Après tout ce que nous avions eu à traverser, toutes ces épreuves et cette route qui nous avait forcé à puiser dans les maigres énergies qu'il nous restaient, il était parfaitement normal que Ludwig ait un coup de mou et que la disparition de Voltaire soit un coup de trop. Lui aussi avait le droit de relâcher la pression par moment, ne pas se forcer à toujours être le plus optimiste de tous. A ses mots j'avais pincé les lèvres, posant sur lui un regard désolé ; qu'y avait-il à faire de toute façon ? L'animal volait, il pouvait bien être parti loin et partir le chercher serait de la folie. Il reviendrait probablement, tôt ou tard. Hochant la tête quand il parla du chalet, je lançais un regard circulaire à la pièce.

« Ça va changer oui. »

    Ca ferait même bizarre à dire vrai. Après cette année à vivre tous ensemble au même endroit, croiser quelqu'un pratiquement dans chaque pièce, le vide me rendait nerveux autant que me rassurait. Et partager cette maison avec le libraire me faisait plaisir, si j'appréciais la plupart des membres du groupes, je savais que sa présence positive -d'habitude en tous cas- serait un plus. Quand notre cadet se renfrogna à nouveau, je posais une main qui se voulait rassurante sur son épaule ;

« Penses à te reposer aussi. »

    Bien sûr qu'il n'y arriverait pas avant que Voltaire ne revienne, mais s'il continuait à ce rythme il allait finir par tomber. Le regardant s'éloigner encore quelques instants, je me retournais finalement vers mon épouse, lui adressant un petit sourire peiné, avant de me mettre à visiter chez pièce de la maison. J'avais encore du mal à croire que nous allions réellement vivre ici, que ça allait être notre chez-nous. Chez nous. Est-ce que ça voulait encore dire quelque chose ? Nous étions là, enfin, et c'était une bonne chose, mais j'avais le sentiment désagréable qu'après toutes les pertes subies, jamais plus ce monde ne pourrait m'offrir la place à laquelle j'aspirais. Jamais nous ne seront ici avec nos enfants, ni même les proches que nous avions perdu. Indéniablement, je repensais également à Gary et Rose ; cet endroit n'aurait-il pas été celui qu'il leur aurait fallu pour donner à leurs enfants une promesse d'avenir ? Peut-être, peut-être pas, il était trop tard de toute façon. Soupirant doucement je montais à l'étage, passant rapidement dans les chambres et la salle de bain, pour finalement redescendre.

« Je vais faire un tour dehors. » avais-je lancé à Christy un peu plus loin dans la maison tout en sortant de la bâtisse, m'engageant dans la rue.

Leurs fouilles avaient permis de trouver de quoi se nourrir pour le jour-même. Mais les réserves restaient maigres. Dommage. Cela ne les empêcha nullement pour autant de remettre en ordre le maximum d’habitation de la rue pour qu’ils puissent tous emménager dans ces dernières. Le soir même ! L’idée d’une nuit dans un bon lit n’avait pas de pareil ! Christy avait aidé ardemment au ménage et au rangement et était plutôt satisfaite de la maison qui deviendrait la sienne. Elle aurait aimé s’y retrouver seule avec Alan, mais elle savait que la cohabitation avec Ludwig serait un moindre mal. Le jeune homme était discret et bien élevé. Ils s’entendaient bien.

Ils retrouvèrent d’ailleurs ce dernier à l’entrée de la maison, de toute évidence inquiet pour son canard. Christina avait beau connaitre l’attachement du garçon pour l’animal, elle ne parvenait pas vraiment à partager son inquiétude. Après tout ce qu’ils avaient traversé, le sort de Voltaire la laissait simplement indifférente. Elle fit une moue encourageante et le regarda partir en hochant une épaule.

- C’est un garçon fragile, dit-elle à son mari, bien consciente qu’ils pourraient tous les deux avoir un rôle à jouer par l’avenir pour essayer de le renforcer.

