'ailleurs, ceux qu'il m'a offert au fil du temps.
Sauf celui du dernier Noël, un portrait de Milow et moi. Lui il a atterri dans notre chambre à l'Hôtel, entre deux posters de Spiderman.

Le temps étant relativement clément aujourd'hui, c'est dehors que j'ai donné rendez-vous à Otis. Habillé quand même d'un bon manteau qui surplombe -cherchez pas la logique- une jupe écolière à carreaux relativement courte, je me pointe à notre lieu de rencontre, où il m'attend déjà. Un rapport avec le fait que j'ai cinq minutes de retard ? Probable. Disons que j'ai eu un peu de mal à quitter l'enclos des chiens, Groot et Rocket avaient décidé de se battre pour un os de sanglier, ces deux idiots.

- Bonjour beau gosse ! Que je lui lance une fois à portée de voix. Je m'approche encore, large sourire avenant aux lèvres. Comment vas-tu ? Je m'assieds près de lui et m'empresse de fouiller dans mon sac à dos pour en exhiber fièrement quelques feuilles froissées et un vieux crayon mâchouillé, piqué à Alex. J'ai trouvé ça ! Je me montre certainement un peu trop enjoué, surtout que je ne sais pas du tout comment il compte commencer son "cours". J'espère que t'as du temps devant toi, parce qu'il y a du taff..

Assis à une table de jardin, Otis profite des quelques rayons du soleil, une tasse de café noir à la main. Il attend patiemment Derek. Les deux jeunes hommes se sont mis d’accord pour se voir quelques heures, le plus jeune ayant une requête bien particulière : apprendre à dessiner. Et qui de mieux pour cela que le métis ? Le dessinateur a toujours aimé partager sa passion, et c’est avec plaisir qu’il a accepté d’aider son ami à progresser.

Perdu dans ses pensées, Otis ne fait pas particulièrement attention au temps qui passe, concentré sur ce qui l’entoure. Il pourrait passer des heures à observer ce qui se trame autour de lui, du papillon qui prend son envol pour aller se poser sur une autre fleur aux formes des nuages qui clairsèment le ciel. Parfois, il faut prendre le temps d’observer ce qui est beau et simple ; d’autant plus dans ce monde devenu chaos. C’est une bonne façon d’échapper à la réalité, de balayer ses pensées de toutes pensées obscures et d’empêcher de déprimer.

Alors quand Derek l’interpelle, Otis met quelques instants à réaliser sa présence, revenant brusquement à la réalité. Ses paupières papillonnent brièvement avant qu’un grand sourire illumine son visage. Il lève la main pour saluer son ami. « Oh salut ! » Le ton est accueillant et il lui fait signe de s’installer sur la chaise près de lui. « Jolie jupe ! » S’exclame-t-il en désignant la tenue du brun, appréciant toujours l’originalité de ses vêtements. « Je vais bien et toi ? » Demande-t-il d’un mine bienveillante, comme à son habitude.

Derek déballe finalement ses affaires, des feuilles et des crayons, Otis y jette un œil avant de souffler d’une voix enjouée « Parfait ! » Ils n’auront pas besoin de grand-chose de plus « C’est suffisant pour commencer. Et de toute façon, tu pourras emprunter mon matériel. » Explique-t-il avant de demander « Une idée de ce que tu veux apprendre ? Un style particulier ? » Avec sa formation, il a écumé presque tous les styles de dessin… Mais aussi la peinture, la sculpture, le modelage…

Otis met quelques secondes à réagir et j'avoue que ça m'arrache un sourire. Je me surprends même à me trouver attendri par les rêveries de mon ami. Je l'envie, de réussir à s'évader de la sorte. Je le vois souvent la tête dans les nuages, il a alors l'air.. paisible ? Oui je crois que c'est le mot. Je me demande ce qu'il voit, à quoi il pense. Mais jamais je ne lui poserai la question, ça me semble bien trop intime. Et j'ai appris à respecter ça. Le jardin secret des uns et des autres. J'ai arrêté de fouiner partout. Enfin, en grande partie, ma curiosité est toujours dévorante.

