Assise devant la caravane qu'on occupe avec Sienna, je passe mes nerfs comme je peux en évitant d'aller directement péter la gueule de Kerwan. Même si ce serait largement mérité. Ce connard a vraiment bien apprécié son séjour chez New Eden pour être devenu un fils de pute pareil. Autant j'avais rien contre lui à l'époque quand on était à l'hôtel des Barnett, autant là je peux plus me le voir en peinture. Mais pour qui il se prend cette merde là ? Si Phoebe était pas intervenue, j'aurais repeint la barricade avec ses tripes. En guise d'avertissement pour quiconque voudrait nous faire chier, tiens. Ou me faire chier. Plus simplement.

Alors bon, à la place de le tabasser et de lui faire bouffer les couilles qu'il croit avoir sous prétexte qu'il m'a tenu tête, je préfère me concentrer sur l'aiguisage de ma hache. Alors je passe lentement la pierre sur la lame, faisant attention à ne pas l'abîmer et au contraire à la rendre coupante comme un rasoir. Mais je suis interrompue dans tout ça par l'arrivée de Phoebe. Je relève mon iris vers elle, soupirant un coup quand elle me demande comment ça va. Et qu'elle enchaîne en disant qu'elle était venue s'assurer que j'étais pas en train de me tirer. Ouais, nan, ça ferait trop plaisir à l'autre fils de pute. Alors c'est pas dans mes plans là tout de suite. J'ai mieux à faire. Aller essayer de retrouver les filles à Tortuga, par exemple.

Prenant une grande inspiration je hausse les épaules et me relève, posant ma pierre sur la marche sur laquelle j'étais assise et rangeant ma hache sous la caravane. Si tu veux, pourquoi pas. Je la rejoins donc et la suis. En tout cas il a eu de la chance que t'interviennes. Sinon je pense que je l'aurais buté. Rien à branler de si je me fais virer à cause de ça. Au moins je suis franche et j'assume mes responsabilités.

Je me suis pas tirée de ce repaire de fils de putes qui se pensaient supérieurs aux femmes pour me taper un connard qui a trois poils au cul et se prend pour King Kong sous prétexte qu'on lui a fait croire des trucs là-bas pendant quelques mois. Donc non, ça s'est pas arrangé quoi. Mais ça, j'imagine qu'elle l'aura compris. J'ai pas envie d'arrondir les angles avec un mec qui se croit supérieur à moi. J'ai juste envie de lui faire bouffer ses couilles puis de lui enterrer le visage dans la boue jusqu'à ce qu'il en crève.

J'ai un petit regard en coin et un léger ricanement qui m'échappe quand j'entends sa remarque sur le fait qu'elle a failli faire une crise. Et bah, il t'en faut pas beaucoup. T'avais l'air moins flippée quand tu posais des bombes, que je lui dis presque avec un sourire en coin un peu amusé. Ouais, j'ai raté pas mal de trucs pendant mon blackout mémoriel moi. De la meuf bossant au bordel qui a essayé de m'aider quand j'ai atterri là-bas à moitié crevée à celle qui démonte le bidonville à coup d'explosifs, je suis pas la seule à avoir des trucs à raconter hein.

J'en sais rien. Déjà il m'a gavée de base en prenant ma hache sans se poser de questions alors que j'étais juste allée chercher un truc pour continuer les travaux. Et après il se la joue chevalier en mode c'est lui qui gère les travaux alors que j'étais déjà là depuis l'aube pour commencer à le faire et que j'étais bûcheronne alors putain c'est pas un type qui m'a demandé de lui apprendre à couper du bois en arrivant qui va pouvoir faire ça mieux que moi. Faut être logique à un moment. Putain de connard qui pense qu'avec sa teub.

Je remercie la brune d'un signe de tête quand elle me refile la tasse, enroulant mes mains autour sans me préoccuper de la douleur comme je sens plus rien à cause des brûlures. Eh, pourtant techniquement c'est moi qui me suis tirée la dernière de ce trou à rat. Enfin, New Eden, pas le bidonville. Mais ouais. Je vois ce que tu veux dire. Des cauchemars, j'en fais plein. Peut-être pour ça que j'essaie de pas beaucoup dormir.

T'inquiète, on est deux. Et encore, si Sienna avait pas été là ils auraient définitivement pris ma mémoire aussi. En clair, moi j'avais vraiment plus rien. En attendant, elle avait encore des raisons de se battre. Mais bon, c'est pas trop le moment de rentrer dans le débat. Chacun ses motivations hein, comme on dit. Je vais pas commencer à lui péter les couilles pour ça. J'ai un petit ricanement par contre quand elle me dit qu'elle savait pas pour mon ancien métier. Faut dire que j'étais plus occupée à baver et à avoir les neurones grillés par les électrochocs qu'autre chose quand on s'est connues de base. Donc je devais pas vraiment être très bavarde sur qui j'étais. Mais si t'as des question, j'ai de nouveau ma mémoire maintenant donc ce sera plus pratique. Mais qu'elle croit pas non plus que je vais lui raconter toute ma vie non plus. Y'a des trucs qui la regardent pas. Et inversement, moi je vais pas lui demander de me raconter tous les détails de son passé.

Je hausse les épaules, prenant une gorgée du contenu de ma tasse sans en avoir rien à foutre d'à quel point c'est chaud. Il était pas un immense connard comme ça que je l'ai connu y'a des années. Mais eh, y'en a qui se sentent plus pisser après avoir été trop en contact avec New Eden et leurs idées. T'inquiète, je le ferai redescendre sur terre bien vite s'il recommence à me faire chier et à me prendre de haut. Sur terre et même six pieds sous terre d'ailleurs. Sans la moindre hésitation.

Six ans ? Bah putain de merde, je crois qu'ils m'auraient crevée depuis longtemps moi si j'avais été à ta place ! Clairement j'aurais pas tenu aussi longtemps. Mais bon, elle les a rejoints de son plein gré apparemment aussi. Donc... Elle devait bien savoir qu'elle risquait d'être déçue. Moi on m'a capturée, c'est différent. Bref. Je souffle un rire sans joie par le nez quand elle parle de cauchemars. Je fais que ça. Et malheureusement ça date pas du Bidonville. Je sais que c'est pas un concours, mais ça date déjà de bien avant l'apocalypse que ma vie est merdique. Alors crois-moi, je sais ce que c'est d'avoir peur de fermer les yeux. Ma mère. Mon père. Mes soeurs. Oxana. Le motel. Alba. La torture. Les flammes. L'électricité. L'eau glacée. Les piqûres. Putain de merde. Je suis sûre que j'en oublie encore.