Le couple fit le tour de la bâtisse et la femme fut un peu déçue de voir Alan prendre la poudre d’escampette aussi vite. Elle voulait s’installer, prendre pleinement possession des lieux, mais était visiblement la seule dans cet état d’esprit. Elle hocha simplement la tête et resta seule dans la grande maison. Le silence l’enveloppa et au contraire de ceux qui pouvaient s’en montrer effrayé, elle en savoura chaque seconde. Son regard fit le tour de la pièce autour d’elle et elle pinça les lèvres. Deux minutes plus tard, elle retirait la photo d’un cadre qu’elle avait trouvé au salon et y glissait l’un des portraits qu’elle avait réussi à sauver de sa famille. On y voyait un Alan hilare, qui échangeait un regard complice avec James. Puis la mine sérieuse de Sven à leur droite et le sourire séducteur de Christina à l’appareil photo. Elle regarda un long moment le cliché puis posa le cadre dans la chambre qui lui avait été attribuée. Elle recréerait un foyer entre ces murs, c’était décidé.

Son regard coula vers la fenêtre et elle fit un petit signe de la main à Arthur qui passait au dehors.

Les yeux rivés sur les différentes maisons qui composaient le quartier, Blake adressa quelques sourires timides aux personnes qu'elle croisait. En totale liberté, Khan en profita pour aller se rouler dans le tas de neige qu'ils avaient fait un peu plus tôt en déblayant les allées afin de les rendre praticables. Même devant ce spectacle qui l'amusait autrefois, Blake eut du mal à se réjouir. Le poids qu'elle sentait sur son cœur était bien trop présent. Elle ne remarqua Quinn qu'une fois que cette dernière en face d'elle. Un peu surprise par son étreinte, Blake se laissa faire sans vraiment y participer.

Les mots de la rouquine lui firent chaud au cœur. Mais pour elle, à ce moment là, il n'y avait pas de victoire. Seulement des pertes. Un sourire gêné sur les lèvres, elle hocha doucement la tête pour lui faire comprendre qu'elle n'avait pas à la remercier. Blake n'y était pas pour grand chose. « Tu devrais te reposer. La journée de demain sera chargée. » Répondit elle avec tendresse, une main posée sur l'épaule de la rouquine avant de reprendre la marche en direction de sa propre maison.

Les mains au fond des poches de son jean, le nez enfoui dans son épaisse écharpe noire, la blonde croisa la route d'Alan. Bifurquant vers le trottoir opposé, elle s'arrêta juste en face de lui puis, elle leva la tête pour s'adresser à l'homme. « Avec tout ce qui c'est passé la nuit dernière, je n'ai pas eu l’occasion de te remercier. » Si Alan n'était pas intervenu lorsqu'elle s'était retrouvée avec un rôdeur au dessus d'elle, la blonde serait actuellement enterrée aux côtés d'Abel. « Si toi ou Christina avez besoin de quoi que ce soit, vous savez où me trouver. » Dit elle, faisant comprendre à Alan qu'elle avait une dette envers lui.

    M'avançant un peu dans la rue, j'observais chaque maison d'un air un peu distrait, chaque personne qui évoluait dehors, les quelques voix un peu moins tendues que lors de notre trajet parvenaient jusqu'à mes oreilles sans que je cherche réellement à en comprendre le sens. Après tout ce que nous avions eu à encaisser, toute la panique, l'angoisse, me retrouver ainsi debout sans réellement savoir où aller ni quoi faire me donnait vraiment une sensation bizarre. Cette impression également qu'une partie de moi était resté sur les routes, à chaque endroit où nous avions perdu quelqu'un. Serrant les dents en fourrant mes mains dans les poches, frissonnant légèrement à cause du froid qui ne m'importunait pas tant que cela.