Il papillonne avant de me sourire, et je craque comme d'habitude devant son expression de candeur. T'es vraiment un soleil à toi tout seul..  Que je lui balance à mi-voix, peut-être plus pour moi que pour lui. Milow ne sourit pas vraiment, ou que trop rarement en tout cas, et je dois avouer que parfois, le voir heureux me manque. J'aimerais le faire sourire d'avantage, avoir l'impression de lui apporter un bien, ou au moins un mieux. Et même si je sais qu'il a évolué depuis qu'on est ensemble, ça c'est quelque chose qui coince toujours.
Je secoue la tête pour reprendre mes esprits et soupire doucement malgré moi, avant de sourire à mon tour, fièrement, quand Otis complimente ma tenue. Je me fends d'une révérence très exagérée et lâche un rire. Merci ! Je vais pas mentir, je l'adore. Même si je me caille un peu, mais c'est un détail. Faut souffrir pour être belle. Le féminin est sorti tout seul, comme souvent. Il doit commencer à s'habituer à mes changements de genre.

Je viens m'asseoir près de lui, m'installe en tailleur et descend ma jupe sur mes cuisses pour rester décent. Ça va bien, j'étais impatiente de venir prendre mon premier cours de dessin ! Enfin.. ça va être un cours de gribouillage, pour commencer, à mon avis, mais bon. Je souffle un rire, très au clair sur mes compétences actuelles. Mon sourire s'agrandit encore quand il valide mon matériel de fortune, et m'indique que je pourrai lui emprunter le sien. Vrai ? Putain j'suis honorée. Mais j'aurai probablement trop peur de te les péter, je vais être sincère.

Mon crayon se pose sur la feuille et je dodeline doucement de la tête. Le style, genre.. comics. Tu maîtrises ? ça me plairait bien d'apprendre ça. On en lit beaucoup avec Milou. C'est un euphémisme, on dévore les magazines qu'on trouve et les lit et relit des dizaines de fois, jusqu'à parfois en connaître par cœur les répliques.

Le sourire de Derek est communicatif. Le métis est heureux de le voir. Ces deux-là s’entendent à merveille et leurs échanges sont généralement simples, sans faux semblant. Ils ont la même vision des choses, le même attrait pour tout ce qui est beau, ce qui change de la « normalité » même si cela peut choquer les autres. L’artiste n’est nullement dérangé par la tenue de son ami, au contraire, il l’aime beaucoup ! Cette excentricité chez le brun fait partie de lui, de son caractère et c’est cette singularité qui fait que le dessinateur l’apprécie autant !

Quand Derek lui explique qu’il a tout de même un peu froid, Otis laisse échapper un rire franc avant d’ajouter « Si jamais tu as trop froid, j’dois avoir un ou deux plaids dans mon van. » Ils vont rester un moment assis là, ça serait dommage qu’il attrape froid.

Une fois son ami installé, le cours peut commencer. Aux paroles de Derek, le métis bascule légèrement la tête sur le côté. « S’il y a bien quelque chose que j’ai appris en dessinant, c’est qu’il ne faut pas se sous-estimer. Tu n’as jamais pris de cours, c’est normal de ne pas réussir au début. Mais tu ne dois pas partir défaitiste ! » C’est en s’entraînant qu’il va s’améliorer. Et qu’il ne s’inquiète pas, Otis n’est pas la pour juger son travail, mais pour l’aider.