    J'aperçus alors Blake qui semblait se diriger vers moi. Blake. Probablement que sans elle nous n'y serions pas arrivé. Elle avait su garder la tête froide en toute circonstance, nous mener au bout de la route et offrir à tout le groupe un nouvel endroit où s'établir. Nous avions pour la plupart payé le prix fort, mais un grand nombre d'entre nous pouvait enfin souffler et penser à de jours meilleurs. Me contentant de hocher la tête à ses mots, je plantais dans ses yeux mon regard qui se voulait bienveillant ; elle n'avait pas à me remercier pour cela, c'était parfaitement normal, et je ne doutait pas qu'elle aurait été là pour chacun de nous si elle avait pu. Souriant légèrement à ses paroles, je sortis une main de ma poche pour la poser sur son bras, le serrant doucement.

« Nous sommes là aussi. Et essayes de te reposer un peu. »

    Probablement que nous ne serions pas les premières personnes qu'elle viendrait voir en cas de problème, mais j'avais tout de même tenu à ce qu'elle sache que notre porte lui était ouverte pour n'importe quelle raison. Certainement aussi qu'elle ne serait pas de ceux qui parviendraient à trouver le sommeil rapidement, parce-qu'elle portait sur ses épaules le poids de tout le groupe et, même si elle n'avait pas besoin d'en faire tant, je savais pertinemment que lui dire ne servirait à rien.

    M'éloignant un peu pour avancer dans la rue, je sortis machinalement de ma poche mon paquet de cigarettes à moitié vide, en glissant une entre mes lèvres en l'allumant péniblement à cause du vent. Un peu plus loin, j'aperçus Quinn, prenant alors la décision de m'avancer vers elle.

« Comment tu te sens ? »

    Probablement que, comme tout le monde, elle était partagée entre une certaine joie et un arrière-goût amer, mais qu'y avait-il d'autre à dire ? Je n'avais ni l'envie de plaisanter, ni de me plaindre, alors autant m'enquérir de l'état de la rouquine plutôt que de m'étendre sur mes propres ressentis.

C'était terminé. Les maisons avaient été sécurisés, leur périple était achevé, et un nouveau départ se prenait. C'était la fin d'une période de survie et le début d'une autre. Tout le groupe ne pouvait que l'espérer plus clémente que ce qu'ils venaient d'endurer... La répartition des maisons avait été effectuée, et Ethan était en train de faire le trajet avec sa famille jusqu'à celle qui leur avait été attribuée. Au moins, le côté positif de leur déménagement forcé, c'était qu'ils n'avaient pas beaucoup de possessions à déplacer et à installer. Une partie se trouvait toujours dans le pick-up, et dès que possible l'agent fédéral irait voir pour récupérer ce qui pouvait l'être. Son cœur se serra de manière désagréable alors qu'il coulait un regard vers le portail, au loin. Il repensa naturellement à ses beaux-parents. Mais pour l'heure, il n'en était pas là. Demain, se promit-il. Ce soir-là, il devait installer les siens dans leur nouvelle demeure, et il espérait que ce serait un bon départ.
En pénétrant dans la maison, il fut troublé par cette sensation de bien-être qui l'envahit. Avoir à nouveau un vrai foyer, même dans ce contexte tragique, avait de quoi réchauffer le cœur. Strife et Gaia allèrent naturellement fureter pour repérer les lieux, tandis que la petite famille faisait le tour du propriétaire. Ethan n'avait pas fait attention à quoi que ce soit mis à part aux rôdeurs, lorsqu'il avait fallu nettoyer les maisons. Là, il se rendait compte que les lieux étaient vraiment agréables, décorés avec goût. Il ne serait sans doute pas difficile de s'y plaire. En montant à l'étage, ils purent aller examiner les chambres. Abbigail en prendrait une avec les petits, tandis que le couple aurait l'autre. Se retrouvant seul avec Brooke alors qu'ils exploraient les lieux, il la retint par le bras.