Un sourire bienveillant étire les lèvres de l’artiste qui répond finalement à la dernière question qu’on vient de lui poser « Si je maîtrise ? Je ne veux pas paraître présomptueux ou faire le gars qui s’y croit trop… Mais j’ai fait éditer plusieurs Comics peu de temps avant le début de l’épidémie. Je commençais à me faire connaître un peu… » Lui aussi a toujours été passionné par ce style et il devrait pouvoir guider Derek sans difficulté. « Bien ! Pour commencer, je vais te demander d’essayer de reproduire des dessins simples. Pour voir comment tu t’en sors. Je t’ai préparé quelques exemples, tu choisis ce que tu veux dessiner. Pas de gomme. Tu ne te focalises pas sur le rendu final, ce n’est pas le plus important. Je veux juste voir comment tu te débrouilles, d’accord ? »

Je me demande comment on a pu ne jamais finir au pieu ensemble, lui et moi. Ça tient du miracle que je ne lui aie pas sauté dessus quand on s'est rencontré. Il est beau, souriant, doux et attentionné. Bon ok, à l'époque c'est pas vraiment ce que je recherchais, j'étais plus dans des relations brutes de décoffrage.
Enfin bref, aujourd'hui je le considère comme un très bon ami et j'aime ça.

Son rire m'en arrache un à mon tour et j'acquiesce à sa proposition. Je vais pas faire trop ma maligne, j'avoue que si t'as une couverture à me coller sur les jambes je dis pas non. Que je lui avoue finalement en me frottant les cuisses avec mes paumes ouvertes. Je doute d'attraper un rhume juste pour ça, mais question confort, ça se pose là effectivement.

- Oh pourtant je suis pas tellement du genre à me déprécier, tu me connais.. Là je suis plutôt, genre.. réaliste ? Je lui glisse un sourire amusé avant de redevenir un brin plus sérieuse, ou du moins concentrée, ce qui n'est déjà pas si mal pour quelqu'un qui a tendance à partir dans tous les sens. En fait c'est surtout que l'échec m'agace profondément.. ne pas réussir du premier coup, ça me fait chier. Et dessiner ben.. ça va me forcer à travailler sur, disons. Cet aspect de moi-même, quoi. Promis, je vais faire de mon mieux pour pas m'énerver toute seule !

Mon regard s'écarquille quand il me parle de son passé de dessinateur, sans fausse modestie, et je dois même avoir quelques étoiles dans les yeux. Mais c'est trop bien ! Je suis dég' de pas t'avoir connu avant tout ça, tiens.. Enfin, à l'époque j'étais pas une mordue de comics, faut dire.
Mais quand même, c'est un putain de super hasard. Je tape un coup sur mes cuisses en signe de détermination, et vient attraper les différentes feuilles qu'il me tend, pour choisir un modèle. Pas folle la guêpe, je prends celui qui me semble le moins difficile. Enfin.. ça ne veut pas dire que ce soit réellement le plus facile au final. J'y connais rien, après tout. J'attrape ma feuille vierge, mon crayon et je me mets à gribouiller, essayant de suivre les lignes pour les reproduire au mieux. Et franchement.. je m'en sors carrément pas mal.

- Alors chef.. t'en dis quoi ?

Spoiler:

C’est vrai qu’il ne fait pas très chaud dehors. Ils auraient pu s’installer dans le van du métis mais cela manque de lumière à l’intérieur. Ils y verront plus clair dehors. Néanmoins, Otis ne tarde pas à répondre à la requête de son ami. « Je vais te chercher ça ! » Dit-il, s’éclipsant quelques instants dans le véhicule. « Tiens. » Il ne tarde pas à revenir avec deux plaids, ainsi qu’une thermos de café et deux gobelets. « J’ai fait du café, t’en veux ? » Propose-t-il en s’installant près de Derek.

L’androgyne lui fait part de sa crainte de l’échec. Le dessinateur l’écoute avec attention, comprenant parfaitement ce qu’il veut lui faire entendre. Mais l’artiste le rassure rapidement « Cela ne peut pas être parfait du premier coup. Le dessin demande beaucoup d’entraînement. Il faut vraiment persévérer, même si on a l’impression que ce que l’on fait n’est pas au niveau de nos attentes. » Lui-même a eu quelques périodes de doute mais il n’a jamais abandonné. Il faut dire qu’il a été soutenu dès le début par ses parents et ça a clairement joué. Et c’est ce qu’il compte faire avec Derek. D’ailleurs, il lui conseille également « Au fil des années j’ai appris qu’il ne fallait pas être trop perfectionniste. Il y a des jours où l’inspiration vient, où l’on va être satisfait de son travail. Puis d’autres, où on est moins bien. Les émotions y sont pour beaucoup ; enfin, pour moi, ça a toujours eu beaucoup d’impact sur mon travail. » Il en sait quelque chose… « Mais au-delà des périodes compliquées, le dessin a été une vraie thérapie pour moi. Et je t’avoue que c’est encore le cas aujourd’hui. Des fois, le simple fait de gribouiller quelques traits, sans me soucier du résultat… C’est apaisant. » Un sourire étire ses lèvres, son ami sait évidemment de quoi il parle.

Otis veut vraiment faire comprendre à Derek qu’il ne doit pas se mettre la pression. Pour l’instant, le résultat n’est pas la priorité. « De toute façon, je ne suis pas là pour te juger mais te conseiller et t’aider à t’améliorer. On a tout notre temps, c’est toi qui décide quand tu veux arrêter. » Il sourit à nouveau alors que son ami se met au travail. Attentif, l’artiste regarde son ami reproduire son premier modèle. Il reste silencieux, jusqu’à ce que le brun lui demande son avis. « Tu te débrouilles très bien ! Les proportions sont bien respectées, les détails aussi. Continue comme ça ! » L’encourage-t-il à nouveau. « Si quelque chose te pose problème, n’hésite pas à me le dire. » Conclue-t-il, finalement.

Le métis s'éloigne et je peux pas m'empêcher de regarder son cul qui balance. Bordel, je suis vraiment sur les dents. Les relations platoniques c'est pas mon fort. Faut vraiment que je sois amoureuse de Milou pour supporter de subir ça.
Je détourne les yeux à son retour, et récupère un des plaids qu'il pose sur ses genoux. Volontiers pour le café ! Et merci pour la couverture. Maintenant on dirait une petite vieille dans sa maison de retraite. je me marre de moi-même, de bon coeur.

Puis la discussion se poursuit et Otis comme à son habitude se révèle attentif et bienveillant. C'est ça le plus dur.. me dire "ok, pour le moment c'est moche, mais si je continue ça sera mieux."  Moi je suis plus du genre... ça passe ou ça casse, en général. A nouveau je l'écoute avec attention. C'est intéressant, et j'en apprends encore un peu plus sur lui en prime. Je comprends l'idée.. Le jour où je le sens pas, je m'y essaye pas. Ça va pas me plaire, je vais m'énerver, et avec un peu de chance je vais tout envoyer chier.. je me connais. Impulsive, moi ? naaaan. Si peu.

Je souris quand il évoque le bien que ça lui fait de dessiner, et j'acquiesce doucement. Je le vois bien, oui.. Souvent même je t'envie de trouver autant de paix dans ce monde de merde. Moi, j'ai quoi ? Rien, en fait. J'ai Milow. Mais ça fait pas tout, loin s'en faut. J'ai beau chercher, j'ai pas de passion dans la vie. D'un coup je me sens un peu vide, un peu.. triste. Ça doit se voir sur ma gueule, à tous les coups.

- Ok... ok, c'est noté. Que je reprends avec un peu moins d'entrain, du coup. T'es pas mon prof, t'es mon guide. D'ailleurs ça m'arrange, j'ai jamais été bonne à l'école. T'es allé jusqu'au bout de ton cursus d'Art ? Le silence se fait le temps que je travaille à recopier son image, concentrée, et finalement.. étonnamment pas si dégoûtée que ça de ce qui nait sous mon crayon. D'autant moins quand il me félicite et m'encourage. J'avance encore un peu.. Puis fronce les sourcils. Efface. Recommence. Ré-efface. Recommence encore. Et finalement lâche un râle de désagrément, en lui pointant un bras, dont la position et la perceptive me bloquent totalement.

- Otiiis! J'ai besoin de toi.. Je comprends pas comment il est, son bras. Quand c'est moi qui le dessine, il est tout tordu et mal foutu.