« Eh... Je suis sûr qu'on sera bien ici. Ce sera un nouveau départ... »

Son épouse hocha la tête et lui adressa un sourire qui manquait de chaleur. La perte de ses parents était encore une plaie trop à vif pour elle, mais elle tâchait de garder la tête hors de l'eau, tant bien que mal. Elle savait que son mari était là pour elle, et il la soutiendrait jusqu'au bout. Alors qu'ils retournaient au déballage des affaires qu'ils avaient emportées, Ethan songea qu'il irait faire un petit tour vers les maisons voisines une fois l'installation terminée. Histoire de voir comment se portaient les autres et s'ils étaient bien installés...

Le nettoyage avait été terminé, les maisons assignées à chacun d'eux. Ils avaient maintenant le droit de souffler. Avec le coup d'éclat de la matinée, elle avait eu dû mal à s'en remettre, ressassant les moindres choses qu'elle avait dites et qu'on avait pu lui dire. Clairement, sa fierté l'empêchait de digérer les propos même si elle savait pertinemment que sur le long terme, elle n'en voudrait pas tant que ça à sa meilleure amie... Si elle partageait tout avec celle-ci depuis si longtemps, ce serait idiot de s'ignorer de la sorte pour une... broutille ? Par contre, elle en voudrait toujours à cet imbécile d'intello, c'était certain... Et elle avait bien envie de lui faire payer. Mais... Pour l'heure, la tension était nettement descendu. Et alors qu'elle parcourait les maisons du regard en se dirigeant vers la maison qu'elle allait occupée avec sa jeune amie, ses filles et son petit ami, la voix de Quinn la fit se retourner dans sa direction.

Oh Quinn, merci... Je viendrais. L'ancienne modéliste fit une tentative de sourire, mais sa crispation lié à ses sombres pensées joua instantanément sur ses expressions. Cela ne ressemblait pas vraiment à une grimace mais plutôt au sourire de quelqu'un qui allait pleurer. Allez, reprends-toi, c'est passé depuis longtemps ! Et Tam a besoin de toi.

Non seulement Tam avait plus que jamais besoin de sa présence et de sa bonne humeur pour surmonter tout ça, mais en plus elle avait besoin de soutien pour ses deux filles. Kassandra était contente qu'elle soit avec elle, elle pourrait relayé la jeune tatouée, elle pourrait pomponner la petite dernière, et cajoler Victoria par la même occasion. Elle n'avait pas été aussi proche de cette dernière, mais la promiscuité entre eux dans la maison aller forcément changer ça. En passant la porte, elle avait trouvé Dante affalé sur le canapé, tellement d'étendu qu'elle ne put s'empêcher d'aller lui voler un baiser furtif avant de se diriger dans les cuisines. En revenant dans le salon, elle remarqua la présence de Tam. Elle supposa qu'elle avait été se recueillir sur la tombe qu'ils avaient faites pour Abel. Lorsque son amie s'approcha d'elle pour lui adresser des excuses, et forcément quand on entend ce genre ce propos avec un tel regard, on ne peut que laisser tomber ses barrières. La rancune tenace, Kassandra la gardait pour ses ennemis, pas ses ennemis.

On... On va oublier. Ce n'était qu'une mauvaise passe et... Je suis en tord aussi, je suis désolé de m'être comportée comme une enfant capricieuse Tam. Il était inutile qu'elle lui fournisse des explications, car elle savait très bien qu'une belle crise de jalousie en était à l'origine. L'important c'est de rester souder, maintenant plus que jamais... et... Je ne vais certainement pas te laisser tomber maintenant tu sais. Même si je suis trop fière pour avouer mes fautes. Elle avait approcher son corps de la brune, l'encadrant de ses bras protecteurs alors qu'elle venait coller sa joue à la sienne. On n'a pas fini de ranger la cuisine, c'est ton coin préféré, ça te dit qu'on le range ensemble ?